Les vocations dans les communautés existantes


Cette intervention a été faite dans le cadre du Congrès Continental sur les vocations au ministère ordonné et à la vie consacrée en Amérique du Nord. Ce congrès, qui rassemblait plus de 1 100 délégués des Etats-Unis et du Canada s’est tenu à Montréal, du 18 au 22 avril 2002, sur le thème : « Vocations, don de Dieu pour le Peuple de Dieu ».

frère Daniel CADRIN, op
directeur de l’Institut de Pastorale des Dominicains (Montréal)

CONDITIONS POUR LE RENOUVEAU ET LA REPRISE DES VOCATIONS

Pour qu’une communauté qui a un certain âge (canonique !) ait des entrées nouvelles, il ne suffit pas de se concentrer sur les vocations. Cette communauté a d’abord besoin d’être vivante, de se refaire une beauté. D’où certaines conditions.

1. Une volonté de vivre, consciente et conséquente

Une condition préalable est qu’une communauté religieuse ait choisi de vivre, donc de bâtir un avenir. Ce choix de vivre se fait et s’exprime dans les assemblées et instances de gouvernement (chapitres, conseils…) mais aussi se prend chez les personnes, par leur consentement intérieur à la vie, avec ses risques, ses limites et sa joie, et en se basant aussi sur une évaluation des ressources et possibilités réelles. Ce goût de vivre, s’il est faible, peut renaître, il suffit parfois de peu, mais il influence tout le reste, et la capacité d’inviter. Pourquoi des nouvelles générations entreraient-elles dans une communauté si ses membres n’ont plus le goût de transmettre la vie ?

2. Savoir qui on est de façon claire et y croire

La seconde condition est liée à la première : les vocations iront là où les communautés ont un visage assez clair, une identité précise, qui puisse attirer, donner sens à une vie. Cela se manifeste par une mission, une spiritualité et un mode de vie, qui se tiennent ensemble. Une mission spécifique : éducation de la jeunesse, prédication de la Parole, adoration du Dieu vivant, présence aux plus pauvres, unité de l’Eglise, paix et dialogue… mais une mission qui ne se réduit pas à une tâche, une œuvre. Une spiritualité enracinée clairement dans l’Evangile, montrant un visage du Christ, et inspirant la mission. Et un mode de vie, communautaire, apostolique ou monastique, qui mette en mouvement cette mission et cette spiritualité. Savoir qui on est et y croire personnellement : autrement, pourquoi des nouvelles générations changeraient-elles de vie, sinon pour un trésor, une lumière, un pain qui en vaut la peine ?

3. Un gouvernement qui fait des choix et les met en œuvre

La volonté de vivre et le visage singulier d’une communauté peuvent rester lettre morte, de vagues aspirations, si les instances décisionnelles, individuelles et collectives, n’osent pas faire des choix conséquents, parfois douloureux mais sources de vie et d’avenir : regrouper des sœurs ou frères, fermer une maison, relancer un projet et y investir sérieusement, nommer telle personne douée à la formation… Les hésitations, au nom du respect de chacun ou à cause de l’immobilisme, peuvent être suicidaires pour une communauté, de même que le courage et la fermeté dans les prises de décision et surtout leur mise en œuvre, peuvent être féconds et donner espérance.

4. Investir des ressources dynamiques dans des projets

Les choix à faire touchent, entre autres, l’investissement de forces vives dans des projets d’évangélisation et d’éducation de la foi. Car le contexte actuel en souligne l’urgence tant pour répondre à la quête des gens que pour refaire le tissu ecclésial. Dans le passé, les communautés ont été très inventives en ces domaines, ont su saisir les nouveaux besoins et y répondre. Elles sont encore capables de cette créativité, car c’est leur tradition même. Aujourd’hui, cela veut dire mettre sur pied : des centres de spiritualité, maisons pour jeunes, lieux d’initiation à la prière, projets pour femmes en difficulté, expériences de vie communautaire multiculturelle, aumôneries étudiantes… De plus, les nouvelles générations pourront être touchées par ces projets.

