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Le mariage, chemin de vocation
professeur au séminaire interdiocésain d’Avignon
Le mariage ne pourrait-il pas être davantage considéré comme un véritable chemin de vocation ? Certes, les documents officiels (1) parlent plus spontanément de la mission des époux que de leur vocation (2) . Pourtant, n’y a-t-il pas une authentique vocation chrétienne à vivre au cœur du mariage ? Une vocation des époux en vivant la plénitude des richesses du sacrement de mariage ? Le dynamisme de foi qui ouvre sur une mission à l’intérieur du foyer et dans l’Eglise au service du monde n’est-il pas, justement, une vocation ? Dans le contexte des évolutions présentes, le mariage chrétien n’apparaît-il pas, plus que jamais, à proposer comme une vocation ? Surtout au moment où l’on insiste davantage sur la symbolique biblique du rapport du Christ à l’Eglise comme rapport du Christ Epoux à l’Epouse (Ep 5, 21-32 ; Ap 19, 5-10).
Dans le concert de toutes les vocations, le mariage est une authentique vocation. Et il le devient plus profondément encore. C’est la réponse affirmative qu’apporte, entre autres, Anne-Marie Pelletier en sa remarquable réflexion « Le mariage, une vocation ? (3) ». Pourrons-nous vérifier cette réponse positive en divers documents et plus particulièrement dans le Rituel pour la célébration du mariage à l’usage des diocèses de France, et le nouveau Rituel romain ?
Vers l’engagement dans le mariage : quelle perception de vocation ?
Des réalités diverses
La notion de « vocation » peut recouvrir des réalités diverses, depuis les vocations spécifiques jusqu’à la vocation chrétienne en général (4) . Dans « la nouvelle donne pastorale » actuelle, « au sein de la préoccupation de la ministérialité dans l’Eglise surgit la question de la vocation, non seulement des ministres, mais de tous les baptisés (5) », dont les personnes mariées.
A la racine de la vocation des prêtres, un « Suis-moi ! » intime, venant du Christ, est perçu de manière personnelle et radicale. Un appel intérieur, discerné ensuite en Eglise. En ce sacrement à « caractère », l’ordination du prêtre par l’évêque, avec le don de l’Esprit Saint, apporte une transformation de l’être de celui qui est ordonné pour le service du Christ Pasteur et des frères. Avec quelque différence (l’interpellation plus fréquente...), cette démarche d’appel personnel caractérise aussi la vocation au diaconat permanent. Pour la vie consacrée, le « Suis-moi ! » du Christ trace aussi un chemin particulier de vie engagée, en communauté, à la suite du Christ dans la chasteté, la pauvreté et l’obéissance (6). Là aussi se joue une transformation de l’être, voire une transfiguration de soi, selon l’Evangile-clé de la Transfiguration du Christ commenté par Jean-Paul II dans sa forte exhortation La Vie consacrée.
Concernant le mariage, plusieurs langages sont formulés. Il n’est pas seulement état de vie. Il est aussi une forme de vocation, avec ses accents propres, pour chacun des époux en leur itinéraire personnel et pour le couple, avec le Seigneur. C’est ainsi que nous pouvons interroger le rituel.
Le rituel du mariage et la valorisation de l’enseignement de Vatican II
Le rituel pour la célébration du mariage commence par une synthèse sur l’enseignement du concile Vatican II sur le mariage (p. 7-15). Le mariage est présenté comme un état de vie (LG 35). En cet état de vie, « dans cette sorte d’Eglise qu’est le foyer, les parents [...] sont pour les enfants au service de la vocation de chacun et tout spécialement au service de la vocation sacrée » (LG 11). La vocation des époux est reconnue : « Cet état de vie est sanctifié par un sacrement spécial... Là, les époux trouvent leur vocation propre : être l’un pour l’autre et pour leurs enfants témoins de la foi et de l’amour du Christ... » (LG 35). Sous le titre « La sainteté dans l’état de mariage », le rituel ne renvoie-t-il pas à la réalité même de la vocation ? Il cite, en effet, LG : « C’est une seule sainteté que cultivent tous ceux que conduit l’Esprit de Dieu (dont les époux)... Chacun doit inlassablement avancer, selon ses propres responsabilités, dons et ressources, par la voie d’une foi vivante, génératrice d’espérance et ouvrière de charité... » (LG 41). Vivant leur vocation propre, « les époux chrétiens sont l’un pour l’autre coopérateurs de la grâce ». Ils sont éveilleurs de vocation chez leurs enfants : « éducateurs auprès d’eux, ils les aident dans le choix de leur vocation, et favorisent de leur mieux une vocation sacrée s’ils la découvrent en eux » (L’Apostolat des laïcs § 11).
