Séminariste, un engagement à soutenir


Bernard Podvin
Ancien supérieur du séminaire de Lille
Vice-recteur de l’université catholique de Lille

S’exprimant récemment aux évêques des provinces de Rennes et de Rouen, Jean-Paul II développait les difficultés des jeunes d’aujourd’hui à répondre à l’appel presbytéral (cf. texte p. 133). Il discernait trois raisons majeures : la crainte de l’engagement à long terme, la proposition du ministère sacerdotal lui-même, le rapport des jeunes avec le Christ.
Me retrouvant bien dans cette analyse, je partage ici ma modeste expérience de supérieur de séminaire interdiocésain. En plusieurs années d’écoute, de discernement et de coordination, j’ai remarqué combien l’on employait souvent la formule « crise de l’engagement ». Voici quelques observations et convictions.

Sans éluder la question presbytérale, il faut resituer la difficulté à s’engager dans un contexte de société. Est-il un parti politique, un syndicat, une profession qui ne s’interroge sur son recrutement ? Devenir prêtre mobilise, il est vrai, toute l’existence et pour toujours, mais la crise revêt d’indéniables traits inhérents à la culture ambiante.
A l’inverse, il serait précieux d’étudier ce qui motive les jeunes aujourd’hui. Ils sont capables d’implication forte quand une perspective les dynamise. Les services des vocations fourniraient un précieux éclairage aux communautés chrétiennes s’ils élaboraient une typologie des engagements.
Les candidats au presbytérat sont hélas peu nombreux en ce moment en notre hexagone. Ils ont assez souvent une expérience humaine et professionnelle quand ils sollicitent l’entrée au séminaire. Mais qui dit « expérience de la vie » ne signifie pas structuration de la foi. J’ai fréquemment entendu ces hommes mûrs me dire leur désir de ne pas tricher avec eux-mêmes et avec l’Eglise. Leur volonté d’approfondir les questions tant ils ont des choses à découvrir sur les plans intellectuel et ecclésial.

La communauté de formation que représente un séminaire, à condition que son effectif soit viable, est parfois sévèrement stigmatisée : ne fait-elle pas régresser les candidats adultes ? Je nuancerai ce propos. Si les formateurs et les séminaristes vivent une pédagogie concertée dans les termes proposés par les textes des évêques de France, la communauté peut devenir lieu d’humanisation, de responsabilisation et d’ecclésialité.

La pression sociétale exercée sur l’étudiant ou le jeune salarié est très forte. Il doit viser sans cesse réussite et excellence. Ce conditionnement a des effets psychiques sur une radicalisation de l’engagement existentiel. Radicalisation dans la ponctualité de temps forts plus que dans la durée, radicalisation dans le profil vocationnel plus que dans le visage presbytéral séculier.
Les prêtres diocésains sont franchement exposés dans la tourmente actuelle. Le traitement médiatique est injuste et globalisant. Les jeunes, non seulement ne rencontrent plus de prêtres en proximité scolaire directe, mais en reçoivent une image culturelle décalée. Quels prêtres sont à l’écran ? Soit l’icône idéalisée et impressionnante d’un Abbé Pierre nonagénaire, soit des reportages concernant de douloureuses affaires de pédophilie ! La médiatisation reflète rarement le vécu réel des prêtres aujourd’hui.

La culture ambiante connote fréquemment la notion d’engagement par un vocabulaire de contrainte. Une pédagogie spirituelle s’impose. J’ai remarqué que les jeunes sont transformés quand ils découvrent que l’engagement rend libre ! Nous gagnerions à développer cette présentation.

La théologie spirituelle rend un service éminent, tant en formation initiale qu’en formation permanente, quand elle affirme qu’il n’y a authenticité de l’engagement qu’en perspective pascale. Quand un séminariste fait sienne cette réalité théologique, il devient plus serein et accueille avec maturité les défis de sa formation.

Les étapes qui jalonnent le cursus du séminariste ont chacune leur caractéristique : rite d’admission, lectorat, acolytat, diaconat, presbytérat. J’ai constaté leur vertu pédagogique irremplaçable pour stimuler l’engagement. On n’est pas dans un séminaire à demeure pour l’éternité. On est en communauté de formation. En chemin ! Cela force une désidéalisation de soi, cela évite de perpétuer indéfiniment la prise de décision. Il est sain d’être aux rendez-vous successifs d’une progression et d’en rendre compte ecclésialement.
L’accompagnement spirituel est indispensable pour que l’engagement soit effectif. Il aura sans cesse à bien se situer dans le respect institutionnel des compétences. Le for externe et le for interne ont une complémentarité vitale en matière de stimulation vers l’engagement. Quand il s’avère nécessaire, le suivi psychologique contribue à de réelles clarifications, à la condition que le « spi » ne s’improvise pas en « psy » et que le « psy » soit respectueux du cheminement.

Thérèse de Lisieux marque de nombreux séminaristes. Leur fait-on suffisamment découvrir l’intuition thérésienne contenue dans des affirmations du genre : « Dieu me fait désirer ce qu’il veut me donner. » L’engagement ne trouve-t-il pas sa définition et son déploiement dans de telles expressions de vie et de foi ?

Parce que l’avenir est souvent incertain, des jeunes prêtres signifient volontiers dans les premiers temps du ministère à quel point ils découvrent sur le terrain de nombreuses réalités demeurées théoriques jusque là. Comment les accompagne-t-on au-delà des séminaires ? Tel ou tel me disait avoir été fortifié par les paroles du Christ en saint Luc : ne pas craindre d’être le petit troupeau, mais vivre cette certitude que l’annonce du Royaume nous est confiée. Nous sommes là aux antipodes de la méthode Coué mais dans le registre de la fécondité pastorale.
La formation des prêtres est une mission passionnante. J’ai eu la joie de l’exercer pendant quatorze ans. De nombreux formateurs et séminaristes l’accomplissent avec discrétion et efficacité. Il est sage de laisser les futurs prêtres mûrir leur décision et recevoir leur enseignement sans les récupérer hâtivement sous prétexte de pénurie.
En même temps, rien ne vaut l’insertion pastorale qui est souvent décisive dans la maturité du jugement et la profondeur spirituelle de l’engagement.

Dans la situation difficile que connaissent aujourd’hui les séminaires, il est vital que les séminaristes et leurs formateurs soient soutenus par une véritable « culture de l’appel » et une tonique explicitation de la spiritualité diocésaine.