Renouvellement de l’annonce et mission


Vincent Blin, vicaire général du diocèse d’Arras
Laurent Boucly, responsable du SDV d’Arras

 

 

Depuis l’an 2000, le diocèse d’Arras a choisi de mettre en place des orientations et des chantiers pour renouveler l’annonce de l’Evangile dans une terre de tradition chrétienne. Le but de ce témoignage est de présenter la dynamique de ce projet, sa dimension missionnaire et sa répercution dans la pastorale des vocations.



La dynamique du projet



Trois textes fondamentaux

Ces orientations se veulent au plus près des réalités humaines : « L’annonce de l’Evangile ne peut se vivre qu’en grande proximité, notamment auprès des plus petits. Je voudrais faire converger tous les efforts apostoliques vers cette évangélisation au plus près des personnes. De nouvelles initiatives susceptibles d’adapter la proclamation de la Bonne Nouvelle à l’extrême diversité des situations personnelles et collectives s’ajouteront certainement au labeur généreux de tant de mouvements, communautés et groupes. Il faut à la fois continuer et inventer pour que dans les villages, les quartiers, les rues, les immeubles, il soit possible d’entendre l’Evangile, d’en vivre et de se laisser saisir par le Christ. Cette urgence vaut aussi pour les milieux, les conditions, les professions, les organisations et les structures qui marquent la vie en société 1. »
Cette intuition veut rejoindre celle que proposait Jean-Paul II dans Redemptoris missio : « Il s’agit de groupes de chrétiens qui, au niveau familial ou dans un cadre restreint, se réunissent pour la prière, la lecture de l’Ecriture, la catéchèse ainsi que le partage de problèmes humains et ecclésiaux en vue d’un engagement commun. Elles sont un signe de la vitalité de l’Eglise, un instrument de formation et d’évangélisation, un bon point de départ pour aboutir à une nouvelle société fondée sur la civilisation de l’amour 2. »
En allant un peu plus loin dans la mise en œuvre, chacun est invité à se déplacer pour rendre possibles de nouvelles réalités dans les lieux de vie : « L’évangélisation n’enferme pas dans des cadres et des structures, elle exige la fidélité à l’Esprit Saint, l’aptitude à reconnaître son œuvre et la disponibilité pour nous laisser entraîner par Lui sur les nombreux chemins qui n’ont pas encore été explorés. Cette certitude nous invite à faire naître et à développer des cellules ou équipes de vie locale 3. »
Le point de départ d’une cellule chrétienne de proximité, c’est une réalité humaine spécifique et le désir d’y annoncer l’Evangile. Pour cela, elle cherche à y rendre visible l’Eglise comme humanité renouvelée par l’accueil de l’Evangile. Par conséquent, il lui faut être attentive à la vie de cette réalité dans sa globalité. Cette vie sera tantôt marquée par la joie, tantôt par la souffrance ; elle sera traversée par la violence ou par la tendresse. C’est au cœur de tout cela que la cellule chrétienne de proximité discernera les appels de l’Esprit-Saint.
En étant visibilité d’Eglise, la cellule chrétienne de proximité deviendra forcément, en tant que réalité humaine concernée, non seulement proposition de la foi, mais aussi catéchète. Elle deviendra l’unité de base d’une catéchèse, d’un « témoignage ecclésial », d’un apprentissage de la prière… Cela ne signifie pas que les charismes particuliers aux personnes et aux groupes ne demeurent pas. Mais aucun service ne peut se donner sans lien à une communauté qui assure un sens ecclésial.
Les services d’Eglise doivent donc réorienter leur travail en fonction de cet « acteur missionnaire de base » qu’est la cellule chrétienne de proximité : la former à répondre aux besoins spirituels des gens, à être garante de la catholicité de la foi témoignée, à veiller à ce que les charismes s’exercent véritablement au service de l’édification d’un témoignage communautaire…


Vers une mise en place

Les cellules chrétiennes de proximité ne sont pas des entités informes, des micro-groupes fusionnels. Elles s’organisent…

Un projet défini
Pour ne pas être accaparés par les tâches à faire, pour ne pas laisser les inclinaisons personnelles nous éloigner de l’intuition de départ, pour être toujours relancés dans la mission… il convient d’expliciter notre projet : ce que nous voulons vivre ensemble. Prière, partage, attention à la vie, Parole de Dieu, formation, projets missionnaires… Si besoin, écrivons-le.

