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Une expérience du discernement dominicain
frère prêcheur
Profès solennel de l’Ordre des Prêcheurs, venant d’être ordonné prêtre, voici à partir de mon expérience et de ce que j’ai pu percevoir de celle de mes frères, quelques éléments du discernement dominicain. Un frère exerçant une charge d’accompagnement ou d’autorité (maître des novices, maître des étudiants, prieur de couvent, prieur provincial) présenterait certainement les choses de manière différente. Il ne s’agit donc là que d’un écho personnel de jeune frère prêtre ayant eu à voter pour l’admission à la profession de frères entrés après moi.
L’Ordre des Prêcheurs, né au début du XIIIe siècle, hérite de la tradition monastique sans être lui-même un ordre monastique. L’époque n’est pas encore à une spiritualité moderne et à un discernement individuel centré sur un accompagnement aux règles strictes. L’intégration dans la communauté, l’appartenance à un Ordre, avec sa mission, le salut des âmes, ses traditions, son habit, son histoire, son enracinement dans la contemplation et dans la vie apostolique constituent les repères essentiels du discernement.
C’est parfois par un lien personnel avec un frère (aumônier d’étudiants par exemple) que la rencontre avec l’Ordre se fait. C’est en côtoyant les frères, en allant passer quelque temps dans les couvents, en partageant la vie des communautés que le désir grandit. Parfois, c’est l’histoire de l’Ordre, ancienne ou plus récente, qui sert de révélateur. Pour certains jeunes philosophes, ce sera l’attrait pour saint Thomas d’Aquin. Pour plusieurs frères entrés au début des années 2000, la figure et les écrits de l’ancien Maître de l’Ordre, le frère Timothy Radcliffe, furent décisifs.
La tradition dominicaine ne sépare pas relation apostolique et amitié personnelle. Il n’est donc pas étonnant que tel ou tel jeune entre parce qu’il connaît un frère ou parce qu’il a déjà un ami dans l’Ordre. On voit aussi le cas où c’est l’amitié avec une sœur moniale ou une sœur apostolique qui conduit à découvrir l’Ordre et qui fait naître le désir de devenir frère dominicain.
Lors de l’entrée au noviciat, le prieur provincial dit aux nouveaux frères : « Si nos mœurs vous plaisent et si vos mœurs nous plaisent, vous ferez profession dans un an, sinon, vous êtes libres et nous sommes libres. » Il s’agit de vivre la vie des frères. C’est l’intégration progressive dans la vie religieuse qui est décisive : la capacité à vivre la vie commune avec des frères que l’on n’a pas choisis, la disposition à assumer la solitude (le novice passe beaucoup de temps seul dans sa cellule, notamment pour la lectio divina), là où la vie communautaire pourrait donner l’illusion d’une sécurité affective, le goût pour la vie d’étude et pour l’apostolat, enfin la mise en place d’une vie de prière sérieuse, à la fois communautaire et individuelle, sont autant d’éléments que la vie relativement contemplative des couvents de noviciat et d’études permet de confirmer.
Le discernement est à la fois communautaire et personnel. On peut distinguer trois types d’acteurs : le sujet lui-même, « premier responsable de sa formation » comme disent les constitutions dominicaines, la communauté (chapitre et conseil des couvents) qui vote pour l’admission à la profession simple et à la profession solennelle, et le prieur provincial, qui décide de l’admission, sachant qu’il ne peut admettre un frère refusé par la communauté.
Le maître des novices, puis le maître des étudiants, assurent un rôle charnière entre le discernement individuel et communautaire. Par leur entretien régulier (une fois par mois) avec le frère en formation, ils sont les premiers témoins du discernement qui s’opère. Ils présentent à la communauté le frère concerné et donnent leur avis. Ils n’ont cependant pas d’autre rôle décisionnel que de voter, comme membre du chapitre et du conseil du couvent, pour l’admission à la profession des frères.
Le provincial, par ses visites au moins annuelles (souvent plus fréquentes) dans les couvents de formation, entretient une relation de proximité et de confiance avec les jeunes frères. Il est ainsi susceptible de connaître des éléments plus personnels, dont ne dispose pas la communauté, pour juger de l’admission aux différentes étapes de l’engagement du frère. La manière dont le chapitre conventuel se prononce est importante car elle dit quelque chose de la fraternité qui nous lie. Les chapitres de présentation (lorsque le frère vient devant la communauté, qui lui pose quelques questions pour mieux le connaître) ou de vote sont toujours des événements importants, à la fois solennels et fraternels, sérieux et bienveillants. Il est frappant de constater l’attention des frères et leur volonté d’objectivité, même lorsqu’il n’y a pas réellement de suspens. Le parcours d’études des frères en formation dans la province de France fait que, jusqu’à maintenant, les jeunes profès solennels, étudiants de quatrième année au couvent de Lille, restant dans le même couvent que les frères entrés l’année suivante, votent pour la profession solennelle des frères avec qui ils sont étudiants. Pour tous les jeunes profès, c’est une expérience extrêmement « responsabilisante » et parfois vertigineuse : après à peine plus de quatre années sous l’habit de l’Ordre, nous nous prononçons sur le choix de vie de nos frères. À ce moment, nous prenons conscience du sens de ce que nous (et nos frères) demandons lors de la prise d’habit, puis de la profession simple et de la profession solennelle : la miséricorde de Dieu et celle des frères. Une miséricorde qui consiste en une profonde bienveillance tout en exigeant une clairvoyance courageuse pour affronter les difficultés, dans l’intérêt du frère lui-même.
Pour conclure, la vie communautaire, dans sa dimension fraternelle et priante, est le lieu quotidien où s’opère le discernement. À l’heure où la plupart des candidats à la vie dominicaine sont d’abord attirés par la vie communautaire et liturgique, la prédication et l’étude (dans le désir d’une intelligence de la foi), il est frappant de noter que ce sont justement ces caractéristiques de la vie dominicaine qui constituent les fondements d’une vérification de la vocation de frère prêcheur.