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Dieu les a appelés, il en a fait l’Eglise
directeur de l’ISPC, Institut catholique de Paris
Regards sur des pratiques de discernement
Il m’a été demandé de rendre compte de mon analyse des « partages de pratiques » qui constituent ce dossier. L’exercice est passionnant dès lors qu’il s’agit de contempler l’Église exprimant la conscience qu’elle a d’elle-même, de sa nature et de sa mission, lorsqu’elle est en acte d’accompagner le discernement de ses membres. Mais l’exercice du compte-rendu est délicat et il est nécessaire, en introduction de mon propos, de préciser les difficultés majeures qu’il comporte.
Une analyse inachevée
L’analyse des pratiques demande la mise en œuvre d’une méthode stricte. Elle exige pour cela une grande précision dans le traitement du « matériel » analysé. Les témoignages recueillis sont trop divers dans leurs formes, leurs styles et le statut de leurs auteurs, les pratiques elles-mêmes sont trop disparates pour pouvoir prétendre à la rigueur requise. Par ailleurs, une telle analyse obligerait à ne pas se contenter d’interroger des récits mais d’avoir accès à leur processus d’élaboration, ce qui n’est pas le cas. En ce sens, les quelques lignes qui suivent ne peuvent pas prétendre constituer une analyse, au sens strict du terme, des récits recueillis. Elles se contentent d’y porter un regard extérieur. Mais alors, un autre biais apparaît, celui de la personne qui porte ce regard, et qui est loin d’être neutre. J’enseigne l’ecclésiologie et dois donc sans doute avoir des idées précises – et antérieures à ma lecture des récits – de ce dont il est question ici.
Ainsi, plus que d’une analyse, je préfère parler d’un « regard » porté sur ces témoignages, afin de bien préciser d’une part que mon propos est une invitation à entrer en conversation avec les récits recueillis et qu’ainsi, d’autre part, il n’a aucune prétention à porter un jugement sur ces pratiques.
Des pratiques incertaines d’elles-mêmes
Ces précautions méthodologiques étant prises, nous pouvons nous replonger ensemble dans la lecture de ces textes. Tout l’intérêt de ce parcours sera de ne pas s’en tenir à quelques affirmations convenues sur la (les) vocation(s) dans l’Église, mais de se réjouir ensemble de la grande fragilité dont ces récits témoignent. La richesse des textes rassemblés réside en effet dans l’incertitude, les tâtonnements, la reconnaissance d’une forme d’impuissance qu’ils rendent manifeste. Si l’on peut parler de richesse, c’est parce que cette fragilité renvoie à l’essentiel : un service des vocations est un consentement au service de Dieu qui appelle et qui conserve toute marge de manœuvre pour le faire dans des médiations diverses et volontiers surprenantes.
C’est donc d’autorité subjective, reconnue et assumée que j’ai choisi de ne pas parler ici de ce qui semble constituer le b.a.-ba des pratiques recueillies : accompagnement personnel et vie de groupe, importance des témoins rencontrés, place incontournable de la prière et de la méditation de la Parole de Dieu… Tous ces éléments sont bien présents dans l’ensemble des récits. Mais ils sont situés dans une perspective plus fondamentale et, donc, plus intéressante encore. C’est à cette perspective là que je voudrais consacrer les lignes qui suivent.
Une prise en compte du présent
Dans la plupart des témoignages, la prise en compte de la réalité sociale, telle qu’elle est réellement, occupe une place de choix. L’adjectif qui revient le plus souvent pour qualifier la situation présente est : « chaotique » 3. Pourtant, on ne trouve aucune trace de ressentiment ou de désespoir dans les récits. L’enthousiasme et l’espérance manifestent au contraire que les uns et les autres acceptent de se laisser bousculer par les conditions nouvelles de leur mission.
Les temps qui sont les nôtres
Le constat est dépassionné : « Nous sommes soumis à l’évolution de la société et à ses conséquences sur l’Église et les personnes 4. » Le même récit parle pourtant d’un « terrain de plus en plus aride » et cite les contextes familiaux instables ou le surmenage auquel le mode de vie contemporain conduit. Un autre mentionne les expériences multiformes de « zapping 5 ». La société actuelle est épuisante pour les individus. Elle n’empêche pas de vivre « un rapport positif à la société 6 ». Elle doit cependant être prise en compte avec lucidité afin d’être authentiquement au service des personnes et de leur cheminement « ancré dans le monde 7 ».