A la lecture des données de Vatican II reprises par le rituel, nous comprenons qu’en s’engageant dans le mariage, les époux avancent sur le chemin d’un triple appel, d’un triple niveau de vocation. Dans l’accueil du don de Dieu, de sa grâce, et dans le « pour toujours » de leur engagement, les époux vivent la riche réalité du mariage. Celui-ci est fort d’un triple niveau de sacramentalité : au niveau de la Création, de l’Alliance de Moïse, et de l’Alliance en Jésus-Christ (7).
En premier lieu, le mariage répond à une forme universelle d’appel du Créateur envers les conjoints. Par leur alliance, les conjoints sont appelés à « la communauté de vie et d’amour que forme le couple, fondée et dotée de ses lois propres par le Créateur... » (GS 48, § 1). Telle est la « vocation à l’amour (8) ». L’être humain aspire à réaliser un projet de vie commune stable et d’amour fidèle et croissant. Il accueille, ainsi, l’appel du Dieu Créateur à vivre l’amour de l’homme et de la femme « à son image et à sa ressemblance » (Gn 1, 26-27) et à « ne faire plus qu’un » (Gn 2, 24). Belle et divine vocation pour le couple que de devenir, ensemble, signe vivant du Dieu d’Amour.
En deuxième lieu, au-delà de ce niveau créationnel, le couple accueille aussi l’appel à l’Alliance. La « communauté (créationnelle) de vie et d’amour formée par le couple » devient « une institution que la loi divine confirme, au regard de la société, de l’acte humain par lequel les époux se donnent et se reçoivent mutuellement... » (GS 48, § 1). Un « lien sacré » (ibid.) est réalisé. L’appel de Dieu est ici explicité dans la Loi de Moïse, un appel à la fidélité. C’est la vocation des conjoints à la fidélité, à l’image du Dieu de l’Alliance fidèle envers son Peuple.
En troisième lieu, de manière plus radicale encore, les conjoints sont interpellés vers la vocation évangélique à la suite du Sauveur des hommes : Il continue de demeurer avec les époux pour que, par leur don mutuel, ils puissent s’aimer dans une fidélité perpétuelle, comme Lui-même « a aimé l’Eglise et s’est livré pour elle » (GS 48, § 2). Les époux sont appelés à vivre leur union à la manière du Christ qui, dans la joie et la croix, se donne « jusqu’au bout » (Jn 13, 1), dans un amour total, corps et sang (Mt 26, 26-28), en « Alliance nouvelle et éternelle » : vocation à aimer l’autre de façon pascale, à travers joies et croix, morts et résurrections.
L’Esprit Saint est à l’œuvre à ces trois niveaux. Il entraîne les époux dans cette triple vocation selon la Création (l’union), selon l’Alliance de Moïse (la fidélité), et selon l’Alliance nouvelle en Christ (la vie évangélique et pascale). Le Christ adresse aux époux un appel personnalisé, transfigurant, porteur de grâce. Un appel comme : « Eric et Sylvie, en couple, aimés du Père, animés par mon Esprit, chacun selon son chemin, et ensemble, venez à ma suite ! » Tout en respectant le jardin secret de l’autre, les époux se recevront l’un l’autre du Seigneur, le Créateur, le Sauveur qui donne son Alliance indéfectible à Moïse et à son peuple, Celui qui donne l’Epoux à l’Eglise. Toute la vie conjugale sera en permanence, au souffle de l’Esprit Saint, en crescendo, la réactivation de cette dynamique vocationnelle et sacramentelle.
De récentes perspectives en termes d’appel et de vocation
Nous remarquons qu’en de récentes publications l’expression « état de vie » est pratiquement absente. Elles évoquent plus volontiers le mariage en termes de vocation. Plusieurs de ces publications citent ou renvoient au rituel de manière assez développée.
