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Du granit et du vent
Olivier Roy
prêtre du diocèse de Rennes,
supérieur de la maison Charles de Foucauld
« Tout homme qui écoute ce que je vous dis là et le met en pratique est comparable à un homme prévoyant qui a bâti sa maison sur le roc. La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, la tempête a soufflé et s’est abattue sur cette maison ; la maison ne s’est pas écroulée, car elle était fondée sur le roc. » (Mt 7, 21-28).
Chacun connaît ces deux éléments naturels, si présents sur la terre bretonne où est implantée la maison Charles de Foucauld, que sont le granit et le vent. Ils me paraissent être une belle image de ce que nous voulons faire dans cette année de fondation spirituelle de la province de Rennes. Le granit évoque ce roc qui permet de construire une maison solide, comme dans la parabole de l’Évangile. Nous voulons des jeunes solidement ancrés sur le Christ, Lui qui est le « rocher qui nous sauve » (cf. Ps 74, 1). Le vent est bien sûr celui de l’Esprit. Celui qu’il faut apprendre à repérer et à maîtriser pour gonfler ses voiles et orienter la barque de sa vie selon la volonté du Père, en particulier dans ce monde où soufflent bien des vents contraires et contradictoires. C’est donc sur du granit et avec du vent que nous avons lancé en septembre dernier l’aventure de cette maison. Nous essayerons ici d’évoquer modestement ce que fut son histoire, quel projet nous entendons y vivre, qui sont les jeunes que nous y accueillons et enfin quelques réflexions issues de ces premiers mois d’expérience. Puisse le lecteur y déceler des traces du Roc Éternel et du souffle de l’Esprit qui seuls donnent sens à toute notre action et porteront du fruit au service de l’Église.
Un peu d’histoire
Même si la maison est toute jeune, il est bon de faire référence à sa courte histoire. Cette idée d’une propédeutique pour l’Ouest était dans les esprits depuis plusieurs années déjà, tant du côté des services des vocations que des séminaires. Mais l’impulsion décisive a été donnée par les services diocésains des vocations en octobre 2007. L’ensemble des responsables a décidé d’écrire une lettre aux évêques de la province pour les alerter sur l’urgence d’une telle année dans notre province. Ils constataient notamment que c’était une demande récurrente de beaucoup des jeunes qu’ils accompagnaient vers un ministère ordonné et ils étaient démunis quant à la réponse à apporter, sauf à orienter vers une solution hors province ou ayant un cadre strictement diocésain.
Cet appel fut entendu, notamment par le tout nouvel archevêque, Mgr Pierre d’Ornellas, qui arrivait fort de l’expérience déjà ancienne de la maison Saint-Augustin, qu’il avait accompagnée comme évêque auxiliaire de Paris. Les évêques de la province de Rennes décidèrent donc de l’ouverture d’une telle maison sous la responsabilité et sur le territoire de l’archevêque métropolitain. Un décret de fondation a été publié en juin 2007 annonçant alors le nom de la maison « Charles de Foucauld », son implantation à Saint-Pern dans le domaine de la maison générale des Petites sœurs des pauvres et la composition de son équipe animatrice avec quatre prêtres 1.
Il est intéressant de noter, à cet égard, que cette création n’oubliait pas l’existence, pour notre province, de l’École de la Foi à Coutances, depuis plus de dix-huit ans. Celle-ci garde tout son intérêt dans un projet proposé plus largement à des jeunes filles comme à des jeunes hommes voulant se former chrétiennement et participer à la mission de l’Église. Significativement, il a été décidé de rattacher l’École de la Foi aux services de pastorale des jeunes 2. Ces actes fondateurs posés, le temps était venu de développer un projet pour cette nouvelle maison.