Les hommes et les femmes de ce temps
Ce qui apparaît alors clairement, c’est la diversité irréductible des itinéraires. Elle interroge le sens du service des uns et des autres dans l’accueil bienveillant et inconditionné de chacun quel que soit son parcours de vie 8. Face à la difficulté à entrer dans un parcours balisé, il convient alors de faire preuve de souplesse et d’adaptabilité 9, dans le respect des rythmes de chacun 10.
Ce sens du service prend une coloration particulière dès lors qu’il s’agit d’accueillir des hommes et des femmes marqués par leur époque dans leur rapport à la foi et à l’Église. Les témoignages parlent de « démarche chrétienne discontinue », de « vie spirituelle chaotique », de « connaissance de l’Église réduite et partielle » et de « connaissance superficielle de la foi » 11. À cette absence « d’expérience ecclésiale notoire 12 », s’ajoute l’image d’une « Église vieillissante 13 ».
Le temps présent comme chance
Ces constats n’appellent aucun jugement de la part de ceux qui les font. On peut les considérer comme la nécessaire « désignation du présent 14 », qui est au cœur de la proposition des évêques français dans la Lettre aux catholiques de France 15. Ainsi, il ne s’agit pas de stigmatiser les personnes 16 mais d’accepter que les mutations profondes qui affectent la société actuelle constituent pour l’Église une chance, la chance de « vérifier la nouveauté du don de Dieu 17 » en « accueillant le don de Dieu dans les conditions nouvelles 18 », bref, une « chance de pouvoir aller à l’essentiel, à ce qui nous fait vivre comme croyants 19 ».
C’est dans cette société que l’Église est appelée à proposer la foi, ce sont donc bien des hommes et des femmes de ce temps qui sont appelés par Dieu à être des témoins de l’Évangile. Mais que les conditions présentes ne soient ni plus ni moins favorables que d’autres pour la foi ne doit pas masquer la nouveauté à laquelle les pratiques d’accompagnement des vocations sont invitées.
Il est ainsi important, pour conclure ce premier point, de souligner le défi proprement catéchétique de cet accompagnement. Le rapport à l’Église et à la foi de ceux qui sont accompagnés requiert en effet une authentique catéchèse ou, pour le dire plus justement, « une véritable démarche d’initiation 20 ». En ce sens, les services dédiés aux vocations peuvent entendre que le Texte national pour l’orientation de la catéchèse en France 21 leur est également adressé.
Vocation et vie chrétienne
Ces récits nous parlent de la vocation baptismale. Il n’y a pas lieu de s’en étonner. Le baptême est bien ce lieu où se nouent appel de Dieu à partager sa vie et consentement de l’homme à la grâce. Mais une fois encore, ce qui est intéressant dans les récits recueillis, c’est l’invitation à la nouveauté qui y est entendue. En lien avec ce qui précède, les divers témoignages enracinent eux-mêmes le service de discernement des vocations dans le cadre plus large de la responsabilité catéchétique de l’Église.
Dimension baptismale de la vocation
Dans le discernement, il s’agit bien avant tout de « s’enraciner dans [sa] vocation baptismale » et de se demander « ce que signifie être chrétien dans le monde » 22. C’est ainsi qu’il faut comprendre la retraite « Je deviens disciple » qui « vise d’abord à faire l’expérience spirituelle que toute vie chrétienne est une suite du Christ librement choisie 23 ». La mission de ceux qui ont livré leur témoignage est donc bien une mission d’initiation à la vie chrétienne, dans le cadre d’une « pédagogie d’initiation » promue par les évêques français.
Le premier fruit de cette démarche est alors de découvrir ou redécouvrir qu’« il y a un commun appel qui s’adresse à tous. Nous devons être des saints quel que soit notre état de vie. […]. L’Esprit qui nous habite depuis notre baptême nous conduit jour après jour au gré de sa grâce 24 ». Et ce fruit peut être reconnu : « J’ai décidé d’avoir une “vie consacrée” dans la vie de tous les jours 25. »
Ce à quoi nous devons nous sentir invités, c’est à une prise de conscience permanente : le baptême est une consécration authentique et un chemin radical à la suite du Christ. Le baptisé est celui qui a consacré toute sa vie à Dieu. Il s’agit alors, pour lui, de consentir au déploiement de cette grâce. Cette prise de conscience est incontournable pour un renouvellement nécessaire d’une théologie des ministères dans l’Église. Elle passe par un renouvellement des pratiques ecclésiales qui, d’après les récits recueillis, est en cours.
