Edito


Comme vous le savez, à la tête du Service national des vocations et du Service pour l’évangélisation des jeunes, il y a désormais un seul et même directeur. Cela inaugure ou renforce des collaborations, des réflexions et des mises en œuvre. Le thème de ce numéro d’Église et vocations, élaboré par le Service national des Vocations, s’inscrit résolument dans cette nouvelle dynamique.

« La pastorale des temps forts » est transversale ; elle concerne la pastorale des jeunes et la pastorale des adultes. Elle est souvent perçue comme une pastorale du plus grand nombre (grands rassemblements, pèlerinages, etc.) mais le temps fort est-il, au plan émotionnel, tout à fait absent d’autres expériences vécues de manière plus personnelle (pèlerinages « en solitaire », retraites, etc.) ?
Parler de « temps forts » sous-entend qu’il est d’autres temps qui eux sont « faibles ». D’un côté des moments « forts », vécus dans et avec une foule et de l’autre des temps « faibles », qui renverraient à l’idée de solitude. Or l’expérience montre que force et faiblesse sont au cœur de tout événement vécu en vérité.

La multiplicité des propositions – dans notre l’Église comme dans nos Églises-sœurs, pourrait laisser affleurer le soupçon d’actions compulsives, voire mimétiques. D’ailleurs certains s’en font l’écho. Quinze ans après les JMJ de Paris, le temps est peut-être venu d’évaluer l’ensemble des pratiques avec la distance qu’il faut ; ce numéro est un premier jalon ; il s’attache à aborder un ensemble de questions, entre articles de fond et pratiques. Le sujet est loin d’être épuisé ! Des théologiens, des chercheurs relèveront-ils le défi de poursuivre ces premières élaborations ?
Bien que les grands rassemblements aient le vent en poupe, ils ne devraient pas échapper à l’impérieuse nécessité d’un travail d’analyse car nous savons qu’en cette matière la naïveté est à proscrire. L’histoire du XXe siècle est saturée de manifestations de masse dont nous savons ce qu’elles ont produit. Le nombre ne fait ni vérité, ni liberté. En Église, nous déclarons volontiers : « Nous sommes du Christ, nos rassemblements sont d’un autre ordre. » Certes nous avons raison de dire et de proclamer la différence, mais jusqu’où la manifestons-nous ? Je suis souvent saisie dans les discours et les pratiques, par ce mélange – parfois inconscient, entre identité, volonté de maîtrise et nombre. Mais qu’en est-il de cet autre critère, proprement évangélique qui manque cruellement dans nos sociétés du spectacle et de la performance : celui de la relation à hauteur d’homme, de personne à personne.

Le Christ ne fait pas nombre ; il s’adresse à chaque être, à son désir particulier et profond. Le Christ est celui qui aide chaque individu à renouer avec son élan vital originel. Les foules qu’il réunit, sont des foules constituées de personnes a minima au bord de leur désir propre. La Parole du Christ ne s’adresse pas à des « sépulcres blanchis » ; c’est une parole qui opère de vivant à vivant aussi blessé soit-il.

La sequela Christi s’inscrit dans le baptême ; elle est relation dans et par l’incarnation. Jésus le Christ est avec les hommes ; il est pour eux ; ce pour est « le » marqueur de tous ceux qui proclament appartenir au Fils, Celui qui n’est jamais séparé ; le seul Grand Prêtre est présent à chacun.

Le Christ ne s’intéresse pas à l’identité comme marqueur social et culturel. Il ne se soucie pas davantage de maîtrise. Il est dans la trans-mission au sens radical du terme : celle qui conduit à sa/la démaîtrise, celle qui se retire pour faire place à la créativité et à l’intelligence des disciples, frères et sœurs. L’ensemble des hommes et des femmes qu’il a reçu du Père est pour lui objet d’une préoccupation constante, d’une responsabilité inextinguible. Elle est si grande que seule la Croix peut dire aux générations qui se succèdent, dans la faiblesse de leur entendement, quelque chose du don ultime de soi. Lorsque, dans les évangiles, le Christ réinterprète la figure du berger, c’est pour subvertir totalement cette allégorie. Il n’est pas celui qui pense à la place de la brebis, qui la mène au bâton ou sous la morsure des chiens ; le bon berger est celui qui la conduit « en de verts pâturages » (Ps 22).

Les temps forts s’inscrivent dans la mission reçue du Christ ; en conséquence, ils ne peuvent être un en soi, voire un entre soi, mais un envoi perpétuel. Certes, il faut des fêtes mais des fêtes ordonnées au Salut selon le Père : un fruit de relation ; le Père s’est remis, par son Fils, entre nos mains. Il nous attend, renonçant « à faire » malgré nous. Il nous faut donc veiller à ce que ces rassemblements ne soient pas extérieurs aux foules, miroir que les organisateurs se tendent à eux-mêmes ou aux masses qu’ils « animent ». Pour que la voix de la foule soit entendue, il ne suffit pas que des laïcs soient impliqués dans l’organisation des manifestations. Il faut que la parole du peuple de Dieu, peuple de médiateurs, soit portée en tous lieux et dans les différentes propositions qui se succèdent. Si nous acceptons l’invitation du Christ, l’idée d’une foule de « déliés » (Cf. Jn 11, 43-44 ; Jn 20, 3-8) en constante constitution, ne nous fait pas peur. Déliée selon le Fils, elle est missionnaire, capable d’une parole de vie car chacun de ses membres est unifié au désir du Père. Le Bon pasteur est venu pour rendre ses brebis à la liberté des enfants de Dieu. Savons-nous résister à la tentation de les parquer dans un enclos réduit à nos maigres proportions ?