Les époux Christiane et Michel Barlow donnent leur réflexion dans Le couple, chemin vers Dieu (9). Ils perçoivent bien un appel et une vocation à l’œuvre dans le couple chrétien. « Confiés l’un à l’autre par une bénédiction divine qui est une véritable bénédiction nuptiale, l’homme et la femme sont appelés mutuellement à faire réussir la Création d’abord en eux-mêmes. Le véritable amour consiste à aimer l’autre non seulement tel qu’il est, mais tel que sa vocation l’appelle à devenir en plénitude (9). » Dans la vocation propre du couple, l’amour et la foi de chaque époux sont au service de la vocation personnelle de l’autre.
Dans le livre de Pascal Ide, Célibataires, osez le mariage ! (10), il est intéressant de voir comment est présenté le passage du célibat à l’orientation vers le mariage. L’auteur ne manque pas de poser les choix possibles en terme de vocation. Les jeunes « décideront de la manière de se donner ». Car il est « deux vocations de l’homme : mariage et consécration ». De là, Pascal Ide questionne : y a-t-il « une troisième vocation : la vie en solo » ? « Célibataire : une vocation ? » Bref, comment « être au clair sur sa vocation », « discerner sa vocation » ? Il est proposé de « relire et relier son histoire » , de « purifier sa conception de l’amour ».
Pour Alphonse Borras, « l’Esprit bouscule le mariage des chrétiens aujourd’hui (11). » En effet, « la présence et l’action de l’Esprit Saint interpellent les baptisés engagés dans le mariage. » Cette interpellation des époux est bien située aujourd’hui : selon le « contexte dans lequel les chrétiens se marient, celui de sociétés marquées par la modernité comme processus d’émergence du sujet et par la triple révolution industrielle, sexuelle et technologique ». Dès lors, pour les chrétiens, vivre leur vie matrimoniale selon les appels de l’Esprit Saint, ce sera « refuser toute autre souveraineté que celle du Christ, s’émerveiller sans cesse (« métamorphose » dans l’action de grâce...), fraterniser nos relations, communier dans la différence, mettre en récit son histoire, ouvrir des possibles ». Du baptême et de la confirmation à la résurrection des morts, dans ces choix et ces exigences conjugales, s’opère le travail intérieur de l’Esprit Saint. A. Borras parle plus le langage de l’appel que de la vocation ? Certes, mais il situe ces appels à partir de la parole du Christ : « Viens, suis-moi » (Mt 19, 32, p. 348). N’est-ce pas là des paroles de vocation ? Le Christ les prononce ici en parole de vocation envers chacun des époux et envers le couple. L’Esprit Saint n’est-il pas Celui qui anime la vocation de chacun ? Il anime le discernement de l’appel, l’élan et l’orientation de la réponse de chaque époux et du couple.
Dans son Guide pour préparer votre mariage (12), Michel Dubost aborde clairement l’aspect vocation au chapitre « Fonder une famille ». « Le Christ était célibataire : pour les chrétiens, fonder une famille n’est pas une obligation. C’est un choix. Ce n’est pas un refuge... c’est une vocation. » M. Dubost renvoie à saint Paul : « Frères, puisque vous avez été choisis par Dieu... tout ce que vous faites, que ce soit au Nom du Seigneur Jésus » (Col 3, 12-17). Et il commente : « La famille naît de deux libertés, celle des époux, et de la conviction d’une vocation. Se marier, c’est choisir de vivre une aventure au quotidien. » Il insiste sur le mariage comme aventure de vie spirituelle, de foi contemplative, animée par l’Esprit d’Amour. Une aventure nourrie, notamment, de l’évangile de saint Jean et, comme pour les consacrés, de la prière des psaumes. Il convient pour les époux de « prier ensemble » car, « dans tout amour, il existe un secret, un goût d’absolu qui dépasse ceux qui s’aiment. La simple prière, avec le Christ, est un chemin vers ce mystère. » M. Dubost propose les psaumes 32(33), 33(34), 102(103), 111(112), 127(128), 144(145), et 148. Des psaumes qui, justement, se trouvent proposés également dans le rituel (R et RR).
