Conditions et enjeux d’une "communication positive"


Pascal Bourgue
diacre permanent,
directeur de la communication d’une grande entreprise française

 

Nous vous proposons ici de très larges extraits de cette intervention, donnée le 15 mai 2008 lors de la journée de formation permanente des responsables des services diocésains des vocations, sur le thème « Comment communiquer “positivement” sur les vocations ? »

Je suis heureux d’être parmi vous pour parler d’un sujet important et vital pour l’Église : les vocations. Vous avez raison de vouloir communiquer sur les vocations et vous avez raison de prendre du temps pour prier et réfléchir à la communication sur les vocations. Quel discours positif sur les vocations ?

Les enjeux d’une communication positive dans les médias, c’est un vaste sujet où l’on pourrait parler des médias, des cibles, des techniques de communication et des occasions de communiquer. J’ai choisi dans un premier temps de tenter de répondre à la question : quelles sont les conditions d’un message positif sur les vocations ? Quel message positif sur les vocations veut-on faire passer ? Quelle trace positive veut-on laisser après notre communication ?

Pour cela je vous propose quelques pistes : la préparation de l’intervenant, le cœur de la communication, puis nous parlerons de la mission, de la formation et de l’Église. Dans un deuxième temps, nous parlerons de la communication en réseau et des médias adaptés à la communication sur les vocations.

 

Les conditions d’un message positif sur les vocations

La préparation de l’intervenant

Pour avoir un discours positif sur les vocations, il faut se préparer ou préparer la personne à construire et à formuler le contenu du message. C’est le plus important et le plus difficile. Rares sont les communications réussies dans les médias sans préparation. Je peux dire que cela n’existe pas. Tous les intervenants sont longuement préparés par des conseillers en communication ou des agences spécialisées. Les dirigeants d’entreprises, les hommes politiques passent beaucoup de temps pour construire un discours positif. Ils ont beaucoup de réunions préparatoires, de répétitions et de trainings.

Pour parler des vocations, nous aurons besoin bien sûr de ces préparations et de ces répétitions. Il ne faut pas les négliger, mais il convient d’aborder ce travail dans la prière en invoquant l’Esprit Saint pour grandir en intériorité, pour rester, si je puis dire « branché » sur le Christ. C’est une exigence mais cela donne aussi une grande liberté. Je vous invite à lire Jean 15, 1-17. Chacun refera une lecture appropriée de ce texte avec des mots qui résonnent différemment pour chacun : les mots de serviteurs, d’amis, de disciples. Ce qui est certain, c’est qu’il y a deux interpellations très fortes. Si vous demeurez en moi, si vous vous aimez les uns les autres, vous porterez du fruit. Le désir du Père, c’est que nous portions du fruit que notre fruit demeure. Et, le seul fruit qui demeure c’est la charité, c’est l’amour. Une vie spirituelle « branchée sur le Christ » va se traduire par un comportement de charité. C’est cette vie de charité, nourrie par la prière et le service, qui est la meilleure préparation à une communication positive sur les vocations.

 

Que doit être le cœur de cette communication ?

Il nous faut, me semble-t-il, témoigner d’une rencontre avec la personne du Christ. Ce qu’attendent les médias, c’est de voir comment Dieu a rejoint une personne dans son parcours à l’occasion d’un événement de sa vie […]. Dans l’évangile (Mc 8, 27-33) Jésus nous pose cette question : « Mais pour vous, qui suis-je ? »

[…] Je connais une paroisse qui pendant plusieurs années a tenté de répondre à cette interrogation. Je vous invite à faire l’exercice et à répondre par écrit en quelques lignes à ce questionnement. Pourquoi ? Parce que, quand on répond à l’appel d’une personne, il est important de donner envie à d’autres de suivre cette personne, comme un ami parle de son ami. « Mais pour vous, qui suis-je ? » (Mc 8, 29). La réponse à cette question, il faut que nous soyons capables de la dire, de la formuler.

Une des façons de répondre à cette question est de contempler (Jn 13, 1-18) le Christ serviteur. Serviteur du Père, serviteur des plus pauvres, des plus démunis. […]

J’ai entendu le Père Ceyrac commenter ce passage d’évangile le visage illuminé d’un grand sourire, le même sourire que sœur Emmanuelle ou celui qu’avait Mère Térésa. Ces personnes sont habitées d’une immense joie et elles n’ont pas peur de dire qu’elles vivent du compagnonnage de notre Seigneur Jésus-Christ.

