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Un appel à une humanité en plénitude
Marc Hémar,
responsable du SDV de Châlons,
curé de la paroisse Sainte-Thérèse
Notre diocèse de Châlons-en-Champagne vient de vivre une année de l’appel conduite en partie par une équipe composée de sept membres dont un prêtre, membre du conseil presbytéral, un diacre, une religieuse et des laïcs dont un couple marié.
Cette initiative a été lancée le jour de la Toussaint 2005 pour s’achever à la Toussaint 2006, conscients que tout appel de Dieu est chemin de sainteté à la suite des saints que nous aimons fêter ce jour-là, quelle que soit notre vocation. Bien des initiatives ont été prises à travers le diocèse pour témoigner, sensibiliser, prier pour les vocations. Plusieurs services diocésains ont collaboré, permettant à toutes les générations d’être rejointes. Le service diocésain des vocations, en partenariat avec la catéchèse, a mis en place une exposition qui a fait le tour du diocèse, permettant aux enfants de découvrir, à travers des témoignages, un parcours initiatique, la projection d’une séquence d’un DVD du diocèse de Metz que le Seigneur n’a jamais cessé d’appeler… et qu’aujourd’hui encore, il en appelait quelques-uns à devenir prêtre, religieux ou religieuse… à la manière des saints qui, à toutes les époques, ont répondu à l’appel de Dieu.
A travers cet effort de sensibilisation, la figure des saints a été déterminante. Ils sont « des paroles en acte » manifestant par leur vie combien les appels que Dieu adresse à un homme ou à une femme donnent de la profondeur, de l’épaisseur à la vie. Répondre à son appel est chemin d’humanisation, d’accomplissement, de sainteté.
C’est dans cet esprit que les trente-quatre paroisses de notre diocèse qui, jusqu’à présent, ne portaient que des noms géographiques, ont été invitées par notre évêque durant cette année de l’appel à choisir la figure d’un saint patron susceptible de les éclairer quant à leur spiritualité, leur cheminement, leur souci missionnaire. « Une paroisse ne saurait se définir d’abord par le territoire… explique notre évêque, car pour l’essentiel, elle est la communauté des disciples du Christ, appelés à la sainteté de vie, rassemblés autour de la table de la Parole et du Pain, envoyés pour être signe de la fraternité avec tous. Telle est sa vocation et sa mission. Aussi il est juste de se mettre dans le sillage de tous ceux qui nous ont précédés dans la foi et ont su traduire en acte l’Evangile à la suite du Christ Chacun à sa manière originale, a écrit une nouvelle page de l’Evangile en l’illustrant par l’une ou l’autre des Béatitudes : “Heureux les pauvres… les miséricordieux… les doux… les compatissants… les artisans de justice et de paix… ceux qui souffrent de persécution par amour de Jésus…” »
Toutes les paroisses, avec plus ou moins d’ardeur, se sont donc mobilisées pour choisir le saint ou la sainte dont la vie pouvait devenir une parabole vivante pour l’ensemble de la communauté paroissiale. Notre évêque, dans un éditorial présentant les saints patrons de nos paroisses proclamés lors de la Toussaint 2006, conclut par ces mots : « Les saints, par toute leur vie, nous révèlent qu’un amour absolument gratuit nous précède et que, malgré nos insuffisances et nos fragilités, cet amour nous porte et nous transforme vers plus de vie. “En tout cela, nous sommes plus que vainqueurs par Celui qui nous a aimés” (cf. Rm 9, 37). »
Pour illustrer cette recherche, voici comment sur ma paroisse Sainte-Thérèse de l’Enfant-Jésus de Châlons en Champagne, « notre sainte préférée » nous éclaire et nous conduit. En quoi inspire-t-elle notre paroisse aujourd’hui ?
Par son entière confiance à l’amour du Père et son rayonnement universel, sa sainteté est à la portée du plus grand nombre et des plus petits d’entre les hommes. Elle consiste à suivre « la petite voie » de l’amour simple de Dieu, comme un enfant. De ses nombreuses paroles, on gardera l’une des plus connues qui a inspiré bon nombre de compositeurs : « Aimer, c’est tout donner et se donner soi-même. »
L’amour a toujours été le noyau même de toute œuvre missionnaire. « Avec sainte Thérèse, il devient clair et indéniable que c’est l’amour qui évangélise, que l’œuvre missionnaire n’est pas d’abord question d’éloquence, de puissance de la parole humaine, de déplacements, de souffrance, de voyages. Bien sûr, il nous faut faire tout cela parce que toutes ces fatigues du missionnaire sont une expression de son amour. Mais Thérèse nous fait comprendre qu’on évangélise le cœur par le cœur… » (Homélie du cardinal Danneels à Lisieux le 27 septembre 1987).
