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Un évêque devant le développement des "familles spirituelles"
archevêque de Bordeaux
Chers Pères, chères Sœurs, chers amis,
Je vous remercie de m’avoir invité à participer ce soir à cette table ronde. Je m’y situerai comme évêque, réfléchissant sur tous ces changements qui marquent, sur le terrain, notre vie ecclésiale.
Ce désir de laïcs de se rattacher à des ordres, des congrégations religieuses ou à des sociétés de vie apostolique est ancien. Il traverse toute l’histoire de l’Église et ce fait lui-même donne à penser. Mais je vois apparaître, depuis près d’une vingtaine d’années, des formes nouvelles de demande d’association. […]
Les mises en œuvre de cette association sont – vous le savez – très diverses : certains sont davantage preneurs de la spiritualité d’une famille religieuse, d’autres de sa mission. D’autres encore se trouvent en situation de collaborateurs, engagés dans les œuvres d’une congrégation et chargés de mener un projet au nom de celle-ci. Les différentes composantes de cette association des laïcs (découverte du charisme propre, participation à la spiritualité, vie fraternelle et mission) vont être honorées mais avec des accents différents. D’où la multiplicité de formes que prennent aujourd’hui ces associations de laïcs. Je ne vais pas me risquer à en faire l’énumération ni la typologie. Je souhaite simplement voir avec vous ce qui s’exprime dans ces initiatives actuelles de la vie de notre Église et relever quelques questions.
Les besoins révélés par l’appartenance à une “famille spirituelle”
En regardant les laïcs que je connais, qui ont voulu faire partie d’une « famille spirituelle », je constate les motivations suivantes.
Un désir de ressourcement et de spiritualité
Beaucoup ont pris conscience qu’ils avaient à vivre leur vie baptismale, leur vie de disciples et de témoins du Christ, au cœur d’une société qui ne porte pas à ça, qui ne donne pas beaucoup de place à la transcendance et dont les valeurs qui l’animent sont loin d’être les valeurs évangéliques. Ils éprouvent le besoin de se ressourcer, de se retrouver face à Dieu, face à eux-mêmes, pour être davantage disponibles aux autres. Dans un environnement qui ne conduit ni à la confiance, ni à l’espérance, ils souhaitent s’enraciner encore davantage dans ces valeurs évangéliques qu’ils découvrent comme fondamentales, en particulier, dans un contact avec une famille spirituelle.
Un désir de répondre concrètement à un appel universel à la sainteté
Ces laïcs ont entendu cet appel universel à la sainteté dans l’Église qu’est venu souligner le concile Vatican II dans sa constitution sur l’Église Lumen Gentium : « Il est donc bien évident pour tous que l’appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s’adresse à tous ceux qui croient au Christ, quels que soient leur état ou leur rang. » Il faut noter d’ailleurs que dans la lecture des textes du Concile, après qu’on se soit beaucoup arrêté sur le chapitre 2 (le peuple de Dieu) on est aujourd’hui plus attentif à d’autres chapitres, dont ce chapitre 5.
Mais cet appel va résonner de manière plus concrète dans la découverte de la vie d’un saint, d’un fondateur, de son charisme et de la façon dont une famille spirituelle le met en œuvre très concrètement. Il y a une manière originale d’incarner l’Évangile chez un saint et un bienheureux, une manière qui touche les cœurs et les esprits, et beaucoup de laïcs sont sensibles à ce témoignage (cf. béatification de Sr Marie-Céline de la Présentation) Nous sommes à une époque qui a plus besoin de témoins que de maîtres (cf. Paul VI).
On sent également chez certains le désir de vivre dans leur vie et leurs engagements quelque chose du radicalisme évangélique.
Un désir d’accompagnement spirituel et de formation
Un certain nombre de laïcs que je connais ont trouvé dans la « famille spirituelle » un lieu d’initiation à la prière, à la vie spirituelle, une règle de vie, un lieu de partage, d’expression personnelle de sa foi et de formation. C’est l’occasion pour certains de demander à des religieux, à des religieuses, à des personnes consacrées un accompagnement spirituel personnel, un lieu d’écoute qui existe rarement aujourd’hui dans notre société.
