Marcel Callo, signe pour aujourd’hui


Christophe Decherf
responsable des GFO


Voici un homme à côté duquel on pourrait passer sans s’arrêter, car il est pareil à des milliers d’autres : un prénom simple, une allure effacée, un regard myope, un homme peut-être timide, une vie qui aurait pu être ordinaire. Mais, en même temps, il montrera une détermination hors du commun. En effet, il est un chrétien prêt à se lever et qui cache une capacité de risquer sa vie pour ce qui en vaut la peine : le Christ, qu’il découvre comme son compagnon de route dans les turbulences de son époque et le service de ceux dont il s’approchait sans distinction et avec une audace aimante.


Appelés à une vie sans limites

Marcel est né le 6 décembre 1921 à Rennes dans une famille ouvrière, et il a avancé sur une trajectoire de vie qui restera toujours simple. A partir de ses jeux d’enfant et de sa jeunesse, plus ou moins identiques à celle de tous les enfants et jeunes aujourd’hui, à partir de sa foi au Christ, à partir des valeurs de son milieu, de sa générosité, il a répondu aux appels qu’il ressentait et qui lui étaient adressés ; interpellé par la situation d’injustice causée par la seconde guerre mondiale, il ira loin dans l’amour. Il meurt en 1945 en Allemagne dans un camp de prisonniers. Il a vingt-quatre ans.
Son parcours scolaire n’est pas facile. Pourtant il s’accroche et entre en apprentissage comme ouvrier typographe en imprimerie. Déjà – mais aussi plus tard, lorsqu’il sera reconnu comme bon ouvrier – Marcel se montre attentif aux plus faibles d’alors, les apprentis. Marcel montrera progressivement un cœur et un esprit déterminés, prenant de plus en plus de responsabilités dans l’Eglise et dans la vie associative des jeunes de son âge avant d’animer spirituellement, aux pires heures, les baraques des prisonniers français en Allemagne. En lui le service de l’homme et celui de l’Eglise sont liés. Le Christ lui demande de le suivre avec ses deux mains.
J’aime son parcours varié de jeune, il n’est enfermé par rien ; scoutisme, paroisse et patronage, Jeunesse ouvrière chrétienne. Cette dernière « te conviendra mieux », lui dira un prêtre d’alors qui a appris à le connaître. « Tu pourras devenir un apôtre dans ton atelier. » Cet appel résonne en lui. De fait, à ce tempérament de feu, il convient bien de passer d’une spiritualité du grand air, du loisir et de la convivialité à une spiritualité qui développe son attention au sort de ses collègues de travail, avec l’exigence et la rigueur d’une méthode pour mieux les aimer. Chacun est invité à observer et à noter comment, sur son lieu de travail, les apprentis sont accueillis pour, à la suite de ces observations, chercher en équipe JOC quelle action entreprendre avec eux. Marcel a le projet qu’ils découvrent le Christ en même temps que leur dignité. Il s’engage solennellement à la JOC en 1936. Le groupe qu’il anime est le second du département d’Ile-et-Vilaine.


L’amour du Christ nous presse

Au sein de la JOC, porté par l’amitié entre responsables, par la présence des aumôniers, par les sacrements, la Parole de Dieu et les moments de récollection, Marcel développe une même compassion pour le Christ et pour ses frères. En lui se modèle un désir ardent, irrésistible de tout donner de lui-même parce que c’est ce chemin qu’a pris le Christ. Aussi, en 1943, lorsque l’ordre de mobilisation pour le Service du Travail Obligatoire en Allemagne lui arrive – comme à des milliers de français de son âge – Marcel s’interroge : aller travailler chez l’occupant pour remplacer les soldats allemands n’est-ce pas collaborer ? Mais qui ira pour soutenir le moral de ces jeunes, ses frères, à qui sont promises des conditions de travail et de vie difficiles ? N’est ce pas pour cela qu’il ira ? Il dit alors : « Là où sont les travailleurs, là doit être la JOC ; je ne pars pas là-bas comme travailleur mais comme missionnaire. » Il ajoute : « Que je suis heureux d’être militant chrétien, je sens à tout moment le Christ à mes côtés ! » C’est le 19 mars 1943 qu’il prend le chemin de l’Allemagne. Ils seront 600 000 jeunes français à partir pour le STO.
Marcel aimait aussi une jeune femme, Marguerite ; amour tendre, clair et ouvert aux autres. Ensemble ils mènent plusieurs actions, notamment en direction des réfugiés ; ils se fiancent. Et pourtant, l’amour du Christ le prend et lui donne une audace infinie. Elle ne le retient pas lorsqu’il prend la décision de partir au STO. Marcel répond sans faiblesse pour un amour encore plus grand qu’il payera de sa vie dans un camp d’extermination en Allemagne. Accusé de sabotage et d’« action catholique » en faveur des autres prisonniers, il connaît plusieurs camps de prisonniers où il réveille l’espérance de ses compagnons. Marcel n’a que vingt-quatre ans ; il est malade, exténué, corps de douleur comme son Christ, et pourtant le regard transfiguré par ce Christ qui l’habitait. Il mourra un autre 19 mars, en 1945, jour où l’Eglise fête saint Joseph, époux de Marie, éducateur du Christ, ami des travailleurs. C’est ce que note un autre prisonnier qui, lui, reviendra de l’enfer de ce camp et pourra témoigner ainsi que d’autres de l’activité débordante de Marcel. En ces temps si troublés, Marcel s’est toujours engagé au présent, dans ce qu’il devait vivre ; il a cherché sans cesse à faire connaître le Christ à ses compagnons de fortune et d’infortune. En prenant au nom de sa foi le risque d’être résistant au système oppresseur, il entraîne beaucoup d’autres à passer de la soumission à la joie d’être acteur de leur vie. Jean- Paul II l’a béatifié à Rome le 4 octobre 1987.


