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Sept histoires, sept chemins, une famille
1er février 2003, vigiles de la fête de la vie consacrée. Notre fille ainée prend l’habit dans une communauté contemplative et devient sœur Claire. Nouveau pas vers un engagement radical et définitif à la suite du Christ. Nouvel habit, nouveau nom : des symboles. Comment notre famille l’a-t-elle accompagnée ? Comme elle a pu, au jour le jour, humblement, dans la confiance et les questions. Comment vivons-nous cet engagement ? Dans la joie et le déchirement.
Axelle a grandi dans une petite ville de province. Trois frères et une sœur sont nés après elle. Enfance sans histoire, études dans les établissements publics locaux, vie dans une paroisse comme il en existe tant, chemin dans le MEJ… Deux années de classe préparatoire qui lui valurent d’intégrer une grande école d’ingénieurs à Paris.
Et voilà qu’une vocation de chercheur s’éveille. Mais ce n’est pas la seule. Le 1er avril 2001, un appel nous enjoint de venir la retrouver pour le dîner. Ce n’est pas un ultimatum mais nous comprenons que c’est important et, laissant là ses frères et sœur, nous prenons la route. Que veut-elle nous dire ? Nous ne savons pas ou ne voulons pas savoir. Le lieu de rendez-vous nous aide à comprendre de quoi il retourne : une église du centre de Paris où une communauté accueille pour la prière les hommes et les femmes de la ville. Au restaurant, des mots sont mis sur ce que nous pressentions sans vraiment vouloir creuser : « Je vais rentrer dans cette communauté, je veux consacrer ma vie au Seigneur. »
Notre fille, religieuse contemplative ! Nous posons quelques questions et entendons avec soulagement qu’elle finira ses études avant de faire le grand saut. Elle le souhaite ; la prieure le lui demande. Les parents que nous sommes apprécient cette attitude. Sur le trottoir, avant de nous quitter, Axelle enfonce le clou : « Avez-vous compris que ça veut dire que quand vous serez vieux, je ne pourrai pas m’occuper de vous ? » Notre intelligence a compris, notre cœur n’en est pas encore là. Sur la route du retour, les mots sont rares…
A la maison, les réactions sont variées : indignation (quel gâchis de ne pas utiliser son savoir-faire pour aider les plus pauvres !), admiration (elle a des convictions et choisit une vie en cohérence) ou sentiment d’abandon. Huit jours plus tard, son frère nous annoncera qu’il n’a plus la foi. Sans doute pour nous éviter de croire que cinq enfants, élevés grosso modo de la même façon, suivent des chemins identiques !
Nous avons dix-huit mois pour mûrir, c’est beaucoup et si peu en même temps. Comme nous lui avons promis de n’en parler à personne, nous suivrons notre route comme nous pourrons, dialoguant avec Axelle, découvrant sa future communauté, sans pour autant pouvoir partager avec le reste de la famille ou avec nos amis.
Il n’est pas facile de s’extasier sur les préparations de mariage des filles de ses amies quand on sait que la sienne va « épouser le Christ » ! Il est douloureux d’entendre applaudir à l’ordination d’un cousin prêtre et dire combien « une fille religieuse, ça n’a rien à voir, c’est nul ! » Mais le Seigneur est bon, il donne la dose d’humour nécessaire pour encaisser et, pas à pas, nous fait découvrir où est le vrai trésor.
Nous avons élevé nos enfants selon ce principe : « Votre vie sera ce que vous choisirez d’en faire, tout est possible mais ce que vous faites, faites-le bien. » Et ce choix doit se faire librement.
Or aujourd’hui, il nous semble que cette liberté, pour être entière, ne doit pas être étouffée sous les manifestations de tristesse, d’une mère par exemple. Nous prenons donc grand soin de faire bonne figure quand notre fille rentre à la maison. Jusqu’au jour où elle s’étonne de notre indifférence et nous dit qu’elle a besoin de savoir ce que nous en pensons, même si ça doit être douloureux à dire et à entendre. Pour pouvoir continuer à avancer ensemble, elle veut savoir où chacun en est. Inutile de préciser que les larmes ont jaillit ce jour là.
Merci Seigneur de nous avoir donné à lire le témoignage de la maman de mère Teresa disant qu’elle allait pleurer dans sa chambre pour ne pas être vue de sa fille. Albanie, Picardie, le cœur des mères est le même. Merci aussi de cette rencontre avec la prieure, attentive et accueillante. « Aujourd’hui, vous avez l’impression de perdre une fille. Demain vous en aurez gagné cent. » D’accord pour la première assertion. Quant à la seconde, nous l’écoutons poliment mais n’en croyons pas un mot !
Nous avons vécu un dernier Noël à sept, fêté un dernier anniversaire, passé les dernières vacances ensemble dans la maison de famille, fait un dernier voyage et c’est ainsi qu’un jour après l’autre, la Toussaint 2002 s’est profilée à l’horizon.
Ce jour là, Axelle entrera en communauté. Pour nous c’est un départ, le départ. Et pourtant, rien ne manifeste ce passage, aucun rite, aucune cérémonie. On entre, c’est tout. Pour rester toute la vie ou ressortir si Dieu ne confirme pas ce choix.
Pas facile pour la famille de se situer, de trouver les gestes et les mots. Nous choisissons d’aller avec elle à l’office la veille au soir. Grands-parents, parrain, marraine, frères et sœur sont là. C’est une façon de leur présenter la nouvelle famille d’Axelle. Un bon repas suit, gai et sympathique et chacun rentre chez lui. Le lendemain, Axelle prend le train. Nous la laissons sur le quai de la gare avec son sac à dos, la gorge nouée, le sourire crispé, mais le cœur en paix.
