Laïcs consacrés en institut séculier


Nadège Védie
Conférence nationale des instituts séculiers en France (CNISF)

 

La vie consacrée est fondamentalement enracinée en Jésus Christ qui nous a dévoilé sa relation « chaste, pauvre et obéissante » à son Père, en nous révélant le mystère trinitaire de Dieu – Père, Fils et Esprit – qui rejoint les hommes dans toutes les dimensions de leur vie quotidienne pour y « demeurer » (cf. Jean 14) avec eux.
Si la consécration « première » est réellement celle du baptême pour tous les chrétiens, la vie consacrée revêt des formes diverses et toujours en évolution, signe de la présence variée et particulière de l’Esprit de Jésus Christ à l’œuvre dans le monde.

La dernière forme de vie consacrée promulguée par l’Église est celle des instituts séculiers. Par la constitution apostolique Provida Mater (1947), Pie XII introduit de « nouvelles aspirations à la perfection dans le monde pour obéir à un appel de Dieu 1 » ; il crée ainsi une forme nouvelle de l’état de perfection.
Provida Mater précise les éléments constitutifs d’un institut séculier : la profession des conseils évangéliques en vue de tendre à la perfection, la pratique de la vie consacrée dans le monde et avec les moyens du monde, l’engagement total dans l’apostolat.
Plus précisément, les consacrés en institut séculier (laïcs ou clercs) « s’efforcent de contribuer de l’intérieur à la sanctification du monde » (canon 710), avec les moyens du monde, « par le témoignage de leur vie chrétienne et de leur vie consacrée » (canon 713).

Confirmant les propos des précédents papes, Jean-Paul II a souligné au sujet des instituts séculiers : « Par la synthèse de la vie séculière et de la consécration qui leur est propre, ils entendent introduire dans la société les énergies nouvelles du Règne du Christ, en cherchant à transfigurer le monde de l’intérieur par la force des Béatitudes. De cette façon, tandis que leur totale appartenance à Dieu les consacre pleinement à son service, leur activité dans les conditions laïques ordinaires aide, sous l’action de l’Esprit, à donner une âme évangélique aux réalités séculières 2. »
Les lignes qui suivent porteront plus spécialement sur les laïcs ayant consacré toute leur vie à Dieu dans un institut séculier.

 

Signe du mystère de l’Incarnation

Des personnes, en France et sur tous les continents (30 000 personnes dans le monde et 2 500 en France) ont entendu un appel à vivre en profonde communion avec Dieu au cœur même de ce qui fait leur vie quotidienne ; toutes les réalités de l’existence humaine sont « prises » dans cet appel : vie familiale, professionnelle, culturelle, économique, politique, associative, spirituelle… aucune n’est étrangère à Dieu ; en assumant les mêmes conditions de vie que les hommes de leur temps, les laïcs consacrés sont, comme beaucoup de chrétiens, les témoins du respect, de l’accueil de l’autre, de la compassion et d’actes d’amour, de paix, de justice et de réconciliation. Pour les personnes engagées en institut séculier, cet « être » avec les autres hommes, dans le quotidien, est le lieu essentiel de leur consécration, de leur appel, de leur union à Dieu qui leur demande aujourd’hui de « demeurer avec Lui » au cœur de la vie de chacun.

Pour les laïcs consacrés, le monde n’est ni un décor ni un prétexte mais le lieu où se déploie leur mission : aimer chaque être humain de l’Amour de Dieu qui seul peut transformer le cœur de l’homme. Voici quelques aspects de ce type de présence spécifique au monde :
• le partage de la vie quotidienne ordinaire, commune à toutes les personnes de leur temps ;
• l’apprentissage de la confiance que Dieu a en chaque homme avec tout ce qu’il porte en lui ;
• le discernement, éclairé par l’Esprit du Christ, de ce qui « travaille » les cœurs pour y reconnaître les signes des temps, révélateurs du travail d’enfantement de l’Esprit (cf. Rm 8, 22).

Par leur « immersion » dans le monde, les laïcs consacrés vivent et sont nourris par la contemplation du travail de l’Esprit, qui leur apprend à ne jamais désespérer ; ce réel chemin de conversion est aussi celui de tous les chrétiens. Ce qui caractérise les laïcs consacrés, c’est l’accent mis sur la dimension séculière, la présence au monde en plénitude avec un cœur pour Dieu, sans partage.

Pour ces personnes, il s’agit d’un véritable état de vie, d’une « consécration séculière », à la différence des religieux qui vivent une « consécration régulière ». Leurs engagements (appelés aussi « vœux ») sont « publics », définitifs et vécus selon le charisme propre à chaque institut séculier.

En effet, la voie radicale qui est la leur, les amène à s’engager par un lien sacré reconnu par l’Église, qui atteint trois dimensions fondamentales de la personne (l’être, l’avoir, le pouvoir) et qui manifestent ainsi les trois conseils évangéliques (chasteté dans le célibat, pauvreté et obéissance). Ils aident le laïc consacré à avancer dans la voie des Béatitudes en se laissant conformer au Christ pour Le laisser convertir en lui ses puissances d’aimer, de posséder et d’agir.

