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"Venez et voyez"
« Le lendemain, Jean se tenait là, de nouveau, avec deux de ses disciples. Regardant Jésus, il dit : “Voici l’Agneau de Dieu.” Les deux disciples entendirent les paroles et suivirent Jésus. Jésus se retourna et voyant qu’ils le suivaient leur dit : “Que cherchez-vous ?” Ils lui dirent : “Rabbi, où demeures-tu ?” Il leur dit : “Venez et voyez.” Ils vinrent donc et virent où il demeurait et ils demeurèrent auprès de lui ce jour-là. C’était environ la dixième heure. »
(Jn 1, 35-39)
prêtre de Saint-Sulpice
Nous aurions pu partir de bien d’autres passages du Nouveau Testament pour donner une approche théologique de la vocation sacerdotale. Mais le choix s’est porté sur ce passage de Jean, car il met en scène à la fois des personnes et des moments clefs, qui illustrent ce que nous allons essayer de développer. Notre propos se déroulera donc en trois temps :
devenir prêtre, c’est premièrement une réponse à un appel de Dieu et de l’Eglise ;
devenir prêtre, c’est deuxièmement prendre conscience et vivre le rôle essentiel de la dimension de service du Christ ;
devenir prêtre, enfin, c’est épanouir en cette vocation précise l’unique vocation à la sainteté.
Répondre à un appel de Dieu et de l’Eglise
Si nous écoutons attentivement le texte, nous observons que les disciples sont émus d’une parole. Une parole prononcée par le Baptiste désignant un autre que lui. Le Baptiste identifie donc cet homme qui vient d’être baptisé : l’Agneau de Dieu. Il n’en faut guère plus pour convaincre et provoquer une conversion de tout l’être des deux disciples.
Un retour vers l’Ancien Testament montre que les récits de vocation mettent l’accent sur le caractère saisissant et immédiat de l’appel de Dieu. Que ce soient Moïse, Isaïe, Jérémie et bien d’autres encore, il s’agit d’un événement qui vient bousculer le cours normal de l’histoire de cet être humain, pour le tourner irrévocablement vers le Seigneur et le service de sa louange. Mais les différents récits montrent aussi que le Seigneur ne se laisse pas circonscrire dans cet appel, « car Dieu appelle par grâce et à sa grâce. »
Dans le contexte contemporain, certains seraient tentés de poser la question de la liberté. Mais de quelle liberté s’agit-il ? Il n’est pas question d’envisager une autonomie décisionnelle de l’homme dans cette perspective. Le statut même de la foi doit nous conduire à réfléchir et à poser autrement le problème. Si je sais que la foi est un acte de mon intelligence adhérant à la révélation divine dans le Christ avec une illumination de ma volonté mue par la grâce de Dieu – c’est là une définition classique de la foi – je dois en conclure que mon seul désir me porte vers ce Dieu qui ne cesse de me façonner. Ainsi donc par le baptême, c’est-à-dire la régénération de tout notre être à l’image de Dieu dans le Christ, nous sommes appelés à une unique vocation : celle d’être fils dans le Fils, devenir saints à l’image du Seul Saint ; en quelques mots, notre unique vocation de chrétiens est celle de la sainteté. Nous n’avons repris ici que la perspective centrale de la constitution du concile Vatican II, Lumen gentium, au chapitre 5.
Revenant à notre passage de saint Jean, nous pouvons ainsi mieux percevoir que celui qui appelle est toujours le Seigneur, et nous sommes donc en éternel désir de réponse. Ceci dit, la vocation de prêtre nécessite non seulement la vérification de cet appel divin, mais aussi une authentification de ce même appel du côté de l’Eglise. Traditionnellement nous avons pu entendre parler d’appel intérieur et d’appel extérieur. Mais en définitive, il faut reconnaître que ces deux appels sont nécessairement et indubitablement complémentaires. Car sans cet équilibre, des risques sont perceptibles.
Sentant exclusivement l’appel du côté de Dieu, le candidat au ministère de prêtre risque une captatio mystica, nous entendons par là une propension à ne considérer que l’aspect vertical du ministère, et donc l’évacuation inconsciente du pôle pour et avec les hommes.