Des relations autres
Au cœur de la vie de ces équipes, il y a l’apprentissage de relations basées sur la fraternité et le pardon, selon l’Evangile. Pour pouvoir vivre cette vocation, il faut qu’elles se dotent d’un cadre, sorte de règle de fonctionnement, qui permette de préciser au moins le déroulement des rencontres, les responsabilités, les mandats, les procédures en cas de conflits. Tout cela doit favoriser de véritables temps de parole. Pour un certain nombre d’équipes qui prennent une forme connue (équipe en mouvement, par exemple), le cadre leur est donné de fait.

Des animateurs
Pas de cellule chrétienne de proximité sans une ou plusieurs personnes qui entraînent le rassemblement des chrétiens concernés par le projet apostolique. Sans doute l’animateur est-il celui qui est au service du rassemblement et de l’expression de tous. Il ne dirige pas, mais aide l’équipe à rester dans la dynamique apostolique (attention à la vie), à ne pas laisser de côté ses « fondamentaux » (Parole de Dieu, prière) et à se donner des objectifs. Il est enfin le lien formel avec l’équipe d’animation de la paroisse.



La dimension missionnaire



Richesses…

On comprend par cette présentation rapide des cellules chrétiennes de proximité que celles-ci ont une dimension missionnaire : dans un corps vivant, pour qu’une cellule vive, il faut quelle grandisse et se divise ; de la même manière, les communauté chrétiennes se doivent de chercher à grandir et à diffuser la saveur de l’Evangile.
L’autre ligne force de ce projet est que l’apôtre de l’Evangile n’est pas un spécialiste diplomé qui, fort de ses compétences, fait de la mission son affaire. Chaque chrétien est apôtre par vocation, la saveur de l’Evangile se répand dans notre vie en même temps qu’elle s’annonce à nos frères. En faisant découvrir la beauté du message, cette beauté nous apparaît encore mieux. L’apôtre devient toujours plus lui-même en accomplissant sa mission. Au sein d’une communauté, le dynamisme apostolique de l’un sera aussi un soutien pour celui de l’autre, la dimension personnelle devient communautaire.
Il semble aussi que la dimension communautaire soit évangélisatrice en elle-même : « Voyez comme ils s’aiment. » La cellule chrétienne est le lieu de l’expérimentation de l’Evangile ; si ce que j’annonce est vrai cela doit changer notre vie. La communauté n’est pas vitrine de l’Evangile mais elle est l’Evangile vécu… ou qui veut l’être… lieu de l’amour et du pardon.


Pauvretés…

Cette présentation se confronte à des aspects très contrastés dans la vie diocésaine.
Le premier serait l’habitude de réserver l’annonce de la foi à ceux qui en serait les dépositaires, ministres de l’Eglise : « C’est votre travail Monsieur le curé, nous on sait pas… » Cette réalité d’accueil de ce peuple chrétien attentif à une parole d’autorité pour être guidé dans les grands moments de la vie a été une richesse. Si cette dimension d’écoute et d’accueil de la parole de l’Eglise à travers ses ministres n’a plus autant de force dans la vie des chrétiens, elle semble encore agir comme frein à l’annonce de l’Evangile. L’annonce explicite semble encore être réservée aux professionnels de l’Eglise.
Le deuxième serait l’importance des demandes stables des chrétiens : les demandes sacramentelles occupent une grande partie du temps et de l’attention des acteurs de la pastorale. Il convient bien sûr d’en faire un lieu où l’Evangile est annoncé et ainsi un lieu missionnaire, mais souvent les acteurs peuvent avoir l’impression d’agir comme des prestataires de service, des agents du supermarché du religieux.
Le troisième concerne aussi chaque chrétien ; pour devenir apôtre, ne faut-il pas sentir l’urgence de la mission, le désir ardent d’annoncer la Bonne Nouvelle ? Ne faut-il pas comme Paul rencontrer le Christ ressuscité, source de tout apostolat ?