Enfin, pour les personnes qui choisissent cette voie, l’engagement à la suite du Christ inclut une dimension très forte, la vie fraternelle, selon le charisme de l’institut. C’est un lieu de partage réel entre « frères », de formation, de discernement de l’appel de Dieu et de recherche de fidélité à cet appel, dans la vie quotidienne ; c’est aussi un lieu de prière, de célébrations, de vie spirituelle et d’accueil de Dieu à l’œuvre au cœur de toute créature humaine. Les temps de vie en fraternité nourrissent chacun et sont un chemin par lequel l’Esprit invite à établir concrètement, une nouvelle relation de « frères » en Jésus Christ.

En s’exprimant sur cette radicalité, un laïc consacré disait : « La radicalité n’est pas de notre côté mais du côté du Christ : seul le don du Christ est radical, un don à accueillir à travers la prière, la rencontre de l’autre, nos fraternités. Un don qui nous rejoint à la racine de notre être : racine et radicalité ont la même étymologie. Un don qui travaille l’humanité de l’intérieur, qui fait de tout homme le Temple de l’Esprit et qui nous ouvre à une autre radicalité : celle du caractère sacré de l’Homme, de tout Homme, image de Dieu et Temple de l’Esprit… celle qui fait dire ces paroles en Matthieu 25 : “J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger…” 3. »

Jean Paul II écrivait : « À l’imitation de Jésus, ceux que Dieu appelle à sa suite sont eux aussi consacrés et envoyés dans le monde pour poursuivre sa mission. De plus, sous l’action de l’Esprit Saint, la vie consacrée devient elle-même mission 4. »

 

Don fait à l’Église et au monde

Par leur présence au cœur du monde comme « ferment et lumière », les laïcs consacrés participent, à leur manière, à la mission de l’Église d’annoncer l’Amour de Dieu pour tout homme ; en tant que membres de l’« Église-Corps du Christ », ils sont présents dans les réalités concrètes de notre monde – où l’Église ne peut pas toujours agir en tant qu’institution – pour y être signes que tous les aspects et les lieux de la vie de l’homme ont du prix aux yeux de Dieu. Seul Jésus Christ peut aider les hommes à découvrir le sens, comme Il l’a fait cheminant avec les pèlerins d’Emmaüs et leur donnant son Esprit.

Les laïcs consacrés sont aussi, à leur manière propre, un signe du « prolongement dans le monde d’une présence spéciale du Seigneur ressuscité » pour répondre à l’attente de la société d’aujourd’hui « de voir en eux le reflet concret de la façon d’agir du Christ, de son amour pour chaque personne, sans distinction ou adjectifs qualifiants 5 ».

Le Catéchisme de l’Église catholique, en précisant que « l’institut séculier est un institut de vie consacrée où les fidèles vivant dans le monde tendent à la perfection de la charité et s’efforcent de contribuer, surtout de l’intérieur, à la sanctification du monde 6 », éclaire le rôle particulier de la consécration séculière.

Les membres d’instituts séculiers participent ainsi, avec les hommes de leur temps, à l’accueil d’un Don qui travaille l’humanité de l’intérieur et qui fait de l’homme le temple de l’Esprit, un lieu sacré, quelles que soient ses blessures et limites.

Paul VI déclarait aux responsables généraux des instituts séculiers : « Vous enrichissez l’Église d’aujourd’hui en donnant un exemple particulier de sa vie “séculière” vécue d’une façon consacrée et un exemple particulier de sa vie “consacrée” vécue de façon séculière 7. »

Jean-Paul II rappelle dans Vita consecrata qu’« aux personnes consacrées, il est demandé d’être véritablement expertes en communion et d’en pratiquer la spiritualité, comme témoins et artisans du projet de communion qui est au sommet de l’histoire de l’homme selon Dieu… une spiritualité de communion consiste avant tout en un regard du cœur porté sur le mystère de la Trinité qui habite en nous, et dont la lumière doit aussi être perçue sur le visage des frères qui sont à nos côtés 8. » La vitalité de l’Église se déploie avec le travail de l’Esprit qui s’exprime à travers les différentes formes de vie consacrée pour que le Dieu Trinité puisse habiter au cœur du monde.

 


1 - Pierre Langeron, Les Instituts séculiers, une vocation pour le nouveau millénaire, Paris, Cerf, coll. « Droit canonique », 2003.
2 - Jean-Paul II, exhortation apostolique post-synodale Vita consecrata, n° 10.
3 - Annette Godart in Pleinement consacrés et pleinement dans le monde : le défi des instituts séculiers, Saint-Maur, Parole et silence, coll. « Signatures », 2007.
4 - Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique, Repartir du Christ. Un engagement renouvelé de la vie consacrée au troisième millénaire, 19 mai 2002.
5 - Ibid.
6 - Catéchisme de l’Église catholique, n° 928-929.
7 - Paul VI, Discours aux responsables généraux des instituts séculiers, le 20 septembre 1972. 8 8- Jean-PaulII, exhortation apostolique post-synodale Vita consecrata (25 mars 1996).