Oser une parole sur le mariage


Françoise VIGIER
Educatrice à la vie au CLER

La formation à la tâche d’ « éducateurs à la vie » passe par une analyse du sens humain de la sexualité, des significations humaines que tout homme, chrétien ou non, peut reconnaître à l’amour et à la sexualité.

Etre éducateur au CLER demande, de plus, une réflexion sur la Bonne Nouvelle apportée par le Christ, tel un cadeau pour l’amour humain, un éclairage particulier sur la réalité conjugale. L’amour divin est gratuit, généreux, fidèle, fécond et total. Par la force de Dieu lui-même, l’amour humain tend vers cet amour parfait ; il en est un signe.

Le travail sur soi proposé par le CLER dans la formation d’éducateur – tant sur le plan des con­naiss­ances intellectuelles que sur celui de sa propre psychologie – renforce l’assurance du sens profondément humain de la conjugalité, qui est beaucoup plus qu’une institution de la société, et nous sommes peu à peu convaincus qu’oser une parole sur le mariage, c’est faire acte de solidarité envers les jeunes.

Vivre, c’est avoir en soi un bouillonnement d’idées, de sensations, d’aspirations et l’adolescence est à l’apogée de cette abondance. Les vocations, à cet âge, peuvent être multiples ; elles sont influencées par l’environnement, bien sûr. Et si nous n’osons pas une parole pour dire le merveilleux d’un amour engagé, nous pouvons peu compter sur la rue, les copains ou les médias pour le faire.

Dans un dialogue avec des jeunes sur le thème de l’Amour, tout se passe comme si l’adolescent avait en lui deux voix :

• l’une exprimant les tendances « actuelles ». Et là, l’engagement dans la durée n’est pas une valeur porteuse ; « il faut savoir changer » leur dit-on (changer de travail, de lieu de vie par exemple). Le don n’est pas non plus vraiment prôné ; il faut « gagner » tous azimuts, gagner sur soi mais aussi sur les autres, peut-être même en écrasant l’autre.

• une autre voix, au contraire qui lui vient du plus profond du cœur et de l’esprit et qui lui fait apprécier la tendresse, l’acte gratuit, le respect, la joie de la relation, en un mot la réalité de l’amour, indifférente aux phénomènes de mode.

Un exemple : de nombreux jeunes sont tout prêts à vous expliquer que la fidélité est tout à fait impossible, mais vous provoquez un éclat de rire général quand vous demandez à une fille du groupe si elle préfère l’amoureux qui lui dit : « Je t’aime pour trois mois » ou celui qui dit : « Je t’aime pour toujours. »

Dans la rencontre avec les jeunes, nous allons donc essayer de favoriser l’émergence de cette seconde voix.

Un des thèmes souvent choisis par les jeunes auxquels nous nous adressons est celui des conditions d’un amour vrai. Comment reconnaître qu’on aime vraiment ?

La réponse est donnée sous forme d’une liste de cinq désirs fondamentaux de l’amour, tous nécessaires pour parler d’un véritable amour :

- désir charnel,

- désir de fécondité,

- désir de communication,

- désir de tendresse,

- désir d’exister, de compter pour quelqu’un.

La recherche avec un groupe de ces cinq désirs est une belle occasion de permettre à l’adolescent une parole vraie, profonde, structurante, bien éloignée des propos plaisantins ou très légers de certaines circonstances.

Nous travaillons aussi sur les nécessaires maturations de l’amour, à la lumière des connaissances des sciences humaines sur l’évolution de l’être humain, du bébé à l’âge adulte. Il est également intéressant de donner des informations sur les connaissances actuelles, mettant en relief le lent cheminement, partant de l’amour de soi (ô combien nécessaire et précieux dans l’assise d’une personnalité) et se dirigeant peu à peu vers l’amour des autres, puis l’amour d’un Autre, enfin, pour le croyant, celui du Tout-Autre. De plus, ce travail donne aussi un sens à l’idée qu’un amour se bâtit et que cette construction ne se fait pas en un jour. Il y a donc une notion de durée qui, peu à peu, s’impose face aux idées courantes du « tout, tout de suite ».

Enfin, il est intéressant également de présenter les aléas du parcours amoureux. L’idéalisation, tout d’abord, ce sentiment amoureux de la rencontre qui nous entraîne à attribuer à l’être aimé toutes les qualités. Cette idéalisation, cet amour-passion du départ, très fusionnel, tout de bonheur et de joie, est profondément fondateur. Il est un temps de maturation nécessaire, mais il ne peut résiste à l’épreuve du réel ; nul n’est parfait. Et suit la « désidéalisation », période nécessaire elle aussi pour que survienne enfin l’adaptation à l’autre, difficile cette fois, mais seule véritable construction de l’amour. C’est l’époque des conflits, mais c’est aussi l’époque de la reconnaissance de l’autre dans sa globalité, avec ses qualités et ses défauts.

Tout ce travail sur l’amour humain, le grand, celui qui se donne dans la tendresse, le respect, la joie, la vérité et la durée, conduit peu à peu à la notion d’engagement, fondamentale dans le mariage. La phase de construction, par l’adaptation à l’autre, exigeante de maturité, se vivra mieux, en effet, après avoir « rompu les amarres », c’est-à-dire avoir coupé les retours en arrière possibles, pour regarder en avant, librement et délibérément.

C’est là que se situe l’aventure du mariage ; tel un bateau qui ne se contente pas de rentrer au port mais vogue avec joie vers le large, le couple s’engage pour la vie.

Telles sont les grandes lignes de ce que nous disons aux jeunes, si tant est que nous soyons appelés à « dire » le mariage.

Or, notre travail au CLER est fondé sur l’écoute, c’est-à-dire une attitude qui est un acte de foi en la personne humaine et nous interdit toute manipulation, tout désir d’imposer notre point de vue. Dans cette phase, nous faisons taire toute parole et même toute pensée en nous-même qui s’interposerait, gênerait la parole ou la pensée de ces jeunes qui s’interrogent. S’interroger, c’est déjà répondre ; en tout cas, c’est progresser dans la découverte de ses propres sentiments.

Notre confiance en l’homme, créature aimée de Dieu, nous donne l’intime conviction qu’au cœur de l’adolescent, comme au cœur de tout être, se trouve le désir profond, fondamental, de constituer un couple harmonieux, très fortement uni.

Par une dynamique de groupe appropriée, il est fréquent de voir les jeunes rechercher avec le plus grand sérieux leurs propres réponses aux questions qu’ils se posent. Et, dans ce cas, quel que soit le thème choisi dans le domaine de l’affectivité et de la sexualité, cette simple expérience de sérieux dans l’échange, de confiance dans les autres membres du groupe, de solidarité entre eux face à la similitude de leurs problèmes ou d’acceptation d’une pensée différente de la leur, en un mot, tout ce respect de soi-même et des autres sont, d’eux-mêmes, une préparation à leur engagement futur dans le mariage ou dans toute autre vocation vraie .

Ainsi, nous aidons un jeune à avancer chaque fois que nous l’écoutons dire et donc se dire sur son désir :

- de fidélité, c’est-à-dire aimer un seul autre et être l’unique aimé ;

- d’engagement dans le temps.

Ce travail, sous forme d’échange, n’est pas superflu. Il nous vient parfois à l’esprit qu’il serait aussi important que l’étude des mathématiques ou d’une autre matière scolaire.

En tout cas, notre espérance est que ces rencontres soient une pierre, si modeste soit-elle, dans une construction réfléchie de leur existence.