- accueil
- > Eglise et Vocations
- > 2008
- > n°1 - Aider à grandir en Christ
- > Pédagogie des mouvements et vocations
- > Le scoutisme ou l’expérience de l’appel du Seigneur
Le scoutisme ou l’expérience de l’appel du Seigneur
Yves Combeau
dominicain, aumônier scout,
rédacteur des revues des éclaireurs et aînés Scouts unitaires de France
Le scoutisme est aujourd’hui, en France, un des lieux majeurs de vocation sacerdotale et religieuse. Il est avéré qu’une part notable des vocations, parfois plus de la moitié, parfois même plus des trois quarts, sont celles de scouts et de guides.
Non que le scoutisme soit seul déterminant dans ces vocations. Le scoutisme n’est qu’une méthode complémentaire d’éducation. Il n’a pas été conçu pour cela. Baden-Powell aurait été bien étonné si on lui avait dit que ce qu’il a pensé comme un instrument pratique d’épanouissement personnel et collectif par le jeu, la vie dans la nature et l’entraide mutuelle des adolescents devait se révéler d’une telle fertilité pour l’Église de France, hier, aujourd’hui et sans nul doute demain. Mais dans l’ordre auquel appartient l’auteur de ces lignes, la tradition a été conservée, depuis plus de soixante ans, que la ceinture passée autour de la robe, le jour de la prise d’habit, soit pour les scouts leur ceinturon scout… Comment un mouvement éducatif anglo-saxon (et typiquement anglo-saxon) a-t-il pu devenir et rester un tel lieu d’appel ? Pourquoi la voix du Seigneur retentit-elle là plus qu’ailleurs ?
Rendons au Seigneur ce qui est sien : le scoutisme est fertile parce que le Seigneur l’a bien voulu. Il a choisi « cet avorton », ce vecteur improbable de son appel. Les défiances ont été fortes, même dans l’Église. Elles subsistent. Mais le Seigneur avait son idée… Cela dit, deux étapes vont marquer notre enquête. La première, la plus simple : dans le scoutisme, l’appel du Seigneur retentit. La seconde, la plus importante : dans le scoutisme, l’appel du Seigneur est entendu.
L’appel du Seigneur retentit
Des mouvements catholiques
Le scoutisme catholique français a presque un siècle : les premiers essais datent des années 1910. Il existe aujourd’hui en France trois grands mouvements scouts catholiques. L’existence et la légitimité de chacun sont justifiés par des choix pédagogiques faits il y a une quarantaine d’années.
Aucun ne s’est sécularisé. Chacun des mouvements propose la foi, selon son charisme propre. Ce fait simple et évident mérite d’être souligné.
Cette proposition de la foi est vécue entre jeunes. Le principe fondamental de la pédagogie scoute, en effet, est l’éducation du jeune par le jeune, dans des activités et des institutions, la meute, la patrouille, la troupe, le poste, qui sont à son échelle de jeune. C’est donc entre jeunes que sont prononcés les mots de la foi. Le respect humain est vaincu par cela même.
La foi est énoncée, mise en actes, enfin célébrée. Elle l’est différemment selon que le jeune a été catéchisé ou non, selon la culture chrétienne à laquelle il appartient ou celle de son mouvement. Mais elle est toujours centrale. Le scoutisme sert le jeune pour lui-même, mais le scoutisme catholique est convaincu que le jeune est image du Christ. Servir le jeune, c’est donc servir le Christ ; servir le Christ, c’est servir le jeune.
Quelle que soit sa vocation particulière, le scout, la guide, est regardé en fonction de sa vocation baptismale : être Christ.
La vocation en paroles
Le texte de la loi scoute a été façonné par les Béatitudes. Le cérémonial de la Promesse en fait, sans conteste, un sacramental. Le scout, la guide sont invités, par des gestes et des mots qui leur sont adaptés, les mêmes mots simples que le Christ a adressés à la foule sur la montagne – « à l’écart », dit l’Évangile, tout comme les mots scouts sont prononcés « à l’écart », l’écart des forêts, l’écart d’un code et d’une culture à part –, à suivre le Christ, à se conformer à lui, à être des saints.
