A la recherche des bonnes nouvelles


Guillaume Goubert
rédacteur en chef à La Croix

 

Au cours des dix dernières années, la diffusion de La Croix a connu une progression de près de 15 %. Progression surprenante alors que ce quotidien se situe sur deux marchés en régression : le nombre des lecteurs de presse quotidienne payante est en diminution, celui des catholiques aussi.

Parmi les explications que l’on peut donner à cette évolution à contre-courant, il y en a une qui semble jouer un rôle important : nos lecteurs apprécient de trouver dans La Croix davantage de « bonnes nouvelles » que dans les autres médias. Ils sont sensibles à notre volonté de mettre en valeur les faits qui nous paraissent « porteurs d’espérance ». Notre quotidien est désormais connu pour donner une priorité aux informations positives.

Cette caractéristique rédactionnelle n’est pas née d’un « positionnement », au sens marketing du terme. Les responsables de La Croix ne se sont pas mis un jour autour d’une table pour une séance de remue-méninges sur le thème : comment se distinguer des autres quotidiens ? Cette prime aux bonnes nouvelles, elle s’est imposée toute seule dans ce qui constitue depuis longtemps notre projet : porter un regard chrétien sur les événements du monde. Si nous voulions être fidèle à cette promesse, l’espérance ne pouvait être absente de notre hiérarchie de l’information.

Ce sont en fait les réactions de nos lecteurs qui nous ont fait découvrir le prix qu’avait à leurs yeux cette part d’espérance. Nous avons ainsi longtemps privilégié les informations positives, comme M. Jourdain faisait de la prose : sans (vraiment) le savoir. Et c’est bien ainsi : il est préférable dans ce domaine de garder une certaine ingénuité, de se préserver de tout cynisme.

Pour tirer quelques leçons de cette expérience, il faut d’abord essayer de comprendre pourquoi les mauvaises nouvelles tiennent tant de place dans les médias. On peut d’abord répondre par des adages célèbres parmi les journalistes : « Les trains qui arrivent à l’heure n’intéressent personne. » Ou, avec un peu plus d’ironie : « Un chien qui mord un homme, ce n’est pas une information ; un homme qui mord un chien, c’est une information. » Ce qui « fait nouvelle », selon l’expression italienne, c’est ce qui crée une rupture dans le cours habituel des choses. Une rupture est souvent quelque chose de brusque, qui déstabilise et qui inquiète.

Pour sa part, le philosophe Michel Serres, dans un entretien accordé à La Croix en octobre 2006, poussait la réflexion un peu plus loin en insistant sur la propension des médias à privilégier le spectaculaire dont l’essence, disait-il en citant Aristote, est « la terreur et la pitié ». Cette propension, soulignons-le au passage, se développe d’autant plus qu’elle répond à une attente instinctive de tout un chacun. Qui n’a pas été captivé un jour par des images de catastrophe ?

La prédominance des mauvaises nouvelles est alimentée enfin par un troisième phénomène : la volonté de mettre en lumière les drames du monde, non pour désespérer mais au contraire pour mobiliser. Lorsque de grandes associations tirent la sonnette d’alarme, annoncent une catastrophe humanitaire au Darfour ou à Gaza, c’est pour inciter à l’action, parce qu’il est possible de faire quelque chose.

Tout cela, en tout cas, peut finir par susciter en nous un sentiment qu’exprimait bien une chanson de Stephan Eicher en 1991 (les paroles sont du romancier Philippe Djian) : « J’abandonne sur une chaise le journal du matin. Les nouvelles sont mauvaises d’où qu’elles viennent. » Or, cette masse des informations sombres – à la fois réelles et montées en épingle – fait en réalité obstacle à notre perception des choses. Elle empêche de voir et de mesurer les formidables changements que traverse notre époque et qui, pour beaucoup d’entre eux, représentent d’authentiques progrès sur lesquels personne ne souhaiterait revenir.