[…] C’était à Rome, le 20 décembre dernier, quand le président de la République a rencontré Benoît XVI. Son allocution sur la vocation religieuse a été très médiatisée car elle est inhabituelle dans la bouche du président d’une république laïque. Elle a suscité et suscite encore beaucoup de controverses et polémiques dans toute la presse. […] Revenons quelques instants sur le contenu de cette déclaration, sur ce que le président de la République appelle la laïcité positive, c’est-à-dire une laïcité, qui tout en veillant à la liberté de penser, de croire et de ne pas croire, ne considère pas que les religions sont un danger mais plutôt un atout.

« Je souhaiterais, dit-il, me tourner vers ceux d’entre vous qui sont engagés dans le sacerdoce ou qui suivent actuellement leur formation de séminariste.
Ce que je veux vous dire ce soir, en tant que président de la République, c’est l’importance que j’attache à ce que vous faites et, permettez-moi de le dire, à ce que vous êtes. Votre contribution à l’action caritative, à la défense des droits de l’homme et de la dignité humaine, à la formation des intelligences et des cœurs, à la réflexion éthique et philosophique, est majeure. Elle est enracinée dans la profondeur de la société française, dans une diversité souvent insoupçonnée, tout comme elle se déploie à travers le monde. Je veux saluer notamment nos congrégations, les Pères du Saint-Esprit, les Pères Blancs et les Sœurs Blanches, les Fils et Filles de la Charité, les Franciscains missionnaires, les Jésuites, les Dominicains, toutes ces communautés qui, dans le monde entier, soutiennent, soignent, forment, accompagnent, consolent leur prochain dans la détresse morale et matérielle.
En donnant en France et dans le monde le témoignage d’une vie donnée aux autres et comblée par l’expérience de Dieu, vous créez de l’espérance et vous faites grandir des sentiments nobles. C’est une chance pour notre pays, et le président que je suis le considère avec beaucoup d’attention. Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance. »

[…] Même si l’on sait très bien que ce n’est pas Nicolas Sarkozy qui a écrit ce discours, le fait que le chef de l’État s’exprime sur la vocation sacerdotale et religieuse en ces termes est un exemple inattendu de « communication positive » sur le sujet qui nous intéresse aujourd’hui. Nous verrons cependant, un peu plus loin, que les médias utilisés ne sont pas adaptés aux objectifs que nous poursuivons.

 

Une « communication positive » sur les vocations, c’est aussi parler de la mission du prêtre ou du consacré

Dans l’entreprise, on appelle cela la feuille de route ou la description de fonction. Ce qui est intéressant, c’est de parler de l’origine de la mission du prêtre. Jésus, dès le début de son ministère, « appela à lui ceux qu’Il voulut […] Il en institua Douze pour être avec lui et pour les envoyer prêcher » (Mc 3, 13-14). Les prêtres comme les apôtres continuent la propre mission du Christ : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn, 20-21).

Et là, la communication doit montrer des hommes et des femmes en situation dans leur paroisse, leur communauté, en évoquant, la diversité des situations des personnes, ainsi que leur richesse.

Regardez comment sont réalisés les films de recrutement dans la Marine nationale. On voit des jeunes en situation de travail dans un sous-marin ou sur des dragueurs de mines. On voit à l’entraînement des commandos de marine en pleine action, parachutés en mer. Les prêtres aussi sont parfois un peu parachutés dans leur paroisse.

Vous le savez bien, peu de gens savent ce que fait un prêtre, quel est son quotidien. Peu de gens connaissent personnellement un prêtre. S’il faut donc parler du contenu de la mission, il faut aussi le faire positivement. Un séminariste me disait récemment : « Je remercie les quelques prêtres qui ont su me dire très simplement : “je ne regrette pas, tu sais, c’est vraiment un beau parcours, répondre à cet appel, ça vaut la peine !” et ce qui m’a séduit, c’est qu’ils savent dire leur joie d’être prêtre. »

Ces images de prêtres en situation, permettent d’imaginer, de se projeter et cela est positif. Aussi, il convient de montrer la liturgie. Une belle liturgie est une communication positive. Le soin apporté à la liturgie (que ce soit la messe ou la prière des heures), la façon dont la liturgie se déploie, les vêtements liturgiques. Tout participe à une communication positive. Les jeunes y sont sensibles. Le soin apporté par certaines communautés à la liturgie me semble intéressant. Il suffit de voir l’attraction des liturgies de Taizé : c’est très simple et c’est beau.