Que cette invitation passe par le langage maladroit d’un chef de dix-huit ans ou par la parole plus experte d’un prêtre ne change rien à sa nature. Qu’elle soit tronquée par un effet de mode, par une imperfection de langage, par un aveuglement même n’est pas très important. Celui qui vit l’idéal scout de service, de générosité, d’abnégation est un saint. L’idéal scout a sa logique propre, qui entraîne au-delà des paroles qui l’ont apporté. L’idéal scout a une sorte d’autonomie qui lui vient de sa propre source : l’Évangile. S’il faut trouver une raison à la survie et même à la bonne santé du scoutisme en 2007, elle est là.
Le scout, la guide, donc, sont appelés à la sainteté, explicitement ou implicitement, maladroitement ou brillamment, mais à rien d’autre que la sainteté, fin de l’idéal scout.
La vocation en actes
Cette proposition de la foi est vécue avec des chrétiens engagés, les chefs. Engagés avec leurs doutes et leurs recherches, leurs faiblesse et leur génie propre.
Elle est vécue aussi avec des ministres du Seigneur. Le scoutisme accorde en effet une large place à l’aumônier, une place qui lui est propre – il n’est pas chef – de conseiller, de maître de vie et de compagnon.
Si l’aumônier accepte de jouer et de camper, ce qui est fortement recommandé, c’est son humanité de prêtre qui est révélée au scout et à la guide. Qui a croisé l’aumônier au petit matin, fortement désireux d’avaler un café, ou qui l’a vu pousser un ballon dans une prairie humide a découvert que le « père », ministre et adulte, est aussi un frère de chair et de cœur. La vocation sacerdotale est en effet une vocation d’humanité, et non une vocation à remplir une fonction.
On dit bien « aumônier scout », comme on dit « chef scout », et non pas « aumônier de scouts ». L’aumônier, le chef et le scout ont une même nature : celle de fils de Dieu, qui marchent vers leur Seigneur par un chemin qui est, au moins pour un temps, commun.
L’adolescent apprend par imitation. Rétif aux leçons, il reçoit silencieusement et presque par « capillarité ». Il prie avec celui qui prie, chef et aumônier, il aime parce qu’autrui aime.
Ainsi, non seulement le prêtre peut-il partager en paroles son bonheur d’avoir répondu à l’appel du Seigneur et faire entendre, par ses mots, ce même appel à d’autres, mais encore il inscrit son bonheur et son appel dans la vie de l’unité, dans la vie de l’enfant.
L’appel du Seigneur est entendu
L’unité scoute comme expérience de la communauté évangélique
L’unité scoute est une famille agrandie, mais à l’échelle du jeune. Dans cette famille règne un esprit de complicité, de grande familiarité. On dort ensemble, on mange dans la même gamelle, on partage codes, chants, plaisanteries et découvertes. Le bien est commun. Communauté tout évangélique, pauvre (les adolescents ne sont riches que de leur enthousiasme), simple et pratique, qui n’est pas sans rappeler celle qu’évoquent les Actes des Apôtres.
Dans cette famille, on s’entraide au moment de l’épreuve. On mesure la force et la faiblesse d’autrui autant que les siennes. L’autonomie de la patrouille ou de l’équipe, c’est-à-dire l’absence voulue de l’adulte pendant une grande partie de la journée, fait jaillir les personnalités.
Dans cette famille, on s’éduque mutuellement, le plus grand apportant au plus petit son expérience et ses acquis, le plus petit apportant au plus grand le plus beau des cadeaux : la responsabilité. Dans cette famille sans figure paternelle, en effet – le scoutisme est l’éducation du jeune par le jeune, du frère par le frère – chacun est responsable de l’autre et spécialement l’aîné du cadet. Le novice est confié au chef de patrouille. Celui-ci n’est pas capable a priori d’assumer une telle charge : il le devient à mesure qu’il l’exerce.
