Un chemin difficile vers la lumière


Olivier de Roulhac
bénédictin,
vice-postulateur de la cause de béatification



Marcel Van (1928-1959) est vietnamien. Connu pour sa grande familiarité avec sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, il a eu une vie difficile. Son amour pour Jésus a été sa force, le témoignage de sa vie et de ses écrits fait de lui un modèle particulièrement parlant pour le monde d’aujourd’hui.


La famille de Van est chrétienne ; sa mère l’élève dans l’amour de Dieu, lui apprend très tôt les prières usuelles, au point que Van se souvient que les premiers mots qu’il sut dire étaient Jésus, Mère, sainte Vierge, saint Joseph. Tout petit, sa mère lui fait faire son signe de croix. Ayant mémorisé les prières, Van sait donc dire le chapelet qui, selon sa mère, a pour effet de « le rendre plus sage et plus doux (1) », car il reçoit la joie de la présence de Marie.

Comme tout petit garçon en bonne santé, Van aime à courir, à se dépenser et doit apprendre à canaliser son caractère fort, afin d’éviter le mal et de faire le bien. Avec son frère et sa sœur, il aime à jouer ; les processions improvisées avec l’image de la Vierge remportent le plus grand succès.

Il a été marqué, tout petit, par une image chez sa grand-mère, représentant l’Enfant-Jésus prenant le sein de la Vierge. Sa maman aimait lui raconter des histoires du petit Jésus. C’est ainsi que « la sainte Vierge, en venant de bonne heure prendre possession de mon cœur, emmenait avec elle le petit Jésus pour s’unir très intimement à mon âme (2). » « Jésus-Enfant », selon l’expression originale de Van, devient son ami le plus cher. Aussi le jour où l’oncle Kim lui offre un pantin en bois, il le baptise immédiatement « Jésus-Enfant » et l’entoure de toutes sortes de soins, prêt à « mourir pour Jésus-Enfant (3) ». Il partage tout avec lui, ainsi lorsqu’il reçoit des friandises, il en garde une part pour son ami. Certes, un pantin ne mange pas grand-chose. Sa portion, mise de côté, est alors donnée à un pauvre.

Après la naissance de sa petite sœur, pour l’éloigner du bébé, Van est envoyé, contre son gré, chez sa tante Khanh. Cet exil de près de deux ans, entrecoupé de visites chez lui, est pour Van l’occasion de grands progrès spirituels. Souvent livré à lui-même, ses cousins étant plus âgés que lui, il utilise ce temps pour escalader les collines alentour et là, plus près du ciel, il aime à le contempler en disant le chapelet, convaincu d’être plus facilement regardé par la Vierge. Comme chez lui, on aime à lire en famille la vie des saints, merveilleux trésor d’enseignements qui forgent son âme et son amour pour Dieu.
Il passe aussi beaucoup de temps à jouer, un peu trop, au point qu’il n’a plus assez de temps pour prier. Peu à peu, ses défauts reviennent et sa joie de vivre s’estompe. Il comprend alors combien il a besoin du secours de la Vierge, sa maman du ciel. En reprenant la récitation du chapelet, joie et sourire refleurissent dans son âme, et son désir de s’unir à Dieu devient plus ardent.

Définitivement revenu à la maison, et toujours très attaché à sa chère maman, il lui demande à faire sa première communion. Devant la jeunesse de l’enfant, quoique édifié par sa connaissance de l’Eucharistie, le curé hésite à admettre Van à la communion. Ce n’est qu’à la veille du jour prévu pour la première communion qu’il permet à Van de se joindre aux autres enfants du village. Admirable prêtre qui a su reconnaître l’authenticité du désir de l’enfant et plus encore du désir de Jésus si proche des petits. Cette première union de Van à Jésus est le début d’une grande intimité qui s’approfondira dans un amour sans cesse renouvelé et dans l’union croissante des volontés jusqu’à ne faire plus qu’une. Par bonheur, le curé a autorisé Van a communier tous les jours – les villageois avaient la coutume de se rendre chaque matin à l’église pour la messe et le chapelet – permettant ainsi au petit garçon de s’enraciner dans l’amour du Christ. La confirmation reçue peu après affermit encore Van qui écrit : « J’ai donc été officiellement armé, comme un chevalier, du glaive de l’Esprit Saint, et appelé soldat du Christ (4). » Parce que le soldat est appelé à servir, dans le cœur de Van croît le désir de se donner à Dieu, d’« entrer en religion » : « Chaque fois que je recevais Jésus, je sentais ce désir comme retentir en mon âme et me presser très fortement. Sans hésiter, je reconnus que c’était là l’appel de Jésus à mon âme. Aussi, sans la moindre pensée de résistance, je répondis sur le champ à sa voix, et je pris la décision de chercher un moyen de me conformer parfaitement à sa volonté (5). » Il s’en ouvre à sa mère, et il a le cœur bien meurtri lorsqu’il découvre qu’elle n’a pas su garder le secret, première croix qu’il offre de bon cœur à Dieu.