Sainte Thérèse propose un chemin spirituel accessible à tous. Dans une société où l’on discerne une exigence diffuse de spiritualité, il est important que les baptisés puissent recevoir une formation spirituelle puisée aux grandes sources de la mystique chrétienne qui leur permet d’entrer profondément dans ce qui constitue le cœur de la « vie dans l’Esprit ». Avec Thérèse de Lisieux, nous sommes à bonne école. Sans occulter la dimension affective et émotionnelle, sa vie est résolument donnée à la cause du Christ « pour la gloire de Dieu et le salut du monde ».
En lien avec l’année de l’appel et avec notre volonté de nous asseoir à la table de la Parole, sainte Thérèse nous aide à tisser notre vocation dans une confrontation quotidienne avec cette Parole de Dieu. Dans ses manuscrits, elle écrit : « C’est par-dessus tout l’Evangile qui m’entretient pendant mes oraisons, en lui je trouve tout ce qui est nécessaire à ma pauvre petite âme » (Ms A, 83 v°). C’est en méditant la première lettre aux Corinthiens, au chapitre 12, qu’elle découvrira le sens profond de sa vocation : « Ma vocation, je l’ai trouvée, c’est l’amour. Dans le cœur de l’Eglise, ma mère, je serai l’amour. » N’est-ce pas là le moteur de toute l’activité missionnaire ?
Sainte Thérèse nous redit fortement combien la mission est le débordement de la vie contemplative comprise non pas comme un « éloignement » du monde mais un élan jailli du cœur de Dieu, une proximité avec tout homme. Sa vie contemplative fait corps avec l’activité missionnaire de nombreux missionnaires avec qui elle entretiendra une correspondance ; jusque dans sa souffrance, à l’infirmerie, elle pourra dire : « Je marche pour un missionnaire. »
Sa prière, sa vie donnée sont orientées pour que l’œuvre du salut de Dieu s’accomplisse dans le monde. Elle ne cessera de prier pour les plus éloignés de l’Eglise, sa prière deviendra force d’intercession. On connaît bien, par exemple son engagement pour la conversion d’Henri Pranzini, condamné à mort pour avoir tué trois femmes à Paris. Beaucoup d’autres, par la suite, attribueront leur conversion à l’intercession de sainte Thérèse.
Enfin, sainte Thérèse a été marquée, en particulier durant les dix-huit derniers mois de sa vie, par l’épreuve de l’incroyance. « Jésus m’a fait sentir qu’il y a véritablement des âmes qui n’ont pas la foi… Il permit que mon âme fut envahie par les plus épaisses ténèbres et que la pensée du ciel si douce pour moi ne soit plus qu’un sujet de combat et de tourment... » (Ms C, 4-5).
Elle découvre qu’il est possible, en conscience, de ne pas croire et se fait solidaire des incroyants : elle accepte de vivre, écartelée, sans rien sentir de la foi qu’elle affirme, pour qu’ils aient un peu de lumière. Là encore, elle est missionnaire et nous invite, nous aussi, à prendre en compte, dans notre vie et notre foi, ce monde de l’incroyance qui est aussi une composante importante du monde d’aujourd’hui.
Au terme de cet article, on constate que les saints ne vieillissent pas, surtout lorsque nous les approchons dans l’épaisseur de leur humanité avec ses richesses et ses faiblesses, ses élans et ses lourdeurs. Les saints n’y ont pas échappé mais leur force réside dans leur capacité à se laisser façonner par Dieu, dans la mise en œuvre de ses appels. Très souvent le pape Jean-Paul II exhortait les jeunes à devenir des saints en leur donnant de découvrir plusieurs figures de sainteté : « Jeunes, n’ayez par peur d’être des saints ! Volez haut, soyez parmi ceux qui visent des buts dignes de fils de Dieu. Glorifiez Dieu par votre vie ! » (JMJ de Czestochowa).
Plus récemment, c’est Benoît XVI qui, aux dernières JMJ de Cologne, n’hésitait pas à exhorter les jeunes à la sainteté : « Si nous pensons et si nous vivons dans la communion avec le Christ, alors nos yeux s’ouvriront. Alors, nous ne nous contenterons plus de vivoter, préoccupés seulement de nous-mêmes, mais nous verrons où et comment nous sommes nécessaires... » ; dans une méditation au cours de la veillée en plein air, il ajoutait : « Dans la vie des saints, comme dans un grand livre illustré, se dévoile la richesse de l’Evangile... Les bienheureux et les saints ont été des personnes qui n’ont pas cherché obstinément leur propre bonheur mais qui ont voulu simplement se donner, parce que qu’ils ont été touchés par la lumière du Christ. Ils nous montrent ainsi la route pour devenir heureux, ils nous montrent comment on réussit à être des personnes vraiment humaines. »
Oui, sur le chemin de la vocation, les saints sont vraiment nos maîtres !