Au moment des JMJ à Paris, vous vous en souvenez, le cardinal Lustiger avait choisi, pour la veillée, de montrer des baptêmes d’adultes. Cette liturgie du baptême par elle-même est un acte de communication très important, à condition qu’elle soit célébrée avec intériorité. Donc, de belles célébrations liturgiques sont des actes positifs de communication sur les vocations.

 

Nous pouvons parler aussi de la formation

Parler du sérieux et du soin que l’Église apporte à la formation des futurs prêtres. Nous pouvons aussi détailler le contenu de cette formation. Le profil et la qualité des intervenants. Une formation renouvelée, repensée, en association avec d’autres diocèses peut être attractive pour les vocations.

 

Enfin, il nous faut parler de l’Église

Même si c’est une entreprise particulière, elle fait partie aujourd’hui des rares entreprises qui embauchent. Il convient de multiplier les occasions de rencontres avec les jeunes, par exemple : JMJ, forum des jeunes, salon de l’étudiant, le Frat. Cela me semble important car notre seule présence est un acte de communication. Il faut souligner l’importance de la rencontre d’un prêtre dans un chemin de vocation, qui est souvent un élément « déclencheur » ou « catalyseur ». Il faut donc des prêtres visibles dans les écoles, les collèges et lycées, les aumôneries d’établissements supérieurs. C’est capital.

Aujourd’hui, les entreprises vont plus loin, elles vont sur les campus des grandes écoles, elles vont à la rencontre des étudiants pour recruter les meilleurs. Elles expliquent leur organisation, elles louent les mérites des managers, des dirigeants, du président. Ces ambassadeurs de la marque de l’entreprise comme on les appelle, vantent les valeurs de l’entreprise, l’éthique, le développement durable, les actions humanitaires, etc.

Même si nous savons que l’Église n’est pas une entreprise, nous devons expliquer son organisation et son fonctionnement que personne ne connaît. Nous devons pouvoir parler des hommes qui la dirigent dans notre diocèse. C’est un discours positif que d’informer sur l’Église. Mais aussi, notre Église locale, son histoire, son organisation. Enfin, nous devons dire du bien de notre Église, même si elle n’est pas comme nous l’aurions rêvée. […] Personne ne sait ce qu’est un diocèse !

 

Les conditions d’une diffusion efficace d’un message sur les vocations

Maintenant que nous avons vu la préparation de l’émetteur du message et le contenu de la communication, je vous propose de parler des moyens et des conditions de diffusion de ce message. Il me semble tout d’abord que la communication sur les vocations doit se faire en réseau. Nous verrons ce que cela veut dire.

Ensuite, j’ai le sentiment que si nous voulons être efficaces, notre communication doit d’abord être une communication de proximité. On ne peut plus aujourd’hui communiquer sur les vocations avec des médias aussi puissants que la presse généraliste, la télévision ou la radio. D’abord, parce que le mot vocation n’est pas intelligible par tout le monde. Il mérite des explications et il va donc falloir communiquer de façon ciblée et en réseau.

Cibler, cela veut dire que nous allons travailler sur des fichiers, des fichiers qualifiés (c’est long à construire et c’est onéreux) mais c’est indispensable sinon notre message se perd dans la nature. Ce sera par exemple un fichier d’abonnement à une revue sur les vocations ou un fichier de donateurs. Vous comprenez bien que dans ces circonstances le discours sur les vocations est positif car il peut être compris par la cible.

Internet est aussi un outil de communication à privilégier. C’est le moyen de communication des jeunes, c’est leur outil de travail. Il permet de communiquer sur des adresses et donc à des personnes précises pour des soirées de prières, des rassemblements, des conférences, etc. Avoir un site Internet et le faire vivre, l’actualiser, me semble également indispensable. Cela veut dire qu’il va falloir faire connaître l’adresse de ce site, sinon il ne sera pas visité. Pour cela, il faut travailler en réseau. Nous ne pouvons pas rester isolés des autres structures existantes dans l’Église.

Pourquoi travailler en réseau ? D’abord, parce qu’on est plus intelligent à plusieurs que tout seul. Ensuite, parce que nos moyens sont rares et qu’il convient de les rassembler.

La communication en réseau est plus économique qu’une campagne grand public et surtout plus efficace. On peut avoir des réseaux de plusieurs nature : des correspondants dans les paroisses ou aumôneries, des correspondants dans les mouvements de jeunes, scoutismes, MEJ, clercs, chorales de jeunes, pour les JMJ, etc. Ces correspondants ont besoin de vous connaître et d’être alimentés régulièrement. Cela veut dire que ce réseau, il faut le faire vivre et l’animer.

