Ici et maintenant, à quoi m’invites-tu ?


Une nouveauté de ces dernières années est la demande, venant de certains laïcs, de partager le charisme des Instituts religieux.Des initiatives intéressantes et de nouvelles formes institutionnelles d’association aux Instituts en sont nées.

Chantal GRIMAUD
laïque, associée à la Xavière

Au mois de juillet 2001, je me suis engagée, avec deux autres compagnes, comme associée de la Xavière.

C’était au terme d’une session de trois jours passés avec des xavières venues des différentes communautés de France, d’Afrique et d’Amérique. Nous voulions essayer de mieux comprendre les enjeux de la mondialisation - qu’ils soient d’ordre politique, économique, social, culturel - partager nos expériences, prier et nous laisser interpeller ensemble pour la mission. Ce moment fort était bien dans l’esprit de Claire Monestès, la fondatrice de la congrégation qui disait : « Soyons surnaturelles d’abord, ferventes du monde présent et non du monde d’hier. Adaptons-nous perpétuellement. Servante du monde présent, voilà la Xavière. »

Mes compagnes et moi, nous sommes toutes trois mères de famille. Les mots de notre prière d’engagement, nous les avons longuement mûris, pesés. Ils ont été le fruit d’une longue recherche menée avec d’autres qui aboutissait enfin, pour nous, à ce geste marquant un enracinement plus profond dans l’Eglise. En ce qui me concerne, comment en suis-je arrivée là ?

Il y a une dizaine d’années, ma vie me semblait déjà bien remplie par mes implications familiales, professionnelles, associatives qui, j’en avais bien conscience, ne prenaient tout leur sens qu’à la lumière des Ecritures, dans l’intimité que le Seigneur, toujours fidèle, m’invitait à vivre quotidiennement avec Lui. Je sentais bien résonner en moi le double appel d’un engagement à fond dans le monde et en même temps, celui de la contemplation. Je ne savais trop comment y répondre. Il me manquait quelque chose d’essentiel : précisément ce « plus » que je ne savais pas nommer qui ferait l’unité de tous mes engagements et m’inscrirait sans partage, à la suite du Christ, pour vivre totalement l’Evangile, dans la droite ligne de mon baptême.

La rencontre du charisme de Claire Monestès à travers ses écrits et les constitutions de la Xavière a eu pour moi l’effet d’une révélation. Je me suis immédiatement reconnue dans cette manière d’envisager la vie en Jésus-Christ et notre présence au monde. Mon identité spirituelle se trouvait là mise en mots forts, incisifs, limpides. Cette identité, il était clair que je ne l’avais pas choisie, elle m’était donnée. Dans le même temps, je faisais cette autre découverte, très étonnante : des femmes, les xavières, qui n’avaient pas comme moi fait le choix du mariage et de la maternité mais s’étaient engagées dans la vie religieuse, vibraient de ce même charisme qui me semblait si bien adapté à la vie laïque. A moi, il donnait le souffle qui pouvait animer toute ma vie et en faire l’unité, conférant encore plus de profondeur à mon engagement dans le mariage et plus de poids à mon rôle de mère… Pour elles, il était la source nourricière d’une vie consacrée…

Je n’étais pas embarquée seule dans cette aventure. Avec un groupe de laïcs également touchés par le charisme de la Xavière et sentant le même appel à chercher une manière de le vivre concrètement, nous nous sommes mis au travail, soutenus par la congrégation. La recherche a duré sept ans. Sept ans pour que se creuse en nous le désir d’accueillir ce que le Seigneur voulait nous donner. Sept ans pour parvenir à la reconnaissance officielle des associés de la Xavière et aux premiers engagements.

Mais déjà, les fruits de ce compagnonnage entre religieuses et laïcs, inspiré de Claire Monestès, nous apparaissent évidents. Ils viennent combler des aspirations dont nous n’avions à l’origine de la démarche qu’une intuition assez vague.

Ils nous invitent à vivre :

Une incarnation plus profonde dans le monde grâce à une appartenance plus marquée à l’Eglise institutionnelle, Corps visible du Christ, exprimant par là notre volonté d’assumer de façon concrète et responsable notre rôle dans la communauté.

Une plus grande cohérence de toute notre vie à la suite du Christ. Rien de ce qui nous con­cerne, engagements familiaux, professionnels, sociaux, loisirs… qui ne soit appelé à s’épanouir dans le mystère pascal, dans le dialogue du Père et du Fils. La vie religieuse est un rappel de la vocation de tout baptisé. Le fait d’être associée à une congrégation religieuse m’aide à ne pas oublier les enjeux de ma propre vocation. Elle me les remet en mémoire constamment, m’oblige à reconsidérer sans cesse tous les lieux de ma vie en demandant au Seigneur : « Ici et maintenant, à quoi m’invites-tu ? »

Une plus grande intimité avec le Christ. Nous suivons tous un même Seigneur « chaste, pauvre et obéissant », auquel nous sommes tous appelés à ressembler. Mais ces trois dimensions de la vie du Christ, les laïcs ne les vivent pas au grand jour à travers les trois vœux et le support de la vie communautaire consacrée. Elles s’inscrivent autrement et non moins réellement dans le couple ou le célibat, le travail, la vie sociale. L’association à des religieuses vivant du même charisme me révèle, à travers nos échanges, que déjà ma vie est en réalité configurée à celle du Seigneur beaucoup plus que je ne le pensais. C’est une grâce qui m’est déjà donnée, comme elle l’est à chacun, et une invitation à l’accueillir davantage pour la laisser prendre corps en moi.

Un engagement missionnaire plus éclairé et plus dynamique. L’association à la Xavière, congrégation apostolique, nous permet, à nous laïcs, de considérer avec elle le monde dans lequel nous vivons et de nous laisser interpeller ensemble avec la force et l’inspiration que nous donnent le charisme fondateur, les clés de lecture qu’il met à notre disposition et la dynamique qu’il insuffle pour nous aider à tracer les chemins de la mission. Se reconnaître dans une identité spirituelle permet, me semble-t-il, de s’engager dans le monde de façon plus généreuse et moins craintive en même temps que plus détachée : ce n’est pas de ma mission qu’il s’agit, de ma volonté propre, mais de répondre à l’appel de l’Esprit… de me découvrir envoyée par le Seigneur, là où je suis, même si je ne me trouve pas, comme mes associées religieuses, impliquée dans des liens d’obéissance à une supérieure.

Une démarche plus affirmée de paix et de réconciliation. J’avais été largement initiée à la difficulté de vivre ensemble en paix, dans le respect de nos différences, que ce soit dans ma vie familiale, sociale ou professionnelle ; mais devenir plus proche témoin des difficultés de la vie communautaire dans la vie religieuse me révèle à quel point nous avons tous, autant que nous sommes, au plus profond de nos cœurs, besoin d’être sauvés.

Aujourd’hui, je peux dire que la Xavière fait partie de ma vie. Je la porte en moi, ses préoccupations sont les miennes comme les miennes deviennent les siennes et j’en rends grâce à Dieu. Se reconnaître dans un charisme partagé avec une congrégation religieuse, c’est pour des laïcs, une chance inouïe dans un monde où les chrétiens sont trop souvent isolés, jusque dans leur propre famille, et se retrouvent bien seuls pour se frayer un chemin de vie cohérent avec leur foi.