Dimension ecclésiale de la vocation
Mais les conditions présentes de l’accueil de ceux qui veulent répondre à l’appel de Dieu n’appellent pas seulement une proposition de découverte de la foi chrétienne et de la vie baptismale, elles comportent également, de manière indissociable, une découverte de l’Église, de son mystère et de sa mission.
Parce que l’Église est une inconnue pour un grand nombre de ceux qui demandent à être accueillis, « le parcours vocation veut aussi donner l’occasion aux jeunes de découvrir un peu plus l’Église 26 ». Cela passe par une démarche d’enracinement et d’engagement ecclésial afin d’en découvrir les richesses et la diversité 27 . Dans une démarche d’initiation, cela nécessite également de « constituer une petite cellule d’Église 28 ».
De ce qui précède, on doit comprendre que la pastorale des vocations est un lieu d’initiation chrétienne de premier ordre. Il ne m’appartient pas de me prononcer sur les conséquences institutionnelles de cette conclusion. Cependant, je ne peux que manifester mon intérêt pour cette pratique ecclésiale d’accueil, d’accompagnement et de discernement en tant qu’elle se révèle un lieu dans lequel l’Église est interrogée sur la conscience qu’elle a d’elle-même et de sa mission.
Le serpent de mer des « vocations spécifiques »
Cependant, pour que cette pratique puisse être un authentique lieu de renouvellement de la conscience que l’Église a d’elle-même et, ainsi, de l’ecclésiologie comme de la théologie des ministères, elle doit sans doute encore régler la question de ce qu’on appelle communément les « vocations spécifiques ».
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Partant du constat que l’objectif de certaines propositions « a glissé progressivement de la vocation dite spécifique à la vocation baptismale 29 », il s’agit d’affirmer non seulement l’existence de « deux voies également bénies, le mariage et le célibat 30 », mais surtout de reconnaître que toute voie est bénie dès lors qu’elle est réponse authentique à l’appel de Dieu et consentement à la grâce.
Il n’est pas simple de conclure un tel parcours tant il serait attirant de le poursuivre par un développement théorique plus systématique. Résistant à la tentation, je peux me contenter de redire ici à quelle conscience des enjeux ecclésiaux les récits rassemblés dans ce numéro invitent toute l’Église : une prise en compte sans faux semblants des conditions de la mission ecclésiale et une conscience affermie de la mission que l’Église reçoit du Christ.
Ces deux traits fondamentaux permettent de situer avec justesse les autres composants des récits étudiés : le témoignage, l’accompagnement, la vie liturgique et spirituelle, la familiarité avec la Parole de Dieu, toutes choses qui devraient être traitées pour elles-mêmes, se retrouvent ordonnées à la vie ecclésiale et à la mission. Cela nécessite, les récits en sont témoins, de ne pas se préoccuper de l’accessoire, en laissant par exemple des statistiques nous détourner de l’essentiel.
L’essentiel est de reconnaître que ceux qui veulent répondre à l’appel de Dieu sont des invitations adressées par le Seigneur lui-même à « percevoir les signes de l’imprévu de Dieu 31 » pour sans cesse nous interroger et nous laisser bousculer dans nos conceptions les plus admises. Il s’agit d’une attitude vertueuse par laquelle toute l’Église peut être renouvelée dans son service de l’œuvre de l’Esprit Saint « qui peut éveiller en tout être humaine le désir d’aller au-delà de ce qu’il vit immédiatement ».
1- LG 9.
2 - François Moog est docteur en théologie (Ph.D., D.Th.). Il enseigne l’ecclésiologie à la Faculté de théologie de l’Institut catholique de Paris. Il y dirige l’Institut supérieur de pastorale catéchétique (ISPC), chargé de la formation théologique des cadres ecclésiaux de la responsabilité catéchétique (catéchèse, catéchuménat, aumôneries de l’Enseignement public, Enseignement catholique, formation permanente,…). Dernier ouvrage paru : Accueillir ceux qui frappent à la porte de l’Église – La grâce de la reconnaissance, coll. « Le point catéchèse » n° 1, Paris, Le Sénevé/ISPC, 2009. Adresse : 21 rue d’Assas, 75006 Paris. ispc@icp.fr.
