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"Je ne vous laisserai pas orphelins"
prêtre du diocèse de Clermont-Ferrand
Voici la question qui m’a été posée : « Dans le contexte ecclésial et la société d’aujourd’hui, comment proposer les vocations spécifiques ? », c’est-à-dire aider les partenaires pastoraux des SDV à faire une proposition des vocations spécifiques dans leur travail pastoral.
Pour se lancer dans ce genre d’opération, il faut avoir une bonne dose d’inconscience, alors je m’accroche à cette parole du Christ que je propose comme titre et qui soutient notre confiance : « Je ne vous laisserai pas orphelins, je viens à vous » (Jn 14, 18).
Quelques repères préalables
Nous nous situons dans le cadre de la pastorale. Notre réunion a pour but de faire exister la question des vocations spécifiques dans les mouvements, services d’Eglise et paroisses. Nous ne sommes pas là pour redéfinir les orientations de cette pastorale mais pour repérer des possibles, questionner, faire des suggestions ; le service des vocations n’est pas une pastorale à part entière mais une dimension constitutive de toute pastorale.
Je voudrais bien m’en tenir à ce qui est la mission des SDV : faire entendre l’appel aux vocations spécifiques et servir le premier accueil des personnes. Autrement dit, je propose que l’on recherche plus du côté de la source, du côté de la croissance et pas seulement de la dernière ligne droite. Il ne suffit pas de prendre des initiatives et de faire des propositions quand les gens sont déjà dans l’antichambre des noviciats ou des séminaires mais de les rejoindre en plein vent.
Servir un chemin possible. Je ne méconnais pas les questions relatives au nombre des prêtres, diacres, religieuses, religieux, missionnaires. Je ne rejette pas a priori les questions qui sont posées sur les exigences de l’Eglise, en particulier pour l’appel au ministère de prêtre diocésain. Mais mon propos est de partager quelques réflexions sur les chemins qui sont possibles aujourd’hui.
De même que des catéchumènes nous révèlent la beauté et la gratuité de notre vocation baptismale, de même ces jeunes femmes et ces jeunes hommes qui s’engagent sur le chemin du ministère ou de la vie consacrée nous révèlent qu’aujourd’hui, ce chemin est possible dans la société actuelle. Tout ce que je vais dire concerne ce chemin, qui n’est pas une autoroute. Mais la barque de Pierre dans laquelle le Christ est monté, était bien fragile elle aussi. Et c’est de cette barque qu’il a dit : « Avance en eau profonde et jetez vos filets. »
Autre recommandation qui m’a été faite : « Donne une réflexion qui nous pousse à agir... » Je ne ferai pas le travail à votre place mais j’espère évoquer les questions de fond de telle manière qu’elles puissent embrayer sur le présent de notre service dans l’Eglise. Je tiens seulement à faire remarquer que lorsqu’on évoque le concret, l’agir, c’est bien sûr des actions ou des initiatives, mais le concret c’est aussi des attitudes et des relations.
I - « C’est pour que nous soyons vraiment libres que Christ nous a libérés »
La question de fond, sous-jacente à toute proposition de la foi comme à toute vocation, est celle de la liberté spirituelle. Pour développer une culture de l’appel, il nous faut bien être conscients de cet enjeu.
Développer une culture de l’appel
Je commence par deux histoires :
• Lors de l’année jubilaire, dans mon diocèse comme dans beaucoup d’autres, des banderoles avaient été proposées : « Ouvrez votre porte au Christ. » Dans mon diocèse, mais c’est sans doute une exception, ces banderoles ont été mises à l’intérieur des églises alors qu’elles étaient faites pour être à l’extérieur.
Une des interprétations optimistes, c’est de dire qu’il s’agit d’une peur noble pour ne pas manquer de respect, de la peur de paraître arrogant. Mais de quoi, de qui avons-nous peur ? Comment développer une culture de l’appel si nous sommes dans une culture de la peur ?
Je me rappelle de la question des jeunes étrangers en 97 : comment se fait-il qu’en France, où l’on peut tout dire, tout écrire, un pays qui se présente comme le pays des droits de l’homme, les chrétiens ont peur d’exister socialement ?
• Le quartier de la Défense à Paris : 150 000 personnes travaillent sur ce site. Il y a vingt-cinq ans, on s’est posé la question d’assurer un lieu où les chrétiens pourraient se retrouver, partager leurs questions, approfondir leur foi ? On a construit un lieu sous terre, le relais Jean XXIII. Aujourd’hui on construit une église en surface. On invite tous les partenaires pour la pose de la première pierre : elle est belle, sur trois niveaux.