5. Un mélange d’approches anciennes et nouvelles

Les communautés existantes qui attirent des vocations me semblent habituellement capables de dépasser les polarités et clichés conservateur/libéral pour avoir un sain mélange de traditions anciennes et d’approches nouvelles : une prière chorale développée et un partage d’évangile personnalisé, un habit religieux et un travail sur Internet… Les approches trop strictement idéologiques, les modèles purs ne sont pas, avec le temps, sources d’attrait et de durée. La vie est faite non de rêves romantiques ou d’abstractions, mais de continuités et de ruptures qui la font grandir et s’adapter. Et chaque génération peut y trouver son compte.

6. Une collaboration à l’interne et à l’externe

Vu la diminution des membres et des ressources, mais aussi pour un meilleur soutien mutuel entre les communautés, la collaboration pour la formation et les projets me semble maintenant indispensable. Inter-noviciat, rencontres entre les nouveaux membres, qui sont en petit nombre, pour qu’ils aient des groupes de pairs, partenariats dans des projets éducatifs ou sociaux… A l’interne, entre provinces, regrouper ceux ou celles en formation pour favoriser les contacts, l’interculturel. Avoir plus de mobilité et se dégager d’un passé où chaque entité fonctionnait seule.

7. Une présence dans une diversité de pays et de cultures

Les courbes démographiques des communautés, dans l’histoire, ont connu des hauts et des bas selon les époques, les pays et les cultures… On baisse à un endroit, on disparaît presque, et on monte ailleurs. D’où, pour l’avenir, l’importance d’une présence dans une diversité de pays et cultures. Cela joue sur la volonté de vivre d’une communauté. Il ne faut pas hésiter à se déplacer, aller ailleurs, à l’intérieur même (au Canada d’ailleurs, 70% des religieux/ses sont au Québec), en d’autres continents, là ou c’est prometteur. Si on s’enferme et s’isole, dans le monde actuel, en pleurant sur son passé, cela ne donnera vie à personne.

SOURCES D’ATTRAIT POUR DES VOCATIONS

Sur ce fonds de pistes de renouveau, essentielles pour une relance de la communauté et des vocations, j’aimerais maintenant pointer quel­ques éléments qui peuvent être sources d’attrait pour de nouvelles vocations dans des communautés anciennes.

1. Réussir à avoir un noyau de jeunes

Les nouvelles générations iront dans les communautés où il y a déjà des jeunes. C’est terrible à dire, mais c’est ainsi. La phrase de I’Evangile, dans ce domaine s’applique littéralement : « A ceux qui ont, on donnera ; à ceux qui n’ont pas, on enlèvera même ce qu’ils ont » (Mt 25, 29). Si on est pris dans ce cercle vicieux ou vertueux (pour avoir des jeunes, il faut déjà des jeunes), alors la clé, c’est de réussir à ce qu’entrent et demeurent quelques nouvelles personnes, plus d’une seule car l’isolement est très difficile. Il faut développer un noyau de jeunes sœurs ou frères qui deviendra lui-même source d’attrait. Cela va devenir le plus important facteur, en pratique, pour que viennent de nouvelles vocations.

2. Une vie communautaire structurée et relationnelle

Quelle que soit la mission, la spiritualité et le mode de vie d’une communauté, une vie communautaire, à la fois relationnelle et structurée, est aujourd’hui source d’attrait. Pour des raisons qui touchent la quête personnelle des individus, le contexte social fragmenté, le sens même de la vie ecclésiale, et l’appel de l’évangile, depuis ses origines, à la fraternité. Ce domaine est en souffrance en bien des communautés, où après une vie commune trop serrée, on a souvent procédé à un éclatement, accentué par le mode de vie actuel, ses valeurs et ses agendas. Une vie communautaire structurée, qui a ses rythmes et ses rites clairement identifiés, mais aussi plus relationnelle et gratuite, non seulement fonctionnelle et efficace, et où les personnes existent comme des individus, où l’on se parle vraiment de ce qui nous tient à cœur, nous inquiète et nous réjouit.

