La famille en Europe aujourd’hui : quels défis pour l’Eglise ?


Monique Baujard
ancienne avocate,
a travaillé auprès du secrétariat général de la Conférence des évêques de France
sur les questions auropéennes

 

Installée aujourd’hui à Bruxelles, Monique Baujard suit un master en théologie à l’université catholique de Leuven. Dans le cadre de la COMECE (la Commission des épiscopats de la Communauté européenne), elle a pu observer de plus près la politique européenne et la place qui y est accordée à la famille. Pour elle, c’est en faisant mieux connaître sa vision de l’homme comme être relationnel que l’Eglise peut apporter une contribution unique et indispensable au débat sur le rôle de la famille aujourd’hui.

La famille bénéficie depuis peu d’une attention particulière de la part des autorités européennes. Une « Alliance européenne pour les familles » a même été lancée par le Conseil européen au printemps 2007 1. Un débat se dessine sur le rôle de la famille dans la société moderne. Mais les questions soulevées dépassent largement le domaine de l’action politique et concernent notre vision de l’homme. La place de la famille dans la société ne sera pas la même selon que cette vision de l’homme est purement individualiste ou, au contraire, relationnelle. Ce débat appelle donc l’Eglise à mieux faire connaître sa vision de l’homme et, le cas échéant, à réajuster son action pastorale.


L’Europe et la famille

Depuis le refus des citoyens français et néerlandais de ratifier le projet de Traité constitutionnel, sondages et études se sont multipliés pour tenter de cerner les désirs et souhaits aussi bien que les craintes et appréhensions de ces citoyens que Bruxelles avait perdus de vue. Et c’est ainsi, par exemple, qu’un groupe de quelques deux cents citoyens fut réuni à Bruxelles à l’automne 2006 pour désigner les thèmes prioritaires dont devait s’occuper l’Europe. Au grand étonnement des experts, la famille et la protection sociale se sont trouvées en tête du classement établi par les participants 2. D’autres sondages le confirment : devant les multiples difficultés de la vie moderne, la famille devient une valeur refuge, un abri 3. Elle représente ce qui donne sens à l’existence.
Ce souhait des citoyens de voir la famille davantage protégée rejoint la préoccupation des autorités européennes devant l’évolution démographique de l’Europe. Selon la Commission européenne, la population de l’Union européenne ne diminuera que légèrement d’ici 2050, mais la moyenne d’âge augmentera sensiblement 4. Un phénomène qui s’explique par l’interaction de quatre facteurs, à savoir le faible taux de natalité, le passage à la retraite de la génération du baby-boom, l’augmentation de la longévité et le flux de l’immigration. Concrètement, en 2050, seulement deux personnes travailleront pour une personne à la retraite alors qu’aujourd’hui il y a quatre personnes en activité pour un retraité. Les conséquences économiques d’une telle évolution se laissent aisément deviner : le financement des retraites et les coûts des soins de santé d’une population vieillissante pèseront lourd sur les finances publiques. Une augmentation du taux d’emploi des femmes, des immigrés et des seniors pourrait temporairement compenser un peu ce déséquilibre, mais la Commission européenne estime qu’à partir de 2017 les conséquences de l’évolution démographique se feront pleinement sentir sur l’économie. En définitive, c’est une augmentation des naissances qui constituerait la meilleure réponse à ce problème. D’où l’intérêt porté, d’abord, aux raisons de la baisse de la natalité en Europe, ensuite, aux enfants et, enfin, aux familles.
Or, l’intérêt pour la famille n’a rien d’évident au niveau européen. Il convient de rappeler que l’Union européenne ne dispose d’aucune compétence en la matière. Le droit de la famille (mariage, adoption des enfants) aussi bien que la politique familiale (allocations familiales, fiscalité) relèvent de la compétence exclusive des Etats membres. Ce n’est donc que de façon indirecte que les directives européennes peuvent affecter la famille, par exemple en matière de congé parental, par le biais du droit du travail, ou en matière de regroupement familial, à travers les textes régissant l’immigration.
Il ne faut pas oublier non plus que la génération de 68 avait jeté la famille aux orties, non sans raison peut-être. La famille pouvait être pesante et empiéter sur la liberté individuelle en imposant à ses membres des choix et des comportements. Mais la liberté individuelle et la société de consommation ont pris en quarante ans un essor considérable. L’épanouissement personnel semble devenu le premier devoir de l’homme moderne, peut-être au détriment de la famille et de la natalité. Les statistiques montrent en tout cas que les femmes en Europe n’ont pas le nombre d’enfants qu’elles souhaiteraient avoir 5. Le secrétariat de la Commission des épiscopats de la communauté européenne (COMECE) avait, dès 2004, souligné l’importance d’élaborer une stratégie familiale à l’échelle européenne 6. Mais une vraie réflexion politique sur la famille en Europe n’avait pas encore vu le jour.

