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Parce que la vie, c’est le cadeau de Dieu
Etienne Grieu
jésuite
jésuite
Etienne Grieu a écrit la rubrique « Lettre à un jeune » dans la revue Croire Jeunes. Nous lui avons demandé d’écrire une lettre sur le thème de la session, lettre que nous pouvons donner à des jeunes.
L’autre jour une femme du Mali, une de nos voisines, m’a demandé, dans son français inimitable : « Ah mais, toi, t’as pas de femme ? Pourquoi t’as pas de femme ? C’est bien, d’avoir une femme, non ? » Elle était au milieu de ses enfants qui couraient dans tous les sens, ça piaillait fort et je me demandais comment elle faisait pour les suivre du regard. Je lui ai répondu, pas tellement habitué aux débats théologiques sur les terrains de jeux : « C’est que, chez nous, les prêtres ne se marient pas. » « Eh ! Pourquoi ils ne se marient pas ? C’est bien, une femme, non ? » « Eh bien, c’est parce que Dieu, il est plus grand ; il est plus grand que tout ; il est tellement grand qu’il suffit pour remplir toute une vie. » « Ah bon ! C’est pour ça ? »
En fait, je n’étais qu’à moitié satisfait de ma réponse. Car justement, notre Dieu, dans son immense respect pour les hommes, n’est jamais entré dans ce jeu qui consiste à nous mesurer à lui, à nous faire sentir combien nous ne sommes vraiment pas grand-chose, en comparaison de lui. Il n’a jamais voulu faire sentir ainsi sa grandeur. Et comme il n’a rien non plus d’un tricheur, ni d’un démagogue, il faut bien admettre qu’il est vraiment comme cela, notre Dieu : il a renoncé définitivement à entrer dans nos comptes de géomètres. Jamais il ne lui viendra à l’idée de se poser comme un concurrent pour nous, comme si nous devions choisir entre lui et les autres, entre lui et la vie.
La vie, elle vient de lui. Il nous l’a donnée, vraiment, comme un cadeau et non comme un simple prêt. Il l’a remise à notre pouvoir, l’a déposée en notre cœur : désormais, elle dépend de nous. Ainsi confiée à de tels ouvriers parfois distraits, brouillons, vantards ou menteurs, elle pousse comme elle peut, le jour, la nuit, dans la chaleur et le froid, le vent et les calmes plats. Lui ne cesse de veiller sur elle. Il voit comment, souvent, nous la maltraitons ; mais il ne retire pas sa confiance, il ne vient pas arracher de nos mains nos pauvres outils pour nous montrer comment faire. Il en a décidé ainsi une bonne fois pour toutes : la vie, sa vie, passe désormais par nous.
Que des hommes et des femmes ne se marient pas à cause de Dieu, a sans doute quelque chose à voir avec ça. A priori, c’est curieux. On pourrait penser qu’au contraire ils résistent à entrer dans la danse de la vie, comme ces timides qui restent sur le bord de la piste et n’ont qu’une peur : qu’on les y invite ! C’est parfois vrai, mais là n’est pas l’essentiel.
Ils rappellent tout d’abord que le mariage n’est pas obligatoire : ce n’est pas un drame ni une honte si l’on ne prend pas femme et si l’on meurt sans descendance. Aujourd’hui, voilà qui ne choque personne. Mais autrefois, dans la plupart des sociétés, c’était un impératif, une règle à laquelle personne ne pouvait échapper. Les célibataires étaient regardés de travers : ils dérogeaient à la loi du groupe. Ce groupe, qui veut durer, croître, s’imposer, avait besoin de toutes les forces en présence. Il exigeait la fécondité de tous. Au milieu de tout cela, les chrétiens qui ne se marient pas à cause de Dieu, font passer un air de liberté. Ils affirment, discrètement mais fermement, que la loi du groupe n’est pas l’ultime raison. Qu’il y a d’autres choses qui valent encore plus que cette angoisse de la perpétuation du nom. Notre Dieu est un briseur de lois, de ce genre de lois qui se présentent comme si elles étaient au-dessus de tout, à la hauteur de Dieu.
