L’Eglise et les vocations en Irlande


Kevin Doran
prêtre
directeur du Service National des Vocations, Dublin

Aperçu historique

Les origines du christianisme en Irlande remontent à la mission de saint Patrick en 432. On pense que Patrick était le fils d’un officier romain en garnison au Pays de Galles ou en Gaule. Kidnappé alors qu’il était encore jeune, il passa plusieurs années à garder des moutons en Irlande puis y revint plus tard, comme évêque. Il commença sa mission en prêchant à la cour du Grand Roi à Tara (environ 40 kilomètres au nord de la ville actuelle de Dublin).
On peut distinguer trois périodes de l’histoire de l’Eglise en Irlande.
• De l’époque de Patrick au XIIe : période de croissance, marquée par l’essor florissant des monastères, lieux de prière et de savoir (les diocèses actuels correspondent à l’emplacement de ces premiers monastères), période de grande activité missionnaire en direction du continent (l’Europe).
• La période de l’occupation qui a suivi l’invasion normande a continué de faciliter les liens avec l’Eglise d’Europe. Cependant, après la Réforme, les monastères furent supprimés et l’on introduisit des lois pénales qui eurent pour conséquence la persécution des catholiques. Pendant un temps assez long, la hiérarchie de l’Eglise ne résidait pas en Irlande. La formation au ministère presbytéral se faisait dans les nombreux collèges irlandais du continent (Louvain, Paris, Salamanque, Rome). Ce fut aussi l’époque de l’engagement courageux de nombreux prêtres irlandais qui quittaient le continent pour aller vivre leur ministère en Irlande, au risque de leur vie.
• « L’émancipation catholique », en 1829, fut une étape très importante du processus qui a permis de rétablir l’Eglise catholique en Irlande. Cependant le séminaire national de Maynooth (près de Dublin) avait, en réalité, été ouvert quelques dizaines d’années plus tôt, avec l’approbation du parlement britannique. En effet, celui-ci pensait qu’il valait mieux que la formation des prêtres se fasse en Irlande où il espérait pouvoir la contrôler, plutôt que sur le continent européen, sous l’influence de leurs ennemis, la France et l’Espagne. Les XIXe et XXe siècle ont vu naître en Irlande de très nombreuses congrégations religieuses s’engageant dans le soin des malades et l’éducation des pauvres. Ce fut aussi une période d’activité missionnaire dynamique, non seulement en direction des pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, mais aussi en direction des colonies de langue anglaise. Jusque vers 1980, il y eut en Irlande trois ou quatre séminaires destinés en priorité à la formation des prêtres pour les diocèses d’Angleterre, d’Amérique du Nord et d’Australie.

Le déclin des vocations

Depuis les années 70, il y a une baisse significative des vocations, d’abord pour la vie religieuse puis pour le ministère de prêtre diocésain. Bien que le nombre de prêtres diocésains soit un peu plus élevé qu’il ne l’était il y a cent ans, la forte augmentation des années 50 et 60 a disparu. L’âge moyen des prêtres et des religieux est élevé.
A cause peut-être de notre histoire marquée un temps par la persécution religieuse, l’une des caractéristiques du catholicisme irlandais du XXe siècle a été de placer prêtres et religieux sur un piédestal. Cela a probablement contribué au développement d’une Eglise qui, jusqu’à il y a peu, était « sur-cléricalisée » et « sur-institutionnalisée ». Mais dans une société qui s’oppose aujourd’hui de plus en plus fortement aux institutions, l’Eglise ne fait pas exception.

La première reprise économique en Irlande eut lieu dans les années 60. Bien qu’elle n’ait été que de courte durée, elle a créé des attentes parmi la génération actuelle des parents. L’idée que se font les gens du succès, du bonheur et du statut social a changé. Ce changement d’attitude, en même temps que de nouvelles chances offertes par la croissance économique plus récente des années 90, a inévitablement influencé le choix des carrières. On remarque cependant quelques signes nouveaux : les jeunes entre vingt et trente ans ont repéré les limites de cette culture plus matérialiste et commencé à chercher autre chose. Les candidats actuels à la vie religieuse et au ministère presbytéral sont dans cette tranche d’âge.
On note, en même temps que cette culture matérialiste, une baisse générale du désir de s’engager à long terme. Beaucoup de jeunes gens qui veulent approfondir leur relation à Dieu et servir les autres sont encore lents à entreprendre le voyage vers le presbytérat ou la vie religieuse.