Dans cette famille, on prie ensemble. Prière commune, formulée pour l’unité elle-même, en « nous » : « Seigneur, apprenez-nous à être généreux… »
Le mot-clé, ici, est la fraternité. Dans l’acte léger de la vaisselle ou du chant sous la pluie, dans l’acte grave du compagnonnage vers la Promesse, le départ routier, l’engagement de chef, le scout expérimente une fraternité pratique dont la règle, brièvement énoncée par la Loi scoute, a été modelée par l’esprit des Béatitudes. Mais la Loi n’est pas qu’un but ; elle est un moyen : la communauté scoute, en effet, est naturelle – c’est une « bande » d’adolescents – mais elle fonctionne d’autant mieux qu’elle est plus évangélique. L’Évangile, à la fois source et terme, affine et élève la camaraderie. Cet esprit de la première communauté évangélique, le scout le pressent, le ressent, le recherche. Il découvre qu’il est fait pour cela, qu’il est appelé à cela depuis toujours.
L’expérience du bonheur de vivre en frères, et en frères réconciliés, constitue la première forme de l’appel.
L’univers scout comme « protestation évangélique »
Le scout porte une tenue particulière, souvent nommée « uniforme ». Cette tenue uniformise les jeunes entre eux, ce qu’avait prévu Baden-Powell, mais elle les distingue aussi du reste de la société. De même les codes, références et rites du scoutisme, qui le rendent si énigmatique, et parfois si agaçant aux yeux de qui n’est pas scout. Cette étrangeté du scoutisme n’est pas récente ; elle est aussi vieille que le scoutisme lui-même, et elle est voulue.
Déguisé en broussard, le scout est donc dans le monde mais, d’une certaine façon, il n’est pas du monde. Il est dans le monde : il en parle le langage (bien peu châtié…), il en connaît tout ce qu’un adolescent peut connaître, du jeu informatique à l’émission télévisée. Il a des copains, une école, des parents, un milieu. Mais il n’est pas du monde : en tenue, la croix sur la poitrine, il affronte volontairement, sinon aisément, le regard du monde. Ses fanions et ses flots provoquent. Or ils sont parlants. L’uniforme évoque l’ordre d’une société réconciliée. Les barrettes et les bandes signifient la responsabilité. Le bâton, le sens de l’aventure et la condition de pèlerin qui est celle de tout homme. La tente, la fragilité humaine. La croix enfin, posée sur le cœur, l’axe de tout destin.
En somme, la visibilité du scoutisme et son refus de s’intégrer aux codes dominants de la société sont, s’ils sont vécus sans peur et sans haine, une protestation évangélique. L’uniforme transfigure l’adolescent. Son corps revêtu appartient pour une part au monde et pour une part dénonce ce qui défigure le monde : la laideur, la confusion, le péché. Et la même bataille se livre dans son corps et son cœur. C’est le cas de tout homme, mais le scoutisme rend cette bataille, ou au moins cette tension, sensibles.
De même, le prêtre, le religieux, est dans le monde mais n’est pas du monde. L’engagement au célibat, le choix de la pauvreté, l’obéissance au Christ sont autant de protestations, au nom de l’espoir évangélique, contre les logiques imparfaites du monde. Dans l’immanence du corps social, le prêtre, le religieux manifeste – rend visible, y compris à lui-même – la transcendance de la promesse du Seigneur.
L’expérience scoute de la protestation évangélique introduit au mystère de la double appartenance du consacré, ici et dans le cœur de Dieu, dans ce temps et dans l’éternité de Dieu.
Le rite scout comme liturgie
Très ritualisé, bien que les éléments du rite soient différents selon les mouvements, le scoutisme introduit au mystère de la célébration de Celui qui est déjà là et pas encore là. Le rite scout en effet ne se déploie pas pour la seule mise en scène de l’unité et de ses membres : il accompagne toujours la progression, l’engagement, la fête.
