Accompagner des aînés


Dominique Rameau
responsable du service des vocations
diocèse de Créteil

 

Membre d’un service diocésain des vocations situé en Île-de-France, je participe à l’animation d’un groupe de recherche interdiocésain qui rassemble chaque année entre dix et quinze hommes d’âge différent. Nous nous efforçons de leur proposer un parcours le mieux adapté possible, au service de leur discernement et de celui de l’Église. Tous se sont présentés au service des vocations de leur diocèse, habités d’un désir de consacrer leur vie au Christ, la plupart du temps exprimé en terme de souhait d’être prêtre diocésain. Parmi ceux-ci, plusieurs ont dépassé la trentaine ; certains, la cinquantaine.

Devant une telle réalité et dans la perspective qui nous anime de trouver l’attitude à adopter et le choix à faire pour offrir à chacun le meilleur accompagnement possible de sa démarche, des questions se posent à nous.

 

La candidature d’hommes dont l’âge se situe autour de 40 ou 50 ans peut-elle être assimilée à celle d’hommes âgés de 18 à 30 ans ? Les points d’attention qui requièrent notre vigilance sont-ils les mêmes pour les plus âgés que pour des plus jeunes ? Devons-nous proposer le même groupe de recherche et de discernement à tous ou offrir un espace spécifique aux aînés ?

Après une expérience de trois ans, où j’ai reçu des adultes entre 38 et 53 ans, et cheminé avec eux, de façons diverses, sans tirer de conclusion définitive, je peux m’efforcer de noter quelques points forts et oser formuler une conviction quant à l’accompagnement d’aînés en matière de discernement de vocations.

 

Tout d’abord, qui sont-ils ?

Laissant volontairement de côté les personnes en grande fragilité psychologique, je m’attache à n’évoquer que ceux pour lesquels un chemin peut se dessiner vers le ministère presbytéral diocésain ou la vie religieuse. Ces derniers sont diversement situés dans la vie professionnelle.

La plupart occupent un emploi stable. Les qualifications varient beaucoup. Un seul était encore étudiant, au niveau du doctorat. Tous sauf deux (un africain et un asiatique) sont d’origine européenne.

 

Comment sont-ils accompagnés ?

Ma première expérience fut celle d’un accompagnement personnalisé. Le candidat, seul cette année-là à avoir largement dépassé la quarantaine, il nous a semblé opportun de lui offrir un espace de réflexion et de discernement différent du groupe constitué par des candidats beaucoup plus jeunes. Nous avons choisi une approche similaire à celle de groupes d’accompagnement vers le ministère diaconal, tel qu’il se pratique dans nos diocèses de la petite couronne parisienne. Un prêtre qui le connaissait bien, un diacre permanent collègue de travail du candidat et moi-même, responsable du service des vocations de son diocèse, nous sommes rencontrés mensuellement pour relire avec lui son expérience de vie ecclésiale d’abord. Nous nous sommes efforcés d’en souligner ensemble les richesses et les limites. Nous lui avons permis d’éclaircir ses motivations, d’exprimer ses représentations du ministère presbytéral en même temps que nous lui laissions entrevoir d’autres aspects de celui-ci qui lui avaient échappé. Corrélativement à cela, il a participé avec tous les autres candidats, quel que soit leur âge, à la retraite et aux week-end organisés par la région. Le premier relatif à la chasteté et au célibat. Le second à la question du choix et de la décision. Enfin, il a pu bénéficier d’un accompagnement spirituel.

Le moment venu, en début d’année pastorale suivante, il a rejoint un groupe de GFO, formation adaptée à sa situation professionnelle. Après une première année davantage orientée vers la fondation spirituelle, il poursuit pour l’heure son parcours de formation.

La deuxième expérience est sensiblement différente. Cinq adultes, entre 38 et 53 ans, se sont présentés au même moment, désireux d’entamer une recherche du même type. L’un d’entre eux a très vite mis un terme à sa participation. Les quatre autres ont achevé le parcours proposé. De quoi s’agissait-il ?

Nous avons choisi de leur offrir la même approche que pour les plus jeunes, toutefois dans un groupe ad hoc. Comme dans la situation précédente, ils ont participé cependant, pour la plupart d’entre eux, à la retraite et aux week-ends communs à tous les candidats.

Certains sont aujourd’hui en formation au séminaire. D’autres se sont orientés vers une autre forme de vie consacrée. D’autres encore n’ont pas changé de situation. Nous reviendrons plus loin sur cette expérience, riche d’enseignements.

La troisième expérience se vit encore présentement. Elle concerne des hommes âgés de 24 à 38 ans, tous en situation professionnelle, sauf un bénéficiaire du RMI. Elle s’apparente à la précédente, avec une nuance de taille. Si le groupe de six personnes a bien une vie propre distincte de celle du groupe des plus jeunes, tous étudiants, les moments communs sont plus nombreux cette année. Les deux groupes fusionnent chaque fois qu’un intervenant extérieur vient enrichir notre réflexion à propos du ministère presbytéral diocésain ou de la vie religieuse apostolique. Bien entendu, comme dans les expériences précédentes, les aînés bénéficient d’un accompagnement spirituel. Cette année, autre nouveauté, les trentenaires bénéficient d’une retraite distincte de celle proposée aux plus jeunes.

 

Pourquoi ces choix ? Quel enseignement en déduire ?

Nos choix ont été guidés par différents critères que nous allons tenter d’exposer.

