Groupes de recherche de la Mission de France


Dominique Fontaine,
Henri Gesmier,
P. Salaün
service des vocations de la Mission de France

 

« C’est un bienfait que des prêtres redeviennent des témoins. Beaucoup moins pour convaincre que pour être signe. Etre témoin, ce n’est pas faire de la propagande, ni même faire choc, c’est faire mystère. C’est vivre de telle façon que la vie soit inexplicable si Dieu n’existe pas » (cardinal Suhard).

 

Depuis sa naissance en 1941, la Mission de France est dotée d’un séminaire. Il s’agissait, pour le cardinal Suhard et les évêques de l’époque, de former des prêtres dont le ministère serait essentiellement de rejoindre les personnes et les milieux dont l’Église est loin. L’engagement dans la vie sociale et en particulier dans un travail professionnel a très vite teinté la façon d’être prêtre à la Mission de France. Notre accompagnement des jeunes qui se posent la question de devenir prêtres est donc aujourd’hui coloré par cet engagement dans la société. Dans cet article, nous voudrions témoigner, simplement, de cette façon de faire et de ce qu’elle permet de découvrir.

Nous le savons bien, les jeunes chrétiens aujourd’hui vivent une expérience, multiforme, de zapping spirituel. Ils découvrent ainsi peu à peu la diversité des visages de l’Église et de l’expérience spirituelle. Dans chaque lieu où ils s’arrêtent un moment, quelque chose les touche fortement et les marque, dans leur vie de prière ou leur engagement de chrétien, pendant un temps. Parfois ils en sont éblouis et enthousiastes.

Pour ce qui concerne la Mission de France, ce qui les émeut, au hasard d’un rassemblement de jeunes, c’est souvent la découverte d’un visage de prêtre inattendu ; alors la question du ministère émerge ou réapparaît. Pour d’autres, ce sera un lieu spirituel, – par exemple l’abbatiale cistercienne de Pontigny – où la Mission de France organise des sessions pour jeunes, qui fera émerger la question d’une vocation spécifique.

Mais l’expérience nous montre que ce n’est pas seulement une provocation forte qui va les aider à mûrir leur recherche profonde et l’appel qu’ils entendent au fond d’eux-mêmes.

Il faut d’abord que l’appel qu’ils ressentent puisse parvenir à « la parole », qu’il puisse être formulé. C’est difficile pour eux. Cela survient parfois sur le mode d’une parole lâchée un jour à quelqu’un. Un jeune, par exemple, dit à un prêtre ouvrier qui travaillait comme cuisinier : « Si jamais un jour je suis prêtre, je le serai comme toi. » Nous essayons de permettre que cette parole vienne au jour, sans qu’elle soit sollicitée.

Vient ensuite le temps de la constitution d’un groupe de recherche. D’emblée nous essayons de créer un climat de grande liberté, afin que chacun sache que plusieurs choix sont possibles, et pas « seulement » celui d’un ministère à la Mission de France. Récemment d’ailleurs, plusieurs d’entre eux sont entrés dans une congrégation, certains ont rejoint un diocèse, d’autres ont choisi de se marier. Cette liberté est marquée par le fait que le prêtre qui accompagne le groupe n’est pas avec eux pendant tout le temps de rencontre. Il rejoint le groupe à un moment du week-end. Ils ont besoin de se confronter entre eux. Un jeune l’exprime ainsi : « Il y a beaucoup d’avantages à discerner sereinement dans un espace ouvert de confiance et de liberté de parole. Chaque question peut y être exprimée par des mots d’aujourd’hui et des mots peuvent être posés sur des ressentis. Seul, on ne peut pas y arriver, on manque de vocabulaire. Mais les autres “dans la même galère” du ressenti peuvent avoir le même genre de problèmes. A plusieurs, c’est donc plus facile. Ce qui se passe au sein d’un groupe de recherche comme le nôtre, c’est bien cela. Chacun a sa vie qui lui est propre. Nous nous ressemblons par notre questionnement mais nous sommes tellement différents par notre quotidien, notre travail, nos engagements, nos amis, nos vies. C’est cela qui nous enrichit mutuellement. Quand nous nous retrouvons, nous quittons ce qui fait notre “enclos” et nous nous ouvrons par le portail ouvert que représentent nos compagnons.
Nous sommes différents, mais nous sommes invités à répondre à un même amour, d’une manière ou d’une autre, respectueuse de ce qu’on est. C’est surtout de cela que j’ai pris conscience. Rien n’est clos, tout est ouvert. Rien ne se fige au moment où débute notre discernement, tout commence. »

À la Mission de France nous vivons un rapport positif à la société. Nous sommes très sensibles à ce que la recherche d’un jeune, vis-à-vis d’un engagement dans l’Église, ne soit pas une fuite du monde et ne l’écarte pas de la société. C’est pourquoi nous sommes soucieux de les faire réfléchir sur leur façon de vivre en chrétiens leur vie professionnelle et sociale. Nous les invitons à participer à des associations de tous ordres (caritatives, sportives, écologiques, solidaires…). Cet engagement leur permet de vivre de nouvelles solidarités et de découvrir des souffrances et des pauvretés dont ils n’avaient pas conscience. Cela leur permet aussi d’agir avec d’autres qui n’ont ni les mêmes motivations ni la même foi.

