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L’engagement, une culture
William-Marie Merchat
prêtre coordinateur de la pastorale scolaire,
membre de l’équipe SDV de Nîmes
« Lève-toi et bouge-toi » ; « lève-toi et bouge la vie » ou encore « lève-toi et marche »…
Ces paroles résonnent dans les groupes de jeunes, dans telle conversation ou accompagnement, devant des comportements d’adolescents que les adultes trouvent parfois trop hésitants, mous ou inertes… « Notre rôle d’éducateur, d’enseignant, d’accompagnateur est de remettre en route des jeunes, qui n’ont pas ou plus de ressort, pas d’énergie. Certains jeunes ont une telle absence de réaction ! Nous avons à lutter contre cette force d’inaction mais aussi à permettre qu’ils se construisent avec une colonne vertébrale qui les tienne debout », dit un chef d’établissement.
Ce fut le sujet de plusieurs rencontres entre responsables pastoraux et chefs d’établissements de l’enseignement catholique. Ce constat a conduit la coordination de la pastorale scolaire de Nîmes à proposer aux lycéens des établissements catholiques de la ville une réflexion et un temps fort sur le thème de l’engagement. Le projet a été lancé pour une année, en trois étapes, afin de prendre le temps de vivre les notions d’engagement et de durée :
1. déploiement du thème dans chaque établissement par des temps de réflexion et des engagements pris en groupes ;
2. une journée temps-fort dans chaque établissement avec des intervenants ;
3. relecture du projet à l’automne suivant.
Déploiement du thème
Réflexion, projets en janvier 2007. Chaque lycée a été invité à proposer des temps de rencontres en classe ou en groupe, autour de la thématique choisie et en vue d’un temps fort commun. Plusieurs initiatives ont été prises par les APS. Nous en citons deux.
À partir du schéma de l’engagement de l’Abbé Pierre 1
Ce schéma a été fait par l’abbé Pierre, dans sa jeunesse pour exprimer son désir d’engagement et ce qu’il souhaitait vivre dans ce mouvement. Il peut être présenté dans le cadre de la catéchèse-aumônerie ou dans un autre cadre. La personnalité de l’abbé Pierre lui donne crédit et n’oriente pas d‘entrée le débat vers une démarche purement spirituelle.
Temps de réflexion
- Présenter le schéma aux jeunes : les inviter à réagir sur les dessins, sur les expressions écrites et leur lien avec le dessin.
- Y voient-ils une évolution, quelle symbolique se met en place d’un dessin à l’autre ?
- Comment l’abbé Pierre a-t-il réalisé cela dans sa vie ? Au nom de quoi, de qui s’est-il engagé ? Quel est le fruit de ses engagements ?
- Inviter les jeunes à faire leur schéma d’engagement avec leurs symboles et leurs paroles. Un débat peut être proposé à partir de ces schémas.
Dans le cadre d’une démarche spirituelle, il serait intéressant d’éclairer cette réflexion de textes spirituels et bibliques (Jn 1, 35-51 ; Mt 19, 16-22 ; Lc 19, 1-10).
Engagement des jeunes en groupe ou en classe
Suite à ce temps de réflexion, inviter les jeunes à prendre un engagement simple et concret, en groupe ou en classe, sur une durée précise et avec des moyens à fixer.
Autre proposition à partir du même schéma
Cette activité a été réalisée dans le cadre de l’aumônerie des lycées de l’enseignement public de Nîmes.
Première étape
Chaque jeune reçoit une feuille avec les dessins de l’abbé Pierre, sans ses paroles. Prendre le temps d’écrire une parole sous les dessins et de constituer un chemin. Commenter cela en équipe.
Deuxième étape
Donner à chaque jeune le schéma de l’abbé Pierre avec les paroles : les confronter avec ce qui a été écrit par les jeunes. Regarder l’évolution des dessins.
1-2. Sans l’autre, sans les autres qui suis-je ? Ai-je vraiment besoin des autres pour exister ?
3. Se rencontrer : qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce se croiser seulement ou bien tisser un lien ?
4. S’unir : c’est peut-être regarder dans la même direction pour agir ensemble. As-tu déjà vécu cela ? Est-ce que la vie de l’abbé Pierre te donne envie de vivre une aventure avec d’autres, pour les autres ?
5. Se donner : donner et se donner, vois-tu une différence ? Qu’est-ce que cela engage pour toi ? À quels niveaux d’une relation peut-on vivre cela ?
6. S’universaliser : une ouverture à l’autre en tant que frère ou sœur, refus de l’exclusion au nom de… Est-ce pour toi une étape pour grandir et s’engager pleinement ?
7. S’éterniser : s’agit-il de durée, d’ouverture à une autre réalité que le temps des hommes ? Si oui, laquelle ? Ce dernier dessin est l’aboutissement du parcours de l’abbé Pierre, que dit-il de son engagement ? Que te dit-il pour ton engagement ?