3. Une spiritualité explicite et nourrissante, une vie de prière

Les nouvelles générations iront dans les communautés anciennes si elles offrent, en lien avec cette vie communautaire, un chemin spirituel éclairant, nourrissant et explicite, et qui s’exprime par une vie de prière communautaire et personnelle, qui soit soignée, à laquelle on passe du temps, pour laquelle on prend le temps. Et des communautés où l’on trouve un partage de ce qui nous habite comme quête spirituelle, avec ses découvertes, ses peurs, ses questions, et cela de façon régulière. A partir des Ecritures, des témoins et textes inspirants de la communauté elle-même, et d’autres, avec des guides pour accompagner. Jean-Paul II dans Vita Consacrata (n° 93), invitait les communautés à êtres des écoles de spiritualité évangélique authentique. C’est là le secret de la vie consacrée, cette recherche du visage de Dieu de toutes sortes de manières. Cela doit être perceptible.

4. Des témoins d’âges divers, heureux d’appartenir à la communauté

Evidemment, pour que des gens plus jeunes s’approchent de communautés où il y a beaucoup de gens âgés, cela suppose un contact avec des personnes qui ont l’air heureuses de leur choix de vie ; non parfaitement sereines et pacifiées, mais heureuses d’avoir vécu 20, 30 ou 50 ans dans cette mission et ce mode de vie, nourries par sa spiritualité. Rien ne peut remplacer ce témoignage et il ne se planifie pas en réunion. Mais ces témoins existent : il importe alors de favoriser le contact entre ces personnes et les nouvelles générations. Les êtres humains, de toute génération, cherchent le bonheur, les voies d’un certain bonheur. Ils et elles entreront et demeureront dans une communauté s’ils voient des gens qui sont habités par ce bonheur, ces Béatitudes (Heureux…) promises par Jésus à qui essaie d’être miséricordieux et artisan de paix.

5. Une présence auprès des jeunes

Pour la présence auprès des jeunes générations, directement si possible, je signale quelques lieux privilégiés.

Les mouvements : les jeunes qui sont actuellement plus engagés en Eglise, se forment en théologie, regardent du côté des communautés anciennes ou nouvelles, très fréquemment sont passés par un mouvement regroupant des jeunes. Ils y ont rencontré des témoins signifiants, ont exploré la tradition chrétienne, ont été initiés à la prière et à la fraternité, ont vécu un engagement concret, ont pris des responsabilités…

Le volontariat : les expériences de volontariat dans un autre pays permettent d’être confronté à des situations de pauvreté, de différences culturelles, de violence, de vie plus simple et humaine, et ouvrent souvent les yeux à des questions fondamentales qui touchent le sens de la vie, l’appel de l’évangile, la recherche d’une fraternité universelle et d’un engagement plus radical à la suite du Christ. Elles sont très importantes.

Immigration : les nouvelles générations provenant de l’immigration sont souvent plus ouvertes, motivées et dynamiques, pour diverses raisons, et tournées vers l’avenir. Il importe de leur être présents.

6. Une hospitalité accueillante et invitante

Une hospitalité qui accueille avec chaleur et ouverture est un facteur qui joue pour les vocations. Si les gens peuvent venir chez nous, voir notre vie, et que leur visite soit bienvenue, si on les accueille vraiment dans nos maisons, en se laissant déranger, cela indique qu’il peut y avoir place pour eux et elles chez nous. Cela marque les gens. Dans le sens contraire aussi : un accueil froid, impersonnel, fonctionnel, va les rebuter ; cela est normal. De plus, les communautés anciennes ont une richesse particulière : beaucoup d’espace.Qu’en faisons-nous ?

