En m’engageant, je suis devancé


Benoît Lecomte
diacre

Il y a quelques semaines, j’étais ordonné diacre en vue du presbytérat. Une ordination qui engage toute une vie et sur bien des aspects importants : obéissance à un évêque et incardination dans un diocèse, prière de l’Eglise, célibat… Toute ma vie est désormais tournée vers le Christ, l’Evangile, les hommes. Ou en tout cas, devrait l’être, car les conversions sont toujours à faire.
Un engagement comme celui-là, à vingt-six ans, ne peut et ne doit pas se prendre à la légère. Mais s’il est pris, c’est avant tout parce qu’il ouvre l’avenir, parce qu’il est plein de promesses !
Pas question ici de retracer tout un parcours : l’exercice demanderait plus de place que ces quelques lignes et serait très vite inintéressant pour le lecteur. Mais pour prendre un tel engagement devant les hommes et devant Dieu, quatre mots m’ont guidé tout le temps du discernement et peuvent encore m’aider et m’accompagner sur ma route : confiance, liberté, fidélité, partage.

La confiance, c’est celle que l’on m’a faite à de nombreux moments de ma vie. Celle de mes parents, qui me laissent partir de la maison pour apprendre le métier que je voulais faire, puis qui me donnent « carte blanche » lorsque je leur annonce mon entrée au séminaire. Celle de cette association et de ces animateurs qui, de stagiaire BAFA à directeur de centre de vacances, m’ont permis de me construire en tant qu’homme et en tant que chrétien, baptisé. La confiance encore que m’ont donnée des responsables d’Eglise en m’embauchant pour deux ans au service d’un diocèse, alors qu’ils ne me connaissaient pratiquement pas. Confiance qu’à mon tour je dois donner à ceux que je rencontre, à ceux avec qui je travaille, à ceux même qui viennent me bousculer en apportant des idées nouvelles… Confiance, encore, en l’avenir qui, même s’il n’apparaît pas toujours rose, ne peut se refermer irrémédiablement sur l’homme. La vie vaudra toujours le coup d’être vécue !

La liberté, c’est celle sans qui rien n’est vrai. Liberté intérieure, qui fait que chaque pas est posé sans contrainte, que chaque décision est prise en conscience. Grâce à elle, chaque engagement, si petit soit-il, ouvre un avenir, appelle à un bonheur plus grand. Grâce à elle, chaque engagement fait grandir celui qui le prend.
La liberté, c’est aussi celle qui est laissée par les autres, ceux qui nous entourent. Elle n’est pas d’abord une liberté qui ne me touche pas, qui voudrait surtout ne pas m’effleurer pour ne pas m’influencer. Elle est un appel, une liberté qui appelle toujours à sortir de soi pour grandir avec d’autres. Lorsque l’on fait l’expérience de cette liberté, alors on entend d’autant mieux l’appel qui nous est lancé par Dieu et par la bouche des hommes.

La fidélité, c’est celle que l’on promet, un jour, devant une assemblée. Une fidélité à un état de vie (célibataire), et à une mission (diacre, prêtre : « Veux-tu conformer toute ta vie à l’exemple du Christ ? » m’a-t-on demandé pendant l’ordination). Fidélité dans le temps et dans les épreuves qui se présenteront certainement. Fidélité à une réponse, le « oui » prononcé en Eglise, comme le roc sur lequel désormais toute la vie devra et pourra être bâtie. Mais un oui « avec la grâce de Dieu ». Car le premier à être fidèle, dans cet engagement, c’est Dieu lui-même. Il a été fidèle, et même persévérant parfois, durant tout le temps de l’appel et du discernement… Il le sera, c’est sûr, durant tout le temps de la mission !

Cette fidélité, cette liberté et cette confiance ne se vivent pas sans les autres. Pas d’engagement s’il n’est pas pour d’autres, pas d’engagement s’il n’est pas avec d’autres. D’où l’importance du partage. Les lieux de discussion, de prière, de partage sont nécessaires à tout engagement, pour qu’il soit vécu sous le regard vrai, respectueux et juste de l’autre. Partage entre séminaristes ou entre prêtres, partage avec les laïcs engagés dans l’Eglise, partage avec les amis, ceux chez qui on n’a jamais peur de déranger lorsqu’on frappe à l’improviste. Ce sont ces temps de gratuité et de recul qui permettront aussi d’avoir assez d’humour, et d’abord d’humour sur soi, pour pouvoir continuer d’avancer.

On est là bien loin d’un engagement solitaire, pris à la force des bras. Au contraire, je m’aperçois en m’engageant que je suis devancé et accueilli : devancé par l’appel auquel je répond et accueilli par ceux à qui je suis envoyé. Certes il y a toujours un risque à s’engager : le risque de tomber, de faillir, de ne pas réussir… Mais ce risque est d’abord celui d’ouvrir des portes nouvelles, des chemins nouveaux, le risque de vivre avec d’autres une grande aventure dont on n’imaginait pas la beauté.