Devenir ce que nous sommes, pour mettre le feu au monde…

Les richesses et les difficultés nous manifestent déjà que la vie chrétienne est fondamentalement communautaire, et que cette vie communautaire est la source de l’annonce de l’Evangile, la source de la mission. Le Christ est présent au milieu des disciples rassemblés, l’Esprit agit au coeur de cette communauté pour rendre gloire au Père. De là l’importance dans le diocèse d’Arras (comme pour d’autres, bien sûr !) de revenir à l’Evangile et de donner aux communautés le désir de le partager mais aussi de donner à chacun les « outils » pour en vivre… Dans ces dimensions, communautaire et missionnaire, la question qui pourrait venir est celle de la place des vocations spécifiques et en particulier dans ce projet…



Cellules chrétiennes et pastorale des vocations



Le projet du diocèse se réalise en plusieurs étapes ; l’insistance sur les cellules chrétienne de proximité à été précédé par la réorganisation des paroisses et par la mise en place des équipes d’animation de la paroisse. Elle est suivie maintenant par une réflexion sur les vocations spécifiques dont l’Eglise a besoin. Mais quel lien entre ces cellules (où nous n’avons pas parlé de la vie religieuse et du ministère ordonné) et la pastorale des vocations spécifiques ?
La vie religieuse est fondamentalement le lieu de la communauté, rassemblée autour du Christ, à l’école d’une figure particulière… c’est la cellule chrétienne de proximité dans toutes ses composantes, de là son importance essentielle dans un diocèse. Elle n’est pas dans le faire mais plutôt dans la manière d’être une vie chrétienne !
Ce n’est pas réservé aux communautés jeunes mais cela concerne toutes nos communautés : comment des sœurs âgées dans un quartier montrent-elles la vie de l’Evangile, témoignent-elles que la vie avec le Christ transforme mais n’éloigne pas de la vie des hommes, bien au contraire… C’est le témoignage d’une qualité de vie ! Il semble essentiel de montrer la vie consacrée comme constitutive de notre vie diocésaine, de présenter ce que chacune des communautés doit être… et la prière pour cette vie consacrée devient essentielle pour un diocèse !
Le ministère des prêtres – plus restreints en nombre – risque de se disperser… Une réflexion sur ce qu’il doit être demain, dans une Eglise qui aura changé de forme, n’est pas l’objet de notre réflexion. On pourrait simplifier la question : en quoi les communautés chrétienne ont elle besoin du prêtre ? Qu’est ce que les chrétiens attendent de lui ?
En examinant cette question, nous pourrons aussi penser à l’appel au ministère du prêtre. En quoi une communauté a-t-elle besoin du prêtre ? Qu’est ce qu’un jeune voit de la vie du prêtre dans un diocèse rural ? Comment une communauté vit-elle la collaboration avec le prêtre pour vivre la mission ?
Pour le prêtre aussi la question doit se poser. De quelle communauté fait-il partie et non pas seulement de quelles communautés est-il le responsable ? Lui aussi doit vivre le dynamisme communautaire (communauté de prêtre, communautés prêtres et laïcs).

A partir de l’expérience des cellules chrétiennes de proximité, le diocèse d’Arras veut redynamiser le tissu chrétien local. Il en va de la vie chrétienne dans notre diocèse et cela invite les communautés à revenir à l’Evangile. Ce n’est pas un chemin facile c’est aussi un très beau défi qui nous fait ressembler aux premières communautés chrétiennes. Comme elles (Ac 2, 42), les chrétiens sont invités à vivre de la saveur de l’Evangile et à en témoigner.
Sur ce beau chemin, la vie religieuse est comme un témoignage de réalisation de ce projet chrétien en ce monde. Aux ministres ordonnés d’aider les chrétiens à ne pas oublier les dimensions de la vie chrétienne, aux communautés de leur demander ce pour quoi ils sont faits…

 

 

Notes


1 - Mgr Jean-Paul Jaeger, Orientations diocésaines, mars 2000.
2 - Jean-Paul II, Redemptoris missio n° 51.
3 - Mgr Jean-Paul Jaeger, Eglise d’Arras, octobre 2004.