Le projet de la maison Charles de Foucauld
Ayant accepté la mission, tout à fait inattendue pour moi, de supérieur de cette maison, il me revenait de rassembler les différents éléments me permettant de construire le projet de celle-ci. N’étant pas issu du « réseau » des vocations, il m’a fallu comprendre les enjeux, découvrir les différentes propositions existantes, entendre les attentes des acteurs de cette maison et en particulier des évêques fondateurs, des services des vocations et des séminaires intéressés. Après notamment quelques visites à Paris ou à Versailles 3, la lecture de projets de maisons-sœurs entre autre chose 4, je me suis mis à l’écriture de ce qui fait notre colonne vertébrale aujourd’hui 5.
Intuitions et finalité
Le résumé des intuitions peut tenir en une phrase : il s’agit de prendre le temps de fonder sa foi sur le Christ pour répondre librement à l’appel de Dieu et de l’Église. La vocation de la maison Charles de Foucauld est donc d’offrir, à qui envisage la prêtrise, un solide enracinement dans le Christ. Un jeune homme se posant la question du sacerdoce doit y trouver les moyens de devenir un vrai disciple du Christ, d’approfondir son amitié avec lui de façon stable. Elle est un lieu d’unification de la personne, de maturation et d’approfondissement. La finalité est donc clairement de fonder sa vie sur le Christ afin de pouvoir faire, le moment venu, un choix libre.
Objectifs et moyens
Les candidats au ministère presbytéral sont donc invités à consacrer environ neuf mois (de septembre à juin) à un travail de fondation spirituelle 6. Ce temps, gratuitement donné par Dieu et gratuitement reçu de lui, constitue un chemin spirituel où peut s’exprimer la remise de sa vie dans la foi et de sa vocation à Dieu dans son Église, et où se découvre sa volonté avec plus de clarté. L’entrée dans cette maison demande au candidat un décentrement de soi, une ouverture de toute sa liberté pour répondre avec générosité à l’appel de Dieu en faisant confiance à ceux qui ont reçu mission de l’Église de l’aider dans son discernement et dans sa réponse.
Cette année se déroule après des études ou une activité professionnelle et avant l’entrée dans les études ecclésiastiques. Celles-ci se déroulent ensuite généralement dans les séminaires de la province et associés : Saint-Yves à Rennes, Saint-Jean à Nantes et Saint-Jean-Eudes à Caen. On veille durant l’année à ce qu’études ou travail antérieurs puissent éventuellement être repris au terme de cette année de fondation.
La maison Charles de Foucauld, identifiable comme lieu inter-diocésain consacré à l’accueil et à la première formation des futurs prêtres, veut :
- offrir les moyens d’un solide enracinement spirituel dans le Christ. Certes, la vie chrétienne ne commence pas à être expérimentée avec l’année de fondation spirituelle, mais elle y trouve les moyens de s’unifier, de s’objectiver, de s’élargir et de s’approfondir, en identifiant les points de repère fondamentaux, en cherchant à affermir le désir de conversion et la volonté d’y persévérer ;
- aider à mûrir une décision motivée d’entrer au séminaire. Si le discernement de la vocation se poursuit tout au long de la formation, la réflexion sur l’appel de Dieu est conduite ici, en sorte que soit prise une décision claire et que les questions utiles soient posées, que des points fondamentaux soient touchés et vécus, que des éléments décisifs de la vie chrétienne et sacerdotale soient perçus et choisis ;
- favoriser des liens de qualité avec une Église diocésaine ; particulièrement par ceux qui unissent de futurs prêtres, avec leur évêque et entre eux, au sein du presbyterium. Il s’agira alors de favoriser la prise de conscience de l’appartenance ecclésiale et donc diocésaine.
Au service de ces objectifs, un certain nombre de moyens sont mis en œuvre. On trouvera dans ce qui suit quelques indications sur le style de vie et les principaux moyens caractéristiques de cette année de fondation spirituelle.
