Vivre en adorateurs du Père


Claude Schockert
évêque de Belfort-Montbéliard


Cette catéchèse a été donnée le vendredi 19 août, lors des XXe Journées Mondiales de la Jeunesse (Cologne 2005).


Dans le message que vous adressait Jean-Paul II en préparation de ces JMJ, le saint Père écrit à propos des mages arrivés au terme de leur recherche : « “Ils ouvrirent leurs coffrets et lui offrirent de l’or, de l’encens et de la myrrhe.” Les présents qu’offrent les Mages au Messie symbolisent la véritable adoration. Par l’or, ils soulignent sa divinité royale ; par l’encens, ils confessent qu’il est prêtre de la nouvelle alliance ; en lui offrant la myrrhe, ils célèbrent le prophète qui versera son sang pour réconcilier l’humanité avec son Père. »
« Chers jeunes, poursuit le Pape, vous aussi offrez au Seigneur l’or de votre existence, c’est-à-dire votre liberté pour le suivre par amour, en répondant fidèlement à son appel ; faites monter vers lui l’encens de votre prière ardente, à la louange de sa gloire ; offrez-lui la myrrhe, c’est-à-dire votre affection pleine de gratitude envers Lui, vrai homme qui nous a aimés jusqu’à mourir comme un malfaiteur sur le Golgotha. Soyez des adorateurs de l’unique vrai Dieu, en lui reconnaissant la première place dans votre existence. »
Vous avez dix-sept ans, vingt, vingt-cinq ans ou plus. Vous êtes étudiants, étudiantes. Ou bien vous avez déjà un métier que vous exercez depuis plusieurs années ou bien vous cherchez un travail. Pourtant vous n’êtes pas définitivement fixés dans la vie, vous vous interrogez sur votre avenir. Vous êtes chrétiens (nes) et vous cherchez à vivre votre foi de votre mieux avec d’autres. Quand vous envisagez votre avenir, le mot de « service » ou de « consécration » vous viennent peut-être spontanément à l’esprit.
Quelle que soit votre situation aujourd’hui, votre passé, ne soyez pas étonnés des obscurités, des combats que vous devez mener, des longues hésitations dont vous avez parfois l’impression de ne pas pouvoir sortir. On n’édifie pas sa vie sans peine, sans rencontrer des obstacles, des difficultés. N’attendez pas sans rien faire que la lumière vienne d’en haut, tout à coup. Vivez de votre mieux la vie que Dieu vous donne aujourd’hui, avec ses questions et ses luttes. C’est là qu’Il vous parle.
Accueillez sans réserve la vie du Seigneur en vous. Votre goût du service, votre générosité, votre désir de témoigner, voici qu’il vous faut prendre conscience qu’ils viennent d’un Autre, du plus intime du cœur de Dieu. C’est son Esprit qu’il vous communique.

C’est bien vous qui agissez et qui parlez, et pourtant, vous pouvez avoir la certitude qu’il agit et qu’il parle en vous. Cela peut vous aider à comprendre, comme une réalité merveilleuse cette parole de saint Paul qui va jusqu’à dire, car c’est son expérience : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20). Chercher votre route peut donc vous aider à devenir meilleur chrétiens.
Invités à devenir de véritables adorateurs du Père, en esprit et en vérité, je nous invite ce matin à garder quelques convictions et à entendre quelques appels.


Chacun est unique et Dieu est fidèle

La foi est avant tout une confiance en Dieu. Et la confiance se réfère nécessairement à une personne. Il s’agit de s’appuyer sur quelqu’un. Et cette confiance n’est possible de notre part que parce que nous savons pouvoir compter sur l’inconditionnelle fidélité de Dieu, lui qui a osé s’engager dans une Alliance avec les hommes.

