Taizé, la fraîcheur d’une source


La première fois que je suis allé à Taizé, c’était à l’occasion d’un voyage d’aumônerie, il y a deux ans. J’y ai ressenti un appel profond à m’engager dans la foi en adulte. J’y suis retourné depuis, et j’ai chaque fois pu puiser largement dans les sources de paix, d’amour et de joie simples qui animent la communauté. Joie, paix et amour, ces mots sont certainement ceux que l’on entend le plus à Taizé, mais sans mièvrerie ni longs discours, seulement dans une simplicité vécue qui les illumine et en révèle toute la densité.

Simplicité dans l’accueil tout d’abord. Je me souviendrai toujours des mots de bienvenue du premier frère que j’ai rencontré : « Vous avez quelques jours pour vous préparer à repartir. » « On passe à Taizé comme on passe près d’une source. Le voyageur s’arrête, se désaltère et continue sa route », disait Jean-Paul II. On cherchera en vain, dans ces rassemblements de jeunes un « esprit Taizé », une mouvance particulière (contre laquelle d’ailleurs les frères ne cessent de nous mettre en garde). On ne s’arrête dans ce village bourguignon que pour reprendre les repères qui nous permettront d’avancer ensuite. Aller à Taizé n’est donc pas une affaire de groupe : c’est d’abord et avant tout une démarche personnelle. Ce qu’offre Taizé, c’est tout simplement un espace où chacun puisse jeter son regard en arrière (sans nostalgie aucune) avant de le tourner résolument (plein d’espérance) vers un avenir qui est toujours « l’aujourd’hui de Dieu » comme le disait frère Roger. Par la simplicité de l’accueil, c’est face à lui-même et face à Dieu que chacun peut se retrouver.
Cette simplicité est soutenue par celle qui anime la vie spirituelle de la communauté : prières, introductions bibliques, tout cela se fait dans le respect des différences (Taizé est une communauté œcuménique), dans le respect de l’intériorité de chacun (ainsi, une grande importance est accordée au silence au cours de la prière commune, et les chants méditatifs incitent au recueillement).

Un tel dépouillement vécu dans notre relation à Dieu rejaillit alors dans toutes les dimensions de la vie communautaire. C’est du plus profond d’une réalité intérieure que le rapport que nous avons aux autres se simplifie : dans les services rendus à la communauté, dans les rencontres, les partages, on prend conscience du magnifique mystère qu’est le prochain. Alors les mots usés reprennent toute leur force, et des termes aussi ressassés que paix, amour et joie vous semblent neufs et vous ouvrent au dialogue le plus intime avec l’autre, qui est bien souvent une connaissance faite sur place, et rarement du même pays que vous, un esperanto prend forme.

Le chemin de simplicité sur lequel nous engage un « passage » à Taizé, n’est-ce pas en définitive le chemin de la foi lui-même, une vocation à la pauvreté, qui nous rend capables d’aimer en vérité, et un peu plus dignes de l’immense amour divin ?




Depuis de nombreuses années, Sabine Laplane, de la communauté Saint-François-Xavier, accompagne des étudiants à Taizé. Témoin de l’étape décisive qu’a représenté un passage par Taizé pour des jeunes en chemin vocationnel, elle partage ici quelques observations sur la pédagogie mise en œuvre par la communauté de Taizé.

Quel que soit son âge, se laisser accueillir par la communauté de Taizé invite à une démarche pascale, à un passage… Pour des jeunes, de quelque horizon spirituel qu’il soit, ce passage peut être décisif. Ils peuvent venir entraînés par un groupe, mais assez rapidement ils se rendent compte que la liturgie, dans la grande simplicité de l’office, ouvre à une relation personnelle avec Dieu.
Dans les rencontres, la relation interpersonnelle en est transformée tout comme le regard porté sur le monde et sur soi. Une nouvelle dynamique peut s’engager ou s’approfondir.


Un accueil monastique

Un dépaysement

Premier « passage », l’accueil sur la colline, généreux et sans embarras. Ce sont des jeunes qui orientent, le plus souvent en anglais car ils viennent des quatre coins de la terre. Taizé apparaît comme un lieu dé-territorialisé… Et ceci n’est pas anodin. Comme dans une retraite, une rupture par rapport au quotidien s’instaure. On pressent que le temps change de dimension. Sans hâte, ces jeunes s’efforcent de présenter le sens de la démarche. Le dépaysement est total. Le rythme ordinaire mis à distance. Une forme de disponibilité s’installe alors que se précise l’orientation de la démarche : aller aux « sources de la foi ».

Simplicité

A Taizé tout est simplifié, tout se fait chemin d’intériorité… Particulièrement, les conditions d’accueil bousculent certaines habitudes de confort. Mais une fois les premières surprises passées, les premiers repas avalés, l’absence de boutiques acceptée, en pleine campagne, à Taizé, on expérimente finalement que l’unique nécessaire est ailleurs que dans la consommation. Quelques règles simples de vie en commun s’imposent. Un espace se libère pour chercher Dieu, se trouver soi-même, se laisser trouver par Dieu, découvrir les autres.