C’est dans ce contexte que plusieurs documents européens ayant trait à la démographie ou au bien-être des enfants ont été publiés récemment. Force est de constater à leur lecture, que la famille peine à y trouver sa place. Ainsi, le document de la Commission qui traite de la question démographique l’étudie surtout sous l’angle des difficultés de concilier vie professionnelle et vie familiale 7. De même une étude sur la jeunesse et les besoins des jeunes fait une approche purement économique du problème démographique au point qu’un lecteur un peu cynique pourrait en conclure que l’Europe a besoin de jeunes en bonne santé uniquement pour financer les retraites 8 ! Quant à la réflexion autour des droits de l’enfant, elle révèle une approche purement individualiste où les enfants sont considérés uniquement comme des sujets de droits individuels sans prendre en compte à aucun moment leur dimension relationnelle et leur entourage familial 9. Ces documents et analyses sont intéressants et il ne s’agit pas de sous-estimer l’importance des mesures économiques et juridiques d’une politique en faveur des enfants. Il n’en demeure pas moins que cette exclusion de la famille traduit une vision économique et individualiste de la personne qui n’est pas de nature à favoriser un changement dans l’évolution démographique.

Il semblerait que ce soient justement les approches trop partielles du problème démographique qui aient poussé l’Allemagne, avant de prendre la présidence de l’Union européenne du 1er janvier au 30 juin 2007 et de lancer l’Alliance européenne pour les familles, à solliciter du Comité économique et social européen (CESE) un avis sur La famille et l’évolution démographique 10. Cet avis retrace les évolutions que la famille a connues en deux siècles et rappelle clairement aussi la dimension économique et sociale de la famille. Mais il rompt avec l’approche purement individualiste et souligne : « L’être humain n’est pas qu’un producteur et un consommateur. Il possède en propre une dimension sociale et affective qui fait sa dignité. Toute politique vraiment humaniste se doit non seulement de tenir compte, mais encore de préserver cette dimension essentielle de la vie humaine » (point 1.4.5). Allant plus loin, le Comité économique et social européen montre même les limites de toute action politique et législative dans le domaine de la démographie et relève : « Au-delà des discours et des dispositions législatives, il s’agit aussi d’une question d’attitude collective et psychologique qui fasse que l’enfant ne soit pas considéré comme un gêneur et, en conséquence, la mère ou le père de famille comme un élément moins productif ou moins “compétitif” » (point 8.10). Il conclut : « Il est également permis de s’interroger sur la question de savoir si la culture dominante est favorable à la famille et à l’accueil des enfants, si l’image de la réussite familiale est suffisamment valorisante, si l’individualisme et un certain matérialisme consumériste ne font pas oublier que l’homme est un être personnel certes, mais fait pour la vie en communauté » (point 8.15).
C’est une vision de l’homme comme être relationnel qui vient ici d’être mise en lumière par le Comité économique et social européen. Certes l’avis du Comité n’est que consultatif et il n’a aucune valeur juridique contraignante. Mais le fait même qu’un organisme public porte un regard critique sur la logique individualiste qui domine notre société est suffisamment rare pour que l’effort mérite d’être salué.