Pour sa part, dans Le mariage, une vocation ? (13), Anne-Marie Pelletier prend acte des « aléas, tout au long des siècles, qu’ont connus la théologie du mariage et l’élaboration d’une spiritualité conjugale... ». D’où le fait que, souvent, « l’idée d’une vocation au mariage » a été repoussée. « La place finalement limitée de la référence à Ephésiens 5, 21-32 dans les rituels du mariage laisse entrevoir combien la dimension mystique du mariage chrétien, signe de l’amour du Christ et de l’Eglise, a pu être marginalisée dans l’Eglise d’Occident. » Or, dans le contexte social présent de « démariage », « d’inversion de conformisme », le mariage chrétien devient fortement, selon le cardinal Daneels, « un signe privilégié de la crédibilité de l’Eglise en ce temps présent ». Dès lors, A.-M. Pelletier plaide judicieusement pour que le mariage soit plus largement reconnu comme une authentique vocation. Elle conclut : « Retrouvant l’unité des vocations chrétiennes et sachant qu’elles sont invitées à être en relation de signe mutuel les unes pour les autres, nous avons certainement là une réflexion à approfondir. »
La vocation des époux à la lumière de la célébration des fiançailles et du mariage
Les fiançailles : cheminement pour vivre la Bonne Nouvelle du mariage
Les fiançailles sont sans doute à « réinventer » (Denis Sonet), en étant adaptées aux situations et « vécues dans la dignité » (GS 49). Devenir fiancés, par la célébration, est une étape structurante. La proposition des fiançailles est actuellement réactivée du fait de leur intérêt multiple : étape de clarification d’un projet pour les futurs, vecteur d’approfondissement du sens de l’engagement mutuel, mûrissement d’un itinéraire d’amour en prenant à témoin familles et amis. L’important livre du Père Alain Quilici situe Les fiançailles (14) comme un temps fructueux de mûrissement du désir, d’apprentissage de la maîtrise de soi - cœur et corps - et d’itinéraire spirituel. Il conseille aux futurs de méditer, entre autres, le Livre de Tobie. L’aventure du jeune Tobie, guidé par Raphaël, et de la jeune Sara se donne à lire comme une histoire de vocation : Dieu accompagne leur rencontre et, pour ainsi dire, les donne l’un à l’autre par le biais de leurs familles. Ils répondent comme à un appel de Dieu. Le mariage de Tobie et de Sara se réalise selon la vocation créationnelle (cf. leur belle prière : 8, 5-8) et selon la vocation explicitée par la Loi de Moïse (7, 12-13). Ragouël, père de Sara, dit à Tobie : « C’est le Ciel qui décide de te donner Sara... » (7, 12). Tobie sollicite de Dieu son appel pour eux : « Ordonne qu’il nous soit fait miséricorde, à elle et à moi » (8, 7, cf. 8, 17).
Le Rituel des bénédictions (LB) prévoit une bénédiction des fiancés (15) : Parole de Dieu, remise de bagues ou d’un autre signe de promesse (un présent...), bénédiction des fiancés, envoi. Ce rituel reconnaît que « la grâce de Dieu est nécessaire à tous et en tous temps, en particulier quand des chrétiens se préparent à fonder un nouveau foyer. » Dès lors, la bénédiction de Dieu est « implorée pour que N. et N. (les fiancés) grandissent dans une estime mutuelle, s’aiment plus profondément et se préparent (16) à la célébration de leur mariage en s’entraidant et en priant ensemble ». La vocation des fiancés est éclairée par la Parole de Dieu, notamment par la proclamation de Philippiens 2, 1-5 : « Frères, ayez les mêmes sentiments que le Christ... » : la vocation à vivre dans l’intimité du Christ en se configurant à ses propres sentiments, à avoir le Seigneur comme guide. Cette perspective vocationnelle est présente dans la prière commune, de manière très explicite, en termes d’appel : « Seigneur, Toi qui appelles N. et N. à fonder une famille chrétienne en étant un seul cœur ». Ou encore : pour ce temps de leurs fiançailles, « Seigneur, sois leur compagnon de route aux bons comme aux mauvais jours. » Le mystère du Christ Epoux uni à son Eglise est proposé comme référence ultime : « Seigneur, Toi qui as fait de l’offrande pascale de ton Fils le modèle de l’amour donné dans le mariage... » La bénédiction est formulée en termes de louange et d’appel : « Nous T’adressons notre louange, Seigneur, Toi qui as disposé et conduit N. et N. à un amour réciproque... Qu’en Te plaisant en tout, ils parviennent avec bonheur au sacrement de mariage. » La prière du prêtre ou diacre qui préside n’hésite pas évoquer la prévenance de Dieu comme médiation de la rencontre des fiancés : « Seigneur, source de tout amour, c’est par ta Providence que ces deux jeunes gens sont allés l’un vers l’autre... Que, réconfortés par ta bénédiction, ils progressent... » Ainsi, la bénédiction des fiancés paraît riche en termes de vocation.