Les « nouveaux mouvements ecclésiaux » ne se sont pas développés en Irlande comme ils l’ont fait dans certains pays du continent. Cela vient peut-être du fait qu’une très forte proportion de la population irlandaise est traditionnellement catholique et que ces mouvements ont été perçus comme élitistes et considérés avec une certaine méfiance.
Un des principaux signes d’espérance est Youth 2000, Jeunesse 2000, né en réponse à l’invitation du pape Jean-Paul II adressée aux jeunes, lors de la préparation du Jubilé de l’an 2000. En Irlande, Youth 2000 est le mouvement de jeunes qui se développe le plus rapidement, quel que soit le secteur de la société. Des jeunes sont catéchisés et invités à prier pour d’autres jeunes. Il y a une insistance particulière sur l’Eucharistie, la réconciliation et le culte marial. Le défi, pour l’Eglise institutionnelle, est d’apporter soutien et conseil à ce mouvement sans vouloir le contrôler ni le diriger.

Le Service National des Vocations

Comme dans de nombreux autres pays de l’Europe de l’Ouest, la pastorale des vocations s’est dramatiquement modifiée, ces dernières années.
De nombreuses structures en Irlande peuvent apparaître comme facilitant la pastorale des vocations, tout particulièrement le système d’éducation catholique solidement implanté et la pratique religieuse dominicale encore élevée. Mais d’une certaine manière, nous sommes aussi victimes de notre histoire. Il y a vingt ans, les candidats à la vie religieuse et au ministère presbytéral étaient très nombreux et la promotion des vocations semblait relativement peu nécessaire. La tâche principale d’un directeur des vocations était d’examiner les nombreux candidats et d’exclure ceux qui ne convenaient pas. En tant qu’Eglise locale, nous ne nous sommes pas encore correctement adaptés à une situation qui a changé.
Un défi auquel fait face l’Irlande ainsi que de nombreux autres pays est le phénomène d’urbanisation galopante et, par voir de conséquence, de diminution de la population des zones rurales. Il se trouve ainsi que l’Eglise est appelée à être une communauté de foi là où la possibilité d’existence d’une communauté, de quelque nature qu’elle soit, est devenue très difficile. Le manque de jeunes dans beaucoup de communautés rurales et leur présence « sans racines » dans les zones urbaines lancent un défi à l’Eglise qui doit trouver de nouvelles manières de s’engager auprès d’eux. Cela a des incidences sur la pastorale des vocations.

Actuellement, le Service National des Vocations est composé de deux pôles :
• « Vocations Ireland » qui est l’organisation des congrégations religieuses et missionnaires ;
• la Conférence des Directeurs Diocésains des Vocations (CDVD) qui est particulièrement centrée sur le ministère de prêtre diocésain.
Ces deux pôles, bien que totalement indépendants, développent leur partenariat.
Les membres des services diocésains des vocations sont attachés aux principes fondamentaux du document In Verbo tuo, du Congrès européen des vocations de 1997. Cela implique un changement d’attitude : passer du recrutement à la promotion, à l’accompagnement et au discernement des vocations.

Notre tâche a deux aspects : d’abord stimuler le développement d’une culture des vocations dans l’Eglise et mettre en place des structures pour aider les personnes à discerner l’appel de Dieu dans leur vie. Ensuite, promouvoir activement et avec confiance les vocations spécifiques au ministère presbytéral et à la vie religieuse comme des manières particulières de vivre et de servir auxquelles Dieu continue d’appeler aujourd’hui.
En pratique, au niveau national, nous mettons l’accent sur la formation des personnes travaillant aux vocations, sur le développement de cette politique et la publication de documents.