L’un des plus beaux textes de l’Ecriture où il nous est possible de mesurer cette fidélité de Dieu, de comprendre sur quoi peut s’appuyer notre confiance, c’est le chapitre 43 d’Isaïe, qui commence par ces versets : « Ainsi parle le Seigneur qui t’a créé, Jacob, qui t’a formé Israël ; ne crains pas, car je t’ai racheté, je t’ai appelé par ton nom, tu es à moi. Si tu passes à travers les eaux, je serai avec toi, à travers les fleuves, ils ne te submergeront pas. Si tu marches au milieu du feu, tu ne seras pas brûlé, et la flamme ne te calcinera pas en plein milieu, car moi, je suis ton Dieu, le Saint d’Israël, ton sauveur… tu vaux cher à mes yeux, tu as du poids et je t’aime. »
Cette présence de Dieu à nos côtés, cette sécurité qu’il offre, ne nous dispense pas des épreuves de l’existence, elle ne nous permet pas d’éviter la traversée des fleuves ou du feu. Elle nous permet de vivre tout cela sans en être submergé. Quoiqu’il arrive, le Seigneur est avec moi. Quoiqu’il arrive, je sais que j’ai du prix à ses yeux. Il l’a dit ; il a montré sa proximité avec nous, de la crèche au Golgotha.

Les textes bibliques qui nous parlent des rencontres des prophètes et des patriarches avec Dieu peuvent nous éclairer sur une manière juste de percevoir la proximité de Dieu et son soutien. En effet, la tradition biblique nous répète que l’on ne peut voir Dieu face à face. Moïse qui l’avait demandé n’est autorisé à le voir que de dos ; Elie perçoit la présence de Dieu dans un silence inhabituel. Plus tard, les mystiques chrétiens dont on pourrait penser qu’ils avaient une perception très précise et claire de la présence de Dieu à leur côtés, enseignent que l’on ne rencontre Dieu que de nuit, à tâtons. On ne peut jamais être sûr de l’avoir trouvé au point de pouvoir se reposer et arrêter de le chercher.

Les grands mystiques n’ont pas été dispensés de cette quête sans fin renouvelée. Ainsi Jean de la Croix, dans l’un des poèmes spirituels, commence par « Je sais une source qui jaillit et s’écoule, mais c’est au profond de la nuit. » Ce texte se termine par l’évocation de la rencontre du Bien-Aimé dans l’eucharistie, une rencontre qui ne peut pourtant combler les sens, car elle se fait dans la nuit de la foi : « Cette source d’eau vive, objet de mes désirs, en ce vrai pain de vie je la vois, la contemple, mais c’est au fond de la nuit » (dans le cachot de Tolède en 1578).
On peut être sûr dans le domaine de la foi, mais ce n’est pas la même certitude qu’en mathématiques. Etre sûr de Dieu, c’est être sûr de quelqu’un, pouvoir compter sur lui, sur sa présence, et non pas à l’abri du doute ou des périodes de nuit. La foi ne dispense pas de la nuit, mais elle affirme que nous ne la traversons pas seuls.
Un appel à entendre : « Marche avec ton Dieu », « marche en sa présence. » Le chrétien est un « pèlerin » Le pèlerin, c’est « l’homme en route ». Celui qui, comme Abraham, comme Moïse, comme les disciples de Jésus, comme les Mages, quitte son pays, se met en route poussé par l’Esprit, vers une terre qu’il ne connaît pas encore mais où désormais va le porter tout son désir.

Si nous sommes appelés, si le baptême est vraiment « entrée en exode », si l’Esprit nous est donné pour cheminer à la suite du Christ, la question la plus importante de nos vies est bien alors : « Où aller ?... Que faire ?... Comment discerner dans nos vies les appels de Dieu, l’appel fondamental, le « nom unique » qui est le nôtre dans l’Amour de Dieu ? « Tu es Pierre », « tu es Paul »… Comment discerner ceci ?


La volonté de Dieu, c’est l’homme vivant

La première réponse, la plus fondamentale aussi qu’il faille donner à cette question, c’est de dire « oui » à la vie. La volonté de Dieu, c’est la vie ! Cela peut paraître banal, mais cela va déjà assez loin. Le premier « oui » que nous puissions dire à Dieu et finalement le plus profond et peut-être le plus exigeant, c’est de dire « oui » à la vie. Et l’on voit, avec beaucoup de consolation, que bien des gens rencontrent Dieu très profondément, sans toujours le savoir ou le soupçonner, en disant chaque matin « oui » à la vie.
Un oui qui n’est pas toujours évident mais qui est parfois héroïque. Je rentre de pèlerinage à Lourdes : les malades et handicapés physiques sont admirables de courage et d’obéissance à la vie. Le premier « oui » que nous puissions dire à Dieu est de dire « oui » à la vie !
La volonté de Dieu passe par la croissance de l’homme, par sa grandeur, par sa vérité. La première chose que Dieu attend de nous, ce n’est pas que nous fassions ceci ou cela, mais c’est que nous agissions en homme libre et responsable, que nous assumions notre vie, nos décisions, nos relations, que nous les assumions honnêtement, généreusement, loyalement. La volonté de Dieu n’est pas d’abord un programme ou un plan, elle est un appel créateur, un appel au surgissement de nos libertés. Et s’il est vrai que Dieu nous veut à son image, nous a créés « à son image et ressemblance », c’est dire qu’il nous veut créateurs et libres avec lui, capables d’invention dans l’amour.