A l’opposé, une inclination pour un appel presque exclusivement axé sur la dimension ecclésiale peut dériver vers une sorte de ministère vécu dans l’activisme ou l’affairisme, négligeant peut-être Celui de qui vient cette vocation.
Actuellement il semblerait que le premier cas de figure soit plus présent que le second, avec toutes les nuances et les corrections qui s’imposent bien sûr. Il est donc nécessaire de tenir ensemble appel de Dieu et appel de l’Eglise. Devenir prêtre, mais pour quoi ?
Vivre le rôle essentiel de service du Christ
Dans cette vocation universelle à la sainteté, un certain nombre de vocations particulières viennent lui donner corps et visage. Parmi elles, la vocation de prêtre, et ajoutons : de prêtre diocésain. Le prêtre est indispensable à la constitution de l’Eglise. Dès les débuts de l’histoire de l’Eglise, les communautés chrétiennes se sont organisées afin de garder le dépôt de la foi, transmis par les Apôtres. Elles se sont dotées d’une diversité de ministères, dont les plus marquants sont signifiés par le geste de l’imposition des mains. Geste le plus ancien et le plus traditionnel de toute notre histoire chrétienne. Ces ministères sont ceux de l’évêque, des prêtres et des diacres. Le concile de Vatican II a renforcé théologiquement le lien intrinsèque entre évêque et prêtres, ils participent du même sacerdoce, ce qui n’est pas le cas des diacres. Par leur ordination, les évêques et – à un degré moindre, mais non pas différent – les prêtres, agissent au nom du Christ Pasteur à la tête des communautés qui leur sont confiées : le diocèse pour l’évêque, la paroisse ou une autre charge pour le prêtre.
Ainsi donc les prêtres, en communion avec l’évêque, vivent-ils ce service pastoral selon trois charges principales : le service de la Parole, le service de la sanctification du peuple chrétien (les sacrements), le service de la communion.
Service de la Parole
Devenir prêtre, c’est donc avoir entendu la Parole de Dieu. « Voici l’Agneau de Dieu. » Les disciples ont entendu une parole du Baptiste, qui n’est pas Dieu certes mais qui, en désignant, renvoie tel un miroir, à Celui qui est la source de cet appel. Le prêtre est donc cet amoureux de la Parole de Dieu ; elle travaille sa vie, elle le transperce à tel point qu’il ne peut que l’annoncer : mission. La proclamation de l’Evangile et son explicitation dans l’homélie sont certainement un moment éminent de sa charge, avec la nécessité de tendre vers une adéquation certaine entre la parole proclamée et la parole vécue.
Service de la sanctification
Il passe principalement par l’eucharistie et le sacrement de pénitence. Le prêtre, tenant place et lieu du Christ, invite le peuple chrétien à la célébration du mémorial pascal, au banquet de l’alliance, au sacrifice de l’Agneau sans tache... La communauté chrétienne ne choisit pas ses prêtres – tout comme le prêtre ne choisit pas sa communauté chrétienne – nous sommes là dans une logique de don. Recevoir un prêtre dans une communauté pour le service de celle-ci, c’est reconnaître que l’eucharistie est d’abord un don que l’on ne s’arroge pas, elle est entièrement offrande du Christ dans laquelle nous sommes immergés. Rien n’est pire que les cadeaux fabriqués ou commandés d’avance : où demeure la joie de la surprise ? L’eucharistie finalement nous surprend-elle et nous comble-t-elle de joie ? Pour cela, recevoir un prêtre doit toujours être considéré comme un don de l’Eglise-mère à ses enfants.
Service de la communion
C’est par excellence le lieu de la charité pastorale ; nous préférons ici citer directement un passage du décret Presbyterorum ordinis : « Car en vérité, le Christ, pour continuer toujours à faire dans le monde, par l’Eglise, la volonté du Père, se sert de ses ministres. C’est donc lui qui demeure toujours la source et le principe de l’unité de leur vie. Les prêtres réaliseront cette unité de vie en s’unissant au Christ dans la découverte de la volonté du Père, et dans le don d’eux-mêmes pour le troupeau qui leur est confié. Menant ainsi la vie même du Bon Pasteur, ils trouveront dans l’exercice de la charité pastorale le lien de la perfection sacerdotale qui ramènera à l’unité leur vie et leur action. »
Ce texte dense mérite une très simple explicitation. C’est dans l’exercice même de sa charge que le prêtre trouve sa joie. C’est au contact des mille et un visages de ses paroissiens, des hommes et des femmes de la portion de territoire qui lui est confiée, que sa prière prend corps et qu’elle peut devenir une véritable action de grâce, ou une supplication. Tout ce que les fidèles vivent, souffrent et partagent, le prêtre peut et doit le prendre et le porter en son cœur et en sa prière, très particulièrement quand il célèbre l’eucharistie. C’est cela la charité pastorale. Alors est-ce encore appelant aujourd’hui ?