Le rassemblement par excellence est celui qui entoure et illustre la promesse scoute. Il s’agit d’une paraliturgie, très semblable dans sa construction à la liturgie d’un sacrement : échange de questions et de réponses, invocation du Seigneur, action de la promesse, ratification par le président (le chef) et l’assemblée.
Par sa richesse symbolique, le rite dit beaucoup plus que l’adolescent ne saurait dire par ses propres mots. L’engagement lui-même, dans sa haute exigence, entraîne l’adolescent bien au-delà de ce que lui permettent ses propres forces. L’unité qui entoure le promettant, par le rite auquel elle participe, s’associe activement à ce mystère qui donne à voir bien plus que les yeux ne peuvent voir : un don de soi, une volonté de grandir, un destin naissant.
Il en est ainsi de la liturgie, qui signifie plus que nous pouvons dire et, en nous conformant au Christ, nous entraîne bien au-delà de ce dont nous sommes capables. Le rite, comme la liturgie, fait entrevoir, et expérimenter, la rencontre eschatologique avec le Christ.
L’aventure scoute comme contemplation
Le scout est contemplatif. Cette proposition peut surprendre quand on parle d’enfant, d’adolescents et de grands adolescents, mais l’expérience le confirme.
Le scout contemple la nature, dans laquelle « il voit l’œuvre de Dieu ». Nuit étoilée ou chevreuil entrevu dans les bois, silence de la montagne ou splendeur de l’aube : l’œuvre de Dieu se révèle puissamment à son regard, plus que ses mots, souvent pauvres, n’en peuvent témoigner. Il reçoit plus qu’il ne peut recevoir : il expérimente la surabondance du don de Dieu. Michel Menu, homme d’action s’il en fut, n’a pratiquement parlé dans ses ouvrages que de cette contemplation du don divin qui transforme les cœurs, et de l’extrême simplicité de sa mise en œuvre.
Le scoutisme est simple, jouer en bande dans les bois, parce que le don de Dieu est accordé aux simples.
Mais le scout contemple aussi l’œuvre de Dieu dans ses frères. Selon les pédagogies, l’accent est placé tantôt sur le groupe, qui se saisit de la loi et apprend à en reconnaître l’inspirateur – pédagogie des Scouts et Guides de France – tantôt sur la personne, qui est par ses engagements successifs un puissant témoin pour ses frères – pédagogie des Scouts unitaires de France et des Scouts et Guides d’Europe. Si, en effet, l’aîné est appelé à juger de la progression du cadet, tel le chef de patrouille de ses propres patrouillards en cour d’honneur, cela signifie qu’il l’a observée, qu’il a observé le bien, la générosité, le courage, le sens du service grandissant dans le cœur de son frère scout. Tous les chefs connaissent cet émerveillement de voir Dieu à l’œuvre dans l’enfant, dans l’adolescent, dans l’ami.
École d’écoute et de perception, le scoutisme est un apprentissage de la contemplation et invite à contempler toute la vie durant, dans l’action de grâce.
Le service scout comme expérience du primat de l’amour
« Le scout est fait pour servir et sauver son prochain. » Cet article de la Loi scoute est le seul qui est écrit en « fait pour », ce qui marque son importance.
Baden-Powell avait d’abord envisagé un service ad extra, la « bonne action », tournée vers le monde des adultes. La pratique soulignerait plutôt l’importance du service ad intra, dans la communauté évangélique qu’est l’unité scoute. Mais le service reste le premier critère de la progression. Le scout, le pionnier, le routier, le compagnon font serment de servir et, à la mesure de leurs forces, ils servent.
Le service scout n’est pas prétentieux. Il ne réclame pas d’être très important, ni très efficace. Sa valeur ne se mesure pas à son résultat.
