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Tous responsables de l’appel
Service diocésain de la catéchèse d’Angoulême
Personne ne s’est fait naître lui-même ; personne ne s’est donné la vie. Il a été propulsé dans la vie par d’autres êtres. D’où le commandement : « Honore ton père et ta mère. » Chacun a reçu la vie. Il n’est donc pas à l’origine de sa vie. Il en est l’acteur, mais non pas l’auteur. On sait mieux maintenant combien l’intensité et la qualité du désir parental sont fondatrices pour l’enfant à naître. On sait aussi que le consentement à cet appel à vivre se joue pour l’enfant dès le début, dès le sein maternel. Pas seulement dans les processus biologiques : dans les relations multiples d’un petit bout d’homme à son environnement extérieur, il y a comme un dialogue, comme une réponse au désir des autres l’appelant à « sortir ».
La vie : se recevoir d’un autre
Naître est un processus où la passivité est première (recevoir la vie), mais une passivité extraordinairement active (tout mettre en œuvre pour effectivement répondre à ce programme vital). Cette passivité-activité devient dès lors la clé de l’humanisation : nous sommes parlés avant que de pouvoir (devoir) parler ; nous sommes désirés avant que de pouvoir (vouloir) désirer ; nous sommes aimés, nourris, lavés, éduqués… avant de le faire à notre tour.
Par conséquent la vie, c’est d’abord recevoir et se recevoir d’un autre. On devient soi-même dans la relation à l’autre. On devient quelqu’un dans le regard et dans le cœur de quelqu’un d’autre.
Recevoir de se recevoir…
Et si grandir, c’était d’abord recevoir ?
Avez-vous déjà fait cette expérience : la surprise d’un cadeau imprévu, qui vous est offert sans avoir rien demandé ? Des amis avaient machiné une conspiration fort sympathique de ce genre autour de mon anniversaire : croyant me rendre à un repas en petit comité, je me suis brusquement retrouvé devant toute une bande de visages connus réunis en cachette, avec plein d’idées d’animations festives pour un anniversaire où je ne maîtrisais plus rien… Je m’étais trouvé tout « ballot », moi si habitué à donner (ou du moins à essayer, n’exagérons rien !), il fallait que j’apprenne à recevoir… et ce n’est pas si facile d’être dans cette position !
Depuis, cela me trotte dans la tête et dans le cœur : on a réduit l’amour à l’acte de donner. On nous chante qu’aimer c’est donner sans retour (F. Pagny, P. Obispo…) ; le Téléthon nous invite à donner notre argent par solidarité (et on nous culpabilise si le record n’est pas dépassé !) ; les parents se croient obligés de donner beaucoup de cadeaux à leurs enfants pour montrer leur amour (j’ai entendu qu’on dépense en moyenne 249 euros par enfant lors de ces fêtes de Noël… mais est-ce encore Noël ?)… N’oublie-t-on pas quelque chose de plus fondamental, en amont du don : savoir recevoir ?
Recevoir la vie avant de la donner ; recevoir ce que Dieu veut me donner avant de me prendre pour Dieu ; recevoir ma famille, mon métier comme un cadeau de l’existence ; recevoir mon corps même – tel qu’il est – recevoir mon histoire personnelle – telle qu’elle est – pour m’aimer en vérité.
L’évangile de Noël nous met sur la piste : « Il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune » (Lc 2, 7). La crèche, la mangeoire et l’étable ne sont pas des guirlandes roses pour endormir les enfants : ce sont le symbole de l’exclusion des hommes, si durs, si orgueilleux que bien souvent ils refusent de recevoir l’amour qui leur est offert. « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas accueilli » (Jn 1, 11). Autrement dit, l’enfant fragile mis à l’écart relève plus – hélas – de la logique du « maillon faible » que de celle de « Star Académie » ! Et si le premier appel à lancer était l’invitation à accepter de se recevoir ?
Se recevoir
Accepter de se recevoir, c’est déjà beaucoup. Mais la croissance humaine de Jésus nous entraîne encore plus loin. Il ne reçoit pas seulement la vie. Il se reçoit lui-même, sans cesse. Jésus n’a jamais voulu se suffire à lui-même ; il ne croit pas à la sacro-sainte indépendance d’aujourd’hui, qui tourne si vite à l’individualisme ou à la solitude. Lui sait que pour devenir un homme, une femme, il faut accepter de se recevoir des autres, de ceux que l’on rencontre, qui nous façonnent, qui nous blessent, qui nous font grandir en humanité. Lui sait que recevoir de Dieu son identité la plus intime n’est pas humiliant, bien au contraire : il a l’humilité de recevoir de Dieu sa vocation, sa mission, son existence, le but de sa vie, sa raison de vivre la plus vraie (cf. Jn 4, 34 ; 14, 10 ; 16, 32…). C’est pour cela qu’il ose appeler Dieu Abba, Père, papa ! C’est pour cela que, par analogie, nous l’appelons « Fils de Dieu » parce qu’il se reçoit continuellement d’un Autre que lui-même, et qu’il puise sa joie à devenir lui-même en se recevant d’un autre qui l’aime. Tout le contraire du repli sur soi ! Tout le contraire de l’indépendance où je voudrais ne rien devoir à personne. L’enfant de la crèche – tout comme le Crucifié abandonné – sait qu’il y a des liens d’amour sans lequel nous ne pourrions pas devenir ce que nous sommes.
La communion d’amour trinitaire à laquelle nous sommes tous appelés n’est-elle pas le dynamisme le plus intime à la vie de Dieu : se recevoir ? Et si l’appel à la vie divine passait par l’appel à se recevoir ?