A la maison, plusieurs cartons contiennent les vêtements à donner, une chambre est vide, un rond de serviette ne sert plus. Il faudra plusieurs mois pour que le Secours catholique ait notre visite et que la maison compte une chambre d’amis. Ces actes concrets, si symboliques, sont difficiles à poser. Et puis un jour, avec la grâce de Dieu, on trouve la force, on fait un pas, on grandit dans la sérénité.
Et quand Axelle nous annonce qu’elle va devenir sœur Claire, nous pouvons accueillir dans la paix ce nouveau pas. Pas facile cependant de nommer sa fille ensuite. On ne balaie pas si aisément un prénom porté durant vingt-quatre ans.
Lors de la fête de la vie consacrée, Axelle devient donc sœur Claire et prend l’habit. Nous sommes dans la joie et le déchirement. Joie de la voir choisir librement une vie qui la rend heureuse et dans laquelle elle s’épanouit, joie de la voir accueillie dans une communauté chaleureuse et rayonnante, bien insérée dans cette Eglise qui nous tient tant à cœur.
Déchirement de savoir qu’elle ne viendra plus à la maison, de la voir renoncer à la « carrière » que ses études lui offraient (pendant quelque temps cependant elle pourra continuer à exercer son métier de chercheur au CNRS), de penser à tout ce qu’elle quitte… Dans une certaine solitude aussi : il n’est pas si facile de partager ce qui nous habite. Nos amis dans la même situation ne sont pas légion !
De temps à autre, nous, les parents, allons partager avec la communauté un moment de prière ou un repas. Le cœur un peu lourd à l’arrivée s’allège peu à peu et la joie lue sur les visages, l’accueil reçu, éloignent bien des nuages. Et paradoxalement, nous repartons requinqués. Quant aux frères et sœur, ils profitent plus ou moins de cette hospitalité. Certains trouvent le temps de passer, d’autres non… chacun son chemin.
Axelle, alias sœur Claire, qui entre temps a quitté Paris, connaît alors de gros soucis de santé. Elle doit subir une opération chirurgicale dans un hôpital de la capitale. Lorsqu’elle nous dit : « Deux de mes sœurs seront là à mon réveil », un cri fuse du cœur maternel « Mais enfin je serai là ! » La réplique ne tarde pas : « Ce sont mes sœurs, j’ai besoin d’elles. » Là encore, nous avons pu mesurer la pédagogie du Seigneur. Au jour dit, nous étions réunis à son chevet dans une grande paix et une confiance totale, c’était évident, toutes nous étions à notre place ; deux familles qui doucement apprennent à se connaître, à s’apprécier, à s’entraider.
1er février 2005, sœur Claire prononce des vœux pour trois ans : « Seigneur, je veux renoncer à moi-même pour ne m’attacher qu’à toi, l’unique trésor et la seule espérance de ma vie sur cette terre. » Et la prieure de promettre, elle aussi, de faire confiance à l’action de l’Esprit Saint en elle et de l’aider à y répondre.
Nous sommes dans la paix et la joie. Notre fille nous semble à sa place. Nous croyons profondément qu’elle a trouvé sa voie. Le cardinal Barbarin conclut la célébration en remerciant les parents, en souhaitant que le sentiment d’appauvrissement qu’ils éprouvent soit source de Béatitudes. Nous n’avons pas perdu notre fille et nous commençons à mesurer combien nous tenons à cette nouvelle famille, combien nous en recevons. Toutes ces sœurs, tous ces frères qui entourent sœur Claire deviennent peu à peu membres à part entière de notre famille.
Un dimanche de janvier, pendant l’Eucharistie, une action de grâce jaillit. De « J’accepte, ô mon Dieu, la vocation de ma fille », nous avions cheminé jusqu’au « Merci Seigneur ».
En aucun cas, nous n’avons donné notre fille (elle ne nous appartenait pas), nous l’avons seulement accompagnée. Pour autant, les paroles de l’archevêque de Lyon nous ont touchés : nous avons bien ressenti une perte. Mais nous pouvons témoigner qu’aujourd’hui nous sommes bienheureux de ce chemin qu’emprunte notre fille et de celui qu’elle nous fait parcourir, non pas avec elle, mais en communion avec elle.
Sœur Claire ne vient plus à la maison, mais nous sommes en famille dans sa communauté. Loin d’une rupture, il s’agit d’un lien différent, qui se renforce. Et l’accueil, la joie, la beauté, l’amitié qui nous sont offerts sont sources de grâces pour lesquelles, aujourd’hui, nous pouvons dire « Merci ».
Révolté ou admiratif, croyant ou non, chaque membre de notre petite tribu semble aujourd’hui avoir trouvé son pupitre dans ce nouvel orchestre. Les instruments sont différents, plus ou moins discrets, mais tous peuvent s’exprimer, la sœur aînée tient sa place dans cette partition, ses nouveaux frères et sœurs aussi. A Pékin, sur les routes d’Europe du sud, à Grenoble ou Nanterre, chacun suit sa route, singulière. Axelle a répondu à un appel, ses frères et sœur ont choisi ou choisiront à leur tour comment bâtir leur vie. Nous les confions au Seigneur, certains que tous ont une vocation et suppliant l’Esprit de les aider à la mettre en œuvre, pour avancer dans la paix et la joie. Comme leur sœur et leurs parents.
Sept histoires originales, sept chemins d’espérance, une famille, grâce à Dieu !