Un désir de communauté fraternelle
Ces laïcs apprécient de trouver dans une « famille spirituelle » une expérience communautaire de prière, de partage et de réflexions fraternels, un lieu de soutien spirituel, de compagnonnage dans la foi, de réelle fraternité. Le fait de se retrouver dans certaines familles spirituelles entre états de vie différents est vu comme une véritable richesse. Les différences de ministères ou d’états de vie ne sont pas niées mais c’est l’expérience du « nous » ecclésial, du « nous » baptismal, qui est avant tout recherchée et appréciée.
Un désir de catholicité et d’ouverture sur l’universel
Dans un compagnonnage avec des congrégations religieuses ou des sociétés de vie apostolique missionnaires, des laïcs, souvent déjà sensibilisés à cette ouverture à l’universel, apprécient de pouvoir partager avec ces « familles spirituelles » des relations avec des communautés ecclésiales d’autres continents. Il y a là un apprentissage à la véritable catholicité de l’Église. Je pense aussi à l’expérience qui est celle de coopérants ou de volontaires qui sont partis servir en dehors de France et qui se sont trouvés très en lien sur le terrain de la mission avec une congrégation religieuse ou une société de vie apostolique.
Un désir d’être soutenu dans sa mission
Pour la plupart des « laïcs associés », le ressourcement recherché est en lien direct avec la mission qui est la leur d’être témoins du Christ, de témoigner de l’Évangile dans leur vie quotidienne. Pour certains, il y un appel à s’investir dans le champ de mission plus particulier d’une famille religieuse, dans le champ caritatif, éducatif, sanitaire, auprès des plus pauvres. Le charisme d’un fondateur ou d’une congrégation est une source importante d’inspiration qui colore la mission dans laquelle on sent un appel à s’engager. Je pense là tout particulièrement à tous ceux et celles qui sont en situation de collaboration avec des congrégations, par exemple les chefs d’établissement, certains membres du corps enseignant ou du personnel éducatif d’établissements sous tutelle congréganiste. Il y a des cas où la tutelle reste formelle, surtout de type administratif. Mais il y en a d’autres où la tutelle est active, organise des rencontres, des moments de formation mais surtout porte le souci de faire vivre aujourd’hui le charisme initial, la dynamique originale de la famille spirituelle, la spécificité de sa mission. Il arrive à certains laïcs de se trouver aussi en situation de responsabilité de tutelle congréganiste.
Questions pour la vie ecclésiale
Je voudrais souligner plusieurs points.
L’importance des communautés associatives dans l’Église à côté des communautés hiérarchiques
Je renvoie ici à la distinction que proposent plusieurs canonistes dans le Précis Dalloz sur le droit canonique, en particulier p. 662 : « Les personnes morales canoniques ainsi que certaines personnes juridiques canoniques telles que le diocèse, la paroisse et l’aumônerie sont ecclésiologiquement et canoniquement de nature hiérarchique. D’autres personnes juridiques sont ecclésiologiquement et canoniquement de nature associative, telles que l’institut de vie consacrée (institut religieux, institut séculier), la société de vie apostolique, mais aussi par définition même des associations canoniques publiques ou privées de fidèles. » Je trouve que ces communautés associatives que sont les « familles spirituelles » sont véritablement une richesse et un don de Dieu pour l’Église aujourd’hui. Elles me paraissent aussi une bonne réponse aux aspirations des hommes et des femmes de notre temps : recherche spirituelle, liberté de choix, groupe fraternel choisi où on peut parler et échanger, accompagnement spirituel, proposition d’un chemin concret de sainteté. Il y a là une prise en compte de ce qui s’exprime comme désirs dans notre société marquée par l’individualisme et la recherche de l’épanouissement personnel. Mais en même temps, il y a conversion de ces désirs dans ce qu’ils peuvent avoir de trop narcissique ou de trop égocentré. Le chemin qui est proposé au sein de ces familles spirituelles, c’est celui du Christ, celui d’une vie donnée, livrée, avec tout ce que cela demande comme décentrement par rapport à soi.