Dans le premier cas, l’originalité du parcours de notre aîné nous a commandé de ne pas risquer un mélange nuisible au discernement des uns et des autres. Il ne convenait pas que son expérience humaine monopolise nos rencontres. Pas davantage que, malgré lui, il conditionne la réflexion et partant le discernement des plus jeunes. Pourquoi cependant lui proposer de participer aux week-ends ? Cela s’est-il avéré judicieux ?

En ce qui concerne le premier, à propos de chasteté et célibat, outre la difficulté d’offrir dans ce domaine du sur mesure, nous avons pensé que la réflexion essentiellement centrée sur la Parole de Dieu et un article relatif à la chasteté du Christ, ne pâtirait pas du décalage. Il s’agissait davantage pour chacun de se laisser interpeller, éventuellement déplacer, par ce vis-à-vis avec le Christ que d’échanger sur son expérience dans ce domaine. À la relecture il semble que nous ayons eu raison. Mais il faut bien se garder de généraliser. La participation en vérité d’un aîné a permis aux plus jeunes de vérifier la possibilité d’un célibat serein, non sans combat, vécu dans la durée.

Que dire de la deuxième expérience ou de la troisième qui en est proche ?

La constitution d’un groupe spécifique d’aînés quand c’est possible, malgré leur diversité, permet une plus grande homogénéité et une plus grande liberté d’expression, notamment quant aux expériences qui ont émaillé leur vie : tentative de vie de couple plus ou moins longue, expérience professionnelle exaltante parfois, mais où un manque se révèle et engendre une profonde remise en cause. Coups durs de la vie qui ouvrent à la question du sens qu’on lui a donné jusqu’alors et à l’orientation qu’elle peut prendre désormais. Ma modeste expérience me fait oser une conviction. Une vocation « éclose » au cours d’un parcours de vie chaotique, comme c’est souvent le cas pour les aînés que je rencontre en groupe de recherche ne s’accompagne pas de la même façon qu’une autre qui a germé paisiblement dans un terreau ecclésial et familial posé, pour ne pas dire prédisposé.

À quoi être attentif plus spécifiquement alors ? Pour ma part, j’ai porté une attention particulière à la place du Christ et de leur relation à lui dans le changement d’orientation de leur existence. Quelle rencontre en ont-il faite ? Quel visage s’est révélé à eux ? Comment ? À quelle(s) occasion(s) ?

Il s’agit pour moi de confirmer ou d’infirmer qu’il s’agit bien de la rencontre d’un vivant, non d’une idée qui pourrait combler un manque.

J’ai été sensible à la manière dont ils parlaient de leurs expériences affectives, des fragilités durables ou de l’équilibre trouvé dont elles témoignaient, soucieux de les aider à vérifier outre leur aptitude au célibat chaste et continent, la liberté avec laquelle ils veulent embrasser cette perspective, dégagés de toute « déception amoureuse ».

J’ai attaché beaucoup d’importance encore à leur enracinement ecclésial, à ce qu’ils en exprimaient. Aux joies qu’ils y trouvaient ou non. Aux difficultés rencontrées. Pour plusieurs d’entre eux, nous avons même mis en place un dispositif d’hébergement en presbytère pour leur permettre d’expérimenter ce qu’est la vie d’un prêtre diocésain en banlieue, non de la rêver.

J’ai noté aussi leur capacité à se laisser conduire avec confiance ou au contraire la raideur de leur positionnement. L’un d’entre eux par exemple a fait montre d’un manque évident d’ouverture aux murmures de l’Esprit, convaincu de la vocation qui de son point de vue l’habitait depuis de nombreuses années.

Ce point me semble essentiel pour leur permettre d’appréhender leur vocation comme une grâce et un don que l’Église authentifie, non comme un projet personnel à réaliser coûte que coûte. Cela demande à l’accompagnateur une grande liberté quant aux personnes et à leur projet, d’autant plus grande qu’il peut être impressionné par les conversions exprimées, les choix radicaux déjà posés…

Il s’agit d’entendre le Seigneur et de permettre aux intéressés de l’entendre, non de le faire parler. À cet égard, le rapport entretenu avec l’Écriture par les candidats peut être un précieux indice d’authenticité ou d’autojustification.

Beaucoup de ces critères sont déjà essentiels quand il s’agit de plus jeunes. J’acquiers peu à peu la conviction qu’il le sont autrement – et peut être plus encore – en matière d’accompagnement d’aînés.

Quelques dernières remarques, fruit de ma réflexion sur cet accompagnement.

Des conclusions douloureuses, parfois, au terme d’une année d’accompagnement pourtant fructueuse et prometteuse me font attirer l’attention d’éventuels accompagnateurs d’aînés sur les liens qu’ils entretiennent avec les instances chargés de l’accueil en formation des candidats au ministère presbytéral.

Pour parler clair, un candidat nourrissant une réelle intimité avec le Christ, nonobstant un rapport à l’Écriture à réajuster, pouvait, de mon point de vue, être accueilli en formation, en dépit de son âge (plus de 50 ans) et de son parcours. Accepté dans un premier temps, il fut éconduit ensuite, sans qu’on ait vraiment sollicité mon avis circonstancié pour prendre une telle décision. C’est plus que regrettable, fort dommageable, pour la personne d’abord, mais aussi pour la crédibilité de l’Église.

Accompagner des aînés est une aventure passionnante qui demande délicatesse et doigté ; réorienter sa vie à plus de 35, 40 ou 50 ans ne peut être traité à la légère.

C’est un ministère plein d’espérance où il nous est donné de vivre parfois concrètement la parabole des ouvriers de la onzième heure, ou celle du Père dont l’Amour est incomparablement prodigue.