Dans les années 1960, l’Inde connaissait encore de meurtrières famines. En France, en 1954, année où l’abbé Pierre lançait son célèbre appel, à peine plus d’un quart des logements (26,6 % selon les statistiques de l’Insee) étaient équipés de WC intérieurs.

Il faut mesurer le chemin heureusement parcouru par l’Asie vers la sécurité alimentaire, par la France vers de meilleures conditions de vie pour le plus grand nombre. Ce qui n’empêche en rien de se mobiliser pour remédier à la malnutrition dont souffrent de nombreux Indiens. Et pour donner un toit à ceux qui, en France, ne parviennent pas à se loger dignement.

Il y a donc des informations qui donnent envie de vivre et d’agir, qui montrent que l’homme n’est pas condamné à subir on ne sait quelles forces obscures le conduisant à sa perte. Comment alors trouver ces bonnes nouvelles à apporter à nos lecteurs ?

La première conviction qu’il faut avoir, c’est qu’elles existent. Parfois de manière évidente : ainsi lorsque Nelson Mandela et Frederik De Klerk ont conclu, en 1991, les accords qui ouvraient la voie au démantèlement de l’apartheid en Afrique du Sud. Parfois, c’est beaucoup plus ténu, fragile. Comme par exemple les bribes de dialogue de ces derniers mois entre Turcs et Arméniens.

Dans les deux types de cas, il faut résister à une tentation, celle du « cela ne marchera pas ». Tentation justifiée. Comment ne pas s’en souvenir avec tristesse : dans les années 1990, on a cru à la paix entre Israéliens et Palestiniens. Mais le risque de l’échec justifiait-il de ne pas saluer et encourager ce processus ? Car cela aurait pu marcher : l’exemple de l’Afrique du Sud ou de l’Ulster le prouvent.

Et qui sait ? Ce qui a été tenté et vécu alors a peut-être laissé des traces dans les esprits qui aideront, un jour, à construire autre chose entre les deux peuples. C’est un peu ce qu’exprimait l’écrivain israélien David Grossman au lendemain de la visite de Jean-Paul II en Terre sainte, en mars 2000 (quelques mois avant que n’éclate la deuxième intifada) : « Je ne sais pas ce qu’il restera de tout cela après son retour à Rome. Probablement recommenceront les animosités et les conflits. Mais, pendant une semaine, nous avons senti le souffle d’un esprit différent, un esprit de réconciliation et d’une vie libérée de la haine. Pour ce petit grand miracle, moi, juif et non-croyant, je lui dis : merci, Jean-Paul II. »

D’autres bonnes nouvelles sont moins aisées à déceler car elles ne se font pas remarquer. Là aussi, des proverbes le disent bien : « Les gens heureux n’ont pas d’histoire. » Ou encore : « Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse. » Les trouver demande donc un certain état d’esprit, un certain entraînement. Une forme d’hygiène mentale, un peu comme dans cette jolie phrase de Jacques Prévert : « Il faudrait essayer d’être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple. »

Les bonnes nouvelles, il est nécessaire aussi de leur faire de la place. Car elles paraissent rarement urgentes face aux malheurs du monde. C’est pourquoi, dans La Croix, nous avons créé des rubriques destinées à les abriter : « Ce qui va mieux », « Une idée pour agir ». À la fois pour mettre ce type d’informations en valeur et aussi, avouons-le, pour nous pousser à en chercher.

Il est important, à ce stade, de préciser qu’il ne s’agit en aucune manière de peindre la réalité en rose. Nous ne cherchons pas à passer sous silence les mauvaises nouvelles. Elles existent bel et bien. Chanter « Tout va très bien, Madame la Marquise » ne serait pas une manière chrétienne de regarder l’actualité.

Notre volonté de ternir les deux bouts de l’actualité, l’ombre et la lumière, trouve son fondement dans l’ouverture de la constitution pastorale Gaudium et Spes que s’est donnée l’Église lors du concile Vatican II. Ces deux mots, parce qu’ils forment le titre, nous font oublier la suite de la phrase. Il faut la citer en entier : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. » Les tristesses et les angoisses de l’humanité méritent toute notre attention.

