Le groupe Théophile


Pierre Guerigen
responsable du service des vocations
diocèse de Metz

 

Cet article est une présentation du groupe de recherche des services diocésains des vocations des diocèses de Metz, Nancy et Toul, Saint-Dié et Verdun en direction des étudiants et jeunes adultes. Après une brève présentation historique, nous présenterons l’organisation du parcours, son inscription dans un environnement plus large, avant de relever quelques points d’attention.

 

Durant les années 90, il n’était plus possible, et encore moins souhaitable, que chaque diocèse lorrain poursuive individuellement une proposition de groupe de recherche à des jeunes en discernement vocationnel. La mise en commun des énergies des quatre diocèses de Metz, Nancy et Toul, Saint-Dié et Verdun a abouti à l’élaboration du groupe Théophile : proposition en direction des étudiants et jeunes adultes, groupe mixte consistant en quatre week-ends et une retraite, le temps d’une année universitaire.

L’objectif visé était de permettre à des jeunes ayant clairement une recherche vocationnelle spécifique de cheminer pour aboutir à une décision en fin d’année : entrée en propédeutique, en noviciat ou discernement d’une vocation au mariage.

Le groupe Théophile était un élément important, mais pas unique, pour favoriser ce discernement : accompagnement spirituel, vie chrétienne et sacramentelle, prière, Parole de Dieu…

Depuis maintenant deux ans, ce groupe connaît une évolution notable par l’assouplissement du cadre temporel. Constatant qu’il devenait de plus en plus difficile pour des jeunes d’entrer dans un parcours balisé et borné dans le temps, les responsables des SDV de Lorraine ont décidé d’accueillir les jeunes tout au long de l’année et de cheminer avec ces personnes le temps nécessaire, sans s’obliger à respecter le cadre strict d’une année universitaire. Cette souplesse exige a contrario de pouvoir aussi discerner qu’au bout d’un certains temps (deux ans par exemple), le groupe Théophile n’est plus adapté à une personne qui n’arriverait toujours pas à poser un choix dans son discernement vocationnel.

Pourtant l’organisation interne des week-ends au sein d’une année n’a pas été fondamentalement bouleversée. Même si des jeunes participent deux fois au même week-end d’une année sur l’autre, l’expérience montre qu’ils en retirent toujours quelque chose d’intéressant. Comme le contenu d’un week-end est fortement influencé par la composition du groupe Théophile, par la réaction des uns et des autres et par leurs questions, les jeunes y puisent à chaque fois des éléments nouveaux pour leur propre cheminement.

Si nous nous intéressons de plus près au parcours Théophile, c’est parce qu’il se comprend comme un cheminement pour permettre à un jeune d’avancer dans son discernement vocationnel en s’inscrivant dans une démarche ecclésiale.

Les quatre week-ends et la retraite se situent dans différentes réalités ecclésiales des diocèses lorrains pour permettre de découvrir que les vocations spécifiques sont multiples : contemplatives avec les carmélites, les bénédictines ou encore les cisterciennes, mais aussi apostoliques avec des congrégations religieuses fondées au XVIIIe ou XIXe siècle (sœurs de la Providence de Saint-André de Peltre, sœurs de la Providence de Portieux) ; un week-end à la propédeutique de Nancy permet un passage dans un lieu évocateur du ministère presbytéral diocésain.

Chaque week-end est accompagné par au moins un prêtre et une religieuse issus des services diocésains des vocations ; ils assurent aussi l’animation de ces 24 heures. Le week-end débute le samedi vers 15 h pour s’achever le dimanche vers 15 ou 16 h. Proposition montée par les services diocésains des vocations, ces week-ends sont largement pris en charge financièrement par les diocèses. Dans la mesure du possible, chaque jeune y contribue à hauteur de dix euros.

Au cours d’un week-end, une place importante est toujours donnée à l’échange et aux réactions des participants pour que grandissent la confiance et le soutien mutuel. Il s’agit certainement d’une des caractéristiques fondamentales de ce groupe Théophile : pour beaucoup de jeunes, c’est le seul lieu où ils peuvent échanger en confiance sur ces questions de vocations spécifiques, où ils font l’expérience qu’ils ne sont pas seuls à traverser ce questionnement de choix de vie. Le groupe étant mixte, il est souvent souhaitable de ménager, au cours de ces journées, un moment d’échanges où filles et garçons sont séparés. Chaque week-end s’articule autour d’une vie de prière conséquente, où la liturgie eucharistique occupe la place centrale. C’est aussi l’occasion d’une initiation à la prière liturgique de l’Église fondée sur les psaumes. À la fin de chaque week-end, une évaluation est systématiquement proposée, permettant de mieux appréhender la pertinence du contenu du week-end mais aussi de dégager des pistes d’attention pour l’avenir.

