Au fil des jours


Claude Collignon
délégué épiscopal à l’information et à la communication,
diocèse de Reims-Ardennes

 

Ce n’est pas un article construit que je livre ici. Lorsque madame Paule Zellitch m’a demandé une contribution pour ce numéro d’Église et Vocations consacré à la communication, je l’ai prévenue que, nouveau venu dans ce service en qualité de DEIC (Délégué épiscopal à l’information et à la communication), je découvrais ce monde de la « com’ ». Voici donc des impressions, des réflexions, des questions d’un novice. Le tout ressemblera à un patchwork plutôt qu’à une texte bien organisé.

 

Gutemberg

L’invention de Gutemberg avait déjà marqué de son empreinte l’homme du XVIe siècle. Cela s’est vérifié avec la Réforme : ainsi désormais l’approche des textes sacrés devient individuelle. La conscience de chacun entre en rapport direct avec l’Écriture sainte et chacun est juge de ce qu’il lit, sans l’intermédiaire d’une communauté ou de l’Église. Un monde nouveau a commencé à exister et un nouvel homme : plus individuel, plus responsable, capable de juger par lui-même. Ainsi se préparaient et le Siècle des Lumières et la naissance des démocraties.

…Et aujourd’hui, que peut-on dire de ce monde qui émerge des nouvelles techniques de communication ? Que peut-on dire de l’homme qui en sortira ? Les hypothèses vont bon train, les observations indiquent déjà des orientations. Un exemple, Barak Obama a dû son élection en grande partie à sa présence sur Internet. Et la « planète jeune » ? Existerait-elle de cette manière sans le mobile ? La télévision est-elle à mettre au placard ? Les nouveaux moyens de communication, qu’est-ce que ça « fabrique » ? Quel monde, quel homme nouveau nous annoncent ces faits : mondialisation, réalité virtuelle, simultanéité de l’événement et de l’information ?

 

Image et idole

Une émission était diffusée tous les dimanches midi sur la « cinq ». Elle s’appelait Arrêt sur images. Pendant une heure, une équipe autour de Daniel Schneidermann nous permettait de visiter les coulisses des infos reçues au cours de la semaine : que disaient exactement ces infos, que cachaient-elles ? Quels « oublis » ? Quels silences significatifs ? Quelles appartenances ignorées avec les cercles des différents pouvoirs ? L’émission a été supprimée il y a quelques mois. Heureusement on peut la suivre sur Internet.

Ainsi en est-il de la communication : c’est transmettre une expérience dans sa vérité. S’il n’y a pas d’expérience vraie, ni de rencontre, ni de regard, ni de vis-à-vis, qu’aura-t-on à transmettre ? Les médias sont bien ce que ce mot veut dire : un médium, ce qui relie, ce qui fait le lien. Oui, transmettre une expérience.

Fascination : c’est l’inverse de la communication : les médias qui se nourrissent d’eux-mêmes. Idoles. Ce mot qui signifie « images » ou « vanité ».

 

L’expérience et le virtuel

« Les spécialistes commencent à s’intéresser aux enjeux d’une imprégnation audiovisuelle de plus en plus intense et de plus en plus précoce : la réalité sociale pour un enfant est aujourd’hui d’abord virtuelle, le plus souvent, avant d’être humaine. Ne se voit-il pas dans l’écran plus que dans le miroir du regard de ses parents ? […] Le cerveau du bébé est en plein développement ; ses connexions sont en train de se mettre en place. Il est donc important de laisser le cerveau des bébés tranquille et de le laisser découvrir le monde avec ses sens, son toucher… Par ailleurs l’attachement de l’enfant se fait dans ses premières relations avec ses proches ; il est donc important, pour son développement relationnel et affectif de ne pas le soumettre trop tôt à des relations virtuelles. » (La Croix, 14 janvier 2009).

 

Les médias diocésains

Le diocèse a créé un site Internet depuis plus de dix ans. Son objectif ? Présenter des réalisations, des initiatives, des pages de réflexion, des infos sur ce qui s’est passé ou ce qui va se passer… Combien de visiteurs en un mois ? Plus de huit mille.

Et la revue diocésaine ? Elle est pourtant bien faite, mais comment pourrait-elle rivaliser avec le site ?

Dans le diocèse, on compte plus de deux millions par an d’exemplaires de journaux paroissiaux « toutes boîtes » : des équipes de rédaction dynamiques, des distributeurs nombreux. Les journaux « collent au terrain ».

Et puis il y a la radio, RCF, qui diffuse 24 h/24, soit à partir de Lyon pour les émissions nationales, soit à partir d’émetteurs locaux pour le diocèse. Là encore, se diffuse un parti pris d’espérance.

 

Le blog de l’abbé

Mickael D. est l’avant-dernier prêtre ordonné dans notre diocèse. Il est curé dans le rural. Il y a deux ans, des jeunes lui proposent d’ouvrir un blog afin de pouvoir poursuivre sur Internet les discussions qu’ils ont entre eux.

« Qu’est-ce que je mets dessus ?… Certainement pas un journal intime. J’essaie d’exprimer ce que je vis dans mon ministère… Il m’arrive de mettre en ligne une homélie ou un article que je viens d’écrire pour le journal paroissial, parfois des photos.