Ce que Dieu attend de chacun de nous et au cœur de nos vocations particulières dans lesquelles nous avons pu nous reconnaître (laïcs, religieuses, prêtres), c’est d’abord que nous soyons aussi pleinement, aussi originalement homme ou femme, créateurs de vie et d’amour à son image.
C’est dire que le premier lieu de la rencontre de la Parole de Dieu, la volonté de Dieu, c’est d’abord notre être profond, avec ses virtualités et son désir. Ceci est important, parce qu’il est arrivé trop souvent que l’on ait cherché la volonté de Dieu d’abord dans le registre du devoir ou de l’obligation et pas dans celui du désir : « Tu dois être ceci ou cela ! »
Dire cela, ce n’est pas réduire la vocation chrétienne à la prise de conscience du dynamisme psychique de chacun, mais c’est affirmer que Dieu s’adresse à l’homme dans son être d’homme, dans ses facultés d’homme, dans son devenir humain.


Dieu parle dans un peuple et une histoire

C’est à travers la détresse de son peuple que Moïse a entendu l’appel de Dieu. C’est devant la mort de Lazare que Jésus s’est décidé à monter vers Jérusalem, reconnaissant à ce signe que son heure était venue. Alors, pour nous aussi, les besoins du monde, les appels de nos frères seront un lieu privilégié de rencontre de la volonté de Dieu. Mais il faut être très attentif à ne pas laisser l’imaginaire prendre le pas sur le réel.
Les besoins du monde à travers lesquels Dieu nous rejoint, rejoint chacun d’entre nous, ce ne sont pas les besoins généraux, universels – si importants ou si pressants soient-ils – mais ce sont plutôt ces besoins, ces appels concrets auxquels nous nous heurtons dans notre vie. (Mais qui est mon prochain ?)
Ces appels s’adressent non pas aux chrétiens du 21e siècle, mais d’abord à chacun d’entre nous, dans sa particularité et dans ses limites.
Il s’agit de prendre en charge les besoins concrets qui se présentent à nous : telle initiative à prendre, telle réconciliation à vivre, telle démarche à faire, telle solidarité à vivre… et nos réponses à ces besoins concrets, à ces appels sont le terreau dans lequel d’autres appels plus radicaux et plus forts pourront se faire jour.
Un appel est toujours adressé à une liberté. C’est à celui à qui cet appel s’adresse d’accueillir et de reconnaître la volonté de Dieu et rien ne peut se faire sans cette reconnaissance, car tout appel est avant tout une grâce et une exigence de conversion.


Dire « oui » à Dieu, en disant « oui » à la vie

Ce « oui » à Dieu, en disant « oui » à un peuple et à une histoire sont les « oui » où la rencontre de l’Esprit-Saint peut se faire, à l’intérieur de ces « oui », en les assumant et en les dépassant. Ainsi, notre vie chrétienne est une réponse, une vocation ; réponse à Celui qui toujours nous aime le premier. « Avant de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais » dit Dieu (Ps 139).
Regardez : vous connaissez Charles de Foucauld qui sera béatifié à Rome le 13 novembre prochain… Si vous comparez le visage de Charles de Foucauld avant sa conversion et celui de « frère Charles », ce qui apparaît très nettement, c’est que le visage de « frère Charles », c’est beaucoup plus que Charles de Foucauld, tel qu’il était avant sa conversion, mais c’est aussi et toujours Charles de Foucauld… Mais seulement tel que personne n’aurait pu le prévoir. Ainsi l’Esprit dans une vie se reconnaîtra aux mêmes signes : un passé assumé et une ouverture à un avenir nouveau…
La vie du chrétien qui cherche à faire la volonté de Dieu reproduira à sa mesure la vocation de l’Eglise dans le monde. La vocation de l’Eglise dans le monde est souvent caractérisée par trois mots : le témoignage, la communion et le service. Toute vie chrétienne est appelée à rendre témoignage de Jésus-Christ dans l’Esprit, à faire mémoire de Jésus-Christ par son existence même, par ses choix, par ses décisions.
Toute vie chrétienne est appelée à créer une communion : « Comme le Père m’a aimé… Aimons-nous les uns les autres. » Toute vie chrétienne est appelée à être service et chaque vocation chrétienne : celle du laïc, de la religieuse, du prêtre, l’est à sa manière en vivant toute tâche humaine ou ecclésial comme un service.
Ces trois aspects doivent être présents dans toute vie chrétienne. Et si l’un d’entre eux était absent, ce serait le signe que la maturité spirituelle est encore à approfondir.
L’Evangile précise qu’après avoir rencontré le Christ, les Mages rentrèrent dans leur pays en prenant un autre chemin. Ce changement de route peut symboliser la conversion à laquelle sont appelés ceux qui rencontrent Jésus, pour devenir les vrais adorateurs qu’il désire.