A l’approche du mariage, lorsque le sacrement de la pénitence et de la réconciliation peut être célébré, c’est un grand moment pour les futurs. A la fois dans l’action de grâce et dans la lumière de la miséricorde, ils se situent ainsi en vérité par rapport à leur chemin de vie et de foi. Cette « relecture » n’est autre qu’un regard sur la vocation personnelle des futurs (17).
Le Rituel du mariage, un « lieu » théologique, spirituel et pastoral
En nous rappelant le triple niveau de vocation selon la Création, selon l’Alliance, et selon l’Evangile, nous pouvons relever des mentions explicites de la perspective de vocation, mais aussi des données implicites.
Monitions d’accueil, Parole de Dieu, prières, préfaces
Lors de l’accueil, au moment décisif d’introduire l’assemblée dans la signification de la célébration, d’emblée, les monitions sous-entendent la notion de vocation : « Rappelez-vous les débuts de votre amour : en lui, Dieu est déjà présent... Vous venez Le remercier de ce qu’Il vous a donné de vivre, et vous venez recevoir ce qu’Il veut encore vous donner » (R 10). Formulation tout aussi vocationnelle : « N. et N., un jour, Dieu vous a appelés par votre nom et vous a fait grandir dans son amour. C’est Lui qui, dès vos premières rencontres, vous a rapprochés l’un de l’autre pour que naisse votre amour » (R 12).
Toute vocation est réponse à la Parole de Dieu. Le Lectionnaire du mariage propose aux futurs des appels significatifs, voire radicaux, comme : « L’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme et tous deux ne feront plus qu’un » (R et RR § 179, 180, 216, 218). Ils ne feront plus « qu’un » : une unité différenciée de vie et de foi à l’écoute permanente des appels du Seigneur.
Les prières font écho au dessein de Dieu, à ses appels, selon les fréquentes expressions : « Père très saint, Tu as voulu... Tu appelles les époux à... » Elles mentionnent l’enjeu essentiel du mariage : le lien, l’union, l’engagement (R 67), l’attachement réciproque (R 69), dans le respect de la personne de l’autre... Ces réalités sont reconnues comme « sanctifiées » (R 66), purifiées de tout « égoïsme » (R 18, 69), dans la mouvance de la « grâce » (R 67 ; 73...). « Père, Tu as voulu que l’union de l’homme et de la femme manifeste la prodigieuse action de Ta grâce » (R 74). « Tu as mis en leur cœur l’amour qui les attache l’un à l’autre » (R 76).
Pour rayonner toutes ces significations, il s’agit d’entrer, implicitement, dans une véritable vocation : entrer dans « le mystère si beau du mariage (devenu) sacrement de l’alliance du Christ et de l’Eglise » (R 66, cf. Ep 5, 21-32). Une vocation du couple que les époux approfondiront sans cesse : « Seigneur, accorde à N. et N. qui vont recevoir ce sacrement dans la foi de réaliser par toute leur vie ce qu’il exprime » (R 66).
La prière des époux est un point fort de la célébration. Elle peut exprimer la manière dont les nouveaux époux perçoivent leur projet de vie ensemble comme une vocation. « Seigneur, Tu nous as appelés à fonder ensemble ce foyer. Donne-nous la grâce de l’animer de Ton amour... Toi qui es Amour, nous Te remercions de notre amour » (R p. 70). Les exemples de prière des époux qui figurent dans l’album Fêtes et Saisons « Notre mariage à l’Eglise » (p. 14) abordent explicitement le thème de la vocation chrétienne des époux (prière d’Anne et de Vincent) ou de manière très proche, comme la prière de Françoise et Dominique : « O Dieu d’amour, nous voulons vivre à l’écoute de ta Parole, nous laisser conduire par Toi... Tu es le chemin où se déroule notre vie. En nous, Tu veux être à l’œuvre... »
L’expression de la vocation dans les bénédictions nuptiales
Telle bénédiction nuptiale évoque bien l’appel personnel de Dieu envers les époux : « Seigneur, Tu as appelé par leur nom N. et N., pour qu’en se donnant l’un à l’autre ils deviennent une seule chair et un seul esprit. Tu es la source de leur amour et Tu as mis en eux le désir de bonheur qui les anime » (R 59). Les bénédictions expriment des orientations pour la vie conjugale et familiale : la vie de foi, l’amour dans le foyer, la responsabilité éducative des enfants, l’ouverture aux autres dans le soutien mutuel, les réalités du travail… Mais ces bénédictions, tout en implorant parfois la grâce du Seigneur (R 50), ne manquent pas de situer ces orientations spirituelles, éthiques, éducatives, à partir de la vocation des époux croyants et dans la perspective du Royaume des Cieux (R 49 fin ; R 58, R 59…).