L’efficacité du réseau dépend de la dynamique missionnaire des relais. Exemple : un ancien aumônier de fac m’a raconté qu’il y a dix ans, pour le pélé de Chartres, chaque aumônerie nommait parmi ses étudiants des « chefs de chapitre » et ces étudiants devaient trouver eux-mêmes les dix étudiants qui allaient constituer leur chapitre : les chrétiens engagés doivent être des relais.

Il faut faire preuve de créativité, d’innovation pour créer des événements. Pour cela, vous comprenez bien qu’il faut être proche du terrain et des réalités paroissiales.

Il faut savoir que le support, le vecteur du message, participe de la bonne perception du discours.

J’ai beaucoup de contacts avec les jeunes étudiants, car j’ai une activité d’enseignement. Leur mode de communication est tribal. Il y a le cercle des étudiants, du rugby, des soirées, de l’aumônerie ou du scoutisme et toute leur communication se fait par mail. Ils lisent peu la presse écrite ou s’ils la lisent, c’est sur le Net. Il nous faut à un moment ou à un autre pouvoir croiser un des cercles.

En tant que responsable de la formation des adultes pour le catéchuménat, j’ai reçu des personnes pour une démarche sacramentelle, suite à une visite sur le site du diocèse à l’occasion de l’opération Toussaint 2004.

Tout à l’heure, je vous ai donné l’exemple de la communication du président de la République, pour vous monter que même si le contenu est intéressant, elle n’est pas adaptée à notre objectif.

Premièrement, l’émetteur n’est pas légitime pour s’exprimer sur ce sujet. Mais surtout les relais médiatiques nationaux qui se sont fait l’écho ne sont pas efficaces. D’ailleurs, les standards de nos services des vocations n’ont pas été saturés d’appels téléphoniques !!!

Le discours sur les vocations doit être porté par une communication de proximité qui nécessite un réseau proche de sa cible et qui la connaît bien. Ce ne peut pas être une communication du haut vers le bas, « top-down » comme nous disons dans l’entreprise mais une communication par capillarité qui nécessite des relais locaux dans les paroisses ou les lieux de vie des jeunes.

Je dis cela, parce que nous pouvons nous interroger sur les relais locaux que nous avons mis en œuvre. Quel suivi des jeunes, qui à un moment ou à un autre, ont ressenti l’appel du Seigneur (par exemple : au moment de la confirmation) ? Quel accompagnement avons-nous proposé ? Quelles rencontres avec d’autres jeunes avons-nous pu suggérer ? Il me semble que ce suivi reste à faire.

Pour terminer sur les enjeux d’une communication positive sur les vocations, je dirai :
• Bien sûr responsabiliser les chrétiens sur le devenir de leur Église (leur demander leur aide spirituelle et matérielle).
• Mais, j’ai le sentiment, qu’il faut les interpeller sur la façon dont ils parlent des prêtres. Je suis surpris de l’inquiétude, voire de l’angoisse, de certains parents catholiques pratiquants, voire engagés, devant l’éventualité d’une vocation de leur enfant.
• Leur faire connaître les futurs prêtres ou religieux de demain, de montrer leur richesse et leur diversité. Exemple d’initiative : l’évêque peut proposer aux paroisses d’envoyer des séminaristes dîner dans des familles à la rentrée. J’ai eu le témoignage de jeunes pour qui ces rencontres avec des séminaristes ont été déterminantes.
• Regarder ce que font les nouvelles communautés comme l’Emmanuel : les maisonnées (consacrés, séminaristes, prêtres : prière et partage) créent une véritable fraternité.
• Expliquer les nouvelles formations mises en place par le diocèse pour ces séminaristes.
• Examiner les communications des communautés nouvelles qui « recrutent » bien. Elles suggèrent une grande rigueur et cela plaît, car les jeunes, qui font le choix du sacerdoce, ont soif de radicalité. Et ne nous arrêtons pas à la soutane ou au col romain, la radicalité est parfois suggérée par bien des détails (vie de prière, formation théologique et philosophique, etc.).
• Enfin, rester dans l’espérance, car le Seigneur continue sans cesse d’appeler.

En conclusion, je dirais que pour la tâche qui nous attend, nous avons une belle boîte à outils : -un réseau à créer, peut-être avec d’autres diocèses,

- des occasions de prise de parole,

- des rencontres à multiplier,

- des porte-parole à identifier,

- des messages à construire…
La liste n’est pas exhaustive, mais faisons tout ce que nous avons à faire, ensuite il faut faire un acte de foi. Comme le dit le psaume 54 au verset 23, « Jette ton fardeau sur le Seigneur, et lui te subviendra. »