Profitant d’un temps de vacances, la mère de Van décide de l’emmener voir un prêtre de sa connaissance, dirigeant une « Maison de Dieu ». Ces maisons sont en fait de vastes cures, où sont reçus des garçons souhaitant se préparer à entrer au séminaire. Là, ils doivent être formés par le curé aux rudiments de la religion. Parmi eux, plusieurs n’ont pas de vocation religieuse, mais faute de pouvoir retrouver une situation dans la société, ils restent comme catéchistes.
Van, tout heureux d’avoir trouvé le lieu où il pourra apprendre à être prêtre, décide de rester dans la cure de Huu-Bang, préférant Jésus à sa propre famille ; il a sept ans. En quittant le cocon familial, Van s’expose au monde, à un monde profondément blessé par le péché originel, même dans cette cure. Et sa vocation va être durement éprouvée, jusqu’à la nuit.

L’excellente attitude de l’enfant et la bienveillante affection du curé suscitent des jalousies. Relisant sa vie, Van y voit l’action du démon déclarant la guerre à l’enfant choyé de la sainte Vierge (6). La tactique est classique. La chasteté est tout d’abord attaquée avec une tentative de viol de la part d’un des catéchistes, qui ne manque pas de profiter de sa supériorité pour battre abondamment l’enfant qui lui a résisté. La deuxième attaque est plus violente : seul à avoir la permission de communier quotidiennement, voilà que les catéchistes vont s’ingénier à détourner Van du Pain de Vie. A force de mauvais traitements, de brimades, mais surtout en introduisant le doute dans son esprit, ils réussissent leur œuvre : « Je ne savais à qui recourir pour ouvrir ma conscience ; je songeais sans cesse à toutes les raisons fallacieuses apportées, et j’en vins à ne plus oser communier tous les jours (7). » Enfin, parce que le démon redoute la puissance de la Toute-Obéissante, on s’emploie à empêcher Van de réciter son chapelet, mais il tient bon : « C’est grâce à cette pratique que Marie, ma Mère, est toujours venue à mon secours, forçant le démon à me craindre, si bien qu’il n’a jamais réussi à me vaincre (8). » « Malgré les souffrances, lui dira un jour la sainte Vierge, tu restes toujours abrité sous mon manteau, en compagnie du petit Jésus. Tu n’as rien à craindre. C’est aussi mon manteau qui recueillera tes larmes (9). » Cette dévotion mariale est fondamentale dans la vie de Van ; enfant de la sainte Vierge à un titre spécial (10), il aura pour mission de beaucoup prier pour les apôtres du Règne de Marie.

Ce n’est pas le lieu ici de détailler les épreuves que Van eut à souffrir et qui ne cesseront, sa vie durant. Elles sont celles que connaissent aujourd’hui trop d’enfants d’Asie du Sud-Est, et de nos pays dits « civilisés », livrés à cette jungle moderne qu’est la rue sans le soutien d’une véritable famille. Devenu adulte, Van ne cessera de prier pour eux, recevant cette belle mission d’apôtre des enfants.

Plus tard, conseillant la jeune Thoa (11), dont les parents s’opposent à son désir de devenir religieuse, Van lui fait part de son expérience. En trois points, il décrit la tactique du démon pour décourager une vocation. D’abord, il suscite l’opposition des parents et la ferveur dans leur enfant afin de faire durer la lutte entre eux. Puis, quand le dégoût commence à survenir chez le jeune, il lui fait voir tout le mal qu’il y a en lui afin de faire grandir ce dégoût. Le démon doit alors agir vite, afin d’empêcher le temps de la réflexion, c’est la troisième étape, celle de l’intimidation et du trouble qu’il fait grandir afin que le jeune, se croyant incapable de satisfaire aux obligations de la vie religieuse, y renonce. Avant de lui donner les armes du combat spirituel, Van encourage son amie avec humour : « Thoa, puisque le démon est un être à longue queue, rusé mais manquant de sagesse, il lui arrive de se cacher la tête tout en laissant voir sa queue, de sorte que nous, qui sommes de la race de Dieu, possédant le don de sagesse qui vient de l’Esprit Saint, nous n’avons rien à craindre de lui, puisque nous avons tout pour le vaincre. Les armes du combat deviennent alors d’une redoutable simplicité : la persévérance dans la poursuite du but, la prière et l’obéissance aux parents sauf dans le cas d’incitation au péché ou à quelque chose qui détournerait de la vocation ; dans ce cas il faut refuser avec grande délicatesse et fermeté. »

Arrivé à l’âge de douze ans, sans avoir réussi à beaucoup étudier, Van n’a jamais été aussi seul. Ayant quitté la cure de Huu-Bang, il est chez ses parents qui ne le traitent plus comme leur fils et il se croit damné : « Si les hommes ne peuvent me supporter, est-ce que Dieu, lui, pourra me supporter davantage (12) ? » Alors un premier secours d’En-Haut va lui arriver, et le faire entrer dans le mystère de sa vie passée, et dans celui de sa propre vocation. C’est l’illumination de la nuit de Noël 1940 : « Dieu m’a confié une mission : celle de changer la souffrance en bonheur (13). »