Une vie au service de la relation au Christ

J’aime chez Marcel Callo qu’il ait toujours mis du lien entre les personnes, partout où il est passé. Comme l’apôtre Paul et tant d’autres, mais à sa façon, unique, il a été « ministre du mystère du Christ » qui veut que « les païens soient associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, par l’annonce de l’Evangile » (Ep 3, 6).
Marcel proposait une vie en équipe à ceux qu’il rencontrait, que ce soit dans son travail, dans le scoutisme, en JOC, ou dans les baraques des camps de prisonniers. Il avait le souci d’une vie en Eglise vécue dans la proximité du service et de l’amitié, dans les relations nouvelles que l’Eglise, à l’écoute de l’Esprit du Christ, sait proposer. C’est un des aspects heureux du ministère presbytéral que j’ai, pour ma part, la joie d’exercer. Je crois que des jeunes, aujourd’hui, peuvent avoir envie de devenir prêtre et de répondre oui à cette vocation pour peu qu’on leur présente le ministère de prêtre comme un service de la relation entre les personnes. Ainsi, rejoignant le Corps du Christ en ses multiples communautés, ces personnes rencontrent plus facilement le Christ, son visage aimant, appelant chacun au bonheur. Des jeunes et des moins jeunes, professionnels ou étudiants, peuvent entendre cet appel à une vie belle, avec le Christ, au service de la rencontre entre des personnes dont l’existence est éclatée et solitaire. Ils seront prêts à accepter la vie risquée de prêtre diocésain et ses exigences si on leur présente avec joie cette perspective d’appeler eux-mêmes à faire peuple, à l’imitation du Christ qui a donné sa vie pour un tel projet. C’est un projet que je crois dynamisant, pour un jeune qui a le désir d’une vie pleine. A partir de là peut être entendu l’appel de l’Eglise diocésaine qui a besoin de pasteurs et qui forme à une relation pastorale qui est exaltante – les séminaristes et les prêtres en témoignent.


D’autres Marcel Callo en GFO

Au sein des Groupes de formation en monde ouvrier (GFO), des jeunes, qui ressemblent à Marcel, se préparent à devenir prêtre. Ils le font d’une manière originale, en gardant, pour un temps, leur travail professionnel. Tout en suivant une formation en alternance sérieuse – biblique, philosophique, théologique, spirituelle et apostolique – ils approfondissent la chance qu’ils ont d’exercer un travail ou de suivre une formation professionnelle qui, comme le Christ à Nazareth, les fait grandir et approfondir des relations qui les préparent dès aujourd’hui au ministère qu’ils exerceront plus tard. Les GFO se déroulent en une année propédeutique suivie de trois années de formation, à raison d’un week-end par mois et une session chaque été. Les jeunes qui y participent s’engagent à un travail personnel de préparation où ils sont aidés, et la vie d’équipe est essentielle. Certains passent une année en GFO avant de rejoindre un séminaire de premier cycle, d’autres y sont durant quatre années avant de poursuivre dans un séminaire de second cycle. Ils ne sont plus typographes comme Marcel ; certains exercent un travail ouvrier, d’autres de cadre. Ils viennent de tous les secteurs d’activité d’aujourd’hui.


A nous d’en vivre

Si l’état du monde actuel pousse – par les propositions et stratégies des sociétés nouvelles – à un individualisme et à une désespérance inquiétants, beaucoup de jeunes ne s’y résignent pas ; notre espérance de chrétien non plus. Marcel Callo, en son temps, a relevé le défi d’une vie meilleure pour tous ; il est en cela si proche de nous. Nous découvrons tous les jours des jeunes prêts à s’investir pour un idéal qui les dépasse dans de multiples domaines brûlants d’actualité.
A nous de leur dire que le Christ est au centre de cet idéal et qu’il sera leur bonheur comme il l’est pour Marcel. A nous d’en vivre, comme lui-même l’a vécu pour en proposer les ministères.