Communicant dans l’Eglise : un métier en pleine mutation


Romain Marengo
délégué diocésain à la communication, diocèse de Besançon

 

Romain Marengo, responsable de la communication du diocèse de Besançon depuis fin 2005, est laïc, marié et père de trois enfants. Sa double formation de philosophe et de communicant colore de façon particulière son métier actuel et, sans doute, ses attentes en termes de communication d’Église.

 

Au service de la communion

Mon service ne consiste pas d’abord à informer et bien que 80 % de mon métier passe par l’écriture, je ne suis pas vraiment journaliste. Certes, je remplis la fonction d’attaché de presse de l’évêque, et suis donc en lien, permanent, avec les médias locaux. Mon rôle est plutôt de travailler au service de la communion et cela de deux façons : en reliant les personnes pour constituer une communauté, en reliant cette communauté au monde et à Dieu. Un peu comme une nervure de feuille, je dois laisser passer la sève, la vie, entre les branches et les feuilles. Les branches, ce sont les responsables d’Église locaux, les feuilles, ce sont les personnes en lien avec cette Église ; le tronc, c’est l’Église universelle, le sol, c’est le monde, la sève, c’est Dieu. Au quotidien, je me dois donc d’être un lien vivant, ou plutôt un carrefour de liens, voire un connecteur de liens entre différents groupes en Église et hors Église. Dans le monde informatique, il existe des appareils appelés switches, qui permettent de relier les différentes composantes d’un réseau entre elles, et de relier ensuite différents réseaux entre eux. Je raisonne dans une logique de réseaux, et je « résonne » par capillarité, de proche en proche, du singulier à l’universel (et inversement). S’il fallait résumer le métier de communicant en un mot, ce serait médiateur.

 

À nouveau métier, nouveau profil !

L’originalité de cette fonction de médiateur, qui me place au cœur de la vie du diocèse, est de m’obliger à la polyvalence. Il me faut être un peu journaliste, attaché de presse, consultant, traducteur, interprète, psychologue, commercial… Le vicaire général, qui me suivait encore récemment (il est maintenant appelé à d’autres fonctions dans l’Église), avançait que ma mission ressemblait à celle d’un vicaire général. Elle demande de nombreuses capacités : mettre en œuvre une communication de crise engageant tout un diocèse, jongler avec des détails pratiques liés à l’organisation d’un événement, connaître les cent cinquante organismes diocésains et leurs référents, et être en lien étroit avec le directoire épiscopal. C’est un travail sensible, où il faut du discernement et de l’expérience. Habituellement, le responsable communication du diocèse, plutôt un prêtre au CV bien garni, recevait le titre de DEI, délégué épiscopal à l’information. Son rôle était d’abord celui d’un attaché de presse épiscopal. Il devait amplifier les informations et les rendre accessibles à tous. Muni d’une solide connaissance de l’Église, il se formait sur le tard aux nouvelles technologies, parfois avec bonheur. Désormais, un nouveau profil de communicant ecclésial émerge, notamment à l’échelon diocésain et pour deux raisons majeures.

 

Le savoir, c’est bien, le faire-savoir c’est mieux…

L’évolution de notre société, en particulier celle qui touche aux modalités des relations qui la sous-tendent a fait, par ricochet, évoluer la communication ecclésiale et partant, les responsabilités confiées en l’espèce. On attend moins de ce type de poste une compétence d’abord marquée sur le fond, qu’une compétence de mise en forme. Pour faire court, le savoir n’intéresse que s’il véhicule un savoir-faire, grâce à un faire-savoir adapté. Par exemple, la conférence sur les migrants, prévue dans un mois, ne sera une réussite que si la biographie du conférencier pointe son savoir-faire dans une communication forte, type communiqué de presse (le faire savoir). Encore faut-il que le communiqué de presse soit envoyé au bon moment, à la bonne personne, et assorti d’autres moyens de communication. À l’ère du soi-disant « tout info », le crime suprême serait, presque, d’oublier d’informer quelqu’un…

 

De l’information de masse aux réseaux sociaux

Nous ne sommes plus vraiment, me semble-t-il, dans un monde de l’information stricto sensu mais nous sommes passés de l’ère de l’information de masse à celle de la communication par capillarité (réseaux). Le modèle n’est plus l’information unilatérale d’un émetteur vers de nombreux récepteurs, mais une information bilatérale, voire omnidirectionnelle entre de multiples émetteurs/récepteurs. De là découle une dialectique fantastique, qui produit à son tour une somme colossale d’information.