C’est d’abord la vocation créationnelle des époux : « Bénis ces nouveaux époux. Qu’ils soient ainsi fidèles à leur vocation d’homme » (R 60). Ils sont appelés, en couple, à vivre la vocation fondamentale et éminente de l’être humain créé en dialogue d’amour masculin et féminin. En même temps, cette vocation créationnelle humanisante est déjà divinisante, car elle appelle les conjoints à vivre « à l’image »du Dieu d’Amour Créateur : « Père Saint, Tu as créé l’homme et la femme pour qu’ils forment ensemble ton image » (R 47, R 52, R 58, R 60), « dans l’unité de la chair et du cœur » (R 47), « pour qu’ils ne soient plus qu’un, nous signifiant ainsi de ne jamais rompre l’unité qu’il T’avait plu de créer » (R 52).
C’est aussi la vocation des époux selon l’Alliance de Dieu : « Seigneur notre Dieu, afin de révéler le dessein de ta grâce, Tu as voulu que l’amour de l’homme et de la femme soit déjà un signe de l’Alliance que Tu as conclue avec ton peuple… » (R 48).
Et c’est encore, au plus profond, la vocation évangélique des époux. Greffés sur le Christ, ils vivront son mystère pascal, les morts et résurrections successives, les pardons et les confiances renouvelées… Ils s’aimeront « en s’appuyant sur leur amour et sur l’amour du Christ » (R 60). « Seigneur… Tu veux que dans le sacrement de mariage l’union des époux exprime le mystère des noces du Christ et de l’Eglise » (R 48). « Dieu, Tu as sanctifié les noces par un si grand mystère que Tu en as fait le sacrement de l’Alliance du Christ et de l’Eglise » (R 53). « Tu veux que ces époux suivent l’exemple du Christ, lui qui a aimé les hommes jusqu’à mourir sur une croix » (R 60).
C’est pour l’épouse que le terme vocation est le plus explicite : « Seigneur, accorde à N. (l’épouse) la plénitude de ta bénédiction : qu’elle réponde à sa vocation d’épouse et de mère ; qu’elle soit par sa tendresse et sa pureté la joie de sa maison » (R 49). Pour l’époux, sa « vocation » n’est pas explicitée, mais la bénédiction du Seigneur est demandée pour que l’époux « se dévoue à toutes ses tâches d’époux fidèle et de père attentif » (R 49).
C’est sur la base de cette vocation fondamentale et animés par la bénédiction de l’Esprit Saint que les époux pourront être « ministres » de la grâce du Christ l’un envers l’autre : « Nous Te prions de bénir N. et N. Fais que tout au long de leur vie commune sanctifiée par ce sacrement, ils se donnent la grâce de ton Amour, et qu’étant l’un pour l’autre un signe de Ta présence, ils deviennent un seul cœur et un seul esprit » (R 49). En telle bénédiction finale trinitaire, l’Esprit Saint est ainsi invoqué : « Que l’Esprit de Dieu ne cesse de répandre son amour en vos cœurs » (R, p. 57).
Une bénédiction finale proclame : « Que le Seigneur votre Dieu vous garde unis dans un même amour et fasse encore grandir cet amour venu de Lui » (R p. 58). Cette formulation d’un « amour venu de Dieu » est susceptible d’une interprétation générale (tout amour conjugal inspiré par Lui), ou d’une interprétation plus personnalisante (cet amour d’appel personnel que Dieu vous adresse à vous aimer l’un l’autre)... Les époux reçoivent cet appel pour « qu’ils avancent vers une même sainteté » (R 63).
L’eucharistie, pour tracer un chemin de vocation
C’est au cours de l’eucharistie que, « normalement » (Rituel p. 27), est célébré le sacrement de mariage. L’eucharistie est justement « la source et le sommet » de la rencontre avec le Christ pascal, là où chacun se situe en vérité pour discerner les chemins de vocation personnelle. « Par cette eucharistie, Seigneur, que grandisse leur amour et qu’ils T’aiment davantage » (Prière sur les offrandes, R 72). Et, après la communion, « Que chacun de nous recueille les fruits de l’eucharistie que nous venons de T’offrir » (R 80).