Forum de l’engagement
En mars 2007, pendant une demi-journée, dans chaque établissement, les jeunes ont rencontré plusieurs témoins (témoins choisis pour honorer la diversité des engagements : civiques, humanitaires, spirituels, associatifs…). L’objectif n’était pas de présenter un catalogue de situations mais de découvrir un cheminement. Chaque invité présentait son engagement mais surtout ce qui l’avait conduit à s’engager, ce qu’il découvrait de lui, des autres, de Dieu (pour les chrétiens)…
Plusieurs scénarios ont été mis en place :
- lancement de la matinée par le film Hiver 54, puis dialogue avec des Compagnons d’Emmaüs et des personnes venant de milieux associatifs et syndicaux ;
- accueil et témoignages divers en petits groupes, échanges avec les intervenants ;
- table-ronde et présentation rapide de nombreux intervenants puis rencontres en petits groupes avec quelques invités.
Au terme de chaque forum, les jeunes ont reçu une carte postale à remplir avec les questions suivantes :
- Qu’as-tu découvert de l’engagement ?
- Et toi, as-tu déjà vécu des situations d’engagement ? Pourrais-tu prendre, seul ou avec d’autres, un engagement ? Lequel ?
- Que découvres-tu de ton engagement ?
- Ces cartes ont été relevées et elles leur seront rendues dans le troisième temps.
Relecture
Ce temps, à l’automne 2007, a privilégié les actes de relecture du projet et de la réalisation de l’engagement. Quel a été le moteur de l’engagement, comment a-t-il été vécu, quelles transformations a-t-il produites ? En a-t-il intégré d’autres ? Comment a-t-il été perçu, qu’est-ce qu’il m’a fait découvrir de moi-même, des autres, de moi-même avec les autres, etc. ?
À la relecture des cartes et grâce à l’évocation des réflexions du printemps, les jeunes se positionnent autrement vis à vis de l’engagement. Nous découvrons avec eux qu’ils vivent des expériences d’engagement à des niveaux divers : amicaux, associatifs, scolaires, affectifs, religieux… et à des degrés différents : de l’obligatoire (scolaire) au naturel (famille), en passant par les activités culturelles et sportives ou amicales. L’expérience amoureuse est aussi une école prégnante de l’engagement : s’y jouent la reconnaissance de soi et de l’autre, le don de soi, l’accueil de l’autre, la place du corps, une fidélité à éduquer…
L’engagement est d’abord une expérience, un vécu avec d’autres et auprès d’autres personnes. Il demande du temps gratuit où on découvre que ce qu’on donne est souvent bien moindre que ce qu’on reçoit car l’échange est au-delà des paroles et des gestes.
L’engagement demande une fidélité qui passe au dessus de la fatigue, des déconvenues, des remerciements. Il ouvre un chemin dont le but n’est pas toujours défini à l’avance. Il fait émerger des talents, la maîtrise de soi – de ses émotions ou de son imagination. Il met à jour des limites à connaître, à éduquer ou à dépasser (dans les modes de communication, dans le respect de soi et de l’autre, dans l’appréhension de l’inconnu…).
Quelle place tient la foi dans ces démarches ? Beaucoup de jeunes n’ont pas entamé cette réflexion. Toutefois, ceux qui « osent » dire qu’ils sont chrétiens (pas toujours facile à dire…) manifestent un lien entre leurs engagements et leur foi. S’ils suivent un enseignement religieux ou s’ils sont insérés dans une paroisse, le premier lien est celui de la catéchèse et de la communauté chrétienne. Certains participent à des activités caritatives dans le cadre de l’aumônerie ou du scoutisme, d’autres font partie d’un groupe de jeunes musiciens chrétiens… Leurs engagements sont des occasions de vivre leur foi, de la partager avec d’autres, d’offrir du temps, des talents et de rencontrer d’autres chrétiens. Ces expériences les nourrissent et font peu à peu le lien entre les divers domaines de leur vie, parfois un peu éclatée…
Si nous parlons « vocations », cette expérience auprès de jeunes lycéens nous enseigne que l’engagement est d’abord une culture, un peu comme le lent et patient travail du jardinier. On ne peut demander à des jeunes de s’engager totalement ou durablement s’ils n’ont pas été éduqués, préparés dès leur enfance par des « paliers d’engagement ». Nous savons l’enjeu de ces petits actes de confiance que nous faisons envers tel enfant ou tel jeune, nous connaissons les effets positifs de ces prises de responsabilité… Ces « paliers d’engagement » sont autant d’étapes qui, franchies dans la confiance, aident les jeunes à grandir et à poser des actes durables et féconds d’engagement. Ils nécessitent un accompagnement et un encouragement, souvent renouvelé, de la part des adultes. Ils appellent un environnement qui respire la fidélité, la vérité, le don de soi.
Derrière cette notion d’engagement qui, parfois nous effraie, posons des mots qui ont goût d’espérance : fidélité, don de soi, épanouissement, bonheur partagé, fécondité, confiance… Notre vocation de baptisés n’est-elle pas aujourd’hui dans ce signe discret et lumineux qui est celui de notre confiance sans cesse renouvelée, envers des jeunes qui aspirent à grandir ? Pour qu’ils répondent à leur vocation, n’ont-ils pas à rencontrer des adultes heureux de vivre la leur, rayonnants d’une présence Autre qui s’engage aux côtés de tous les hommes de bonne volonté ?