Une alliance entre action et appel : le scoutisme


Jean-Marie Mallet-Guy
Aumônier général des Scouts de France

Lorsqu’on associe scoutisme et vocation, trois images viennent à l’esprit ; celle du trampoline : pour s’élever il est utile d’avoir de bons ressorts ; celle du réseau de relais téléphoniques : pour qu’une communication passe il faut qu’elle soit relayée ; et l’image de la terre à ensemencer : pour qu’une semence donne vie il faut une bonne terre pour la recevoir.

Par expérience et par mission, je situe scoutisme et vocation dans l’espace de la pratique et de l’histoire des Scouts de France. En 1907, lorsque Baden-Powell propose à des jeunes d’aller camper dans l’île Bronwsea et invente avec eux et pour eux la méthode scoute, il répond à un double appel. Celui que lui adressent des jeunes désœuvrés et celui d’un Royaume d’Angleterre inquiet de son avenir. Lui-même en retour adresse à ces jeunes un appel clair : « Voulez-vous devenir des citoyens, actifs, utiles et heureux ? »
Ainsi, pourrait-on dire, depuis son origine le scoutisme entretient avec « la vocation » comme une alliance naturelle. Il n’est donc pas étonnant que dans notre société et dans l’Eglise des milliers d’hommes et de femmes reconnaissent combien ils doivent au scoutisme d’être allés, comme dit la chanson, « jusqu’au bout de leurs rêves ». Bien des prêtres, religieux(ses), diacres et aujourd’hui surtout de responsables laïcs dans l’Eglise, doivent à leur itinéraire chez les Scouts de France d’avoir engagé leur vie au service des autres et de Dieu. Et lorsque le Père Forestier, o.p. – dans la ligne des pères Cornette et Sevin s.j., fondateurs et référents des Scouts de France – écrit : « C’est qu’en route les scouts ont ouvert le dangereux petit livre des Evangiles, le livre des contradictions », il situe bien le scoutisme non pas comme un état chrétien que l’on entretient, mais comme une marche, une action, une route sur laquelle l’Evangile est offert comme un pain. Mettre l’homme debout c’est déjà lui révéler qu’il a un chemin à tracer, qu’il est attendu, en un mot qu’il peut devenir « éclaireur ». Le scoutisme rejoint l’intuition des Pères de l’Eglise, le but n’est pas de rester chrétien, mais de le devenir.

Recueillons le témoignage de Dominique, responsable en mission de formation (Revue Demain n° 105).
« Le scoutisme est pour moi un lieu vocationnel où j’ai pu expérimenter ma rencontre avec Jésus. Si j’essaie de relire mon cheminement chez les Scouts de France, je découvre que Dieu a toujours été présent par une multitude de signes : vivre la prière autour d’un feu de camp un soir d‘été ; s’émerveiller du sourire d’un enfant et y reconnaître le visage du Christ ; bâtir un projet en commun. La chance d’être chez les Scouts de France, c’est de vivre le service, la charité, de répondre à l’appel de l’autre en l’accompagnant : être frère et sœur dans le Christ… Enfin, le mouvement me donne la possibilité d’être témoin du Christ auprès des jeunes, des adultes. Il est chemin de progression personnelle, chemin sur lequel je grandis, je renforce ma foi. Le scoutisme : un lieu où j’ose dire « je crois ».

Le scoutisme n’est pas le message mais il en est le vecteur. « Un lieu où j’ai pu expérimenter… Il est le lieu où j’ose dire je crois » dit Dominique. De plus le scoutisme n’est pas l’objet de l’appel. Il n’appelle pas pour se développer lui-même (sauf dans une mission délimitée dans le temps et dans la responsabilité éducative), mais il appelle pour le service de la société, des autres, de l’Eglise, de Dieu. Qu’est donc le scoutisme pour permettre ainsi à des jeunes d’être demain des adultes « capables de rendre compte de l’espérance qui est en eux » ? Il est avant tout méthode éducative fondée, sur une vision de l’homme (profondément inspirée de l’Evangile), sur une confiance (dans tout individu il y a au moins 5 % de bon), sur une action (le jeu, le camp, la route, l’aventure, l’entreprise).

Un regard de confiance

Si tant de vocations ont pu naître, grandir, s’épanouir dans le scoutisme, cela tient d’abord au regard que l’on y porte sur le jeune. Un regard de confiance, en lui et en son avenir. Tu es capable, toi-même et avec ton équipe, de vivre dans la nature, de fabriquer, de t’orienter, de te nourrir, d’explorer, d’aller vers les autres, d’atteindre des sommets, d’aller à la rencontre de Dieu, de célébrer, de fêter.
« Chacun est appelé à être révélé dans sa vocation personnelle, à développer ses talents particuliers, à donner le meilleur de lui-même » (Projet éducatif pour le nouveau mouvement des Scouts de France et des Guides de France). Les scènes d’appel dans l’Evangile, au bord du lac, à la table de douane, au pied d’un arbre, au cours d’un repas, à la margelle d’un puits, sur la route d’Emmaüs, au sommet de la montagne (les Béatitudes)… peuvent alors être reçues, captées, accueillies. Au cœur de l’action, du jeu, du camp, de l’entreprise, du projet, le jeune se rend disponible pour entendre l’appel du Christ. Le propre du scoutisme est d’allier l’action et l’appel. Ainsi va naître l’appel à servir, à donner sa vie, à répondre à un projet de vie. Le scoutisme propose, dans l’action, une spiritualité de la reconnaissance de la dignité de chacun et de la confiance que Dieu lui porte.