En s’appuyant sur cet avis l’Allemagne a donc fait adopter l’Alliance européenne pour les familles lors du Conseil européen du printemps 2007 et les modalités pratiques de sa mise en œuvre ont été précisées par la Commission dans un document intitulé Promouvoir la solidarité entre les générations 11. L’Alliance européenne pour les familles servira de plateforme pour permettre un échange entre pays européens sur les meilleures mesures politiques en faveur des familles. En effet, en l’absence de compétence directe, il n’appartient pas à l’Union de prendre des mesures dans ce domaine. Mais elle peut inciter les pays membres à prendre davantage en considération la famille dans leur politique nationale. Des modèles et des approches très différents existent à l’intérieur de l’Union européenne. La France y est généralement citée en exemple notamment pour l’accueil des jeunes enfants, le système des allocations familiales et la fiscalité dont bénéficient les familles avec enfants. Mais des améliorations sont toujours possibles, notamment en introduisant plus de flexibilité dans le droit du travail pour une meilleure conciliation de la vie professionnelle et la vie familiale.

Il faut saluer cette initiative européenne qui incite les états membres à protéger davantage la famille et qui tente ainsi de répondre aux attentes des citoyens. Mais, même s’il ne lui est pas directement adressé, l’Eglise aussi doit entendre cet appel des citoyens. Non seulement le Comité économique et social européen souligne l’importance d’une vision de l’homme comme être relationnel mais, comme il sera montré ci-après, les citoyens eux-mêmes le réclament. Et, sur ce terrain, l’apport de l’Eglise est unique et elle ne peut pas en priver la société.


La famille et la vision de l’homme comme être relationnel

Comme indiqué précédemment, le groupe de citoyens réuni à Bruxelles à l’automne 2006 avait clairement indiqué que la famille devait être la première préoccupation de l’Union européenne. Mais ce groupe avait même pris soin de préciser qu’il souhaitait que l’Union européenne ne s’occupe pas tant des droits individuels mais plutôt de la solidarité collective 12. Cette précision est intéressante car elle montre que les citoyens ont, intuitivement, bien saisi une des contradictions majeures de notre société moderne. Celle-ci souffre d’un manque de cohésion sociale auquel, paradoxalement, elle essaye le plus souvent de remédier en accordant toujours plus de droits individuels. Or, ce n’est pas par une surenchère de droits individuels juxtaposés que la cohésion sociale se développe. Celle-ci ne peut exister que si les personnes se sentent responsables les unes des autres. Cela correspond justement à une image de l’homme comme être relationnel. Une image que l’Eglise a toujours défendue et qui est classique dans son enseignement 13. Tellement classique et évidente qu’elle oublie peut-être de la rappeler. Aujourd’hui trop peu de personnes, y compris dans les milieux catholiques, connaissent cette vision anthropologique chrétienne. Elle fait partie de ces trésors que l’Eglise cache bien. Cette vision mériterait pourtant d’être davantage explicitée dans les homélies, les catéchèses pour enfants et pour adultes ou les préparations aux sacrements. De plus, sur ce terrain, la parole de l’Eglise peut toucher des personnes bien au-delà du cercle des croyants.
Car, dans la vie de tous les jours, croyants et non-croyants subissent de la même façon la pression du diktat économique et individualiste de notre société et ont besoin de puiser quelque part la force pour résister à ce courant. L’excès de l’individualisme, combiné avec les excès d’une économie libérale, amène en effet à considérer l’autre comme un gêneur (pour ma carrière), un fardeau (en temps, en argent), une menace (pour mon travail, ma liberté), etc. Savoir que notre humanité se construit grâce et avec d’autres permet de changer son regard sur les autres et de les voir comme une richesse. Et cela vaut aussi bien pour l’accueil de l’enfant que l’accueil de l’étranger ou de toute personne qui est « autre » que nous pour quelque raison que ce soit.
Cette réhabilitation d’une vision de l’homme comme être relationnel est donc importante. Elle offre dans les décisions individuelles comme dans les débats de société un critère de discernement qui fait souvent défaut aujourd’hui. Deux exemples concrets permettent d’illustrer ce propos.
Ainsi, lorsqu’il s’agit de concilier vie professionnelle et vie familiale, les parents sont obligés de faire des choix car l’éducation des enfants prend du temps. Que ce soit l’un ou l’autre des conjoints ou les deux qui décident de réduire leur temps de travail, ce temps consacré à la vie de famille est un temps « non rentable ». Non seulement il n’est pas rémunéré mais il n’est pas investi dans la carrière qui s’en ressentira forcément. Or, notre société juge les personnes sur leur position sociale et le niveau de leurs revenus. Comment des jeunes parents peuvent-ils alors faire des choix en faveur de la vie de famille et de l’accueil des enfants si la société ne renvoie aucun signe de reconnaissance pour le temps qu’ils y consacrent ? La vision de l’homme comme être relationnel permet de considérer que le parcours professionnel n’est pas le seul critère de réussite dans la vie. Et de se demander si l’épanouissement personnel ne passe pas aussi par celui de nos proches. Que vaut la brillante carrière des parents si un enfant reste au bord de la route ? En faisant mieux connaître cette vision de l’homme comme être relationnel, l’Eglise pourrait réellement aider les personnes à prendre des décisions justes et équilibrées pour leur vie de famille. Elle peut aussi sur ce fondement réclamer davantage de reconnaissance de la société pour le travail consacré à la famille et aux enfants. Bien sûr l’Eglise réclame cela depuis longtemps 14, mais dans une société qui évolue rapidement cette demande est chaque fois à reformuler et à actualiser.

