L’année de fondation spirituelle


Depuis plus de vingt-cinq ans, à la suite de l’invitation du concile Vatican II, en cherchant une réponse adaptée aux besoins des candidats au ministère ordonné, plusieurs initiatives ont vu le jour et se sont développées en France. Ont ainsi été créées des années dites de « propédeutique ». Leur visée principale est toujours la préparation à l’entrée au séminaire mais leur contenu et leur pédagogie sont variés. Certaines d’entre elles se définissent comme « année de fondation spirituelle 1 ». C’est de cette réalité dont nous parlons dans ce qui suit 2.

Découvrir mieux la grâce baptismale pour s’engager dans la suite et l’amitié avec le Christ : c’est ainsi qu’on pourrait résumer l’objectif d’une telle année. Il s’agit alors d’accompagner le candidat dans l’offrande inconditionnée de lui-même à la volonté de Dieu, dans l’accueil libre et résolu de la mission que le Seigneur veut lui confier dans son Église, dans l’ouverture à la grâce pour se donner à Dieu sans réserve. L’enjeu est donc l’enracinement, en profondeur, de la conversion, pour ouvrir le chemin de la formation sacerdotale pendant les années de séminaire et au-delà.
On comprend, dès lors, que le contenu et les modalités d’une telle année ne puissent se décrire comme une addition de connaissances, fût-ce sur la vie spirituelle, mais plutôt comme ce qui va fonder une entrée, décidée et forte, dans la vie selon l’Esprit. Les « moyens » sont concentrés sur l’aide à la vie spirituelle et ne sont pas conçus dans une perspective académique, même si quelques enseignements sont donnés pour entrer plus aisément dans l’écoute de la Parole de Dieu, dans la prière et la tradition priante de l’Église.
Il faut souligner que cela représente, de la part de tous, un engagement gratuit, et que cette gratuité fait partie de l’expérience elle-même. Ce temps, donné par le candidat et par l’Église, sans concours ni à l’entrée ni à la fin, sans « obligation de résultat », est une entrée dans la formation et dans l’accueil de toute sa vie comme mystère de grâce.

L’entrée dans une telle année suppose de la part du candidat une intention droite, une liberté qui s’exerce et des aptitudes suffisamment reconnues, même si la vocation n’est pas encore pleinement déterminée vers le ministère sacerdotal pour tel ou tel diocèse. Cela suppose donc de la part du service des Vocations une préparation et une présentation éclairées, pour aider les candidats à relire leur histoire comme histoire de grâce, pour « faire le point avant de construire la tour », pour qu’ils découvrent l’appel à offrir leur disponibilité et leur amour comme une réponse, dans le célibat consacré. Ce départ au désert doit être un temps conséquent, pas indéfiniment prolongé, se terminant par une décision et la libre mise à disposition de soi au Christ en son Église : le temps d’une gestation…
Que le candidat ait fait ou non des études supérieures, qu’il soit ou non issu de milieux dits protégés, qu’il soit jeune ou moins jeune, une telle année est considérée comme un préalable indispensable aux années de séminaire proprement dites.


Offrir les conditions d’une vraie « retraite »



Pour présenter la façon dont cette année se déroule, on pourrait la décrire comme une série d’activités successives : la retraite de début d’année, les cinq premiers mois de vie communautaire, la Semaine sainte, « l’expériment », la grande retraite d’un mois, le retour à la vie communautaire. Mais ce serait oublier sa dynamique : on ne rendrait pas compte de son apport spécifique si on ne soulignait pas la place du temps uniquement consacré au mois d’exercices spirituels. C’est pour ainsi dire là que se concentre le cœur de la démarche.
Le choix est généralement fait de proposer et de présenter aux candidats la démarche des Exercices spirituels dits de saint Ignace. Ceux-ci ne sont pas considérés comme une initiation à une spiritualité particulière, mais comme un chemin recommandé unanimement par l’Église : pour contempler le Christ en ses mystères, pour expérimenter et goûter la grâce baptismale, pour y avancer en liberté, pour prendre en charge personnellement sa propre prière, accueillir la volonté de Dieu et y prendre résolution pour l’accomplir, etc. Cette retraite est personnellement guidée, chaque retraitant recevant chaque jour ce qui lui convient « selon le point où il en est ».
Nous avons parlé de préparation. Au début de l’année, la retraite de huit jours présente la démarche, le but et les modalités de la retraite d’un mois. Mais l’ensemble des activités et des moyens mis en œuvre dans l’année y dispose. Cela est vrai en particulier de la direction spirituelle, à travers une rencontre hebdomadaire, de l’initiation à la lecture quotidienne de la Bible, aux données de la foi, aux auteurs spirituels.
Dès le début de l’année, chacun est encouragé et aidé à mettre en place une véritable vie de prière personnelle par l’oraison quotidienne, à découvrir ou redécouvrir une vie sacramentelle régulière, notamment le sacrement de réconciliation, à entrer, tout au long d’une année, dans la prière liturgique de l’Église. Chaque jour, un temps notable est consacré à la lecture de la Parole de Dieu, en cherchant à ce que la Bible soit lue dans sa totalité, en entrant progressivement dans une véritable lectio divina.