L’apport aux communautés religieuses elles-mêmes
Il y a dans l’expérience de ces « familles spirituelles » un véritable apport mutuel. Les congrégations religieuses, les sociétés de vie apostolique ou les instituts séculiers partagent avec des laïcs le souffle spirituel qui les fait vivre, le charisme dont ils sont porteurs. Mais les laïcs apportent à leur tour leur propre façon de se saisir de ce charisme et de ce souffle et d’en vivre, dans un tout autre contexte que celui de la communauté religieuse ou de l’institut. C’est parfois un étonnement pour ces communautés et un émerveillement, surtout à un moment où les vocations à la vie religieuse ou à la vie consacrée se font plus rares. Je sens qu’il y a dans cet échange mutuel, où chacun reçoit et donne, une source nouvelle de dynamisme spirituel et d’espérance.
Des questions posées aux paroisses
On trouve beaucoup de ces laïcs associés engagés dans la vie des paroisses ou la vie de leur diocèse. Ils ne voient pas d’antagonisme entre leur double appartenance. Et cela est bien. J’ai dit d’ailleurs un peu plus haut qu’il fallait distinguer entre communautés associatives et communautés hiérarchiques, c’est-à-dire communautés chargées de communiquer le salut du Christ aux hommes à travers la proclamation de la Parole, la célébration des sacrements, et la responsabilité du rassemblement ecclésial. Dans ces communautés hiérarchiques le ministère pastoral des évêques et des prêtres a tout particulièrement une valeur structurante.
Cette distinction posée, on peut cependant s’interroger sur la façon dont la vie paroissiale répond aujourd’hui aux attentes spirituelles de beaucoup de nos contemporains.
Ne risque-t-on pas d’être surtout soucieux du « faire », d’organiser la vie de la paroisse, d’être préoccupé d’abord par le souci de trouver des gens pour remplir les services nécessaires à cette vie ?
Prend-on suffisamment de temps pour permettre aux personnes de se nourrir spirituellement, de vivre leur baptême avec tout son dynamisme, de faire une relecture spirituelle de ce qu’elles ont vécu ? Faut-il que des personnes s’arrêtent dans leur engagement, pour « souffler » et se ressourcer, ayant l’impression de « s’être vidées spirituellement » ?
Ne faut-il pas développer des relations fraternelles dans des groupes plus petits que l’assemblée dominicale, pour vivre une réelle fraternité ? Certes, la relation hiérarchique est inhérente à la vie paroissiale. Le curé, par exemple, n’a pas tout à fait la même responsabilité qu’un paroissien. Mais la relation hiérarchique n’épuise pas le tout de la relation. Le prêtre (et le diacre) n’est-il pas lui aussi un baptisé qui doit vivre son baptême et alimenter sa foi comme tous les autres baptisés et avec eux ?
Tout cela est vrai. Mais il me faut ajouter que ce que je constate aussi, c’est la prise de conscience progressive de ces interrogations par de plus en plus de paroisses et leur désir d’y répondre.
Je pense que l’expérience des laïcs associés vient ainsi questionner notre Église et la remettre devant l’essentiel de ce qui doit être sa vie : accueillir le don gratuit du salut par Dieu et y répondre gratuitement.
Je n’ai pas abordé volontairement dans ce rapide exposé la situation des communautés nouvelles ou celle des prêtres diocésains qui ont désiré appartenir à une des familles spirituelles dont nous venons de parler. Il y aurait bien des rapprochements à faire et quelques distinctions à opérer avec ce qui a été dit à propos des « laïcs associés ». Mais c’est peut-être l’enjeu d’une table ronde d’élargir le débat.
Texte paru dans les Actes du rassemblement religieux-laïcs :
« Les familles spirituelles : un nouveau visage d’Église ? Vous serez mes témoins ». Publié avec l’aimable autorisation de la CSM et de la CSMF.