3 - Voir les témoignages de l’École de vie des Fraternités monastiques de Jérusalem, p. 98 ; de Dominique Rameau (groupe d’aînés), p. 86 et de Denis Bourget (diocèse de Nantes), p. 49.
4 - Récit de l’École de vie des Fraternité monastiques de Jérusalem, p. 100.
5 - Récit de l’équipe de la Mission de France, p. 63.
6 - Récit de l’équipe de la Mission de France, p. 65.
7 - Récit de l’équipe de la Mission de France, p. 65.
8 - Cf. D. Rameau (groupe d’aînés) et l’École de vie des Fraternité monastiques de Jérusalem.
9 - Cf. le récit de Pierre Guerigen (diocèse de Metz), p. 62.
10 - Cf. P. Guerigen (diocèse de Metz), p. 62 et Marie-Paule Delachaux (parcours « Samuel » de Franche-Comté).
11 - Récit de Denis Bourget (diocèse de Nantes), p. 49-50.
12 - Récit de Frédéric Benoît (province de Paris), p. 81.
13 - Récit de l’École de vie des Fraternité monastiques de Jérusalem, p. 100.
14 - Cf. David Tracy, « La désignation du présent », Concilium, n° 227, 1990, p. 71-92.
15 - Conférence des évêques de France : Proposer la foi dans la société actuelle III - Lettre aux catholiques de France, [LCF], coll.“Documents des Églises”, Paris, Cerf, 1997. Sur la désignation du présent dans la démarche de proposition de la foi, voir Henri-Jérôme Gagey et Denis Villepelet, Sur la proposition de la foi, Paris, éditions de l’Atelier, 1999, p. 9-13, 17 sq., 22, 34 sq., 75, 94.
16 - Cf. LCF, Partie I-I, 1 et 2, p. 21-22.
17 - LCF, Partie I-I, 5, p. 25.
18 - LCF, Partie I-III, 1, p. 37.
19 - LCF, Partie I-III, 3, p. 40.
20 - Cf. le récit de « l’année Samuel ». Sur le besoin de « formation chrétienne », voir également les récits de Denis Bourget (diocèse de Nantes) ; de Frédéric Benoît (province de Paris) ; Guillaume Villatte (diocèse de Pontoise) ; de Marie-Paule Delachaux (parcours « Samuel » de Franche-Comté), etc.
21 - Conférence des Évêques de France, Texte national pour l’orientation de la catéchèse en France, coll. « Documents d’Église », Paris, Bayard/Fleurus-Mame/Cerf, 2006, 116 p.
22 - Récit de Marie-Paule Delachaux (parcours « Samuel » de Franche-Comté), p. 111.
23 - Récit de Pierre Guerigen (diocèse de Metz), p. 57.
24 - Récit de l’École de vie des Fraternité monastiques de Jérusalem, p. 101.
25 - Témoignage d’une jeune dans le récit de Sœur Verena Wüst (groupe de recherche pour jeunes filles de Paris), p. 78.
26 - Récit de Denis Bourget (diocèse de Nantes), p. 52.
27 - Cf. le récit de Denis Bourget (diocèse de Nantes) ; de Dominique Rameau (groupe d’aînés) ; de Frédéric Benoît (province de Paris) ; de Guillaume Villatte (diocèse de Pontoise) ; de Pierre Guerigen (diocèse de Metz) ; de l’École de vie des Fraternité monastiques de Jérusalem…
28 - Récit de Pierre Guerigen (diocèse de Metz), p.58. Cf. également l’affirmation selon laquelle « l’école de vie veut être un groupe d’Église », dans le récit de l’École de vie des Fraternité monastiques de Jérusalem, p. 98. C’est dans le même sens que l’on peut comprendre l’importance de la vie fraternelle dans le récit du frère Prêcheur.
29 - Récit de Marie-Paule Delachaux (parcours « Samuel » de Franche-Comté), p. 106.
30 - Récit de l’École de vie des Fraternité monastiques de Jérusalem, p. 102.
31 - LCF III-I, 3, p. 77.
32 - LCF III-I, 3, p. 77.