Un vivre avec l’autre

Lorsqu’un jeune vient au scoutisme, au moment même où le groupe l’accueille, lui est « offert » une équipe (sizaine, patrouille) C’est le lieu où il va vivre l’aventure scoute, d’abord par le jeu, les activités, les projets, les actions diverses, puis par la découverte de la loi et de la promesse. C’est le lieu où il va découvrir les autres pour une vie sociale à construire, avec joie et difficulté. C’est le lieu où il va prendre sa part, par des rôles, des missions, des services. Il ne devient pas autonome et responsable pour être qualifié, comme on estampille aujourd’hui un produit, mais parce que l’équipe lui a permis de trouver sa place, « car la personne ne se construit pas sans le rapport à l’autre » (projet éducatif) et lui a appris que ses talents favorisent la réussite de tous.
« Notre mouvement est un lieu d’apprentissage de la vie en société » (projet éducatif). La rencontre et la confrontation des équipes créent le groupe (la meute, la troupe, le poste…) et non l’inverse. C’est là un passage pédagogique délicat et difficile, mais constitutif de la méthode scoute. On entre dans une démarche de « communion » et de reconnaissance. Ainsi naît le désir de projets encore plus forts, plus passionnants et exaltants avec la participation de tous.
Bien peu de jeunes sont à même de parler de l’Eglise… au-delà des images et des formules stéréotypées… mais peut-être seront-ils appelés à la servir si l’Eglise se dit en « communion de communautés chrétiennes », si elle vit au rythme d’un souffle de Pentecôte, si elle se passionne pour reconnaître à chacun le droit d’entendre le message du Christ « dans sa propre langue » et « de louer le Seigneur d’un seul cœur ». De la vie d’équipe à la vie en Eglise, le scoutisme offre là une chemin.

Un monde à aimer

La parole de Baden-Powell « essayer de laisser ce monde un peu meilleur qu’il ne l’était quand vous y êtes venus » est plus actuelle que jamais. Le scoutisme a rapidement pris une dimension internationale. Si l’on compte aujourd’hui vingt-huit millions de jeunes dans le monde membres du mouvement fondé par Baden-Powell, ce n’est pas uniquement, par engouement pour son idée de génie, mais bien parce que celle-ci porte en elle la volonté d’être au service d’un monde à bâtir. Les Jamboree, au-delà d’un fraternité célébrée, manifestent combien les différences sont des richesses à échanger (comme les insignes et foulards), les actions sont au service du bien de tous, le vivre ensemble passe par la simplicité. « Nous choisissons pour la planète un meilleur équilibre : que la croissance économique, le progrès social et le devoir écologique se vivent désormais en harmonie et non en opposition, que la solidarité l’emporte sur l’individualisme, la générosité sur le repli sur soi, le long terme sur l’immédiat, la sobriété sur la consommation effrénée » (projet éducatif).
Les projets des scouts les conduisent au cœur du monde. Citoyens d’un monde dur, violent, passionnant, riche de mille rencontres, digne de lui consacrer des années de sa vie dans des causes au service des plus pauvres, des plus démunis. Beaucoup de jeunes entendent aujourd’hui cet appel. Lorsqu’ils découvrent les paroles du Christ : « la moisson est abondante et les ouvriers peu nombreux pour la moisson », ils entendent bien une moisson pour tous les hommes de la terre. Les engagements de cette génération dans les causes caritatives, humanitaires, solidaires, les situent « frères en humanité ».
Les Scouts de France ont sans cesse à honorer, à rappeler, à vivifier le lien entre scoutisme et vocation, par « les relectures » et la capacité à nommer ce qui a été vécu, en y reconnaissant l’œuvre de Dieu.

Aujourd’hui encore des chrétiens nourrissent leur vie personnelle de pages d’Evangile découvertes dans la pratique du scoutisme. De nombreux prêtres aumôniers colorent leur pastorale et leur spiritualité personnelle de la pratique de leur scoutisme. Des hommes et femmes de la société lui doivent « la part d’humanité » qui les dynamise et les construit.
Pour autant, avec les autres communautés chrétiennes qui constituent l’Eglise, les Scouts de France constatent les petits effectifs de ceux qui cheminent vers la vie religieuse ou sacerdotale. Ils se rappellent que des générations de prêtres, de religieux(ses), de missionnaires « venaient des Scouts de France ». Et en même temps, d’un même mouvement pourrait-on dire, comment ne pas reconnaître qu’à ce jour, dans les services nationaux de l’Eglise de France, dans les conseils pastoraux diocésains, dans les paroisses, dans les missions d’aumôneries de santé, prison, lycées, dans les équipes de laïcs qui assurent sépulture, préparation au baptême et au mariage, dans la catéchèse, dans les services caritatifs et internationaux, nombreux sont ceux qui viennent des Scouts de France et des autres mouvements éducatifs de l’Eglise. Leur engagement est réponse à un appel, il est en acte le signe que le lien « scoutisme et vocation » est toujours d’actualité.
Est-ce à dire que le mouvement a changé ? Ou est-ce à dire que la figure humaine et chrétienne des laïcs responsables dans l’Eglise serait plus appelante ? Quelle image humaine et spirituelle porte actuellement l’appel au ministère de prêtre dans le peuple chrétien ? Question qu’il nous faut accueillir ensemble et en Eglise.