Il n’y a pas de contradiction entre ces deux époques, c’est le rapport Eglise / société qui a changé. Aujourd’hui, nous ne courons plus le risque d’une Eglise ayant une position dominante, notre risque c’est celui d’une Eglise insignifiante. L’église de la Défense peut être en surface, elle ne risque pas de dominer les immeubles qui l’entourent. J’ai visité cette église et rencontré le responsable. Il m’a dit à quel point les rencontres et les partages ne se passaient plus du tout de la même façon : alors qu’avant les réunions étaient paisibles car c’était toujours le même réseau de relations qui se retrouvait, maintenant des gens inattendus se présentent et c’est plus dur ; c’est une église exposée.
Accepter le risque d’être exposés
Il n’y aura pas de culture de l’appel si nous n’acceptons pas le risque d’être exposés. Et en parlant de vocations spécifiques, ce risque est encore plus fort, y compris dans nos communautés chrétiennes.
La culture de l’appel est au cœur même du mystère et du ministère de l’Eglise. C’est ce que nous faisons constamment : des responsables de mouvements adressent des appels (et parfois des lettres d’appel) à d’autres personnes pour assumer cette responsabilité ; des catéchistes ou des responsables d’aumônerie font signe à d’autres adultes ; des couples préparant au baptême ou au mariage en appellent d’autres pour vivre ce service. Cela peut même paraître fastidieux mais ce n’est pas un préalable à la vie de la communauté chrétienne : lorsque nous servons tous ces appels, nous ne complétons pas des organigrammes, nous mettons en œuvre le meilleur de l’Eglise. L’Eglise n’existe que pour ça : conjuguer le verbe appeler à tous les temps et à tous les modes.
Dans le contexte de notre société, conjuguer le verbe appeler revient à relever deux défis : celui de l’individualisme existentiel et celui d’un nouveau rapport au temps.
a) L’individualisme existentiel
L’individualisme existentiel, c’est le fait qu’aujourd’hui chacun est sommé de donner, par lui-même, sens à sa propre existence. Le sentiment d’appartenance à un groupe humain ou confessionnel est plus flou. Dans ce contexte-là, peut-on oser appeler sans porter atteinte à la liberté des personnes ?
Le grand défi qui s’adresse à notre proposition de la foi est là où se trouve le plus grand trésor de notre foi : la liberté spirituelle. Sans cette liberté profonde, il n’y a pas d’amour, pas d’alliance, pas de vocation possibles.
La question de la liberté est essentielle à toutes les époques et dans toutes les civilisations mais nos contemporains sont, de fait, extrêmement sensibles à cette question. C’est une aspiration profonde, une affirmation, un style de vie même si elle se fourvoie régulièrement ou se laisse détourner par des gourous en tout genre.
Cette question vitale de la liberté est le lieu d’un profond malentendu. Beaucoup de nos contemporains ont une telle conception de la liberté qu’il n’est pas possible, pensent-ils, d’être vraiment libre et d’être membre d’une institution et d’une institution porteuse de sens comme l’Eglise.
Nous avons donc à témoigner d’une vie évangélique qui soit une authentique expérience de liberté spirituelle, à présenter des histoires personnelles et des communautés où s’expérimente cette liberté spirituelle. La foi chrétienne donne et soutient un sens original de la liberté. Une liberté qui se vit dans l’altérité et non une liberté du genre : « Je fais ce que je veux comme je veux. » L’appel d’un autre, s’il est respectueux, n’est pas une aliénation de ma liberté, au contraire : si personne ne m’adresse la parole, si je ne suis intéressant pour personne, c’est alors que je suis emmuré dans ma solitude et mon angoisse. Le sens de la liberté proposé par la foi, c’est la réponse à un appel, à une parole qui fonde une alliance. C’est concevoir sa vie comme une réponse à un appel, c’est unifier sa vie autour d’un appel.