La retraite « Je deviens disciple » a un statut particulier : elle n’a pas d’abord un caractère de discernement vocationnel à proprement parler, mais elle vise d’abord à faire l’expérience spirituelle que toute vie chrétienne est une suite du Christ choisie librement. C’est pourquoi cette retraite, concrètement portée par les services diocésains des vocations, est d’abord une initiative des services de pastorale des jeunes des diocèses, ouverte à tout jeune désireux d’avancer dans son aventure spirituelle. Cette retraite est organisée à partir des intuitions fondatrices de la pédagogie ignatienne mises en œuvre dans les Exercices spirituels.

 

« Je découvre… » (1er week-end)

Le premier week-end, situé le plus souvent en novembre, permet à des jeunes de découvrir cette proposition. Découvrir d’abord qu’ils ne sont pas seuls dans leur recherche vocationnelle, que d’autres jeunes partagent ce même désir de répondre à l’appel du Seigneur. Ce premier week-end propose un temps pour permettre aux uns et aux autres de se découvrir, de se dire dans un climat de confiance et d’écoute bienveillante.

C’est aussi l’occasion de constituer une petite cellule d’Église qui prend corps, qui prie, célèbre et vit ensemble. Lors de cette première rencontre, les jeunes reçoivent sept points de repères qu’ils sont invités à accueillir comme des balises pour leur permettre d’avancer dans leur discernement. L’expérience montre qu’il est bon de revenir inlassablement à ces points de repères pour aider à leur mise en place et pour qu’ainsi, tout au long de l’année, ces jeunes puissent avancer et discerner leur vocation. Mais quels sont ces repères ?

 

La prière

Il s’agit de faire découvrir que la prière est le lieu central où Dieu se révèle à nous et où il nous révèle à nous-mêmes. La prière vécue peut alors être expérimentée comme une deuxième respiration qu’il s’agit d’inscrire dans la régularité quotidienne et la durée, comme un souffle pour toute la journée.

 

La Parole de Dieu

Permettre à ces jeunes de fréquenter l’Écriture, les inviter à s’y plonger pour découvrir que leur propre histoire se révèle à eux quand ils accueillent la Révélation divine par la lecture de la Parole de Dieu. C’est aussi l’expérience d’un peuple qui découvre dans sa propre histoire qui est Dieu et qu’il en devient le peuple élu.

 

L’engagement dans une communauté chrétienne

Permettre de discerner qu’une vocation spécifique se conjugue avec le verbe « servir ». Pour cela, l’insertion dans une réalité ecclésiale est nécessaire pour se tourner vers les autres et se décentrer. Découvrir ce que l’Église attend de nous ; quelle place a-t-elle à nous proposer ? L’Église a-t-elle besoin de nous ?

 

La vie sacramentelle

Il n’est pas envisageable d’avancer sur des questions de discernement vocationnel sans vivre des sacrements. Devant la grande diversité des parcours des jeunes que nous accueillons, il nous faut les inviter avec bienveillance mais aussi fermeté à progresser sur ces domaines : un état de vie est en jeu. L’eucharistie et le sacrement de la pénitence et de la réconciliation sont essentiels puisqu’ils maintiennent en état de baptisé, et font avancer dans ce cheminement.

 

L’accompagnement spirituel

Ce n’est pas ici qu’il faut rappeler l’importance de l’accompagnement spirituel. Là aussi il est plus que nécessaire de rappeler des évidences. Par exemple sur le choix de l’accompagnateur : un, pas cinquante, ni même deux. Sur ce qu’il est : un accompagnateur – et non pas un directeur ou un maître – que l’on voit régulièrement. Se pose alors aussi pour les services diocésains des vocations la question de disposer de personnes formées pour assurer ce service d’Église.

 

Le carnet de bord

Chaque jeune est invité à avoir ce témoin, quotidien ou presque, de ce qui se passe en lui. Un travail de discernement nécessite quelques outils concrets pour garder trace de ce qui bouge en chaque personne et ainsi repérer le travail de l’Esprit.

 

La fidélité aux rencontres Théophile

Les jeunes sont invités à s’investir dans le groupe tout au long de l’année dans une réelle fidélité, qui est loin d’être évidente.