Pour favoriser l’union au Christ des candidats, la maison Charles de Foucauld utilise les médiations par lesquelles Celui-ci se donne aux hommes : l’Écriture sainte, la prière personnelle et communautaire avec son sommet dans l’Eucharistie, l’Église dans la diversité de ses fonctions et de ses personnes – comme celle du frère, qu’il s’agisse d’un autre jeune de la maison, de la personne pauvre ou malade rencontrée à l’extérieur.
Par son implantation, la maison Charles de Foucauld offre aux candidats au sacerdoce un cadre propice au silence et à la prière. Cela constitue une caractéristique fondamentale, puisque cette année veut fournir les conditions favorables permettant d’oser se placer délibérément devant Dieu, au cœur de l’Église, en vue d’une plus grande disponibilité aux appels de Dieu et des hommes.
Écouter la Parole de Dieu
L’Écriture constitue « la source de la prière chrétienne ». Son étude doit être considérée comme « l’âme de la théologie » (Dei Verbum n° 24), elle est Parole de Dieu adressée à l’homme : l’écouter est la première attitude de celui qui désire connaître et prier Dieu. C’est pourquoi un temps quotidien (1 h 30) est consacré à la lecture continue de l’Écriture. Ce temps est conduit par la proposition de lire les livres de l’Écriture sainte, selon un ordre pédagogique tenant compte de leur plus ou moins grande difficulté et du moment liturgique. C’est une plongée dans la Parole de Dieu pour la recevoir dans sa totalité et sa diversité, dans son unité. Un temps de lectio divina quotidien est donc proposé. Une initiation permettra aux jeunes de découvrir cette méthode issue de la Tradition vivante de l’Église.
Le cours d’Écriture sainte a pour objectif d’accompagner cette découverte de toute la Bible. Il est accompagné d’un cours de théologie qui permet, pour sa part, d’entrer dans une intelligence contemplative du « mystère » révélé par Dieu.
Pour se mettre vraiment à l’écoute, un climat de silence est favorisé dans la maison, notamment le soir et à l’étage des chambres. Ainsi l’usage du téléphone portable est restreint à quelques heures par jour. De même, l’accès à Internet est possible seulement sur un ordinateur mis à la disposition de tous et durant un temps quotidien défini.
Prier avec l’Église
Avec l’Église qui « déploie tout le mystère du Christ pendant le cycle de l’année » (Sacrosanctum concilium n° 102), la communauté prie et apprend à prier.
Elle est rassemblée pour célébrer l’Eucharistie, source et sommet de chaque journée : offrande de nos vies dans l’offrande parfaite du Fils unique. La messe est placée en fin de matinée pour signifier son importance. La communauté se rassemble aussi pour la liturgie des Heures (laudes, vêpres, complies). Tous les soirs, l’office des vêpres est célébré avec les Petites sœurs, ainsi que l’Eucharistie du mercredi et du samedi. Les grandes fêtes du cycle liturgique donnent lieu à une préparation spécifique. Si elles sont célébrées sur place, elles sont généralement précédées de vigiles afin d’expérimenter un spectre large de liturgies.
Le cours de liturgie et le cours de chant aident à participer à cette vie liturgique, à la comprendre de l’intérieur, à entrer dans la prière de l’Église, notamment par une intelligence spirituelle des rituels.
Cette année spirituelle ne donnera son fruit qu’en développant une démarche de conversion. Pour cela l’Église offre un moyen privilégié : le sacrement du pardon et de la pénitence. Les jeunes sont invités à le recevoir régulièrement afin de s’efforcer de conformer toute leur vie au mystère du Christ en s’écartant fermement de tout ce qui porte la trace du péché. Les accompagnateurs spirituels de la maison assureront, en règle générale, ce rôle.
Prière personnelle
La rencontre du Christ et de son Église, ainsi que l’amour des hommes, s’expriment et se nourrissent dans la prière personnelle où, se mettant longuement devant le Christ, l’on découvre la volonté de Dieu et son dessein bienveillant de salut. Chacun détermine avec l’aide de son père spirituel le temps qu’il consacre quotidiennement à l’oraison et le moment où il se retire pour le vivre, sachant qu’une grande partie de l’après-midi est réservé, entre autre, à cela.