Un tout autre exemple peut être pris dans le débat autour du mariage des personnes du même sexe et de l’adoption d’enfants par ces couples. Ce débat est très marqué par la logique individualiste. Les lobbies le placent délibérément sur le terrain de la discrimination, sujet auquel notre société est, à juste titre, très sensible. Ils partent en effet d’un prétendu droit individuel « au mariage » et « à l’enfant » pour en déduire que refuser ce droit aux personnes homosexuelles équivaut à une discrimination. L’existence de tels droits individuels est tout d’abord très discutable. Cette logique se heurte ensuite au fait que le prétendu droit individuel à l’enfant entre en conflit avec un autre droit individuel, à savoir celui des enfants d’être élevés par leur père et leur mère 15. Mais surtout, en se situant uniquement sur le terrain des droits individuels, le discours des lobbies perd de vue la notion de bien commun qui ne se confond pas avec la somme des intérêts individuels. Le bien commun exige notamment que la société veille à la protection des plus faibles – ici les enfants – mais aussi au respect de la dignité inaliénable de chaque être humain. La reconnaissance de l’homme comme être relationnel est important à cet égard.
L’homme est un être relationnel dès son origine. Un enfant naît, que cela plaise ou non, de la relation d’un homme et d’une femme. Certes les techniques modernes permettent de réduire cette relation à un simple « apport de forces génétiques » 16, mais il n’en demeure pas moins que tout être humain a une mère et un père biologiques. Ainsi, dès l’origine, il est le fruit d’une relation, un être relationnel et, pour devenir une personne, il a justement besoin de cet entourage relationnel. Les revendications des lobbies homosexuels, sous couvert de discrimination, nient l’origine relationnelle de l’homme. Or, nier cette origine relationnelle de l’homme revient à le chosifier, à lui nier son caractère unique. Les êtres humains deviennent alors interchangeables et le respect de la dignité de chacun est en danger. Accepter le mariage de deux personnes du même sexe revient à institutionnaliser la négation de l’origine relationnelle de l’être humain. Accepter l’adoption d’enfants par de tels couples revient à institutionnaliser l’interchangeabilité des personnes dans le domaine familial. Dans les deux cas, le caractère unique de la personne est nié et le mépris du respect de la dignité humaine que cela implique desservira, in fine, aussi ceux qui réclament ces réformes.
Pourtant ce débat est douloureux car les personnes homosexuelles ont souvent l’impression qu’en leur refusant le mariage et l’adoption des enfants, la société – et surtout l’Eglise – mettent en doute la sincérité de leurs sentiments et leur capacité à aimer. D’où l’importance de bien distinguer deux questions différentes :

  • Le mariage entre un homme et une femme est une institution qui redit publiquement l’origine relationnelle de chaque être humain. Cela est important pour redire le caractère unique de chaque personne et donc pouvoir protéger sa dignité inaliénable. Il n’est pas bon de travestir cette vérité.
  • Les relations que les personnes nouent entre elles n’ont pas toutes vocation à s’inscrire dans le cadre juridique du mariage. Cela ne veut pas dire que ces relations ne nous apprennent rien sur l’amour humain, ni même sur l’amour de Dieu. La qualité des relations humaines ne dépend pas du cadre juridique, mais celui-ci peut constituer une aide précieuse.