7. Une ouverture des aîné(e)s aux nouvelles générations

Une question capitale pour l’entrée de nouvelles vocations dans les communautés existantes, qui ont majoritairement des membres de plus de 50 ans, est leur capacité de donner place et laisser place vraiment à des sensibilités tout à fait différentes des leurs. Cela touche le style de vie et de prière, les repas, l’habitat, les réunions et rencontres, l’hospitalité, les loisirs, les prises de décision, le genre de projets missionnaires, etc. Les baby-boomers (50-60 ans) ont été marqués par les changements sociaux et ecclésiaux des années 60-70 : il leur est souvent difficile de sortir de cet univers pour s’apercevoir que nous sommes en 2002, dans un autre monde. Les nouvelles générations n’ont pas vécu ces transitions, elles en ont vécu d’autres et viennent d’un autre univers culturel et religieux ; et elles veulent explorer et s’approprier une tradition qu’elles ont peu connue. C’est un parcours inverse de celui des générations plus âgées. La capacité de celles-ci de respecter cette réalité, plutôt que de ne vouloir que des filles et fils à leur image, est capitale pour que viennent et demeurent des vocations nouvelles dans des communautés qui ne sont pas nouvelles.

FACTEURS DE DURÉE POUR LES VOCATIONS

En dernier lieu, quelques pistes particulières, outres celles mentionnées déjà, pour que ces vocations nouvelles soient soutenues, une fois entrées dans ces communautés.

1. Un accompagnement personnel pour la croissance humaine et spirituelle

Les itinéraires et les bagages de celles et ceux qui entrent dans les communautés sont beaucoup plus diversifiés qu’avant : connaissance et intégration de la tradition chrétienne, formation professionnelle, expériences touchant chacun des vœux, etc.

D’où le besoin plus grand aujourd’hui, en formation, d’un accompagnement personnel, ajusté à la spiritualité de la communauté mais régulier et attentif aux personnes. Il aide à marcher sur une route balisée et à se construire soi-même, avec d’autres, en marchant.

2. Un regroupement des personnes en formation

Cela est nécessaire, vu le petit nombre, pour briser l’isolement et éviter une minorisation culturelle décourageante, pour permettre de sentir qu’elles ont une voix, une place, et pour qu’elles puissent s’épauler entre pairs. Il vaut la peine d’investir dans les contacts, les échanges, les voyages… En formation, l’isolement est néfaste et prive d’une inter-action aussi formatrice que tous les processus prévus.

3. Une formation spirituelle et théologique plus poussée

Dans un monde qui offre une pluralité de sens à la vie, depuis les traditions religieuses monothéistes ou orientales, en passant par les nouveaux mouvements religieux, les humanismes et les courants post-modernes, les nouvelles vocations ont besoin d’une formation théologique et spirituelle plus poussée, et cela quelle que soit la mission de la communauté. D’abord pour avoir des bases intérieures plus solides, ce qui est crucial, puis pour en rendre compte dans le dialogue avec d’autres et proposer le chemin de vie qu’est l’Evangile. Pour des raisons pragmatiques, on peut être porté à réduire cette formation à un minimum, mais à moyen terme, c’est une erreur. Face aux défis de la vie communautaire, des crises personnelles, d’une mission exigeante, sans formation articulée et intégratrice, la fidélité sera fragilisée.

4. Confier des responsabilités aux nouvelles générations

Les nouvelles générations savent qu’elles ont vraiment une place dans les communautés anciennes si assez vite on leur confie des responsabilités : nouveaux projets, comités et conseils, pastorale des vocations, organisation de la vie quotidienne, etc. Dans des communautés plus âgées, il est tentant de vouloir garder le contrôle, de dire qu’elle sont trop jeunes (même à 40 ans !). Mais l’appartenance des nouveaux membres à la communauté se développe quand ils et elles y prennent des responsabilités. Cela dit concrètement que l’on fait confiance à l’avenir, avec ses risques et ses dons.