On ne naît pas chrétien, on le devient

Notre conversion consiste à devenir chrétiens, à devenir, comme le disait admirablement saint Augustin, ce que nous sommes par le baptême : « Vous êtes le corps du Christ ! Recevez ce que vous êtes et devenez ce que vous recevez. »
A notre baptême, un chemin d’alliance s’est ouvert. La vie chrétienne devient alors une formidable aventure, toujours neuve, de liberté et d’amour. Au jour de notre baptême, le Père nous a choisis comme fils et filles pour avoir part à sa vie et il nous a donné son Fils comme unique chemin. Nous devenons chrétiens au fil de notre histoire, de nos conversions et de nos disponibilités au travail de l’Esprit en nous.
Devenir chrétien, c’est nous laisser façonner par Dieu pour atteindre la pleine dimension de notre vocation d’hommes et de femmes. Devenir chrétien, c’est un chemin, un itinéraire et sur ce chemin nous ne sommes pas seuls. A certains jours, il faut même accepter de nous laisser entraîner, porter par ce peuple de frères qui marche à nos côtés, convaincus « qu’un chrétien isolé est un chrétien en danger ».
Qui peut dire, un jour, qu’il est pleinement devenu disciple du Christ ?
Au jour du baptême, le prêtre nous a marqués, avec l’huile sainte en disant : « Je te marque de cette huile pour que tu deviennes éternellement membre de Jésus-Christ, prêtre, prophète et roi. »

Nous laisser greffer sur le Christ Prêtre

Au milieu de l’immense foule des hommes, l’Eglise est ce peuple qui reconnaît explicitement le don d’amour du Père et qui fait monter vers Lui la réponse et la louange de l’humanité. C’est par le Christ dont elle est le corps visible en ce monde, que l’Eglise se tourne vers le Père. Greffé au Christ par le baptême, le chrétien est membre de ce corps du Christ. Par sa vie, par sa prière, par sa participation aux sacrements, le chrétien exerce, avec ses frères, la vocation sacerdotale de ce peuple.
Une vie quotidienne qui est action de grâce au Père. Par sa vie quotidienne, le chrétien est appelé comme le dit l’apôtre Pierre « à offrir des sacrifices spirituels », c’est-à-dire à prendre conscience que toute son activité peut se laisser travailler par l’Esprit et devenir « vie spirituelle », vie selon l’Esprit… C’est toute notre existence humaine qui doit, dans sa totalité, devenir eucharistique, « offrande spirituelle »
Par son engagement dans la vie familiale, sociale, professionnelle, culturelle, politique, économique, le chrétien participe à l’achèvement de la création et il peut retourner, en offrande au Père, cet embellissement de la création auquel il participe et tous ses efforts pour un monde plus juste et plus fraternel, plus conforme au désir profond de Dieu.
Sur notre chemin de croyant, le Christ ne nous laisse jamais seuls. Il éclaire lui-même la route pour nous conduire au Père. Les sacrements nous ont été donnés pour rencontrer le Christ ressuscité, nous faire communier à sa vie afin que nous devenions des pierres vivantes de l’Eglise, vivant dans l’unité et l’amour. Les sacrements sont les gestes du Christ pour nous réconcilier avec Dieu et ainsi nous donner la Vie qui n’aura pas de fin.