Ainsi en réhabilitant la vision de l’homme comme être relationnel, l’Eglise peut apporter une réelle contribution aux débats de société autour de la famille et du mariage et aider chacun dans son discernement. Mais au-delà du débat d’idées, cette vision de l’homme comme être relationnel doit aussi trouver toute sa place dans sa propre action pastorale.


La famille et le sacrement de mariage

Dans l’Eglise, il est question d’abord du mariage, et plus précisément du sacrement de mariage, et ensuite de la famille. Dans la société, les deux ne coïncident pas forcément, loin de là. Les statistiques sont connues : en France, environ 40 % des enfants naissent hors mariage et un mariage sur trois se termine par un divorce. Ce taux monte même à un mariage sur deux dans les grandes villes. Alors que les personnes expriment le souhait de voir la famille mieux protégée et rêvent de relations stables, celles-ci leur paraissent souvent hors de portée. La place du mariage dans la stabilité de la famille n’est pas clairement perçue.
D’où une certaine incompréhension devant le discours de l’Eglise qui continue à promouvoir un mariage indissoluble comme base de la vie familiale. D’une part, une présentation parfois trop idéalisée du sacrement de mariage effraye les jeunes. Aujourd’hui les engagements définitifs font peur et les jeunes peuvent avoir l’impression que le mariage chrétien est encore plus difficile que le mariage tout court et qu’il s’agit d’une voie d’excellence réservée à ceux qui sont déjà parfaits et sûrs de leur amour. D’autre part, en présentant le sacrement de mariage comme l’unique base valide de la vie de famille, ce discours crée, malheureusement, souvent un sentiment d’exclusion chez ceux qui, pour diverses raisons, n’ont pas inscrit leur relation dans ce cadre ou qui ont vécu des échecs dans leur vie conjugale. Ces personnes peuvent avoir l’impression que leur amour ne compte pas aux yeux de l’Eglise et que celle-ci n’a rien à leur dire.
Dans un cas comme dans l’autre, le discours de l’Eglise est perçu comme mettant la barre trop haut pour le commun des mortels, la relation d’amour qu’elle propose paraît inaccessible. Cela suggère une pastorale de la famille et du mariage sur le modèle des pèlerins d’Emmaüs. Notre société est dominée par la peur et beaucoup de personnes aujourd’hui sont accablées par les événements de la vie et s’éloignent de l’Eglise et de Dieu dont ils n’espèrent plus rien, surtout pas pour leur vie quotidienne et familiale. Une vie quotidienne et familiale qui est justement faite de relations. Il s’agit alors de rejoindre ces personnes sur leur route, d’écouter d’abord leurs questions, puis d’essayer de leur faire découvrir, à l’aide des Ecritures, comment Dieu peut être présent dans ces relations et peut leur ouvrir des passages pour construire leur vie de famille.
Il s’agit aussi de rappeler que tout amour humain est fragile et imparfait, qu’il s’inscrive dans le sacrement de mariage ou non. Car le mariage est comme un laboratoire d’expérimentation pour apprendre ce qu’aimer veut dire. Une vie humaine n’y suffit pas. Choisir le sacrement de mariage ne signifie pas que l’amour humain qui s’inscrit dans ce cadre soit d’une catégorie supérieure. Choisir le sacrement de mariage revient plutôt à reconnaître sa propre fragilité devant les épreuves de la vie et à demander au Christ de cheminer à nos côtés sachant qu’à tout instant il sera possible de puiser des forces à son exemple pour continuer la route. Sa présence ouvrira la dimension relationnelle bien au-delà des deux conjoints. Aux jeunes qui s’effrayent devant un engagement définitif il est important de faire comprendre que, dans le sacrement de mariage, Dieu ne nous impose pas un fardeau supplémentaire mais, bien au contraire, nous vient en aide. Cela devrait rassurer et non pas effrayer.
Mais bien sûr seuls ceux qui, par conviction ou par tradition, croient à la présence de Dieu dans leur vie peuvent faire le choix du sacrement de mariage. Si certains la refusent délibérément, beaucoup d’autres ne disposent plus aujourd’hui des outils élémentaires pour s’apercevoir de la présence de Dieu dans leur vie. Le langage, la grammaire pour dire Dieu ne leur ont pas été transmis. Toutes ces personnes n’en expérimentent pas moins l’amour humain dans leurs relations familiales et peuvent découvrir, à travers leurs joies et leurs peines, comme une trace de Dieu dans leur vie. Il s’agit alors de les aider à nommer cette présence, de leur faire découvrir comment l’exemple du Christ peut les aider concrètement dans les situations de la vie de tous les jours.
L’accès au sacrement de mariage ne sera pas toujours possible et l’Eglise ne peut, d’un point de vue moral, approuver toutes les situations familiales. Mais elle ne peut pas non plus négliger le terreau fertile que constituent toutes ces relations pour la découverte de la présence de Dieu. Une présence qui passe aussi par nos visages, nos paroles et nos attitudes. La façon dont nous tissons, en tant que chrétiens, nos relations avec d’autres n’est donc pas indifférente. Si nous vivons nous-mêmes le sacrement de mariage comme un chemin d’humilité, – non pas avec l’arrogance du fils aîné convaincu de son bon droit, mais avec l’humilité du fils prodigue conscient de devoir tout à son Père –, nous avons une chance d’éviter le sentiment d’exclusion chez les autres. Cela est important car si l’Eglise défend une vision de l’homme comme être relationnel, elle doit aussi veiller à ne donner à personne l’impression d’être exclue de la relation avec Dieu.