Le thème de la journée mondiale de prière pour les vocations était : « Toute vie est vocation. » C’est le début de l’encyclique sur le développement des peuples. Toute vie humaine est vocation. Vivre, c’est répondre à un appel. A ce propos, j’aime beaucoup cette parole citée par le pape Jean-Paul II (Le Jour du Seigneur n° 61) : « Je rends grâce au Seigneur notre Dieu qui a fait une œuvre telle qu’il pût s’y reposer. Il a fait le ciel, mais je ne lis pas qu’il se soit reposé ; il a fait la terre, mais je ne lis pas qu’il se soit reposé ; il a fait le soleil, la lune et les étoiles, et là non plus, je ne lis pas qu’iI se soit reposé, mais je lis qu’il a fait l’homme et qu’alors il se reposa, en ayant quelqu’un à qui il pût remettre ses péchés. Ainsi, le “jour de Dieu” sera à jamais directement lié au “jour de l’homme.” »
L’être humain est créé pour la relation, pour la communication. Ce que nous disons de la vocation ne concerne pas des problèmes d’organisation ecclésiale. C’est notre façon de répondre à la question : « Qu’est-ce que devenir humain, qu’est-ce que devenir un homme ou une femme libre ? »
b) Un nouveau rapport au temps
Nous sommes sortis d’une conception eschatologique du temps qui était la version sécularisée de l’orientation biblique vers le Jugement ou le Royaume. Il n’est pas évident pour nos contemporains que l’histoire aille quelque part, ils ne sont plus spontanément persuadés que l’histoire de l’humanité se dirige vers une promesse. Cela se vérifie expérimentalement : nous sommes la première génération où tout le monde s’inquiète pour tout le monde. Des parents ne sont pas du tout rassurés quant à l’avenir professionnel et affectif de leurs enfants. Des jeunes entrant aujourd’hui dans la vie active ne sont pas du tout assurés de pouvoir toucher une retraite. Du coup tout devient urgent, tout est envisagé à court terme. Cela n’est pas dû seulement à une accélération des moyens de communication mais à un déficit de confiance envers l’avenir. Donc tout est rabattu sur le seul présent. C’est ce qui rend plus difficile l’engagement à long terme, que ce soit sur le plan militant, affectif ou religieux. Le repli sur le seul moment présent est une anesthésie de notre liberté : qu’est-ce qu’une liberté sans horizon ?
Ce qui finit de compliquer les choses, c’est que ce repli sur le moment présent se conjugue avec l’expérience de la longue durée.
- L’espérance de vie augmente : une petite fille née en l’an 2000 a très bien pu connaître son arrière-grand-mère qui est née pendant la guerre de 14-18 ou juste après, et elle a toutes les chances de connaître ses arrière-petits-enfants, donc sept générations. Les familles ont perdu en nombre mais elles ont gagné en nombre de lignées pouvant se connaître et coexister.
- L’entrée dans les responsabilités caractéristiques de la vie adulte s’est beaucoup allongée. En caricaturant à peine, ce qui se passait en douze mois il y a trente ans peut se passer en douze ans aujourd’hui : arrêter des études, commencer un travail, quitter le domicile des parents, prendre un appartement, se marier, avoir le premier enfant.
Deux conséquences pour ce qui nous préoccupe :
- Des accompagnements longs pour que ces délais ne soient pas de simples reports, mais une chance pour mûrir les choix. Ce qui est le plus grand risque à mon avis, ce n’est pas l’indifférence mais l’indécision : cela fait ressortir l’importance de servir l’éducation au choix.
- Mais, du coup, une qualité d’engagement et de témoignage peut avoir des effets à long terme. Un couple qui s’est marié en l’an 2000 a beaucoup de chances de connaître ses arrière-petits-enfants qui seront les adultes du siècle suivant. La qualité de ce qu’ils vivent actuellement peut très bien avoir des conséquences sur le siècle à venir.
Cet appel à être libérés par le Christ, libérés pour aimer, cette conception de la liberté qui fait place à l’altérité peut nous guérir de nos peurs.
Le contraire de la foi, ce n’est pas l’athéisme, c’est la peur. « De quoi avez-vous peur, hommes de peu de foi ? » Il y a donc un travail à faire sur nous-même.
• Nous libérer de l’obsession du nombre : le nombre de prêtres, de diacres ou de communautés religieuses ne dépend pas d’un calcul qu’il serait possible de faire en fonction des besoins d’une population donnée. Toute vocation et donc toute vocation spécifique est le résultat d’une aventure spirituelle. Le fait des ministères et de la vie consacrée est un don fait à l’Eglise pour la vie du monde, ce n’est pas le résultat d’un calcul stratégique. Sa signification ne dépend pas du nombre. L’essentiel dans la vie on ne le calcule pas, on ne le thésaurise pas, l’essentiel dans la vie on le désire, on l’accueille : il en va ainsi de la vie, de la foi, de l’amour, de la vocation.
Un exemple : la communauté de Taizé est composée d’environ cent frères et ils ont un rayonnement sur tous les continents. Je ne supporte pas que l’on parle des trois séminaristes de mon diocèse comme si c’était une quantité négligeable : la seule approche réaliste, c’est de regarder chacune de ces vies en train de se donner au Seigneur.
• Etre libérés du virus sournois : il est sournois car il ne parle jamais à haute voix mais il tient à peu près ce langage : « L’Eglise va forcément vers un dépérissement, il faut s’organiser au mieux pour gérer la pénurie, à quoi bon appeler à monter sur un bateau qui prend l’eau. » Oui, nous refusons une Eglise installée et puissante, alors ne nous plaignons pas d’avoir à vivre l’aventure de la foi et de la confiance.
