Edito


« Confiance en l’initiative divine et réponse humaine » : cet intitulé est celui que Benoît XVI a donné à l’Église pour la journée mondiale de prière pour les vocations (JMV). Il devient « Confiance lève-toi il t’appelle 1 », pour cette campagne 2009 de communication sur les vocations. Ce verset sera sur toutes les affiches, sur le dossier d’animation et sur l’image de prière.

La confiance est le présupposé à partir duquel il est possible d’envisager une réponse.
L’homme qui accepte cette affirmation, « confiance en l’initiative divine », est un homme qui non seulement croit que Dieu a l’initiative, mais qui fonde sa foi sur une expérience articulée à une tradition ; il les comprend comme une succession d’événements dans lesquels l’Église voit, décrypte un « vouloir », une intention divine. Un tel homme fait confiance à l’Auteur de l’initiative et à la communauté des croyants. Cependant, tout esprit curieux, en quête d’un minimum de rationalité, aimerait comprendre sur « quoi » fonder précisément une telle confiance. Au fond, il s’agit pour lui de savoir si le croyant fait une lecture seulement subjective et idéologique des événements. L’homme moderne de bonne volonté veut bien aller jusqu’à penser « l’expérience », mais il veut savoir, non seulement comment le croyant en rend compte, mais aussi comment il investit son expérience, en somme comment il l’analyse.

Nous sommes ainsi contraints à penser la manière dont nous, membres de l’Église, communiquons en matière de vocation spécifique. Comment lire « la » vocation et la donner à penser dans la vérité comme réalité et non pas comme produit de pure subjectivité, intime et/ou communautaire ? Évalue-t-on, pour favoriser le déploiement de ces vocations spécifiques, le poids des facteurs historiques, afin de tenir une juste distance entre coutumes héritées et modernité en travail ? Mais aussi, comment articule-t-on une anthropologie de l’engagement, premier degré de la réponse, à une anthropologie de l’évolution de la personne engagée ?
Nous le constatons, les questions soulevées par cette affirmation stimulante de Benoît XVI sont très loin d’être épuisées…

Les auteurs réunis ici nous partagent les fruits de leur pensée et de leur expérience. Certains contributeurs développent plus volontiers la deuxième partie de l’assertion « […] et réponse humaine » – fondée sur la foi en l’initiative de Dieu. L’homme répond-il à l’initiative divine ou à autre chose ? Comment apprécier l’adéquation de la réponse ? Comment penser le critère de médiation sans en faire un absolu, afin que la Parole, vitale, dérangeante et parfois ténue, ne cesse d’être entendue ? Des générations d’hommes et de femmes essaient d’approcher ce qui, il faut bien le dire, relève du mystère, cet indicible qu’il faut, paradoxe des paradoxes, pourtant dire. La tradition, passée au crible de la transmission, n’est pas l’ennemie de la modernité en quête de vérité, car la tradition, si elle est chrétienne, n’est jamais foncièrement étrangère au siècle mais en compagnonnage dialectique. Prenons un exemple au hasard ; depuis plus d’un siècle, une science ancienne, l’exégèse, et une science nouvelle, la psychanalyse, longtemps pensées inconciliables, se sont sur certains points peu à peu appairées. N’ont-elles pas en commun, pour le plus grand bien des communautés, d’« […] éclairer des aveugles d’eux-mêmes, […] faire parler et entendre des muets et des sourds de leur propre être, […] ressusciter des morts de leur propre vie 2 » ? Il n’y a pas d’autre voie, pour échapper à la mort, que d’annoncer la vérité et la vie, paroles ardentes. L’homme saisi par l’appel est un homme saisi par la vie, voilà ce que nos contemporains, comme l’apôtre Thomas, veulent voir et toucher.

Notre époque, comme tous les siècles qui nous ont précédés, ne désespère nullement de la vérité et de l’amour. Elle craint les grandes idéologies, mères d’immenses désastres. Ainsi, par amour des hommes, certains se détachent des grands systèmes, tandis que d’autres se tournent vers des modèles élaborés à partir d’une subversion du sens d’un donné existant. Le paradoxe de cette subversion réside souvent dans une lecture fondamentaliste des textes, parfois articulée à une importance, hors de proportion et décontextualisée, donnée à la coutume. C’est ainsi qu’un glissement subreptice a lieu : une coutume fixée est alors qualifiée de manière tout à fait abusive de tradition, et cela selon des critères qui échappent à la raison critique, donc à toute réactualisation. Le sujet pensant risque d’être alors conduit à se renoncer. Dans une telle configuration, peut-on encore tenir la vocation, comprise comme appel et réponse, dans son lien inextricable en saine théologie avec l’idée d’homme qui s’engage ? Au fond, comment penser encore l’Alliance ou contrat passé entre Créateur et créature, libres, sans un appareil critique suffisant pour aller de l’avant ?

Les vocations spécifiques ont une belle et rude tâche : relever en Église les stimulants et difficiles défis contemporains, pour continuer à annoncer la Bonne Nouvelle, à l’instar du Fils dans son incarnation ; c’est dans l’assurance d’être soutenus par l’intention divine qu’ils trouvent le désir et l’énergie qu’il faut pour se lever et aller au monde, pour le Royaume. « Confiance, lève-toi, il t’appelle ! »
La confiance en l’initiative divine devrait donner tous les courages et toutes les audaces. Car il faut être audacieux pour vivre et pour aimer, aimer vraiment. Il ne faut pas craindre l’aventure qui naît de chaque acquiescement comme de chaque refus. Vivre c’est être agent de vie pour les autres. La réponse, notre réponse, peut-elle ne pas être joyeuse si elle est vraie ? Une telle joie n’est pas dans la négation du réel, mais dans une capacité donnée à tenir l’essentiel : l’amour de Dieu qui déborde largement son acte créateur. Créés par l’Amour, nous vivons et mourrons par et pour l’Amour. Ceux qui Lui répondent d’un Oui spacieux savent bien que leur voix est minuscule, comme perdue dans l’infini des voies empruntées mais ils savent aussi la force de leur si petite voix.

Les contributions de ce dossier analysent et mettent en perspective l’affirmation de Benoît XVI. Vous trouverez l’approche, originale – et rare jusqu’ici dans nos publications – d’un talmudiste. Dans notre souci commun de fonder nos assertions lorsque nous allons à la rencontre de jeunes gens travaillés par les questions de vocations et de médiations, un article analyse les appels parfois paradoxaux des prophètes, un autre aborde l’incontournable vocation de l’apôtre Paul, suivi d’une réflexion sur la pensée d’Augustin. Les Pères de l’Église sont parcourus avec brio de manière à élargir et à rafraîchir les contenus de nos communications. Ensuite, une série de propositions enrichissent les motifs de l’appel et de la réponse. Passer, par exemple, par la pensée d’E. Mounier aide à comprendre de manière équilibrée le rapport entre médiation, communauté et sujet. Dans la section « Contributions » figure la conférence 3 donnée par Mgr Bruguès à Porto, lors du congrès européen des vocations 2008.



1 - Mc 10, 49.
2 - Jacques Arène, Pierre Gibert, Le psychanalyste et le bibliste. La solitude, Dieu et nous, Paris, Bayard, 2007.
3 - Note à l’intention de ceux qui ont participé au Congrès. Cette version papier comporte quelques modifications – toutes introduites par Mgr Bruguès lui-même – au texte original de la conférence donnée au Portugal.