Gratuit, le service scout n’a qu’une récompense : la joie d’avoir servi. Il n’est donc pas un impératif moral mais, là encore, une expérience. Le jeune y est introduit soit par l’attrait de l’action – un service « exotique » dans un pays du tiers-monde, un service « motivant » avec des handicapés ou des enfants –, soit par le simple mécanisme de la responsabilité : le chef de patrouille, responsable de la progression de ses scouts, est à leur service tout en leur commandant, et à plus forte raison le chef.
Ici se vérifie ce qu’on a énoncé pour la communauté évangélique. On ne vient pas « aux scouts » pour servir, on y vient pour s’amuser, pour vivre l’aventure et l’amitié. Mais le jeu, l’aventure et l’amitié trouvent, expérience faite, leur pleine intensité, leur pleine richesse dans l’esprit de service, l’attention fraternelle à autrui, l’effacement de soi. Le jeune découvre ce pour quoi, en effet, il était fait, sa vocation originelle, baptismale, humaine tout simplement : l’amour fraternel.
Il découvre aussi la difficulté, la modestie du service. Le chef en particulier connaît rapidement qu’il est malhabile, désarmé, seul. Il se découvre « serviteur inutile ».
Inutile, mais passionné, parce qu’appelé par ceux qu’il sert. Le Père Sevin, un des fondateurs du scoutisme catholique en France, parlait fréquemment de « l’appel du gosse » pour désigner le mouvement qui fait d’un jeune homme un chef scout. L’appel du visage d’un enfant.
Le jeune chef est souvent encore dans le jeu scout. Le chef plus expérimenté ne joue plus : il sert, et il sert parce qu’il aime. Pour un chef, la découverte de l’attachement qu’il porte aux jeunes dont il est chargé est une sorte de révélation. Cette découverte, le plus souvent, a lieu dans l’épreuve, l’affrontement, le coup dur que tout chef connaît ! Car les adolescents sont passionnants, mais ils ne sont pas faciles. Mais de cette expérience de l’amour fraternel peut naître le désir de vivre complètement d’un tel amour ; d’élargir son cœur à l’humanité, dans la pauvreté, la simplicité, la joie de vivre.
strong>L’idéal scout comme appel à la radicalité du don d’une vie entière
Le folklore scout, coloré, baroque et parfois « sauvage », dissimule assez bien la hauteur extraordinaire de l’idéal scout.
La promesse dit : « Sur mon honneur, et avec la grâce de Dieu, je m’engage à servir de mon mieux… » – « Combien de temps ? » a demandé le chef, au nom de la troupe. « S’il plaît à Dieu, toujours. »
Ce « toujours » résonne longtemps. À sa façon anticonformiste, le scoutisme n’hésite pas à proposer à des préadolescents, douze ans en général, un engagement pour la vie. Car ce que la promesse résume, le départ routier, qui est pour les Scouts unitaires et les Scouts d’Europe l’engagement des aînés, pris le plus souvent entre vingt et vingt-cinq ans, le développe :
« … Rouge », conclut le chef en remettant au garçon un flot de tissu de cette couleur, « couleur du sang et de l’amour, pour que tu n’épargnes ni l’un ni l’autre au long des jours que Dieu te donnera. Et fais ce que tu voudrais avoir fait à l’heure de ta mort ».
Puis l’aumônier, après avoir lu les Béatitudes : « Ces paroles de vie, ne les garde pas pour toi : annonce la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu ; donne à manger à ceux qui ont faim, à boire à ceux qui ont soif ; l’hospitalité à qui frappe à ta porte ; […] Ce n’est pas toi qui parleras, c’est l’Esprit du Père qui parlera en toi. N’oublie pas que ta Route est un passage, par-delà la vie terrestre, vers le pays de l’éternelle jeunesse où, accueilli par le Père, tu ressusciteras. Pars maintenant à la suite du Christ, et rayonne la paix et la joie. »
La hauteur de ton de ces quelques mots n’est certes pas commune dans les associations contemporaines de jeunes catholiques. Bien que, selon les mouvements, les expressions diffèrent, le fond est le même : le scoutisme est explicitement le tremplin d’un engagement du corps et de l’âme « jusqu’à la mort », selon la formule des vœux solennels des religieux.