S’épanouir en l’unique vocation à la sainteté
« Venez et voyez ! » Devenir prêtre, comme toute vocation vers la sainteté, c’est partir à l’aventure. Une histoire d’amour assez privilégiée avec le Christ, car c’est d’abord lui faire confiance à Lui : il est celui qui tient la barque. Comprendre intellectuellement cela, pour un jeune d’aujourd’hui, c’est déjà là un grand pas. Le vivre, nous le redisons, c’est une histoire d’amour, un coup d’audace, finalement une décision ouvrant un chemin de liberté.
Le Seigneur aurait-il cessé d’appeler ? Non. Le prêtre est-il remplaçable ? Non et nous rappelons ici la phrase nette et prophétique de Mgr Marcus, alors évêque de Nantes, au congrès des vocations de Pentecôte 1987 à Lourdes : « Seul le prêtre remplace le prêtre. » Les jeunes répondraient-ils moins ? Non et oui.
Non, car nous ne pouvons pas nous résoudre à penser qu’au fond du cœur le Seigneur parle, même à ceux qui apparemment nous semblent très loin. Vous me permettrez de vous dire que souvent je croise des enfants et de jeunes adolescents qui me confient leur souhait encore très fragile d’être prêtre. Mais alors que se passe-t-il entre ces temps de l’enfance et celui de la vie d’adulte ? C’est là qu’il faut placer le oui ; ce qui semble le plus préoccupant dans notre société française actuelle est le peu de place, le moins en moins de place, donné à la gratuité et à la générosité. A une logique de l’avoir, il est nécessaire de rappeler une logique de l’être, d’un être fait et créé pour donner, pour se laisser aimer et donc alors capable d’aimer. Nous voyons là l’importance de l’éducation : celle des parents, des catéchistes et des prêtres euxmêmes. Donner à l’autre cette ouverture et cette possibilité de choisir l’amour dans l’appel du ministère sacerdotal, c’est ici le rendre libre de son choix de vie et nous rendre libres. En parler avec joie et non le taire, le proposer délicatement et non le cacher.
Aussi, dans la dispute théologique de ces dernières années, où l’on s’interrogeait – euphémisme – sur le fait de savoir s’il fallait parler de ministère ou de sacerdoce (nous retrouvons là d’une certaine manière la distinction du premier point entre trop de Dieu ou trop d’Eglise), nous avons peut-être perdu de précieuses énergies.
Nous proposons un autre chemin. En fait, nous ne pouvons nier que le prêtre tient à la fois le caractère sacerdotal et la disposition ministérielle, l’une et l’autre données essentielles à sa vie, mais le plus important semble de vérifier comment elles sont l’une et l’autre au service de l’unification de l’intériorité de l’être humain. D’un être humain qui choisit librement le célibat comme signe de ce don d’amour du Christ pour l’humanité. Cet être humain, concret, fragile, avec son histoire, est bien évidemment le fondement sans lequel il n’y aurait pas de prêtre. Etre prêtre, c’est finalement s’humaniser chaque jour davantage, c’est-à-dire s’épanouir par cette vocation dans ce créé que Dieu m’a donné, c’est répondre avec les autres et pour les autres de cet appel à devenir image de Dieu dans le Christ. Un chemin qui, c’est certain, mène vers une dépossession de soi sans cesse renouvelée, actualisée, vers la sainteté. Vous nous permettrez de citer cette fois saint Paul, le grand Appelé : « En effet par la Loi, je suis mort à la Loi, afin de vivre à Dieu ; je suis crucifié avec le Christ et ce n’est plus moi qui vis, mais Christ qui vit en moi » (Ga 2, 19-20).