C’est une véritable transfiguration qui se produit en cette nuit. Van a retrouvé l’amour de Dieu, et le sens de sa propre vie. De retour à Huu-Bang, cette grâce est confortée par le vœu de virginité qu’il fait devant l’autel de la Vierge. Alors, rempli de force, il travaille avec succès à assainir l’atmosphère viciée de cette malheureuse cure. Mais il n’étudie toujours pas. Comment donc deviendra-t-il prêtre ? Ardent désir qui va le conduire, non sans de nouvelles épreuves, à Langson et à Quang Uyen, où sa vie va prendre un nouveau tournant avec la rencontre de sainte Thérèse de Lisieux.

La lecture de l’Histoire d’une âme lui fait découvrir que la sainteté est possible, qu’elle est la vocation de chacun. Les desseins de Dieu sont mystérieux, ils sont adaptés à chaque âme en fonction de sa mission propre. Quel ne fut pas l’étonnement de l’adolescent de quatorze ans d’entendre, un jour, sainte Thérèse lui parler de l’amour du Père. Peu à peu elle enseigne Van, le guidant sur le chemin que Dieu a préparé pour lui, lui faisant découvrir sa vocation propre, ici-bas, et qui se prolongera au ciel.

Depuis son enfance, Van se bat pour réaliser son désir : devenir prêtre. Et voilà que Thérèse lui annonce : « Dieu m’a fait connaître que tu ne seras pas prêtre (14). » Douloureuse stupéfaction de Van. Sainte Thérèse le console en lui révélant le mystérieux amour du Père : « Oui, crois fermement que ton désir du sacerdoce est très agréable à Dieu. Et s’il veut que tu ne sois pas prêtre, c’est pour t’introduire dans une vie cachée où tu seras apôtre par le sacrifice et la prière, comme je l’ai été autrefois. En réalité, la volonté de Dieu n’a rien de cruel. Dieu te connaît mieux que tu ne te connais toi-même, et c’est lui qui a fixé d’avance la durée de ta vie dont il connaît tous les événements. C’est pourquoi, dans sa sagesse, il a dû arranger les choses de façon que tu puisses exercer sans retard ton apostolat en ce monde. Petit frère, réjouis-toi, et sois heureux d’avoir été mis au nombre des “Apôtres de l’Amour de Dieu” qui ont le privilège d’être cachés dans le cœur de Dieu pour être la force vitale des Apôtres missionnaires. Oh ! Petit frère, peut-il y avoir un bonheur plus grand que celui-là (15) ? »
Encore sous le choc, Van demande s’il peut communiquer à une âme, choisie par Jésus, tous ses désirs et projets afin qu’ils puissent devenir réalité. Aujourd’hui, une dizaine de séminaristes ou prêtres se sont déjà reconnus ! Il est vraiment apôtre et cœur des prêtres ainsi qu’il l’écrit à Lang, futur évêque de Xuân-Lôc, le 22 avril 1951 (16).

C’est ainsi que, renonçant à son propre désir, Van entre chez les Rédemptoristes de Hanoi, pour y être apôtre plus par l’Amour que par la parole ou par une grande activité extérieure (17). Durant son noviciat, Jésus s’adresse à lui et le guide sur le chemin de la sainteté, le faisant entrer dans le grand mystère de la Rédemption, l’amenant à s’unir intimement à lui et à ne faire avec lui qu’un seul esprit.
« Je ne regarde ni loin, ni près de moi, je ne regarde que celui que mon cœur aime. »



Notes :
(1) Marcel Van, Autobiographie, ed. Saint-Paul/Les Amis de Van, 2000. Aut. 12.
(2) Aut. 46.
(3) Aut. 48.
(4) Aut. 101.
(5) Aut. 102.
(6) Aut. 132.
(7) Aut. 148.
(8) Aut. 152.
(9) Marcel Van, Colloques, ed. Saint-Paul/Les Amis de Van, 2001. Col. 244.
(10) Lettre au Supérieur des Rédemptoristes de Hanoi, le 8 août 1943, in Marcel Van, Correspondances, ed. Saint-Paul/ Les Amis de Van, 2006.
(11) Cf. Lettre à Thoa du 16 juillet 1950 in Marcel Van, Correspondances, ed. Saint-Paul/ Les Amis de Van, 2006.
(12) Aut. 433.
(13) Aut. 439.
(14) Aut. 649.
(15) Aut. 651.
(16) in Marcel Van, Correspondances, ed. Saint-Paul/ Les Amis de Van, 2006.
(17) Aut. 519.


La cause de béatification de Marcel Van a été introduite comme confesseur de la foi.
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