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Religieux, religieuses, qui sommes-nous ?
Une question qui n’est pas inutile
Pour beaucoup d’entre nous, la vie religieuse semble familière, elle fait partie du paysage, même s’il est clair qu’elle participe au mouvement général d’un christianisme en perte de vitesse : « Les dernières sœurs garde-malades sont parties le mois dernier. L’une d’elles était restée trente-cinq ans dans le village : elles vont nous manquer ! » « A l’école Sainte-Marie, la directrice est une laïque. Il n’y a même plus de religieuses qui enseignent : il reste tout juste la documentaliste. Est-ce encore une école catholique ? » De fait, un certain discours chrétien sur la vie religieuse se nourrit souvent de nostalgies.
Parmi les chrétiens, il en est aussi qui, attirés par le rayonnement des communautés nouvelles, voient là le seul avenir de la vie religieuse.
Le discours de la société, lui, développe trop souvent la simple caricature, avec ses images de moine fabriquant du fromage et de religieuse à cornette qui roule en « deux chevaux », comme si la vie religieuse n’était pas entrée, avec tout le reste de la société et de l’Eglise, dans le troisième millénaire.
Trop souvent, on a pris l’habitude de considérer la vie religieuse sous l’angle du « faire » : les « frères enseignants », les « sœurs infirmières »… Du coup, tout en admirant le travail remarquable accompli dans le passé, il est tentant de croire que la société-providence a désormais pris efficacement le relais. De plus, notre regard sur la vie religieuse est à ce point marqué par l’utilitarisme que nous avons parfois du mal à comprendre la place de la vie monastique : « Tous ces moines dans une même église, quel gâchis alors qu’il n’y a plus de curés dans les villages environnants ! » Est-ce à dire que nous n’avons pas confiance en la prière ou au signe de la vie fraternelle ? Alors, prenons un peu de temps pour reprendre la question : « Religieux, religieuses, qui êtes-vous ? Qu’avez-vous à dire dans une société en évolution et dans une Eglise en réaménagement ? »
class="Titre1">Une manière de vivre le baptême
Comme pour tout chrétien, la vie religieuse se fonde sur l’appel du baptême. Il n’y a pas de moment plus fort dans la vie d’un chrétien que celui de ce sacrement où il renaît de l’eau et de l’Esprit, prend conscience de sa filiation divine et de son appartenance à la communauté de l’Eglise.
Cependant, pour la plupart, ce moment trouve sa place dans la petite enfance et relève bien davantage du choix des parents de transmettre un héritage ou de célébrer la naissance que d’un véritable engagement libre et réfléchi. Du coup, cette démarche devra être reprise et réactualisée, notamment au temps de l’adolescence, à travers la profession de Foi et la confirmation. A l’âge adulte, viendra ensuite l’heure des choix fondamentaux.
• Celui de la vie affective : comment orienter les énergies qui nous habitent, qui appellent l’entrée en relation, réclament la tendresse et cherchent à s’épanouir dans une fécondité ?
• Celui de la vie professionnelle : comment utiliser au mieux les compétences ? Comment exploiter intelligemment ses goûts ? Vers où s’orienter pour se rendre au mieux utile à la société tout en s’épanouissant soi-même dans un bonheur durable ?
Ces deux questions, communes à tous les humains, sont vécues par les chrétiens sous un mode qui leur est particulier, celui de la vocation. S’il est vrai que tout homme, toute femme, est un don de Dieu pour le monde, s’il s’avère que nous sommes tous appelés à trouver notre place dans le Corps du Christ qui est l’Eglise, s’il est certain que la vie chrétienne est toujours réponse à un appel, alors, quel est cet appel particulier que le Seigneur m’adresse et comment y répondre ?
Pour le plus grand nombre, la réponse semble aller de soi : Dieu m’appelle à fonder un couple fidèle et une famille stable, pour transmettre le don de la vie reçu de mes parents. Il m’encourage à m’insérer dans la vie professionnelle de manière à développer mes talents et à prendre ma place dans la société. De plus, le temps libre permettra de prendre des engagements dans la vie sociale et dans l’Eglise. C’est une des manières de répondre à la vocation baptismale.
Pour certains, la réponse sera différente. Sans renoncer à la tendresse, ils l’investiront dans la vie fraternelle et dans la réponse aux cris de détresse du monde ; sans renoncer à la fécondité, ils bâtiront des relations de confiance avec des enfants, des jeunes, des adultes ou des personnes âgées et trouveront avec eux d’autres moyens d’enfanter la vie ; sans renoncer à la valorisation d’un travail professionnel, ils accepteront les missions qui leur seront confiées et les lieux où ils seront envoyés.
Il ne s’agit pas d’opposer ces deux voies, mais de rendre grâce pour la diversité des dons et de se réjouir des complémentarités.
Des formes de vie complémentaires
Dans le passé, on a beaucoup insisté sur le caractère de rupture que représente la vie religieuse par rapport aux rythmes et aux modes de vie les plus courants. Il est cependant important de souligner que les différences indéniables ne constituent pas d’abord des oppositions mais de réelles complémentarités. La vie laïque et la vie religieuse constituent deux manières d’aimer le monde et de le faire advenir. Les uns et les autres s’enrichissent de leurs approches et de leur questionnement réciproque. Mutuellement, ils s’interrogent sur leur manière de vivre la pauvreté ou la chasteté au sens d’un refus de considérer l’autre comme un simple objet de désir ou de possession.