Quelques initiatives

En 2003, le gouvernement irlandais a érigé au centre de Dublin un monument qui a la forme d’une grande flèche d’acier (un genre de Tour Eiffel !) pour célébrer, avec un peu de retard, l’an 2000. Le Service National des Vocations, avec l’accord des autorités municipales, a décidé d’y organiser une célébration avec musique, prière et témoignages à l’occasion de la semaine de prière pour les vocations. Il y eut environ deux cents participants, mais nombre de personnes, en passant, se sont arrêtées un moment pour regarder et écouter. Cet événement a eu une grand importance pastorale car, ces dernières années, l’Eglise en Irlande avait perdu confiance en sa vocation prophétique, en raison pour une part de la prise de conscience grandissante des abus sexuels infligés aux enfants par des prêtres et religieux.
A l’automne 2003, la CDVD a proposé la première rencontre de formation (quatre jours) pour les personnes concernées par la pastorale des vocations. L’objectif était la redécouverte de ce qu’est le prêtre diocésain, et le développement des compétences permettant d’accompagner les candidats éventuels, de manière plus efficace. Nous avons passé une journée à identifier les priorités de la pastorale des vocations. Nous avons décidé de :
• faire une proposition pour aider les prêtres à redécouvrir la motivation personnelle à l’origine de leur propre vocation ;
• travailler avec les catéchistes, aumôniers et conseillers spirituels des écoles catholiques pour voir comment mettre en place un modèle de discernement adapté à la population scolaire ;
• chercher, avec les aumôniers des étudiants, comment la pastorale des vocations pourrait être présente sur les campus ;
• demander aux évêques irlandais de réexaminer la mission des directeurs des vocations et de la considérer comme une priorité pour chaque diocèse, en l’accompagnant d’une formation et d’une indemnité financière pour ceux qui y travaillent. (Au moment où je rédige ces lignes, les évêques vont se réunir pour leur assemblée de trois jours, qui sera consacrée à la pastorale des vocations.)

Au moment où se tenait la rencontre de l’automne, la CDVD publiait un nouveau livret intitulé Le ministère de prêtre diocésain en Irlande ; questions le plus souvent posées, livret qui a été largement distribué dans les centres diocésains des vocations.
« Vocations Ireland » a tenu un stand au salon des carrières et perspectives d’avenir qui a eu lieu début 2004. Pendant trois jours, des religieux, des prêtres diocésains et des missionnaires se sont trouvés sur le même plan que les consultants en recrutement des plus grandes entreprises d’Irlande et ont invité ceux qui passaient à s’interroger sur un engagement possible à la suite du Christ. Il est difficile d’évaluer le fruit d’une telle action mais cela vaut mieux que de se cacher derrière des portes fermées.

En 1999, le centre diocésain des vocations de Dublin a mis en œuvre le « programme Galilée », outil d’accompagnement pour de jeunes adultes en recherche de vocation. Ce programme se déroule sur six rencontres de cinq heures dans l’année et un week-end complet. Il comprend des temps de lectio divina (lecture sainte de l’Ecriture), de catéchèse et de discussion, l’Eucharistie et les repas en commun. Il est proposé depuis quatre ans, en collaboration avec des religieux, des laïcs, des séminaristes et des prêtres diocésains. Un bon nombre des quarante-cinq participants se sont engagés de diverses manières par la suite. Ce programme est maintenant proposé en d’autres endroits d’Irlande.
Le diocèse de Down et Connor (Belfast) a réalisé un CD-Rom à présenter dans le cadre scolaire. Cette production a été offerte au CDVD et des copies en sont actuellement réalisées par le service diocésain des vocations de Cashel, en vue d’un envoi à chaque diocèse d’Irlande.
Ces deux exemples veulent simplement souligner la manière dont un service national actif peut faciliter le partage des ressources.
Pour la première fois, la CDVD a publié un calendrier – en couleur – pour 2004 dans le but de contribuer à promouvoir la culture des vocations. Ce calendrier, qui comprend des photos d’animaux et de nature, illustrées de textes bibliques adaptés, a été distribué aux services diocésains des vocations et aux aumôneries d’étudiants.

Il semble juste de dire que la pastorale des vocations en Irlande a bénéficié de manière significative ces dernières années de notre participation au Service Européen des Vocations. Partager les expériences et la foi de nos collègues d’autres pays est un soutien considérable. Je saisis cette occasion pour remercier le SNV de France ainsi que d’autres services nationaux pour leur contribution au Service Européen des Vocations, dès l’origine.

traduction : Hélène Daccord