En conclusion, les demandes des citoyens de mieux protéger la famille en Europe reflètent un besoin de sécurité dans un monde dominé par la peur. Il appartient aux Etats membres de l’Union européenne de prendre les mesures juridiques et économiques nécessaires pour aider les familles. Mais il appartient aussi à l’Eglise d’entendre cet appel et d’y répondre sur son terrain propre. La richesse de son apport est trop souvent ignorée. Le débat sur le rôle de la famille dans la société moderne lui offre l’occasion de réhabiliter la vision de l’homme comme être relationnel. Bien sûr cette vision de l’homme a des incidences bien au-delà du domaine des relations familiales. Mais les relations familiales font partie du quotidien de chacun et elles sont un lieu privilégié pour expérimenter la présence de Dieu. Elles permettent ainsi de rapprocher l’Evangile de tous ceux qui cherchent, parfois sans le savoir.

 

Notes


1 - http://ec.europa.eu/employment_social/ families/index_fr.html
2 - http://www.european-citizens-consul...
3 - European social reality, Eurobarometer 273.
4 - L’avenir démographique de l’Europe, transformer un défi en opportunité, communication de la Commission européenne, 12/10/2006, COM (2006) 571.
5 - Promouvoir la solidarité entre les générations, communication de la Commission européenne, 10/05/2007, COM(2007)244, p.13.
6 - Une stratégie familiale pour l’Europe, secrétariat de la COMECE, 2004, www.comece.org.
7 - COM (2006) 571 précitée.
8 - Investing in youth : from childhood to adulthood. Publication du Bureau of European Policy Advisers (BEPA), 11/10/2006. Le BEPA est un organe de réflexion auprès du Président de la Commission européenne (http://ec.europa.eu/ dgs/policy_advisers/index_fr.htm). Il faut préciser que la note provisoire citée ici a été complétée ensuite et qu’une étude plus complète a été publiée sous le titre Investing in youth : an empowerment strategy’le 24/04/2007 qui prend davantage en considération l’environnement familial.
9 - Vers une stratégie européenne sur les droits des enfants, communication de la Commission européenne, 04/07/2007, COM (2006) 367.
10 - La famille et l’évolution démographique, avis du Comité économique et social européen (CESE), 14/03/2007, SOC/245.
11 - Promouvoir la solidarité entre les générations, communication de la Commission européenne, 10/05/2007, COM (2007) 244.
12 - Les perspectives des citoyens sur l’avenir de l’Europe, commentaires des experts, European Policy Center, www.european-citizens-consul... French_Version.pdf
13 - Rappelé, par exemple, dans Gaudium et Spes n° 12.
14 - En ce sens, notamment, l’exhortation apostolique Familiaris Consortio (n° 23) et l’exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Europa (n° 43).
15 - Xavier Lacroix, De chair et de parole, Editions Bayard, 2007, p.156-157.
16 - Le terme est employé par le Code civil du Québec (art. 538 et s.) dans le cadre de la filiation des enfants nés d’une procréation assistée.