La vie fraternelle se traduit et s’éprouve dans la vie commune et sa prise en charge, y compris dans ses aspects les plus matériels, par les candidats, avec les prêtres responsables de la maison ; on découvre comme grâce ce lieu quotidien incontournable de la charité fraternelle.
La rencontre du Christ dans les frères et sœurs les plus éprouvés tient une place importante : non seulement dans la visite hebdomadaire des malades, mais dans le mois « d’expériment-pauvreté », souvent dans des communautés de l’Arche. Ce moment est aussi celui de la découverte de la façon dont chacun reçoit le Christ et de la découverte de soi-même. Les semaines qui suivent le mois d’exercices permettent d’en recueillir paisiblement les fruits.
La plupart du temps, le lieu où se déroule cette année est à la fois situé en ville et au calme. Mais il ne suffit pas de changer de lieu pour entrer en retraite. Plus encore que de changer de cadre et de mode de vie, on veille à la vérité et à la netteté des ruptures. Il s’agit d’assumer librement, pour un temps déterminé, la séparation d’avec les siens, et de consentir la distance nécessaire par rapport aux relations habituelles, familiales, amicales, professionnelles, associatives.


Entrée en formation



Non seulement une telle année de fondation spirituelle constitue un véritable porche d’entrée en formation, mais elle vise un affermissement de l’attitude de fond qui sera celle de toute la formation et de toute la vie. Ceci a toute chance de se produire :
  • quand la vocation est bien enracinée et offerte, à l’intérieur d’une relation personnelle avec le Christ ;
  • quand la vie de prière devient de plus en plus chrétienne : trinitaire, christique, habituée au discernement des esprits, incluant aussi les joies et les peines du monde de ce temps…
  • quand le goût pour la Parole de Dieu a été éveillé et suscité, et que les oreilles ont été, au moins un peu, « débouchées » des éléments de piétisme et de rationalisme ;
  • quand la décision de suivre le Christ dans le célibat et la chasteté a été prise avec fermeté et clarté ;
  • quand s’est mise en route et affermie la liberté du serviteur dans le corps de l’Église, qui se met à disposition de la mission du Christ dans son Église ;
  • quand l’engagement personnel dans l’année a été réel et généreux : il augure de l’engagement effectif dans les études et dans toute la formation, mais aussi dans le ministère ;
  • quand on peut attester d’une connaissance de la personne qui ne soit pas superficielle, avec ses points de progrès ou de conversion, tant par le candidat lui-même que par son évêque ;
  • quand des points de maturation, notamment humaine, ne sont pas encore acquis mais sont nommés, pour qu’il en soit tenu compte dans le cursus de formation ;
  • quand une demande d’entrée au séminaire est posée de façon libre et éclairée ;
  • quand, en contraste ou en cohérence avec ce qui était d’abord perçu comme désir personnel, le candidat dit et fait une remise de soi confiante dans le chemin de formation proposé.

Une telle année est considérée comme un préalable indispensable à l’entrée au séminaire par certains évêques, comme ceux d’Ile-de-France ; en avril 2004, ils ont pris la décision d’envoyer leurs candidats au sacerdoce dans l’une des trois maisons constituées à cet effet 3 : maison Saint-Augustin, créée en 1984 dans le diocèse de Paris ; maison Saint-Jean-Baptiste, créée en 1996 dans le diocèse de Versailles et renouvelée en 2003 ; maison Madeleine Delbrêl, créée en 2007 dans le diocèse de Nanterre.
L’année de fondation spirituelle concerne tous les candidats, les jeunes comme les moins jeunes, ce qui implique un travail soigneux de la part du service des Vocations. L’expérience montre qu’il vaut mieux aménager le cursus de formation ultérieur, plutôt que de « dispenser » les plus âgés d’une telle année. Cela induit une manière de faire le premier cycle, pour plusieurs raisons :

  • un pas conséquent dans la disponibilité spirituelle a été franchi ;
  • la mise en place de la vie de prière a bénéficié de l’expérience d’un temps notable de retraite ;
  • une première approche du diocèse a pu se faire ;
  • l’ensemble des enseignements et la lecture de l’Écriture sainte ont contribué à élargir le cœur et l’intelligence des candidats à la Parole de Dieu. Les études de philosophie et d’Écriture au séminaire en bénéficieront, d’autant plus que ce qui a été acquis au cours de cette année spirituelle sera honoré.

Peut-on, doit-on demander autre chose à une telle année ?