Les religieux ont redécouvert que l’intuition de leur fondateur est un trésor qui est commun à l’Eglise entière. Au contact des laïcs, ils continuent de l’approfondir et de chercher ensemble comment le faire fructifier pour aujourd’hui, chacun le vivant à sa manière.
L’Eglise entière, d’ailleurs, se constitue sur un mode où certains sont plus particulièrement chargés d’exprimer un aspect, non pour se l’accaparer égoïstement mais pour que la communauté tout entière puisse le vivre. Dans cette optique, il est clair que la prière de contemplation n’est pas réservée à quelques-uns. Si le mode de vie monastique lui est le plus favorable, c’est pour permettre à d’autres de s’y associer à leur manière et selon le temps dont ils disposent.
Dans l’Eglise, de multiples collaborations se vivent dans la liturgie, dans la catéchèse, parmi les coopérateurs de la pastorale. Il est demandé aux uns et aux autres la même activité mais il sera important de permettre à chacun de s’exprimer selon son état de vie. Il faudra veiller, en particulier, à ce que les religieux n’apparaissent pas comme un corps de volontaires de la pastorale, disponibles à tout moment. Ce ne serait respectueux ni pour les laïcs, ni pour la vie religieuse elle-même. Sur ce point, des mentalités demandent certainement d’être converties. Le dialogue engagé entre laïcs et religieux permettra aux uns et aux autres d’approfondir leur vocation propre, de partager leur expérience spirituelle et de se sentir engagés au service d’une même mission d’Eglise.
Des hommes et des femmes donnés à Dieu et au monde
Aujourd’hui, comme par le passé, les formes de vie consacrée sont multiples ; elles se caractérisent par des constitutions ou une règle commune, parfois une règle individuelle ; quelques-unes cependant n’intègrent pas la vie commune. Elles se caractérisent aussi par un engagement ou des vœux prononcés en Eglise.
S’engager ainsi, c’est faire le choix d’inscrire, dès le départ, la radicalité dans son existence. Et ce choix se révèle chemin et naissance.
Lorsqu’une femme, lorsqu’un homme s’engagent à vivre la pauvreté, la chasteté et l’obéissance, ils se mettent en route afin de vivre avec le Christ, comme le Christ et pour lui. Dans un même mouvement, ils sont ainsi donnés à l’humanité et établis prochain de tout homme.
Confrontés à leur vulnérabilité, à leurs limites humaines comme tout un chacun, les consacrés vivent sans prétention. Leur vie, leur activité, leur recherche même de Dieu deviennent lieux de conversion. Apprendre, sous la mouvance de l’Esprit Saint, l’incessante sortie de soi, l’amour préférentiel de l’autre jusqu’au don de sa propre vie.
La joie de la vie consacrée
La joie de la vie consacrée, c’est la joie d’un amour reçu et donné. Les vœux permettent à cet amour de se déployer au fil de l’existence. Ils rappellent que nul n’est l’origine, ni la fin, ni le tout d’une vie.
Capable de tout recevoir d’un Autre, le cœur pauvre est capable de tout donner afin que l’autre advienne par lui-même. Aimé sans condition, le cœur chaste laisse rayonner sur l’autre l’amour et la lumière qui l’enveloppent. Disponible, bienveillant, il aime pour que l’autre advienne pour lui-même. A l’écoute de Dieu et de ses frères, le cœur obéissant découvre dans le dialogue la véritable liberté. Liberté d’être qui le fait passer de la vie « pour soi » à la vie « pour l’autre ».
Car, si la vie consacrée est une vie avec le Christ, elle est aussi une vie avec les autres et pour les autres. Tout au long de l’histoire se sont ainsi ouverts des chemins d’éducation, de soin, de proximité des pauvres et des petits de ce monde. Tout au long de l’histoire se sont ainsi créés des espaces de silence et d’accueil, de solitude et de prière.
La vie consacrée ne renvoie pas à elle-même mais à Dieu et au Royaume. Elle laisse pressentir une autre présence. Elle laisse deviner l’avènement de ce monde où chacun sera reçu, accueilli pour ce qu’il est et établi, semblable à son frère, dans une communion réciproque.
Creuset d’humanité au cœur de ce monde, elle balbutie au-delà de ses fragilités la plénitude d’une existence en Dieu.
Pour aujourd’hui et pour demain, des veilleurs
A l’heure actuelle la société et l’Eglise connaissent des mutations profondes : nul ne saurait dire les formes que prendra la vie consacrée demain. Le monde est toujours en quête, en devenir d’humanité. La vie religieuse, tel un veilleur rompu à l’espérance, accompagne ce devenir.
Elle se tient là, vigilante et attentive, aux confins des temps d’exil et de doute, de souffrance et de nuit. Elle porte dans son engagement comme dans ses propres interrogations et pauvretés, la certitude de la résurrection.
Elle sait demeurer en ces lieux où rôdent la négation de l’humain, la mort et la désespérance ; simple présence de l’amour qui se donne, elle rejoint le Christ ressuscité encore crucifié.
En tout homme qu’elle rencontre, en toute situation qu’elle enveloppe de son intercession, elle voit au-delà de ce qui apparaît à vues humaines et célèbre ainsi le Christ crucifié déjà ressuscité.
publié avec l’aimable autorisation de :
Carrefours d’Alsace, Faire vivre l’Eglise, Hors-série 2002