Le cours de spiritualité vise à aider cet approfondissement de la prière personnelle et de l’attitude croyante du disciple du Christ, ainsi qu’à stimuler la persévérance, notamment par la découverte de grandes figures de sainteté à travers l’histoire de l’Église, sœurs et frères aînés dans la conversion, dans la suite du Christ et le travail pour l’Église.
Après une retraite de huit jours au début de l’année, les candidats vivent un mois de retraite selon les Exercices de saint Ignace durant le troisième trimestre. L’apport voulu de ce mois est la découverte du Christ par chacun et de son attention personnelle à chacun, l’ouverture du cœur dans un dialogue personnel, l’ordonnancement à Dieu de toute sa vie, le libre choix de suivre le Christ. Ce rendez-vous est un des temps essentiels de l’année.
En plus de ces temps de prière liturgique et de prière personnelle, la communauté se rassemble chaque semaine pour un temps d’adoration eucharistique, mais aussi, en fonction de la vie communautaire, de prière mariale (Angélus et chapelet).
Au début et surtout en fin d’année, des pèlerinages donnent l’occasion de vivre cette démarche chrétienne millénaire qui associe, par la marche, le corps et la prière ainsi qu’une vie fraternelle intense dans un cadre différent de la maison, et vers un haut lieu spirituel.
Vivre en frère et en disciple
Dans la vie commune, s’exercent et s’éprouvent la charité fraternelle, la connaissance et la compréhension mutuelles, la capacité réelle à la relation, si nécessaires à la maturation de la liberté et aussi à l’exercice du ministère. Cela est favorisé par la présence continue dans la maison où chacun est invité à recevoir les autres comme des frères donnés par Dieu.
La vie commune est stimulée par les échanges fraternels et réguliers : une réunion par semaine en équipe (qui assure aussi le service de la liturgie, des repas et de l’entretien de la maison), et les réunions qui rassemblent toute la communauté. Ces réunions de communauté permettent une responsabilisation et une prise en charge commune en vue de la réalisation des objectifs de la maison.
La maison se veut ouverte. Les amis peuvent y venir pour un repas, voire pour un court séjour dans les chambres d’hôtes. De même, les familles sont invitées pendant une journée spécifique au cours de l’année à découvrir la maison et à partager la vie de la communauté dans une ambiance festive. Ces rencontres sont une source vraie de témoignage.
Plusieurs fois par semaine, du temps est réservé à la pratique du sport, collectif ou individuel. Volley, foot, basket et jogging viennent équilibrer la vie et les échanges. La participation de tous est vivement souhaitée et obtenue avec joie. Certains se découvrent là une nouvelle « vocation ».
Les sorties possibles du mercredi soir et de certaines fins de semaine n’interrompent pas cette vie commune. Elles constituent des occasions d’ouvrir son cœur et son esprit, et permettent de goûter d’une autre manière les rencontres familiales, amicales, culturelles en les resituant progressivement par rapport à la suite personnelle du Christ. Elles maintiennent l’ouverture au monde et doivent contribuer à nourrir la réflexion entreprise pendant cette année.
Tout comme la prière et la vie fraternelle, le service des frères fait partie intégrante de la vie chrétienne. Plus précisément la découverte du Christ ne se fait pas sans recherche de son visage et l’amour de sa personne en particulier dans les plus pauvres.
Chaque semaine, le mercredi après-midi, les membres de la maison Charles de Foucauld visitent des personnes âgées, des malades ou d’autres personnes en situation de pauvreté.
Au début du second trimestre, les candidats sont envoyés pour un mois de stage appelé « expériment ». Différents lieux les prennent en charge pour ce temps où ils assurent un service modeste, gratuit et continu : communautés de l’Arche, présence aux jeunes et enfants défavorisés, monde des banlieues, etc.