Google est emblématique de cette évolution ; premier moteur de recherches mondial, il totalise (en France) 95 % des recherches, parmi les moteurs Internet, non pas parce qu’il archiverait beaucoup plus d’informations, ou parce que ses données seraient infiniment plus pertinentes que celles d’autres moteurs (ce sont quasiment les mêmes). Si Google peut de vanter d’archiver une somme de connaissances équivalent à un milliard de pages, bien au-delà de la capacité d’une encyclopédie classique, sa force principale réside dans son affranchissement vis-à-vis des contraintes techniques et éditoriales des médias, reposant sur la multiplicité des contributeurs du réseau Internet. Ce moteur croit, avec raison, en l’intelligence collective. Il se distingue par sa façon de lier les contenus et de les mettre en valeur, grâce notamment à ses extensions multimédias (ex. Youtube, Googlemaps, Picasa, etc.). En somme, sur Google figure souvent ce que l’on cherche, traduction technologique du biblique « Cherchez et vous trouverez » ?

 

Bienvenue dans l’hyperespace, mais attention à la marche !

Les jeux vidéo sont de plus en plus impressionnants grâce à la « 3D », appelée aussi réalité virtuelle Le virtuel restitue un semblant de réalité, parfois plus réaliste que le réel lui-même. La vraisemblance de la 3D (impression de hauteur, largeur et profondeur) est accrue, quand elle sollicite d’autres sens que celui de la vue : toucher, ouïe, voire goût et odorat. Il est probable que l’expérience « totale » de la synesthésie 1 sortira bientôt de la science-fiction ou des laboratoires. Le mot surréalisme prendra alors une nouvelle acception. Cependant, les hommes n’ont pas attendu 2009 pour communiquer naturellement, dans un monde en trois dimensions !

Au-delà de ces questions de vraisemblance croissante du virtuel, nous sommes face à une autre révolution sans précédent : le passage à la quatrième dimension. De quoi s’agit-il ? Du rapprochement de l’espace et du temps. Internet en est l’exemple le plus criant : il faut autant de temps pour communiquer avec un ami français qu’avec un ami chinois ou péruvien. Pourtant les distances restent toujours les mêmes Mais la sensation de distance diminue, et l’espace n’est plus vécu comme ce qui sépare mais comme ce qui englobe et relie. Par la même occasion, les frontières classiques de l’espace et du temps semblent plus relatives. Cela peut donner, dans certains cas, un sentiment d’ubiquité : l’impression d’être en plusieurs endroits, en même temps (ex. les vidéos conférences, les jeux en réseau).

Qualifier Internet de sixième continent, équivaut à le percevoir comme un espace et à mésestimer sa dimension temporelle. Il n’y a pas de sixième continent mais un deuxième univers, concomitant au premier et en formation, sur la toile des réseaux informatifs et relationnels. La densification de ces réseaux et l’accroissement des vitesses de transfert des informations – ou des usagers – changent radicalement nos existences. Par exemple, en un seul e-mail nous pouvons envoyer un message à cent personnes en même temps. Nos contacts sont cinquante fois plus nombreux que ceux de nos parents nés deux générations avant nous ! Les évolutions linéaires explosent au profit d’évolutions transcatégorielles manifestes, entre autre dans la multiplicité des activités et des compétences professionnelles de chacun.

Cette longue digression visait à nous replonger dans le monde dans lequel nous vivons et qui ne fait que commencer. La communication consiste à mettre en commun, pour qu’elle soit. Il faut donc être au milieu du monde, le comprendre, voir ce qui s’achève et ce qui commence, être un veilleur de monde(s).

Par ailleurs, un responsable communication doit pouvoir rendre compte de la vie de l’organisme qu’il représente. L’organisme biologique respecte des phases naturelles, de même que l’Église respecte un temps liturgique, à la jointure du naturel et du surnaturel. À son tour, le communicant doit respecter le rythme de l’Église, même s’il dispose d’informations qui lui permettraient de sortir le lendemain un journal sur l’Avent ou sur le Carême. Capable de détachement, il doit savoir lutter contre le diktat de l’instantanéité, qui s’impose à lui comme à ses contemporains, et qui trouble les consciences au point de faire croire que l’important est l’urgent. Il doit être capable de se débrancher, de se « déplugger » de cet univers matriciel où tout semble possible.