Le renouvellement de la vocation des époux
Comme le baptême est le sacrement de l’entrée dans la vie baptismale qui se déploiera au fil des jours, le mariage est le sacrement inaugural de l’entrée du couple dans la vocation pascale conjugale et familiale. Marqué par la bénédiction du Père donnant l’Esprit Saint (RR), le couple se met à l’écoute quotidienne de l’appel du Christ. Le couple se rend disponible au « Suis-moi ! » que lui renouvelle sans cesse le Christ.
La liturgie prévoit de soutenir les époux dans leur cheminement, d’année en année, en fêtant les anniversaires de mariage. Ces dispositions sont spirituellement fructueuses. Le Missel romain offre des prières spécifiques pour les messes d’anniversaire, et plus spécialement pour les jubilés de mariage au 25e et au 50e anniversaires. Ces oraisons expriment l’action de grâce du couple et demandent au Seigneur sa grâce pour continuer la mission des époux. Certes, ces oraisons ne comportent pas explicitement la notion de vocation des époux, mais celle-ci y affleure.
L’Eglise souhaite développer cette perspective. Aussi, le nouveau Rituel romain du mariage innove-t-il. Il donne une liturgie complète de « Messe de bénédiction des époux lors d’anniversaires de mariage » : à l’accueil, évocation du cheminement du couple et de la famille avec ses temps forts, choix de la Parole de Dieu, renouvellement silencieux de l’engagement des époux, bénédiction des alliances, prière des époux et prière commune de l’assemblée, participation des époux à la liturgie des offrandes, communion sous les deux espèces, bénédiction des époux, envoi pour vivre les appels du Christ.
Comment avancer, avec la grâce du Seigneur, pour vivre de mieux en mieux le sacrement de mariage, sa vocation, sa grâce, son rayonnement ? De jalon en jalon, avec l’appui liturgique de l’Eglise, les époux peuvent ainsi progresser dans l’approfondissement du triple niveau de vocation.
* *
Cette exploration du mariage comme vocation incite à proposer davantage aux époux ces réalités vocationnelles. Le nouveau Rituel romain intensifie ces aspects vocationnels : il formule les bénédictions en prières d’épiclèse pour que l’Esprit Saint soit envoyé par le Père sur les époux et qu’Il transfigure leur vie conjugale et familiale ; il prévoit la remise de la Bible pour que les conjoints soient à l’écoute de la Parole de Dieu et de ses appels de situation en situation ; le ministère du prêtre ou du diacre est davantage souligné pour manifester qu’en l’Eglise le Christ Epoux appelle les conjoints à vivre en Alliance d’amour avec Lui. L’Eglise Epouse du Christ prie le Père d’envoyer son Esprit Saint sur les époux : qu’à travers joies et croix assumées, ils cheminent sur leur chemin de vocation personnelle et de vocation de couple, à la suite du Christ Epoux qui a donné sa vie par amour pour l’Eglise et l’humanité.
Notes
1 - Abréviations : FC Familiaris consortio, exhortation apostolique de Jean-Paul II, La famille chrétienne dans le monde d’aujourd’hui, Cerf, Centurion, 1981 ; GS Gaudium et Spes ; R Rituel pour la célébration du mariage à l’usage des diocèses de France, éd. Brepols, 1ère éd 1969 ; 4e éd 1996 ; RR Rituel romain, Vatican, editio typica altera, 1991. [ Retour au Texte ]
2 - Par ex. : Rituel, GS, Familiaris Consortio… Et conférence de Mgr Marc Ouellet « La célébration du sacrement de mariage dans la mission de l’Eglise », Documents Episcopat, janvier 2002. Sur la spiritualité conjugale, deux belles réflexions du Magistère, adressées aux END : Paul VI, « Le mariage dans le Seigneur, vocation de sainteté », 4 mai 1970, DC 1564 (1970) p. 502-506 ; Jean-Paul II, « Si tu savais le don de Dieu », 23 septembre 1982, DC 1838 (1982) p. 905-908. [ Retour au Texte ]