Le lecteur n’a pas besoin d’un long commentaire pour établir un lien entre ces engagements scouts et la vocation sacerdotale ou religieuse. Mais nous voudrions ici proposer deux comparaisons.
La promesse peut se comparer à l’appel du Seigneur à Samuel. Samuel dans le sérieux et la fraîcheur de son enfance, peut répondre sans crainte « Me voici » à Celui qui l’appelle. Il en ignore tout encore, sinon que cet appel est bon. Vivant auprès d’Éli, il est en quelque sorte déjà dans la maison du Seigneur. Ainsi le scout de douze ans dans la troupe. Il vit dans une maison du Seigneur, une « petite Église », et, bien qu’il ignore encore tout de la vie, il répond résolument : « Me voici. »
L’engagement des aînés peut se comparer à la réponse des prophètes à Dieu, et des disciples au Christ. Eux ont assez vécu pour savoir à la fois la bonté du Seigneur et la rudesse du chemin. Ils peuvent éprouver la peur. La peur n’est pas rare chez le routier qui se confronte au départ routier. Au moment d’entrer dans le Temple du Seigneur, ils connaissent le sens de l’avertissement : « Ce lieu est terrible ! » Mais ils ont aussi vécu et expérimenté par le scoutisme « comme il est bon, comme il est doux de vivre en frères » sous le regard du Seigneur. Attrait et effroi, élan et freins, sentiment de pauvreté et ardeur à s’élancer : lorsqu’un « Me voici » retentit, la gravité de ces mots saisit au plus profond celui qui les prononce. Le ceinturon, le fameux ceinturon, est celui qui est passé autour de la taille de Pierre réconcilié, et qui l’entraînera vers son don, et sa sainteté.
Le génie chrétien du scoutisme est d’avoir su toujours maintenir cet équilibre entre l’annonce et l’écoute, la parole et l’expérience, sans concession, parole entière – combien élevée ! –, expérience entière, incarnée, terrestre, rata brûlé et amitiés pour la vie, charité fraternelle et pieds dans la gadoue. La parole seule, sans l’expérience, retentit vainement. L’expérience seule, sans la parole de l’Évangile et de ses témoins, reste muette. Le scoutisme est l’un et l’autre. Il montre et il vit.
Baden-Powell n’avait certes pas prévu qu’une méthode toute pratique d’éducation des adolescents deviendrait ce lieu habité où retentit et où est entendue, la voix du Seigneur qui appelle. Mais la logique du fondateur contenait cela en germe. Le scoutisme est en effet pauvre, simple et fraternel. Il use de l’image et de l’imitation ; il parle au cœur adolescent parce que son langage est proprement celui des adolescents. Les adolescents entendent par le corps ; ils entendent par le regard ; ils entendent par l’amitié, par l’admiration, par le désir humain de grandir, par le cœur enfin. Ce à quoi le Seigneur appelle, ils l’ont déjà connu par le scoutisme, parce qu’ils l’ont expérimenté : joie de la communauté fraternelle, tension entre le monde et la promesse évangélique, mystère de la transcendance de Dieu dans leur propre vie, contemplation émerveillée de l’œuvre de Dieu, bonheur du service, appel de leurs frères, radicalité du don de soi.
Celui qui répond à l’appel du Seigneur y répond parce qu’il sait que cet appel est le sens de sa vie. Il se découvre appelé depuis toujours ; il sait qu’en réalisant sa vocation, c’est sa propre vie qu’il réalise.
L’instinct d’un général britannique était sûr, parce qu’il était profondément humain, et que l’humanité n’est vraie que pétrie par l’Évangile. Quelques laïcs et quelques prêtres français ont senti cette vérité et sa clé. Ils l’ont laissée fleurir. Chaque scout est un Samuel, un Samuel appelé dans la maison d’Éli, qui est une maison du Seigneur, un Samuel auquel Éli n’a qu’à apprendre à répondre : « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute. »