Recevoir de se recevoir…
Recevoir, se recevoir… Franchissons encore une étape, au risque de nous perdre : et si grandir, c’était recevoir de se recevoir ? Car il y a un piège : je pourrais croire que j’y arriverais tout seul (à me recevoir des autres). On m’a d’ailleurs appris autrefois qu’en serrant les dents, en n’en parlant à personne et à la seule force des poignets, on devrait pouvoir surmonter les difficultés de la vie. Je réalise maintenant combien c’est illusoire ! La capacité de me recevoir, je la reçois elle aussi ; comme un enfant reçoit la vie et plus tard la capacité de se laisser aimer, le langage et la capacité de se laisser éduquer à la parole, l’amour et la capacité de se laisser aimer.
Prenez l’image des bateaux qui naviguent en flottilles : ils sont les symboles de notre traversée de l’existence, de nos voyage intérieurs, des tempêtes essuyées, des longs bords paisibles où nous avons taillé la route vers Dieu… Le Christ n’est pas le vaisseau amiral ni le vaisseau pilote de cette flottille : non, il s’invite à bord de chaque bateau, pour être notre mât, notre gouvernail, pour que l’Eglise soit notre équipage et l’Esprit le vent dans nos voiles. Si le Christ n’était que le navire de tête, ce serait désespérant, car je n’arriverais jamais à l’imiter et à le suivre par moi-même : il est bien trop fort pour moi ! Si le Christ embarque à mon bord, s’il devient ma boussole, mon gréement, alors tout devient possible…
Il est à bord de nos vies, pour nous ouvrir au don de Dieu, jour après jour. C’est ce que nous chantons au sommet de la prière eucharistique : « Par Lui, avec Lui et en Lui, à toi, Dieu le Père tout-puissant, dans l’unité du Saint Esprit… » Par le Christ, avec le Christ et en Christ, nous devenons peu à peu ce que nous sommes réellement : enfants de Dieu, dans le Fils unique.
Fils et filles de Dieu, c’est-à-dire faits pour se recevoir dans l’amour, comme des enfants devraient pouvoir se recevoir de leurs parents. Enfants de Dieu, en faisant corps avec celui qui ne cesse de se recevoir, et nous entraîne ainsi dans l’offrande qu’il fait de lui-même à son Père.
Nous sommes davantage le satellite accroché au dos de la fusée Ariane (au moins Ariane IV, en attendant qu’Ariane V marche mieux !) que le pétard mouillé bricolé au fond du jardin, et qui voudrait toucher le ciel en ne comptant que sur lui…
Recevoir, se recevoir, recevoir de se recevoir : en réfléchissant à l’appel qui est constitutif de la personne humaine, n’oublions pas que le plus beau cadeau à faire à quelqu’un, à tout âge, c’est désirer se recevoir de lui… Eduquer, c’est en ce sens initier l’autre à la joie de cette dépendance d’amour et non fabriquer des adultes autosuffisants. Et si l’appel au ministère ordonné était justement « ordonné » à cette finalité ultime : recevoir du Christ (dans l’eucharistie tout particulièrement) la capacité de nous recevoir de Dieu lui-même ?
Etre éducateurs
La responsabilité des éducateurs, c’est bien de solliciter un être en devenir à explorer le « plus », le « meilleur », le « davantage humain » qui peut surgir de lui. Educere, c’est conduire l’autre dehors, en avant, vers lui-même (cf. l’appel lancé à Abraham : « Leik leika », va vers toi). La souffrance de beaucoup d’adultes, c’est de n’avoir pas rencontré de tels maîtres, qui auraient éveillé en eux d’autres possibilités, d’autres désirs forts et vrais. Là où l’appel à vivre, à aimer, à risquer, à parler, à chercher… n’a pas retenti, règne un formidable gâchis humain. « Il y a tant d’appels en toi que tu as réduits au silence » gémit l’héroïne de la romancière Christiane Singer…
Et l’évangile de Matthieu se fait l’écho de ce gâchis humain lorsqu’il évoque le non-appel des ouvriers de la onzième heure : « Vers la onzième heure, il sortit encore, en trouva d’autres qui se tenaient là et leur dit : Pourquoi restez-vous ici tout le jour sans travailler ? C’est que, lui disent-ils, personne ne nous a embauchés. Il leur dit : Allez, vous aussi, à ma vigne » (Mt 20, 6-7).
Comment l’appel nous parvient-il ?
L’appel nous parvient à travers des médiations. Citons quelques exemples de « lieux théologiques » :
l’Ecriture, la Tradition, les conciles, la vie ecclésiale…
l’art, la rationalité humaine, la vie intérieure…
la nature qui renvoie à un mystère : les jeunes ont une immense capacité à s’émerveiller devant le beau.
les événements heureux ou douloureux de l’existence.
D’où la nécessité d’apprendre à relire sa vie, à méditer les événements afin de découvrir le fil conducteur de son existence.
Il s’agit donc d’un véritable service d’humanisation que d’oser lancer à chacun des appels à sortir de lui-même pour apporter au monde ce qu’il a de meilleur. C’est une fausse conception de la liberté de croire que le respect serait de ne rien proposer à l’autre : comment se déterminer dans le vide ? Comment solliciter son potentiel intérieur sans avoir de propositions construites ? La vraie liberté est dans le « si tu veux », mais elle s’appuie sur l’invitation explicite : « Viens et vois. » Il faut permettre à quelqu’un de pouvoir dire oui ou non.
Appeler montre enfin que l’on croit en celui ou celle à qui l’on s’adresse. Combien de champions, d’artistes ou de génies en tout genre pourraient témoigner que le développement de leur talent n’a pu se faire que par la rencontre de quelqu’un qui les a éveillés à cette aventure, et les a rendus capables de désirer autre chose…