3 - Anne-Marie Pelletier, « Le mariage, une vocation ? », « Théologie de la vocation », Actes du colloque de l’Institut Catholique de Paris, Jeunes et Vocations n° 102, 3e t. 2001. [ Retour au Texte ]
4 - Maurice Vidal, « De l’usage du terme vocation », in Jeunes et Vocations n° 102, p. 59-66. [ Retour au Texte ]
5 - Jean-Louis Souletie, « Théologie de la vocation, un débat » in Jeunes et Vocations n° 102, p. 5-6. [ Retour au Texte ]
6 - C’est dans cet ordre que Jean-Paul II explicite les vœux dans l’exhortation Vita consecrata, 1996. Cf. « La vie religieuse », Jeunes et Vocations n° 106, 3e t. 2002. [ Retour au Texte ]
7 - Dans le Guide pratique de la vie en Eglise par Pierre Debergé, André Dupleix et collab., éd. Bayard, 2002, nous avons présenté cette perspective au chapitre « Mariage », p. 215-216. Ces trois niveaux sont exprimés dans le Catéchisme de l’Eglise Catholique § 1601-1617 : « Le mariage : dans l’ordre de la création… sous la pédagogie de la loi… dans le Seigneur… » ; la grâce du mariage, § 1641-1642. [ Retour au Texte ]
8 - Expression de Jean-Paul II dans Familiaris consortio : « vocation à l’amour », § 5 ; 21. [ Retour au Texte ]
9 - Christiane et Michel Barlow, Le couple, chemin de Dieu, coll. « Pratiques chrétiennes », DDB, 1995, p. 57. Le chapitre 5 « La fondation du couple et le sacrement de mariage » (p. 113-132) peut être relu avec profit selon le thème de la vocation. [ Retour au Texte ]
10 - Pascal Ide, Célibataires, osez le mariage ! éd Saint-Paul, 1999, p. 47-49, 53, 55, 57… ; cf. aussi A. Barral-Baron, Le célibat, chemin de vie, Cerf, coll. « Foi Vivante », 1990, surtout p. 61-86, 110-118. Comment trouver sa vocation en situation de célibat non choisi ? Cf. les week-ends spirituels sur ce thème dans les Centres des jésuites (Manrèse, Lyon, Aix-en-Provence, Vannes). [ Retour au Texte ]
11 - Titre de l’article d’A. Borras, in « L’Esprit Saint », numéro spécial de la revue Prêtres diocésains, mars 1999, p. 331-350. [ Retour au Texte ]
12 - M. Dubost, Guide pour préparer votre mariage, coll. « Théo poche », éd Droguet-Ardant, 2000, 152 p. [ Retour au Texte ]
13 - Anne-Marie Pelletier, Jeunes et Vocations n° 102, p. 59-66, cf. supra, note 3. Voir aussi dans l’ouvrage du P. Ludovic Lécuru, Discerner sa vocation, et y répondre, Sarment, 2002, un chapitre « Mariage », avant les chapitres « Sacerdoce » et « Vie consacrée ». Anne-Marie Pelletier remarque la faible référence à Ep 5, 21-32 dans le Rituel romain. Cela est confirmé en comparaison au rituel de la liturgie orthodoxe du mariage où Ep 5, 21-32 est la lecture à chaque mariage, ainsi que l’Evangile de Cana (Jn 2, 1-12). Cf. Jean Meyendorff, Le mariage dans la perspective orthodoxe, éd OEIL, 1986. [ Retour au Texte ]
14 - Alain Quilici, Les fiançailles. Lecture spirituelle du temps des fiançailles à l’intention de ceux qui ont quelques exigences, éd Sarment-Fayard, 1992, 249 p. Le Lectionnaire du mariage donne un extrait du Livre de Tobie : Tb 7, 6-14 et Tb 8, 4-8, cf. RR § 182 et 183. [ Retour au Texte ]
15 - Livre des Bénédictions (LB), Chalet-Tardy, 1988 ; éd revue et corrigée 1995. Ici nous utilisons la rééd. 2000, § 195-214. « Célébration des fiançailles » : ce rituel de bénédiction des fiancés est repris, à très peu de différences, dans le nouveau Rituel romain du mariage (1990). Il est synthétisé par Michel Dubost dans son Guide pour préparer votre mariage, chap. 7, p. 68-71. Notons que la bénédiction des fiancés peut être présidée par les parents, un prêtre, un diacre, ou un laïc (LB § 197). [ Retour au Texte ]
16 - « Se préparent chastement », précise le nouveau Rituel romain du mariage. [ Retour au Texte ]
17 - Fêtes et Saisons, « Notre mariage à l’Eglise », Cerf, p 16, chap. « Et le sacrement de pénitence ? » [ Retour au Texte ]