Nous laisser greffer sur le Christ Prophète

Et, comme tels, nous avons, jour après jour, à accueillir la Parole de Dieu. C’est d’abord pour retrouver le Christ que nous retournons sans cesse aux évangiles et que nous les méditons. C’est aussi pour confronter notre foi avec le témoignage des apôtres et rendre conforme notre vie à l’Evangile. La Parole de Dieu nous est offerte. Elle a pris visage humain en Jésus-Christ, chemin de Dieu vers l’homme.
Elle a pour tâche de nous décentrer de nous-mêmes et nous faire entrer dans une relation nouvelle avec Dieu. Elle nous permet de dire que la foi chrétienne n’est pas un produit de nos expériences intérieures, mais un événement qui, de l’extérieur, vient à notre rencontre.

Par notre obéissance à la Parole, nous témoignons qu’il n’est pas d’absolu en dehors de Dieu et de sa Parole. Vous comprenez ici l’insistance du Pape pour nous rappeler que « l’idolâtrie est une tentation constante de l’homme. Il existe des personnes qui cherchent la solution à leurs problèmes dans des pratiques religieuses incompatibles avec la foi chrétienne. Ne cédez pas aux illusions mensongères et aux modes éphémères… Refusez les séductions de l’argent, de la société de consommation et de la violence sournoise qu’exercent sur nous les médias. »
Nos sociétés occidentales mettent en valeur la recherche de suprématie et flattent l’émotionnel. L’environnement hyper médiatisé nous tire souvent à la surface de notre existence, au détriment de notre intériorité où la Parole de Dieu peut nous rejoindre et opérer. A capter tous les sons et les images qui nous parviennent, nous courons le risque de n’en rester qu’au seul niveau des impressions et de nous laisser éblouir par l’inessentiel.
Comme le disait un jour le cardinal Daneels, de Bruxelles : « Il nous faut apprendre à nager à contre-courant. Le chrétien dans le monde est comme la truite dans un cours d’eau rapide : elle reste dans l’eau et ne la quitte pas. Mais elle vit dans un état de résistance continuel. Elle vit à coups de reins. L’eau ne la gêne pas : elle y prend plutôt son appui pour avancer en amont, vers la source du torrent. »

Nous laisser greffer sur le Christ Roi

C’est sur la croix que le Christ reçoit le titre de roi des Juifs, c’est par son sacrifice qu’il manifeste la seule puissance de Dieu, celle de l’Amour. Victorieux du mal et de la mort, Jésus ressuscité devient « Christ et Seigneur de l’univers ». Il devient un chemin de vie et de bonheur pour tout homme. De même la royauté du chrétien est une libération qu’il reçoit de sa rencontre avec le Christ. Plongé dans la mort du Christ par le baptême, le croyant est appelé à ressusciter avec Lui. L’amour inégalable de Dieu, manifesté sur la croix, est source d’une liberté extraordinaire face à tout ce qui peut diviser les hommes et les aliéner.
Pour les disciples de Jésus, la seule force que leur donne leur foi, dans les affaires du monde, est cette force de l’amour. Par le baptême les croyants sont appelés, à la suite du Seigneur, à être un peuple vivant de l’amour fraternel et ayant, pour leurs frères les hommes, les mêmes sentiments que Jésus, un peuple de serviteurs.

Chrétiens, nous savons que notre humanité est blessée, marquée du péché par lequel l’homme a voulu être comme un dieu. L’actualité quotidienne nous en apporte la preuve. Adorer Dieu et choisir la voie de l’obéissance à sa Parole, est une garantie de rester humain et de participer à l’avènement d’une civilisation selon le cœur de Dieu, fondée sur le respect de l’autre, la rencontre des cultures et des peuples, comme nous le vivons ici à Cologne, la concorde et la paix.
Nous n’aurons jamais fini de découvrir la richesse du mystère de l’Amour de Dieu pour tous les hommes. Que le Seigneur nous préserve de croire que nous possédions ce mystère d’amour. Qu’il nous tienne en éveil pour suivre la lumière de Dieu qui brille au-delà de nous-mêmes.