Ajoutons que passer sous silence ou minimiser les mauvaises nouvelles serait une manière très sûre de dévaloriser les bonnes nouvelles que nous publions. Celles-ci ne sont crédibles que si elles trouvent leur juste poids dans l’actualité.

Autre réflexe à acquérir, celui de s’interroger : les mauvaises nouvelles sont-elles aussi mauvaises qu’il apparaît en première analyse ? Il faut faire l’effort de regarder les choses autrement. Se décaler, se décentrer. Ajouter une dose d’humour peut y aider.

Lors de l’assemblée pour l’Europe du Synode des évêques qui se tint à Rome en octobre 1999, les premières interventions furent extrêmement pessimistes. Le rapport introductif insistait sur tous les symptômes de la crise que traverse le catholicisme en Europe, notamment en matière de vocations sacerdotales.

Comme souvent en pareil cas, l’excès de noirceur suscita le lendemain une contre-vague d’interventions exprimant davantage de confiance en l’avenir. Notamment celle de Mgr Josef Zycinsky, archevêque de Lublin, en Pologne : « Il est vrai que certaines statistiques actuelles auraient tendance à accroître notre pessimisme. Mais quelles statistiques aurions-nous pu attendre le Vendredi saint ? Un seul des Douze était présent sur le Golgotha au moment de la crucifixion. Ce qui nous donne un taux de 8,5 % pour la solidarité des apôtres envers le Christ mourant. En même temps, cela nous indique que le pouvoir rédempteur de la Croix et de la résurrection du Christ est beaucoup plus important que nos analyses sociologiques ou nos projets pragmatiques. »

Bel exemple d’un esprit qui ne se soumet pas à la dictature des chiffres (une des grandes plaies de notre époque) et qui nous amène à voir la réalité sous un autre angle.

De la même manière, un titre récent de La Croix a eu beaucoup de retentissement parmi nos lecteurs : « Et si la crise était une chance ? » Ce jour-là, nous avons essayé dans notre dossier d’ouverture de montrer que la tourmente actuelle offrait une occasion de bâtir un fonctionnement économique moins dominé par la finance et le court-terme, d’amorcer enfin cette croissance verte et durable dont on parle depuis tant d’années.

On aurait pu s’attendre à des lettres de lecteurs choqués d’une telle approche : comment osez-vous présenter comme quelque chose de positif cet événement qui signifie des pertes d’emploi en très grand nombre, la ruine pour beaucoup d’épargnants ? Cela n’a pas été le cas. Ce qui montre la disponibilité du public à ce type d’approches.

Quelque chose semble d’ailleurs être en train de bouger chez nos confrères. Il est frappant de constater que la plupart des quotidiens, à un moment ou à un autre depuis que la crise financière a éclaté, ont bâti des dossiers pour souligner les éléments de confiance demeurant dans la tourmente.

Il est significatif qu’une agence d’information dénommée Reporters d’espoir se soit constituée il y a quelques années, proposant des articles sur des faits « porteurs de solutions », notamment dans le domaine de l’économie sociale, du commerce équitable… Plus significatif encore : deux années de suite, le quotidien Libération a monté un numéro spécial avec Reporters d’espoir. Si l’opération a été rééditée, c’est que les retours en provenance des lecteurs ont été bons.

Longtemps, les médias ont refusé de s’interroger quant à leur impact sur le moral des ménages. La profession semblait considérer que son seul devoir était d’apporter à la connaissance de ses lecteurs ou auditeurs les nouvelles les plus importantes – c’est-à-dire, comme on l’a vu, les plus dramatiques.

Désormais, les médias semblent donc commencer à s’interroger. Ils en ont sans doute assez de constituer en quelque sorte le plus puissant dépressif non chimique en vente sur le marché. Et cette prise de conscience constitue… une bonne nouvelle.