 

La retraite « Je deviens disciple… »

Après ce premier week-end, la retraite « Je deviens disciple » trouve alors naturellement sa place durant les vacances d’hiver : marquée par la spiritualité ignatienne, cette retraite de quatre jours vise d’abord à faire l’expérience de l’Écriture comme Parole vivante, Parole de Dieu pour moi, aujourd’hui. Cette retraite a lieu en silence, le plus souvent dans une abbaye, avec un accompagnement individuel, l’introduction deux fois par jour aux temps de prières individuelles (repères pour la prière et pistes par rapport aux textes de la Parole de Dieu proposés). Si l’aventure du silence n’est jamais gagnée d’avance, l’accompagnement individuel peut être une réelle difficulté pour l’un ou l’autre jeune. La patience et la bienveillance sont alors les meilleurs atouts pour permettre cette expérience de la vie intérieure.

 

« Je comprends mon humanité… » (2e week-end)

En partant du récit de la Création (Gn 1, 26-31), les jeunes sont invités à prendre conscience que Dieu les appelle à vivre. C’est la vocation commune de tout homme : Dieu nous crée et nous appelle à vivre en hommes et femmes libres et responsables. L’homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, il est créé homme et femme, comme une personne de relation. Mais cet homme est un être fragile, marqué par le péché.

Ce week-end est l’occasion de traverser les fragilités de la personne humaine et d’évoquer les questions d’affectivité. Pendant de nombreuses années, cette question était assez difficilement abordée faute d’outils adéquats. Depuis deux ans, nous utilisons différentes séquences d’un DVD présentant les vocations (réalisé par le diocèse de Metz) et qui permettent d’aborder simplement et franchement les questions de la vie affective, de la sexualité dans le cadre du célibat consacré.

 

« Je m’ouvre à l’Église… » (3e week-end)

Ce troisième week-end vise d’abord à prendre conscience que les vocations dans l’Église sont multiples : les jeunes qui sont là viennent pour des questions de vocations spécifiques, mais il est bon qu’ils entendent que le mariage est aussi une vocation. Au sein des vocations spécifiques, comme garçon, la seule réponse possible n’est pas seulement celle de prêtre diocésain. De même pour la vie religieuse, les figures sont multiples. Ce week-end, à travers la rencontre de témoins vivants, mais aussi d’extraits vidéos, permet d’appréhender la richesse foisonnante des vocations dans l’Église.

 

« Je trouve ma vocation… » (4e week-end)

Il s’agit du dernier week-end du parcours annuel qui a pour objectif de permettre aux jeunes de faire le point sur une année de cheminement, pour avancer dans le discernement et poser un choix. Les animateurs proposent un temps d’enseignement sur l’Esprit Saint – qui est-il, quelles sont ses actions, ses signes, ses fruits… comment agit-il dans nos vies ?

Un temps personnel de prière est consacré à la relecture de l’année pour y discerner l’action de l’Esprit. Cette relecture se fait autant par une large vision des événements du monde que par l’attention aux réalités qui ont marqué la vie de chacun pour, chaque fois, repérer ce que cela dit à chaque personne de sa propre expérience spirituelle. Elle est ensuite reprise au cours d’une veillée de prière où chacun est invité à clarifier ses attentes : quelles sont ses perspectives, comment désire-t-il poursuivre, quel acte désire-t-il poser pour une prochaine étape ?

Ce week-end ménage une place importante à la rencontre individuelle de chaque jeune avec le responsable du service diocésain des vocations pour faire le point sur l’année écoulée et envisager l’avenir.

Ce parcours, en place maintenant dans ses grandes lignes depuis une dizaine d’années, continue à faire ses preuves, même s’il a connu des aménagements notoires. C’est, je pense, une invitation à rester souple, conscient qu’un groupe de discernement comme Théophile ne trouve pas d’abord sa fin en soi, mais dans le service qu’il rend à des jeunes. Il s’agit d’adapter la proposition à ce que désirent les jeunes aujourd’hui quand ils sont en démarche de recherche vocationnelle. L’abandon d’un parcours unique, bloqué sur une année, illustre cette nécessaire adaptabilité sans pour autant renoncer à donner un outil qui favorise l’avancée et le choix. Certes des jeunes arrivent désormais en cours de parcours ou ne font pas, en continu, les différents week-ends, mais nous faisons l’expérience que ce fonctionnement permet aux services diocésains des vocations de proposer un cheminement réaliste, en phase avec les réalités d’aujourd’hui. Du côté des jeunes, si nous les accueillons volontiers, ils découvrent aussi à leur rythme la pertinence d’entrer dans une démarche dans la durée, impliquant la fidélité avec ses exigences mais où ils font l’expérience d’être pris au sérieux et de pouvoir ainsi poser peu à peu des choix engageants.