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Appelés au mariage
professeur à l’Institut Catholique de Paris
« J’ai longtemps pensé avoir la vocation. Finalement, je me suis marié. » Lorsqu’Alexis, vingt-sept ans, parle de « vocation » il s’agit, pour lui, de l’idée d’être prêtre qui l’a habité longtemps et qui l’a même conduit à faire partie, pendant quelques années, d’un groupe de recherche avec d’autres garçons se posant la même question. Il emploie aussi ce mot « vocation » pour des moines ou des religieux mais, spontanément, pas pour le mariage. C’est d’ailleurs le vocabulaire officiel dans l’Eglise catholique : le Service National des Vocations, en France, n’a pas « vocation » à s’occuper de la pastorale du mariage : en ce sens, un numéro de Jeunes et Vocations sur le mariage peut avoir quelque chose d’insolite. Chaque année, lors du quatrième dimanche de Pâques, avec l’évangile du Bon Pasteur, les chrétiens sont invités à prier (et à cotiser) pour les vocations, on leur précise qu’il s’agit des vocations « spécifiques ». Un mot dont on se sert surtout pour ne pas avoir à préciser de quelle spécificité il s’agit. En fait on y englobe tout ce qui semble requérir un appel spécial de Dieu, et tout particulièrement les vocations presbytérales et religieuses.
Alors, le mariage peut-il être considéré comme une vocation ? Y a-t-il une vocation au mariage ? Une vocation dans le mariage ? Ou même une vocation, un appel, à épouser tel ou telle ? « Ma vocation, dit Nathalie, ce n’est pas le mariage, c’est Pierre ! »
Il faudrait d’abord cerner davantage cette notion de vocation. Le mot est d’origine religieuse. Il qualifie l’appel de Dieu. Même s’il a pu, par analogie, être étendu à d’autres professions, souvent les plus altruistes : vocation de médecin, d’assistante sociale ou de marin. Il évoque un projet de Dieu sur quelqu’un. Il se manifeste à la fois par une inclination de la personne, des prédispositions de sa part, et un appel par d’autres qui lui font signe. La vocation relève ainsi et du désir de la personne et du besoin des autres. Là doit s’exercer un discernement.
Dans cette perspective, on peut parler de vocation humaine comme du projet de Dieu sur l’humanité et sur tout homme, et de vocation chrétienne, ce que Dieu attend de tous les baptisés.
En ce sens large de l’appel de Dieu, de ce que Dieu attend, il y a incontestablement, pour tout homme, pour toute femme, une vocation à aimer, reposant sur le sentiment très fort d’être fait pour cela. Cela correspond à la fois, pour quelqu’un, à son désir le plus profond et à ce que les autres attendent de lui ou d’elle. Et c’est dans le cadre de cette vocation universelle à aimer qu’on peut parler et du mariage et de l’engagement dans le célibat, non pas pour distinguer ceux qui aiment et ceux qui s’en abstiendraient mais comme deux façons d’aimer, deux chemins pour se consacrer à aimer. A fortiori pour des chrétiens, pour qui il n’y a qu’une seule consécration, une seule « vie consacrée », contrairement au vocabulaire usuel du droit canonique : le baptême comme consécration à l’amour du Père, du Fils et du Saint-Esprit, comme vocation à incarner dans une existence d’homme, de femme, corps et âme, cet amour trinitaire.
Celles et ceux qui parlent de vocation au mariage le font habituellement par analogie avec la vocation à d’autres états de vie ou à des ministères dans l’Eglise. La démarche inverse semblerait plus logique : aborder les « autres » vocations par analogie avec cette vocation fondamentale, dont l’Eglise a fait un sacrement de l’alliance, l’appel à traduire dans le mariage, l’engagement d’un seul homme à l’égard d’une seule femme, l’amour universel, définitif et absolument fidèle de Dieu pour l’humanité tel que le Christ l’incarne vis-à-vis de l’Eglise.
C’est alors dans le cadre de cette vocation universelle à aimer, et par analogie avec le mariage, qu’on pourrait, par extension, parler de vocation au célibat. Avec la conviction que ce n’est pas directement au célibat qu’on peut être appelé mais à ce qu’il permet, à ce qu’il manifeste comme aussi essentiel et vital que l’amour conjugal et la transmission de la vie. On peut, en effet, se percevoir appelé à consacrer sa vie à Dieu ou aux autres au point de se sentir appelé à rester célibataire. C’est alors qu’on est pris, saisi par ce ou celui à qui on consacre toutes ses énergies au point que, en quelque sorte, on en perd les moyens de se marier, comme d’autres en perdraient l’appétit. Jésus parle ainsi de « ceux qui se font eunuques pour le Royaume ». Il s’agit, de sa part, non d’un conseil mais d’un constat. La vocation alors n’est pas tant le célibat que ce qui remplit l’existence de ceux qui s’y engagent : « à cause de moi ou de l’Evangile », dit ailleurs Jésus à propos de ceux qui ont tout quitté.
Peut-on alors se dire appelé au mariage ? On conçoit bien qu’un homme ou une femme se sente fait pour cela, ou qu’un jeune n’envisage pas de construire sa vie autrement. En ce sens, quelqu’un peut se dire appelé au mariage, si c’est bien ainsi qu’il se propose de répondre à l’appel de Dieu dans sa vie. Mais là encore, comme pour toute vocation, il faut se garder d’imaginer un projet prédéterminé qui, dans le cœur de Dieu, précéderait nos choix et auquel nous aurions seulement à nous conformer. La vocation est un appel, discerné dans un désir, dans des aptitudes, jamais un destin qui s’imposerait.
En réalité, pour parler de vocation au mariage, il faut être deux... Quelqu’un qui ne s’est jamais marié peut-il dire : « J’avais vocation au mariage » ? Cela signifie simplement : « J’espérais bien me marier. » De même, il n’y a vocation au presbytérat que si le désir d’un homme et sa disponibilité profonde sont rejoints par l’appel d’un évêque au nom d’une communauté ; quelqu’un ne peut pas dire : « J’avais vocation à être prêtre » si jamais aucun évêque ne l’a appelé. De même, il semble qu’on puisse dire qu’il n’y a vocation au mariage que dans la rencontre de l’autre qui répond à ce projet, lorsque le prince charmant cesse d’être un rêve pour devenir un être en chair et en os.
Est-ce à dire qu’on est appelé, non au mariage de façon abstraite et virtuelle, mais à épouser tel ou telle ? Là aussi, il faudrait se garder des clichés, représentés par le mythe de l’androgyne dont chaque élément, après le partage primitif, est en quête de sa moitié. Tel homme n’est pas destiné de toute éternité à épouser telle femme ou à errer jusqu’à ce qu’il la trouve. Si on peut parler de vocation, ce ne peut être qu’à travers les événements et donc les aléas d’une histoire. S’il y a don de Dieu, ce ne peut être, comme dans toute vocation, que dans l’épaisseur de ce qui nous anime et de ce qui nous arrive.
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Alors, vocation au mariage ? Il est sans doute légitime d’utiliser cette expression. Mais sûrement en tout cas, vocation dans le mariage : vocation à répondre de façon spécifique à l’appel de Dieu dans cet état de vie. Les époux - l’Eglise en a même fait un sacrement - ont vocation de traduire dans leur vie conjugale, d’incarner, l’engagement du Christ à l’égard de l’humanité, Lui qui s’est donné jusqu’au bout pour que tous aient la vie.