Il y a un temps, inaliénable, que la technologie ne doit pas éradiquer : celui de l’intériorité. Internet est grand quand il facilite les connexions extérieures, voire quand il permet des passages féconds entre intériorité et extériorité (par ex., via un témoignage sur une plate-forme vidéo). Il est en revanche totalitaire quand il prétend exhumer l’intériorité, la faire remonter vers la surface. Facebook peut finir en ghetto, forum sectaire, lieu où l’intime, systématiquement forcé, est aboli. On croit pouvoir tout dire, tout se dire, et à tous. C’est un leurre. Ce n’est pas l’universel de la relation qui est rencontré, mais l’accessoire de la relation : le relatif. Un relatif sans pronom, et parfois même, sans prénom. Il n’annonce rien, il n’énonce rien. Il interfère sans transférer ni même référer ; on jacte, on jonche, en attendant Godot ou alors, on essaie de tout révéler, jusqu’à ses pensées les plus profondes. Mais la vraie révélation est d’un autre ordre que ce vrai en vrac, où l’on finit par ne plus savoir quoi dire, d’avoir tout et rien dit, n’importe comment et à n’importe qui.

 

Affranchir le rubicond ou franchir le Rubicon ?

Le défi du responsable communication d’un diocèse, c’est de fuir cette vie d’électrons non libres et d’être présent à tous, tout en maintenant une présence à la personne. J’entends par présence personnelle une attention concentrée, une écoute directe et exclusive, dans un face-à-face. Il ne s’agit pas de faire passer des communiqués (on resterait d’ailleurs dans le domaine de l’information), mais de favoriser une conscience commune, un esprit de communion. Cette conscience est tissée notamment par le sentiment d’une histoire commune, traduite et érigée en mémoire vive du diocèse, patrimoine commun qui relie le passé, le présent et l’avenir. C’est un plaisir pour moi de travailler avec des gens qui anticipent, qui accompagnent et qui restituent convenablement le sens d’un événement. Je me bats pour faire émerger cette conscience de la transmission, de l’inchoatif, de la permanence. La manière dont nous rendons compte des événements permet soit de leur faire rejoindre l’Histoire, soit de leur garantir un oubli quasi immédiat. Des organismes comme RCF, le service de la formation, le service communication, ou encore la bibliothèque diocésaine, sont de plus en plus sensibilisés à cette idée de « relief événementiel ». L’événement prend tout son sens, toute son épaisseur, quand il est relié à une orientation plus profonde, que ce soit une orientation pastorale diocésaine ou un programme culturel ! Par « sens » il faut entendre origine, orientation (tournure) et finalité. S’il manque un de ses trois ingrédients, il n’y a pas véritablement d’événement. Dire que deux cents personnes ont pris un pot à l’occasion du vernissage d’une exposition est de peu d’intérêt, à moins que l’on souligne que les gens d’Église savent bien vivre… En revanche, l’événement, sera de montrer que l’on est capable d’intégrer un fait, tel une ordination presbytérale, à une communication plus audacieuse sur la réalité vécue au quotidien par les prêtres de notre diocèse. Le succès de Prêtres-Academy, au-delà des critères de timing, de témoignage, de ton et de tactique qui ont joué dans la réussite de cette entreprise hors normes, tient à cette attitude : l’Église a su prendre du recul sur ce qu’elle avait à dire, pour rejoindre des attentes, des questions profondes, telle que celle-ci : « Peut-on être prêtre et heureux aujourd’hui, et comment ? » Elle ne s’est pas contentée de se dédouaner d’un devoir d’information (en partie surestimé) sur l’ordination d’un prêtre. Cette information, initiale, est certes passée mais elle a été étayée par la force du témoignage des prêtres. Cette communication s’est donc montrée beaucoup plus convaincante que ne l’aurait été une communication institutionnelle plus classique, (communiqué ou conférence de presse).

C’est cette force du témoignage – si possible commun – qui, à mon avis, nous rend le plus appelants. Les gens sont prêts à entendre parler de Jésus, s’ils voient une communauté de personnes qui en vivent. Ils n’attendent pas qu’on dépoussière timidement l’image d’une Église à bout de souffle. Ils espèrent voir des artisans au travail, et heureux de ce qu’ils font. Des disciples, des apôtres, en somme.