Une diversité de propositions

On peut choisir de vivre une semaine de rencontres, de silence ou de service. A chacun son chemin. De même dans les grandes rencontres européennes qui ont lieu chaque année entre Noël et le jour de l’An dans de grandes villes. Très souvent des jeunes qui ont fait une semaine de rencontres, quand ils ont l’occasion de revenir, vivent une semaine de silence. D’autres se dépensent au service de l’ensemble, ce qui n’exclut pas les temps de partage et de reprise. Certains prolongent leur séjour à Taizé comme « permanents ». Il leur est donné alors de vivre tout autant un temps de service que d’approfondissement personnel, souvent c’est une étape importante dans le discernement de leur vocation.

L’épreuve du silence

De toute façon, à l’appel des cloches, tous se retrouvent pour la prière commune, trois fois par jour. C’est le pivot de tout accueil monastique. Pour beaucoup, qui ne savent encore rien du mystère, c’est une absolue découverte ! Le plus marquant : au cœur de l’office, un long silence (dix minutes) enchâssé dans le chant, porté par la communauté des frères et toute l’assemblée. Ce silence forme comme une brèche : impossible de rester totalement extérieur quand on arrive sans préjugé, le cœur ouvert. Jour après jour, l’ennui redouté cède la place à une attente, un désir partagé. Dans ce dénuement, comme un « bruit de fin silence » (1 R 18), se découvre ou s’approfondit la relation unique au Christ qui fonde toute vocation chrétienne.


Un accompagnement mystagogique

A l’école de la Parole

La liturgie si dépouillée de Taizé introduit au Mystère. Reste à en vivre. Beaucoup de ceux qui passent par Taizé n’ont jamais tenu une Bible en mains et voici que se creuse le désir d’entendre la Parole. Chaque jour des introductions bibliques sont proposées à tous. Un frère présente un passage d’Ecriture et donne quelques pistes de réflexion ou de méditation. Ce n’est pas une démarche savante mais la transmission de clefs de lecture et l’inscription dans la chaîne des croyants, avec souvent la référence toute simple à l’un ou l’autre Père de l’Eglise.

L’acquisition d’un langage

C’est aussi le moment où sont explicités certains gestes de la prière, ou la tonalité donnée à une journée, ou encore le sens du triduum pascal vécu chaque fin de semaine. Quelques questions favorisent une appropriation personnelle et nourrissent le partage de la Parole en petits groupes. Faisant relecture de leur expérience et réfléchissant à partir de la Lettre annuelle, les jeunes acquièrent alors comme une grammaire et un vocabulaire nouveaux. Ils apprennent à reconnaître et à dire, même maladroitement, certaines réalités de leur vie intérieure.

Le dialogue personnel

Des blessures intimes peuvent entraver le cheminement d’un jeune. Chacun est invité à déposer son fardeau devant la Croix. « Dieu ne nous veut pas ivres de culpabilité » disait frère Roger. Chaque soir, dans l’église de la Réconciliation, à la fin de l’office, des frères sont là, debout, disponibles, ainsi que des prêtres pour le sacrement de réconciliation. Un dialogue de discernement pourra se poursuivre avec un frère (ou, pour les filles, avec une sœur de la communauté Saint-André, présente à Taizé). Cherchant à écouter plus qu’à conseiller, les frères exercent un ministère de la confiance dans un climat de très grande liberté.

« Elargir… »

Pour autant, le monde ne se rétrécit pas à une vie intérieure qui serait loin du réel socio-politique ou qui ignorerait toutes les dimensions de la culture. Dans l’intercession, les échanges, les carrefours proposés, la dimension d’ouverture est toujours présente. Venir à Taizé ouvre à une catholicité du cœur. Prendre l’Evangile au sérieux ouvre les yeux, donne de vrais repères et invite à se former pour servir avec compétence. Dès aujourd’hui, là où je suis, je puis vivre « le très peu que j’ai compris de l’Evangile ». Aucun esprit de dénonciation du monde ; au contraire, car « Dieu ne peut donner que son amour » selon les mots d’Isaac le Syrien, « notre Dieu est tendresse » et il compte sur chacun de nous comme collaborateur de son amour. Frère Roger évoquait cette double dimension de la vie chrétienne : Lutte et contemplation. Un combat pour la confiance, toujours à reprendre dans l’espérance pour oser des engagements humains, chacun à sa place, sans attendre demain.

Un appel pour chacun

La communauté rencontrée d’abord dans la prière commune se présente comme une « parabole de communion ». Elle n’a aucun esprit de captation et renvoie chacun chez soi, dans sa paroisse, son mouvement... Elle fait signe. De plus, elle se fait l’écho de l’appel du Christ au don total de sa vie. L’invitation est explicite : « Le savons-nous assez ? Dieu nous fait tellement confiance qu’il a pour chacun de nous un appel. Quel est cet appel ? Il nous invite à aimer comme il nous aime. Et il n’y a pas de plus profond amour que d’aller jusqu’au don de soi-même, pour Dieu et pour les autres. »

Passer par Taizé aide bien des jeunes à pressentir que c’est au cœur des engagements d’aujourd’hui qu’un bonheur d’au-delà les difficultés peut être donné, une fidélité engagée, que la vie théologale peut s’épanouir. Ainsi s’éclaire une vocation. Ils y vivent comme une sorte d’initiation. Plongés dans le courant de la vie de la communauté, ils apprennent à y déchiffrer l’Evangile, à aimer l’Eglise, et à se nourrir de la Parole et de l’Eucharistie. C’est en se donnant qu’on apprend le don, en communiant qu’on découvre la communion, en vivant la Pâque avec le Christ que prend sens pour soi le mystère pascal…