Nous sommes appelés à former des communautés contagieuses. Nous sommes invités à faire de nos communautés des lieux où soient réellement vécus l’amour et la communion « à la manière de Jésus ». Les communautés chrétiennes ne doivent pas être des groupes fermés sur eux-mêmes. Le témoignage d’une vie fraternelle fait partie intégrante de la mission. Par l’accueil de tous, en particulier des plus faibles, par le respect de chacun, par une vraie solidarité vécue au quotidien, nos communautés d’Eglise sont appelées à donner le témoignage de la force qui les habite. Travailler à la construction de telles communautés, contagieuses d’amour fraternel, c’est manifester aux yeux du monde que le « règne » du Christ peut déjà grandir sur cette terre.


Des communautés au service des hommes

Créés par Dieu et appelés à travailler à l’achèvement de la création. Une originalité essentielle du christianisme est notre foi en l’incarnation : « Dieu s’est fait homme ». Cela donne à la condition humaine une dignité indépassable.
Dans une vie d’homme, à Nazareth, l’amour de Dieu a pris une forme concrète, un visage humain et depuis, pour les chrétiens, il y a cette certitude : la recherche de Dieu n’implique pas la fuite des réalités humaines, au contraire. Chacun est invité très concrètement à comprendre comment sa vie quotidienne peut être un lieu d’incarnation de l’évangile. Aucune réalité humaine n’est à mettre à l’écart. Toute situation peut être évangélisée, c’est-à-dire pétrie de l’esprit évangélique : le travail, les loisirs, les études, les relations, la vie familiale, le club de sport, la vie politique…

Un amour privilégié pour les petits. « Les pauvres sont le trésor de l’Eglise » disait saint Laurent aux premiers temps de l’Eglise. La foi enracine en nous cette conviction que tout homme a une dignité inaliénable. Cela fonde un respect absolu de toute personne humaine et une attention privilégiée aux petits. « Ce que vous faites au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le faites » (Mt 25). Dans l’eucharistie, notre Dieu a manifesté la forme extrême de l’amour, bouleversant tous les critères de pouvoir, qui règlent trop souvent les rapports humains, et affirmant de façon radicale le critère du service : « Si quelqu’un veut être le premier de tous, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous » (Mc 9, 35).
Ce n’est pas un hasard si, dans l’évangile de Jean nous ne trouvons pas le récit de l’institution de l’eucharistie, mais celui du « lavement des pieds » (Jn 13, 1-20) : en s’agenouillant pour laver les pieds de ses disciples, Jésus explique sans équivoque le sens de l’eucharistie. A son tour, saint Paul rappelle avec vigueur que n’est pas permise une célébration eucharistique où ne resplendit pas la charité manifestée dans le partage concret avec les plus pauvres (1 Co 11, 17).
Pensons au drame de la faim, aux maladies qui meurtrissent les pays en voie de développement, la solitude des personnes âgées, les problèmes des chômeurs, les problèmes des immigrés. Ce sont des maux qui affectent même les régions les plus opulentes. Nous ne pouvons pas nous faire d’illusion : c’est à l’amour mutuel et, en particulier, à la sollicitude que nous manifesterons à ceux qui sont dans le besoin que nous serons reconnus comme de véritables disciples du Christ. Tel est le critère qui prouvera l’authenticité de nos célébrations eucharistiques.

Redécouvrez le don de l’eucharistie comme lumière et force pour votre vie quotidienne dans le monde, dans l’exercice de votre profession et dans les situations les plus diverses. Dans votre rencontre avec Jésus caché sous les espèces eucharistiques, apportez tout l’enthousiasme de votre âge, de votre espérance, de votre capacité à aimer.

Devenir chrétien, quel long et passionnant chemin !
Devenir chrétien, c’est devenir disciple de Jésus et marcher à sa suite dans la vie quotidienne.
Devenir chrétien, c’est entrer dans une meilleure connaissance de soi-même qui n’est autre que la connaissance d’amour que Dieu a de chacun de nous : « Jésus le regarda et l’aima » (Mc 10, 21).
Le regard d’amour de Dieu au plus profond de soi conduit sur un chemin de vérité et d’humilité qui permet d’entrer dans une meilleure connaissance de soi-même. Cette connaissance n’est pas acquise une fois pour toutes. Comme la vie, elle est un devenir qui permet peu à peu de consentir pleinement son humanité. Il nous faut consentir au travail de l’Esprit, Il nous faut consentir à être aimé de Dieu.