Aujourd’hui, les règles du jeu ont beaucoup changé. Les lois des groupes ont été démantelées, du moins en apparence. En fait, elles se font plus subtiles, moins voyantes, mais elles sont tout autant présentes : « T’as pas de meuf ? T’es nul. » Comme il y a besoin, aujourd’hui encore, d’hommes et de femmes qui disent, discrètement, mais fermement, que les images peuvent être des prisons et que rien ne nous oblige à les révérer.
En mettant ainsi le pied dans le coin de la porte pour l’empêcher de se refermer, ils signalent, sans parole, que nous sommes appelés à autre chose qu’à devenir les maîtres de la vie. Elle nous est confiée, c’est vrai, mais pas pour que nous nous transformions en petits seigneurs ; dès que l’on veut la bloquer à l’intérieur de murailles, la vie s’étiole, elle qui est tellement faite pour le don qu’elle ne se porte bien que lorsqu’elle est offerte.
Tu vois comme c’est paradoxal : les chrétiens qui ne se marient pas rappellent ce que nous avons tant de mal à croire : la vie est donnée, donnée par Dieu, donnée comme Dieu. Et cela ils le disent, en renonçant eux-mêmes à engendrer ! Ils ne sentiront jamais la vie germer en leur corps, ou dans le corps de celle qu’ils auraient aimée. Mais la place libre qu’ils indiquent à leur côté signale la liberté que Dieu a pris de nous donner la vie, et de faire de la vie un cadeau.
Tôt ou tard, il leur arrivera quelque chose de tout à fait étonnant auquel, souvent, eux-mêmes n’avaient pas pensé. Ils découvriront, étonnés, des êtres en naissance autour d’eux, sans que l’on puisse attribuer le fait à quelqu’un en particulier, tout en sachant très bien qu’ils y sont malgré tout pour quelque chose. C’est que la vie de Dieu, ce n’est pas que des cellules qui se multiplient. C’est aussi une présence, des appels, un accueil, des engagements, des pardons, une attention. Voilà pourquoi c’est bien plus qu’affaire de parents. C’est tout un monde. Lorsqu’il est ouvert par la promesse d’un vrai bonheur et que cette joie est partagée, il est alors fécond, parce qu’il est plein de Dieu.
Ceux qui laissent dans le funiculaire de l’humanité une place libre à leur côté permettent à tous les autres de découvrir que la vie de Dieu est beaucoup plus vaste et forte que ce qu’on avait imaginé : elle déborde nos engendrements et passe par tous nos gestes. Et le meilleur, c’est qu’elle se donne avec tant de délicatesse et d’humilité que personne n’a encore trouvé le moyen de l’arrêter.
Alors, à ma petite dame malienne, j’aurais pu lui dire : « Il y a des chrétiens qui ne se marient pas, parce que la vie, c’est le cadeau de Dieu. »
En fait, je n’étais qu’à moitié satisfait de ma réponse. Car justement, notre Dieu, dans son immense respect pour les hommes, n’est jamais entré dans ce jeu qui consiste à nous mesurer à lui, à nous faire sentir combien nous ne sommes vraiment pas grand-chose, en comparaison de lui. Il n’a jamais voulu faire sentir ainsi sa grandeur. Et comme il n’a rien non plus d’un tricheur, ni d’un démagogue, il faut bien admettre qu’il est vraiment comme cela, notre Dieu : il a renoncé définitivement à entrer dans nos comptes de géomètres. Jamais il ne lui viendra à l’idée de se poser comme un concurrent pour nous, comme si nous devions choisir entre lui et les autres, entre lui et la vie.
La vie, elle vient de lui. Il nous l’a donnée, vraiment, comme un cadeau et non comme un simple prêt. Il l’a remise à notre pouvoir, l’a déposée en notre cœur : désormais, elle dépend de nous. Ainsi confiée à de tels ouvriers parfois distraits, brouillons, vantards ou menteurs, elle pousse comme elle peut, le jour, la nuit, dans la chaleur et le froid, le vent et les calmes plats. Lui ne cesse de veiller sur elle. Il voit comment, souvent, nous la maltraitons ; mais il ne retire pas sa confiance, il ne vient pas arracher de nos mains nos pauvres outils pour nous montrer comment faire. Il en a décidé ainsi une bonne fois pour toutes : la vie, sa vie, passe désormais par nous.