Un jeune nous écrivait récemment : « Mon quotidien me permet de rester en alerte par rapport à ce que le monde me dit (actualité, écoute de mes proches […] et je considère cela comme un atout dans la voie du discernement. C’est une recherche qui s’inscrit déjà dans l’incarnation : une vie, une famille, des expériences, des rencontres, un travail, des embûches, des mains tendues […] Si je choisis d’ouvrir plus grand ma vie et de répondre oui à un appel, c’est bien parce que ce cheminement aura été ancré dans le monde. S’inscrire à la suite du Christ, c’est choisir de vivre là où je suis, à ma modeste place, l’annonce de l’amour. Une vie qui serait consacrée au monde doit trouver ses racines dans le monde. » Un autre jeune écrivait cette méditation : « Discerner en étant “dans le monde”, c’est d’abord l’exigence de vivre en chrétien : trouver Dieu “dans le monde”, le chercher dans le quotidien, apprendre à le recevoir et à se donner à lui “en toute chose”, trouver dans ce quotidien de quoi nourrir et soutenir sa foi, apprendre à être chrétien “en toute chose” par le boulot, les amis […]. Oui dans tous les domaines de la vie il est possible de vivre l’Évangile. »
Il continuait : « Il s’agit aussi d’entendre le questionnement et les problèmes posés par les contextes, les situations, les personnes. Etre à l’écoute des situations et des gens comme on est à l’écoute de Dieu. Cela donne à voir la distance entre notre système de pensée et les systèmes de pensée des personnes que l’on fréquente. »

Nous proposons aux jeunes une découverte de la prière liturgique, mais nous sommes attentifs à ce qu’ils apprennent aussi à prier seuls. Comme l’écrivait Madeleine Delbrêl, nos vies encombrées doivent trouver de nouvelles formes de prière, ce qu’elle appelait des « forages » pour aller à la source 1. Pour des jeunes, apprendre à prier seul n’est pas évident. Nous les aidons à trouver leur forme de prière personnelle. Certains continuent alors à fréquenter des groupes de prière, mais ils ne s’y sentent plus « englobés ». Nous insistons aussi pour qu’ils aient un accompagnateur spirituel.

La rencontre de témoins, comme des prêtres au travail, situe bien la différence chrétienne : vivre tout en étant dans un rapport positif à la société. Ce même jeune continue : « On voit la possibilité d’aimer avec cette différence, dans un enrichissement mutuel, dans le “faire ensemble”, dans la fréquentation quotidienne. »

Nous sommes attentifs à ce qu’ils acquièrent un bon équilibre dans leur vie affective, sociale, et une compétence professionnelle. Les thèmes des week-ends proposés en sont l’illustration : le travail professionnel, le célibat et la vie affective, l’engagement, le don de sa vie, l’Église, la prière, etc. Les questions sont souvent abordées sous des angles différents, avec plusieurs témoins, – pas tous de la Mission de France d’ailleurs – et souvent avec l’apport de prêtres de générations variées.

Un jeune en fin de cheminement écrit : « L’école du quotidien, les mêmes difficultés que tous, cela responsabilise, cela fait mûrir. Il est avantageux d’avoir expérimenté qu’on “est bien” quelque part, qu’on aime ce qu’on fait, pour pouvoir si on le veut ensuite librement y renoncer : position sociale, reconnaissance, salaire et niveau de vie, etc. »

Nous observons ainsi chez certains jeunes une adéquation entre un appel, qu’ils ont senti en profondeur, et un visage inattendu de prêtre. D’où pour nous l’importance d’aider les jeunes à creuser la question de leur place dans le monde et de percevoir comment cet appel né dans le monde, peut mûrir. C’est pourquoi nous nous efforçons d’accompagner, sans enfermer, sans dire que le but est « forcément » d’être prêtre, en tous cas en fondant la vocation du prêtre sur la vocation baptismale. Bien sûr, on creusera et approfondira ce qu’est « être prêtre », mais sans enfermer le prêtre dans le seul statut d’homme d’Église. Comme le disait l’évêque de la Mission de France, Mgr Yves Patenôtre, ordonnant récemment un jeune prêtre : « Frédéric, tu n’es pas ordonné d’abord pour être un homme d’Église, mais pour t’engager “plein pot” avec le Christ pour que ceux avec qui tu vas vivre puissent le rencontrer. »

Cela rejoint une phrase du cardinal Suhard : « C’est un bienfait que des prêtres redeviennent des témoins. Beaucoup moins pour convaincre que pour être signe. Etre témoin, ce n’est pas faire de la propagande, ni même faire choc, c’est faire mystère. C’est vivre de telle façon que la vie soit inexplicable si Dieu n’existe pas. »

Dans les groupes de recherche, nous amenons les jeunes à se dire que la façon dont ils voient ou imaginent le ministère de prêtre sera sans doute différente dans les années à venir, du fait de ce monde mouvant. Comme la crise économique et sociale actuelle remet beaucoup de choses en question, ils sentent bien qu’il en est de même pour l’Église. Ils sentent que ce n’est pas en se figeant dans un projet de ministère « bien imaginé » qu’ils pourront donner une réponse à l’appel qu’ils perçoivent. Cela entraîne pour ces jeunes des combats intérieurs difficiles, et des débats serrés entre eux. Mais ils gardent au cœur un élan profond.

Ceux qui choisissent d’entrer au séminaire de la Mission de France savent que durant le premier cycle, avant de passer à un cycle d’études à plein temps, ils continueront à vivre un travail professionnel et un enracinement dans la société. Pour eux, et pour nous, c’est important.

 


1 - Madeleine Delbrêl, La joie de croire, Livre de Vie, p. 242.