Ils ont là l’occasion de rendre un service humble, souvent apparemment inutile, de rencontrer des sœurs et frères blessés dans leur corps ou dans leur psychisme, et d’apprendre à créer une authentique relation avec eux, de susciter en quelque sorte une alliance où chacun se laisse enrichir par l’autre. Le candidat grandit en liberté et approfondit ainsi sa réponse à l’appel de Dieu, en se donnant à travers les tâches quotidiennes, sans qu’existe automatiquement le support visible d’une vie communautaire ou la régularité de célébrations liturgiques. Au retour, un temps de partage aide à ressaisir devant Dieu l’expérience qui vient d’être vécue.
Vivre en Église
Par elle-même, la vie commune animée de l’intérieur par la prière et s’exprimant dans la charité fraternelle, dans la communion à la foi reçue de l’Église et dans l’obéissance quotidienne constitue une expérience ecclésiale.
L’accompagnement spirituel manifeste une entrée plus profonde dans la réalité ecclésiale. Il doit être vécu dans la confiance et l’ouverture. Chacun rencontre son père spirituel une fois par semaine. Le père spirituel, donné par le supérieur qui le choisit dans l’équipe de la maison, aide chacun à se situer devant Dieu et à cheminer en s’appuyant sur la tradition ecclésiale de l’écoute et de la suite du Christ.
La connaissance de l’Église diocésaine et universelle soutient l’élan à se donner librement pour la servir au milieu des hommes. Au cours de cette année, différents moyens favorisent cette connaissance : les rencontres avec l’archevêque, les évêques de la province et avec des prêtres du diocèse ; la retraite de rentrée prêchée par un évêque, la célébration des Jours saints et du Triduum pascal à la paroisse cathédrale avec l’évêque ou dans une paroisse dûment choisie dans le diocèse du candidat, etc.
Les jeunes de la maison Charles de Foucauld
Lorsque l’on présente la maison Charles de Foucauld, une question brûle souvent toutes les lèvres : mais qui sont les jeunes qui acceptent aujourd’hui une telle aventure ? Commençons par dire qu’ils sont bien des jeunes de 2008, autrement dit de leur époque. J’ai, par exemple, découvert au bout de quelques semaines que plusieurs n’avaient pas de montre. C’est leur téléphone portable qui en fait office, dans une maison où on ne doit quasiment pas l’utiliser… Ainsi, ce ne sont pas des extra-terrestres, mais des jeunes hommes traversés par les questions, les enthousiasmes et les pesanteurs de notre temps. Cette année, ils sont neuf à avoir poussé la porte de notre maison en septembre. On pourrait dire que le panel est restreint. Cependant, il m’est arrivé de rencontrer plusieurs groupes de jeunes dans une telle démarche. Il semble que les profils soient un peu les mêmes 7. Au risque d’enfoncer une porte ouverte, la première chose qu’il faut noter est leur grande hétérogénéité. Il parait impossible de dresser un portrait-robot sauf à faire le jeu d’une mauvaise et néfaste caricature.
Les âges des jeunes accueillis varient de vingt à trente-deux ans, la moyenne se situant à vingt-trois ans. Cette question de l’âge est d’ailleurs loin d’être anodine. Nous avons fait le choix d’accepter les candidats à partir de dix-huit ans et de ne pas mettre de limite maximale. Les plus jeunes apportent un véritable dynamisme à une communauté et mûrissent leur projet à leur manière. Cependant, il faut veiller à l’équilibre numérique de chaque tranche d’âge. C’est un des critères de constitution de la communauté. Pour les plus âgés, on peut se demander si cela est utile d’ « ajouter » une année supplémentaire ou si une entrée directe au séminaire ne serait pas recommandée. Nous ne le pensons pas. Au contraire, le candidat ayant déjà une forte expérience humaine de travail, par exemple, aura peut-être encore plus besoin du sas offert par la maison Charles de Foucauld afin de prendre le temps de fonder sa vie sur d’autres valeurs que celles vécues jusque-là.