Et alors des personnes réagissent… et il y a de plus en plus de réactions, jamais agressives mais plutôt encourageantes. Et pas seulement d’ici… un étudiant de Nice, une personne toxicomane… En moyenne, je compte une cinquantaine de visiteurs par jour. »

Et l’abbé de conclure : « C’est un aspect nouveau et intéressant pour un prêtre de pouvoir être en lien avec plein de monde même si on ne les connaît pas. On sème… »

 

Un média réussi

Sarah est hors d’elle-même. Elle a lâché sa cruche et vite, vite, elle court au village. Que lui arrive-t-il ? Les pensées se bousculent dans sa tête. Son cœur bat la chamade. Elle se sent toute bouleversée. Pourtant « Il » ne lui a rien dit d’extraordinaire. Juste parlé de « ses » hommes.

Ceux-ci, les uns après les autres défilent dans sa tête : Juda, Samson, Samuel, Lévi et Haïm. À chaque fois, oui, elle croyait avoir trouvé le grand amour. Pauvre Sarah ! L’un buvait, l’autre la frappait, celui-là courait les autres femmes, le quatrième un vrai fainéant et le dernier est parti au bout d’un mois en emportant ses économies. Celui avec qui elle est maintenant (tout le monde l’appelle le boiteux) est affectueux, mais non ! elle ne l’aime pas vraiment.

Et tout à coup, tout s’est éclairé. C’est quand « Il » a dit : « Je vais te donner de l’eau vive », quelque chose a craqué en elle, une fraîcheur inconnue s’est répandue. Elle l’a regardé, et lui aussi l’a regardée ; un homme étonnant, un regard fort mais doux, des paroles simples, une évidence lorsqu’il m’a dit : « Je suis le messie, moi qui te parle. »

En courant, elle arrive au village. Le conseil des Anciens est en train de siéger à la porte. Habituellement, Sarah se glisse le plus discrètement possible. Mais là, elle ne peut se retenir : « Là-bas, au puits, il y a un Juif… Il m’a dit tout ce que j’avais fait dans ma vie. C’est le messie ! »

Le messie ? Tu es folle Sarah !

Je vous assure… allez voir, il est assis auprès du puits.

C’est le brouhaha. Les Anciens se lèvent : « Elle dit n’importe quoi. » « Elle a encore levé un homme. » « Mais c’est curieux qu’il lui ait dit tout ce qu’elle avait fait. »

On peut toujours aller voir ! Des fois qu’il vienne semer le chantier chez nous. Il vaut mieux faire attention. Et les voilà partis.

Au puits, il est là avec un groupe d’hommes.

Les Anciens s’approchent : « Qui es-tu ? Tu sais que toi, Juif, tu n’as le droit ni de rester ici ni de parler à personne ? »

« Il » les regarde les uns après les autres… de son regard clair, en silence. En chacun, sous ce regard, quelque chose se met à bouger. Et il leur dit : « Oui, je le sais… Je suis Juif et vous Samaritains. Mais ne sommes-nous pas tous les fils du même Dieu ? C’est dans notre cœur qu’il faut l’adorer. Le temple, qu’il soit à Jérusalem ou sur le mont Garizim, n’est rien si notre cœur est infidèle. »

Il s’assoit. Des hommes et des femmes du village ont suivi les membres du Conseil et maintenant ils sont tous là, à l’écouter, et leur cœur en est tout rafraîchi. Sarah est au dernier rang. Elle n’en revient pas de tout ce monde. Elle est heureuse, elle rayonne. Quelqu’un, à côté d’elle lui dit : « Maintenant qu’on l’a entendu, ce n’est plus à cause de toi que nous croyons. Nous croyons qu’il est vraiment le sauveur du monde. »

 

L’unique problème

« Comment transmettre la foi au Christ si nous ne savons plus très bien pourquoi croire en lui ? C’est là, me semble-t-il, l’unique problème et l’unique crise de transmission dont il faut se soucier. La difficulté n’est pas celle de la bonne méthode ou de la stratégie la plus astucieuse : croire au Christ c’est sans cesse découvrir en lui un doigté sans pareil pour toucher ce qui est humain et souvent trop humain en nous et percevoir ainsi l’extraordinaire connivence entre l’évangile de Dieu et le mystère de notre existence humaine. » (Christophe Théobald, « La foi au Christ : transmettre l’intransmissible ? » La Documentation catholique, 5 fév. 2006).

 

Et les vocations ?

« Il en choisit douze pour être avec lui, les envoyer prêcher et chasser les esprits mauvais. » Ainsi saint Marc définit-il la vocation des premiers apôtres (Mc 3, 14-15).

Trois orientations toujours valables à l’ère des médias :
« Être avec lui » : c’est de l’ordre de l’expérience. Que communiquer sans cette expérience ?
« Les envoyer prêcher » : ce mot, « prêcher » n’est guère satisfaisant. Mot un peu gris et presque synonyme d’ennui. Or c’est de « kérygme » que ce texte parle. Un mot qui éclate comme un cri de victoire, oui c’est la communication à tous de Jésus ressuscité.
« Chasser les esprits mauvais » : c’est l’inauguration de l’ère de la liberté puisque les « esprits mauvais » nous « possèdent », nous « aliènent » et nous empêchent d’accéder à notre humanité sortie des mains de Dieu.