Au cours de mes études de philo, j’étais hanté par les figures du génie et de l’apôtre dans l’œuvre de Kierkegaard. J’étais persuadé qu’il fallait choisir son camp, entre le génie qui semblait promis à une gloire éternelle et l’apôtre un peu falot à l’abnégation morbide, devant se « fondre » face à Dieu, tellement plus beau et plus grand. Je n’avais rien compris à Kierkegaard. Ces idées s’apparentaient davantage à la philosophie de Nietzsche. Avec le temps, j’allais comprendre que le chrétien doit être un génie et un apôtre. La béatitude n’est pas une « bée attitude ». Le catholique, notamment, s’il prétend à l’universalité que cet adjectif suppose, doit être ingénieux et apostolique, dans un effort permanent de conciliation et d’unification. Le génie du catholicisme réside, dans l’unité. « Qu’ils soient un » nous rapporte Jésus dans l’évangile de Jean (17, 20-26). Ce travail pour l’unité du genre humain, en Dieu et avec Dieu, n’est pas qu’une affaire de Pape, c’est une affaire de baptisé, prêtre, prophète et roi.

 

De la stratosphère au bureau du Sedicom 2

Tout cela est bien beau, mais quid du terrain ? C’est là, en effet, que le bât blesse. Le site web diocésain est une injure à l’esthétique, le journal paroissial ressasse des infos qui n’intéressent que ceux qui étaient présents à la choucroute paroissiale, RCF est averti au dernier moment que l’évêque est en mission en Centrafrique et ne peut donc pas faire le direct espéré. Mais pire encore : comment communiquer avec un budget « peau de chagrin » ? Un seul salarié à plein temps, un salarié à mi-temps – partagé entre les services de la communication et de la radio – deux bénévoles et demi, et cent cinquante organismes diocésains qui aimeraient que le chargé de communication fasse à la fois de la publicité, du commerce, du marketing, du social, de la psychologie, du dépannage informatique et de la maintenance ? Plus profondément : doit-on doter le service communication d’un budget de développement – au-delà du budget courant de fonctionnement ? À mon sens, oui. La croissance du service, sa vie même, en dépendent, à moyen terme. Le service de la communion n’est pas un service minimum.

 

Toucher les acédiques 3

Dans un contexte de chrétienté, l’information peut suffire, par exemple les horaires de messes. En un temps de déchristianisation, voire d’exculturation chrétienne, il faut savoir également revenir à la formation, par la communication. Cette formation, non plus académique et unilatérale – d’enseignant à enseigné – doit être singulière et interactive, parfois subjective aussi par la force du témoignage. L’expérience du proche « parle » souvent plus à nos contemporains que le savoir du héros ou de l’intellectuel. Il faut être aussi capable de poésie, de passer par le mythe pour exprimer le réel. Nous sommes dans un monde qui n’a plus d’illusions, ou plutôt qui en a une, énorme : celle de croire… de n’en plus avoir. Il croit avoir fait le tour de toutes les questions, et ne parvient plus à s’émerveiller. Il devient alors acédique, plongé dans une dépression totale, spirituelle et psychologique. Or, il n’y a plus qu’une seule façon de toucher les acédiques : leur parler au cœur, en s’effaçant. Par une image adressée, une citation d’espérance, un coup de fil quotidien, chaque jour à la même heure, qui rappelle au souffrant qu’on existe par l’amitié autant que par la santé. Par l’humour, formidable levier d’espérance, qui redonne confiance et manifeste l’humilité dans la compassion. Cette amitié – charité, empathie, amour ? – sait aller jusqu’au lavement des pieds et affronter la mort et la déréliction. « Peut-être n’avons-nous jamais eu le choix qu’entre une parole folle et une parole vaine » dit Christian Bobin, dans L’homme qui marche. Pour moi, le communicant chrétien est cet homme qui rejoint l’autre et le Tout Autre. Jusqu’à la folie de la croix, mais avec les béatitudes pour provisions.

 


1 - Appréhension synchrone du monde par les cinq sens.
2 - Service diocésain de la communication.
3 - Personne plongée dans un état de tristesse profond et durable, par paresse ou fatigue spirituelle. Dans le premier cas, elle a négligé Dieu et finit pas se négliger elle-même. Dans le second cas, elle s’est trop négligée, et ne trouve plus la force en elle de chercher, trouver et aimer Dieu. Cette tristesse prend l’aspect d’une dépression psychologique, le plus souvent.