Les formations antérieurement suivies vont du bac pro au doctorat d’histoire du droit. Cette diversité n’est pas trop gênante pour cette année dans laquelle la formation intellectuelle n’est pas prédominante. Cependant on peut commencer à éveiller certains à des reflexes favorables au travail intellectuel, à la lecture, etc. On peut noter qu’aucun d’entre eux ne vient vraiment du monde du travail. Cela peut être le signe d’une certaine difficulté à rejoindre les jeunes de milieu ouvrier, entre autres… ou de noter leur présence dans d’autres filières de formation.
Variété encore en ce qui concerne leurs engagements ecclésiaux préalables : aumôneries étudiantes, paroissiales, groupes de prière, scoutisme, MEJ, ACE… Des expériences qui diffèrent et nécessitent d’être attentifs à ce que chacun s’ouvre aux autres, puisse dire en toute vérité ce qui l’a construit, et accepte de découvrir ce qu’il ne connaît pas. Mais ils sont souvent curieux et étant éloignés de leur « milieu naturel » à la maison Charles de Foucauld, ils sont plus enclins à découvrir, avec intérêt, d’autres visages d’Église.
L’hétérogénéité des parcours demande une vraie souplesse à l’équipe d’animation de la maison Charles de Foucauld. Nous devons mettre en place des règles d’accueil mais il faut toujours envisager les exceptions qui se présenteront. Par exemple, la règle veut que chaque jeune soit envoyé par le service des vocations de son diocèse. Mais il s’avère que certains n’ont de contact avec ces derniers qu’au moment de l’inscription et par notre intermédiaire. Tout cela nécessite donc un accompagnement particulièrement soigné et régulier pour permettre à chacun d’entrer dans le projet que nous proposons, en fonction de son histoire.
Malgré leur diversité, je note cependant une unité sur deux points particuliers :
- le premier est un véritable attrait pour une vie spirituelle profonde, nourrie particulièrement par la liturgie dans toute la richesse de la Tradition de l’Église. Ils sont demandeurs de silence, de méditation, d’adoration, etc.
- Enfin, ces jeunes sont bien des jeunes chrétiens de 2008 qui veulent éviter le grand écart entre la vie quotidienne et l’engagement ecclésial, qui veulent faire coexister pacifiquement, si possible, la post-modernité de leur génération et la foi au Christ dans toute son histoire bi-millénaire.
Quelques points d’attention
Après plus de six mois de fonctionnement, il est peut-être un peu tôt pour faire un bilan. Mais j’essaierai cependant d’évoquer quelques points qui me paraissent déjà se dégager de ma courte mais riche expérience.
Un projet en phase avec les besoins des jeunes
Une chose essentielle m’est apparue dès les premiers entretiens avec les candidats à notre maison. Au fil des discussions, je m’apercevais de la grande cohérence entre leurs attentes et nos propositions. Les époques se suivent et ne se ressemblent pas. Si ma génération de prêtres ne voyait sans doute pas très bien l’intérêt d’une propédeutique hors du séminaire, beaucoup de ceux qui veulent y entrer aujourd’hui demandent une année préalable pour mûrir vraiment leur choix. Même ceux, très minoritaires, qui seraient sans doute entrés d’emblée au séminaire se trouvent finalement très bien dans notre proposition. Notamment parce qu’elle offre des expériences fortes et irremplaçables comme « l’expériment » de pauvreté.