Ce qu’on en attend est déjà considérable, surtout quand on considère que tout se tient ! Il est clair qu’on ne demande pas à cette année de fondation de remplir la fonction d’année de mise à niveau ou de « propédeutique » scolaire. Celle-ci est assurée par d’autres institutions comme, par exemple, celle de la communauté Notre-Dame du Chemin, à Orléans.
De même, si au cours d’une telle année grandit une certaine connaissance du diocèse, de son histoire, de sa vie actuelle, par la rencontre de l’évêque et de témoins divers par l’âge et l’expérience, elle ne prétend pas faire connaître à fond le diocèse !
Enfin, si le candidat souhaite connaître mieux la communauté religieuse, la communauté ancienne ou nouvelle qui l’a porté dans la prière et dans la foi, éventuellement dans l’éveil de sa vocation, cela doit pouvoir se faire avant le début, ou au terme de l’année de fondation spirituelle.


Les fruits perçus



En faisant le pas d’entrer dans cette année « gratuite » et sans autre perspective qu’une retraite, le candidat a engagé sa générosité spirituelle dans la confiance et une première relation d’obéissance ecclésiale : donner une année de sa vie, sans autre perspective que celle de demeurer disponible à la grâce est fondateur, au sens le plus profond du terme. La joie en est le premier fruit visible.
On peut citer d’autres bienfaits : une meilleure connaissance des candidats et une meilleure perception du type de parcours qui leur conviendra, un ancrage diocésain beaucoup plus net, une détermination explicite au célibat, même si elle sera toujours à mûrir.
L’intégration de l’année de fondation spirituelle comme repère solide et clair dans le don de soi et la réception du don de Dieu, dans la mémoire spirituelle, fait grandir le candidat en liberté et en assurance ; elle l’aide à tenir et à s’engager, paisiblement et fortement, dans le cursus des études.

Les critères d’entrée dans une telle année, le type de décision que cela implique de la part du candidat, expliquent que le taux de départs pendant la formation ait fortement diminué.
Ceci conduit à une remarque concernant l’accueil des candidats. En les recevant, on cherche à s’assurer de la liberté élémentaire de leur démarche, du fait qu’ils sont baptisés, et d’autres choses encore que la prudence recommande de vérifier. On cherche aussi à les accueillir tels qu’ils sont, évitant de pratiquer une sorte de mise en doute méthodologique sur des aptitudes, sur des points qui supposent, pour être clarifiés, une connaissance et une confiance mutuelles. On cherche évidemment à respecter le candidat lui-même, mais surtout à respecter le choix de Dieu !

Il est fréquent de rencontrer des jeunes très généreux qui se lancent pour être formés au sacerdoce dans des formations ou des « filières » qui ne sont pas diocésaines. Le fait de proposer quelque chose dans le diocèse, le fait qu’existe et que soit clairement identifié le chemin préalable voulu par l’évêque, ou/et les évêques d’une province, invite au moins le candidat, et ceux qui l’accompagnent, à se positionner… et implique le presbyterium et le diocèse tout entier dans la transmission de la forte tradition des prêtres diocésains.
Tout ceci suppose évidemment des choix judicieux pour les nominations et un investissement en moyens.

 

Notes


1 - Le dernier concile évoque cette réalité : « Pour fonder de manière plus solide la formation spirituelle et pour que les séminaristes puissent ratifier leur vocation par une option mûrement délibérée, il appartiendra aux évêques d’instituer, pour une durée convenable, un entraînement spirituel plus poussé », (cf. Vatican II, Décret sur la formation des prêtres, Optatam totius, n°12). Le cardinal Gabriel-Marie Garrone y est revenu dans la lettre de la Sacrée Congrégation pour l’éducation catholique du 6 janvier 1980, La préparation spirituelle dans les séminaires, (cf. DC n° 1786, 1980, p. 469). Dans l’exhortation apostolique post-synodale du 25 mars 1992, Pastores Dabo vobis, sur « la formation des prêtres dans les circonstances actuelles », le pape Jean-Paul II souligne que « la finalité et la structure éducative du grand séminaire exigent que les candidats au sacerdoce y entrent après une certaine préparation », demande « qu’il y ait une période convenable de préparation précédant la formation donnée au séminaire » et, prenant acte de la diversité des formules adoptées jusqu’ici par les diocèses ou les pays, reprend à son compte la demande alors formulée par les Pères synodaux que « la Congrégation pour l’éducation catholique recueille toutes les informations sur les premières expériences de cette formation déjà faites ou qui se déroulent en ce moment » (Pastores dabo vobis, n° 62).
2 - On peut utilement consulter : Cardinal Jean-Marie Lustiger et al., La formation spirituelle des prêtres, École cathédrale, Éditions du Cerf, 1995, 240 p., actes du colloque tenu à l’occasion du 10e anniversaire de la fondation de la maison Saint-Augustin ; et aussi, du même auteur, « Quinze ans d’expérience, le modèle parisien de formation des prêtres », dans Nouvelle Revue Théologique, t. 122, n° 1, janvier-mars 2000, p. 3-18.
3 - Cf. la lettre des évêques de la province de Paris aux prêtres de leurs diocèses, à l’occasion de la messe chrismale et du Jeudi saint, avril 2004.