Que des hommes et des femmes ne se marient pas à cause de Dieu, a sans doute quelque chose à voir avec ça. A priori, c’est curieux. On pourrait penser qu’au contraire ils résistent à entrer dans la danse de la vie, comme ces timides qui restent sur le bord de la piste et n’ont qu’une peur : qu’on les y invite ! C’est parfois vrai, mais là n’est pas l’essentiel.
Ils rappellent tout d’abord que le mariage n’est pas obligatoire : ce n’est pas un drame ni une honte si l’on ne prend pas femme et si l’on meurt sans descendance. Aujourd’hui, voilà qui ne choque personne. Mais autrefois, dans la plupart des sociétés, c’était un impératif, une règle à laquelle personne ne pouvait échapper. Les célibataires étaient regardés de travers : ils dérogeaient à la loi du groupe. Ce groupe, qui veut durer, croître, s’imposer, avait besoin de toutes les forces en présence. Il exigeait la fécondité de tous. Au milieu de tout cela, les chrétiens qui ne se marient pas à cause de Dieu, font passer un air de liberté. Ils affirment, discrètement mais fermement, que la loi du groupe n’est pas l’ultime raison. Qu’il y a d’autres choses qui valent encore plus que cette angoisse de la perpétuation du nom. Notre Dieu est un briseur de lois, de ce genre de lois qui se présentent comme si elles étaient au-dessus de tout, à la hauteur de Dieu.
Aujourd’hui, les règles du jeu ont beaucoup changé. Les lois des groupes ont été démantelées, du moins en apparence. En fait, elles se font plus subtiles, moins voyantes, mais elles sont tout autant présentes : « T’as pas de meuf ? T’es nul. » Comme il y a besoin, aujourd’hui encore, d’hommes et de femmes qui disent, discrètement, mais fermement, que les images peuvent être des prisons et que rien ne nous oblige à les révérer.
En mettant ainsi le pied dans le coin de la porte pour l’empêcher de se refermer, ils signalent, sans parole, que nous sommes appelés à autre chose qu’à devenir les maîtres de la vie. Elle nous est confiée, c’est vrai, mais pas pour que nous nous transformions en petits seigneurs ; dès que l’on veut la bloquer à l’intérieur de murailles, la vie s’étiole, elle qui est tellement faite pour le don qu’elle ne se porte bien que lorsqu’elle est offerte.
Tu vois comme c’est paradoxal : les chrétiens qui ne se marient pas rappellent ce que nous avons tant de mal à croire : la vie est donnée, donnée par Dieu, donnée comme Dieu. Et cela ils le disent, en renonçant eux-mêmes à engendrer ! Ils ne sentiront jamais la vie germer en leur corps, ou dans le corps de celle qu’ils auraient aimée. Mais la place libre qu’ils indiquent à leur côté signale la liberté que Dieu a pris de nous donner la vie, et de faire de la vie un cadeau.
Tôt ou tard, il leur arrivera quelque chose de tout à fait étonnant auquel, souvent, eux-mêmes n’avaient pas pensé. Ils découvriront, étonnés, des êtres en naissance autour d’eux, sans que l’on puisse attribuer le fait à quelqu’un en particulier, tout en sachant très bien qu’ils y sont malgré tout pour quelque chose. C’est que la vie de Dieu, ce n’est pas que des cellules qui se multiplient. C’est aussi une présence, des appels, un accueil, des engagements, des pardons, une attention. Voilà pourquoi c’est bien plus qu’affaire de parents. C’est tout un monde. Lorsqu’il est ouvert par la promesse d’un vrai bonheur et que cette joie est partagée, il est alors fécond, parce qu’il est plein de Dieu.
Ceux qui laissent dans le funiculaire de l’humanité une place libre à leur côté permettent à tous les autres de découvrir que la vie de Dieu est beaucoup plus vaste et forte que ce qu’on avait imaginé : elle déborde nos engendrements et passe par tous nos gestes. Et le meilleur, c’est qu’elle se donne avec tant de délicatesse et d’humilité que personne n’a encore trouvé le moyen de l’arrêter.
Alors, à ma petite dame malienne, j’aurais pu lui dire : « Il y a des chrétiens qui ne se marient pas, parce que la vie, c’est le cadeau de Dieu. »