Un lieu de liberté
La maison Charles de Foucauld est vraiment un lieu et un projet qui dispose d’une grande liberté notamment par rapport à celui que doit développer un séminaire, dont on sait qu’il est régi par une ratio studiorum définie pour l’Église universelle. Pour notre part, le contenu et les activités peuvent être adaptées avec une grande souplesse. Nous avons construit notre projet à partir et en fonction de modèles pré-existants. Mais nous essayons d’instiller un esprit et un style spécifiques qui correspondent à la fois aux jeunes accueillis et à l’histoire de notre province ecclésiastique. Liberté aussi quant au choix vocationnel. Même si nous avons un projet clairement tourné vers la préparation à un ministère de prêtre diocésain, l’année de fondation spirituelle peut permettre de préciser les motivations de chaque candidat pour tel ou tel type d’engagement (diocésain, religieux, etc.) sans prendre trop vite une voie qui pourrait se révéler finalement sans issue.
Approfondir la connaissance d’une réalité diocésaine
Voilà une dimension qui me paraît de plus en plus évidente. Notre maison doit mettre tout en œuvre pour qu’un lien étroit se noue entre le candidat et son diocèse d’éventuelle incardination. La facilité des déplacements fait que les jeunes connaissent parfois fort peu le diocèse dans lequel ils choisissent de s’installer. Leurs critères ne sont plus du tout ceux des siècles passés où l’on naissait et mourrait quasiment dans le même village.
Par le biais des études, des déménagements familiaux, l’enracinement est souvent à faire et à réussir. Il faut parfois passer du rêve à la réalité d’une Église locale. Nous essayons pour notre part de favoriser tout ce qui peut renforcer le lien avec un évêque, un presbytérium, des réalités d’Église diverses mais souvent encore riches et dynamiques dans notre province. En même temps, la dimension provinciale de notre maison permet de vivre pendant un an un certain recul bien utile dans un processus de discernement. La distance et la multiplicité des points de vue se révèlent fort enrichissantes pour les candidats.
Un projet qui prend chair
Au fil du déroulement de cette première année, nous voyons notre projet, dont l’essentiel est développé ci-dessus, prendre vie et corps. Ce faisant, ce qui me frappe est que ce que nous avions imaginé comme ressorts essentiels de cette année sont les expériences qu’ils reconnaissent comme les plus structurantes et déterminantes pour leur cheminement. Ainsi nous pourrions citer entre autres la prière personnelle et communautaire, l’« expériment » de pauvreté, la lecture continue de la Bible, les rencontres de prêtres et de diocèses... Et ce sont souvent les propositions qui pourraient paraître les plus audacieuses qui recueillent le plus l’assentiment de ces jeunes (une journée de désert par exemple en silence et en solitude).
Un passage obligé aujourd’hui ?
D’emblée, dans notre projet initial, nous invitions à ce que cette démarche d’année de fondation spirituelle soit demandée à tous les candidats au ministère presbytéral de la province de Rennes, étant évidemment sauve la possibilité d’exceptions relevant du discernement de chaque évêque ou délégué diocésain aux vocations. C’est la raison pour laquelle je laisse encore un point d’interrogation au titre de ce paragraphe. Mais je suis de plus en plus persuadé qu’il devrait être enlevé. Une telle année de fondation spirituelle ou de propédeutique 8 me paraît être, dans le contexte actuel, tant sociologique qu’ecclésial, une réelle chance pour un jeune qui se destine à prendre le chemin de la suite radicale du Christ dans le presbytérat.
La multiplication des propositions comme la nôtre, dans l’Église de France, me semble un signe encourageant. Par diverses manières, nous apportons ainsi une réponse aux besoins nouveaux qui naissent aujourd’hui des attentes des jeunes ; ainsi nos Églises diocésaines osent encore envoyer un message fort d’espérance en l’avenir de la vocation de prêtre diocésain. Ouvrir une maison comme celle-ci en 2007 est un acte audacieux, un pari sûrement. Mais c’est un pari nécessaire si nous voulons demain que les communautés chrétiennes soient vivantes, avec des pasteurs ancrés sur le Christ, notre rocher et ouverts au vent de l’Esprit.