• Etre libérés de la peur d’aborder la question du célibat. Bien entendu, il s’agit d’une question grave qui demande beaucoup de discernement, mais nous n’avons pas à avoir honte que notre Eglise présente ce chemin comme une authentique voie d’humanité. Si certains dans l’Eglise s’engagent dans le célibat par choix ou par ratification personnelle, alors le mariage devient une vocation et non pas un déterminisme social. Et inversement bien entendu, les personnes engagées dans le célibat sont portées, y compris dans la foi, par les couples mariés. Mariage et célibat ont à voir l’un avec l’autre.
• Etre libérés de la peur du vide après nous : il y a un deuil à vivre, parfois douloureux, qui consiste à accepter de ne pas avoir des continuateurs de ce que nous avons vécu dans l’Eglise. Personne n’est assuré que quelqu’un viendra prendre le relais à l’endroit exact où nous l’avons laissé. C’est une belle expérience de la liberté que des laïcs chrétiens s’engagent au service des vocations, c’est le meilleur antidote pour ne pas confondre vocation et recrutement.
Quelques points d’attention :
• Notre fonction à tous, c’est donc de servir l’appel, de servir les personnes qui cherchent et qui répondent. C’est souvent une période inconfortable et délicate pour les jeunes et les adultes qui reçoivent l’appel. Cela suppose que nous soyons libres par rapport à l’opinion majoritaire pour laquelle il est impensable de s’engager dans de telles formes de vie. Après tout, ils ont le droit de devenir prêtre, de choisir une vie consacrée, même si ce n’est pas politiquement correct.
• Cela nous demande d’être amoureux de la liberté des personnes, d’avoir le goût de la liberté des autres.
• Savoir prendre du temps : on ne peut pas accompagner un cheminement vocationnel en passant, en courant. Or, de plus en plus d’acteurs de la pastorale le sont à temps partiel.
• Les maturations se font lentement. Les cheminements sont de plus en plus personnalisés. Cela suppose que nous ayons de fortes ressources pour permettre un parcours de croissance en humanité et dans la foi.
II - Une vocation est une promesse (cf. Mc 10)
C’est une promesse pour la personne, pour la communauté chrétienne, pour la vie du monde. « Ce n’est pas une tuile, c’est une bénédiction. »
Une promesse biblique
C’est une promesse au sens biblique du terme, c’est à dire un dialogue d’alliance qui ouvre à une promesse de la part de Dieu.
C’est l’aventure d’Abraham : « Quitte ton pays, tu auras une terre, une descendance. » C’est l’aventure de Marie : « Tu auras un fils. » C’est l’aventure de Pierre au soir de la résurrection : « Pais mes agneaux. »
Matthieu est appelé à tout quitter mais, tout de suite après, il organise un grand banquet. Cela a une profonde portée symbolique : le Christ qui fait communauté de destin avec les pécheurs pour les sauver. Mais il y a banquet.
A Cana, Jésus change l’eau en vin et le vin qui vient à la fin du repas est bien meilleur que le premier. Cela a une profonde portée symbolique : le Christ vient célébrer les noces eschatologiques avec l’humanité. Mais il y a du vin et il est bon.
Les Béatitudes, c’est un présent qui ouvre un avenir... « Heureux les doux, ils auront la terre en héritage. Heureux ceux qui pleurent, ils seront comblés. Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, ils seront rassasiés » (Mt 5, 4-11).
La célébration des sacrements, et en particulier de l’Eucharistie, n’est pas l’aboutissement de nos efforts, le couronnement de nos actions réussies : c’est laisser le Christ nous entraîner à travers le mystère pascal jusqu’à un avenir de confiance. De même, le sacrement de mariage n’est pas la célébration de fin des fiançailles mais l’ouverture à une promesse d’amour.
N.B. : Lorsque nous parlons des sacrements, que nous relisons les documents, beaucoup de choses sont dites sur la préparation, très peu sur le déroulement de la célébration elle-même et encore moins sur l’avenir...
Une expérience de filiation et de paternité spirituelle
Le fond de cette promesse, c’est une expérience de filiation et de paternité spirituelle. Nous sommes donc invités à apprécier la vie de l’Eglise et les différentes vocations non pas en terme d’animation comme cela est nécessaire dans tout organisme, mais en terme d’engendrement et de fécondité.
Quand je parle de paternité ou de maternité spirituelle, je n’évoque pas quelque chose de flou, de pieux ou bien de paternaliste. Ce n’est pas nous mettre au centre. C’est au sens de saint Paul, quand il dit aux Corinthiens : « C’est moi qui, par l’Evangile, vous ai engendrés en Christ. » L’Evangile n’est pas seulement de l’ordre du message, de l’enseignement, mais une transmission de vie.
Evidemment dès qu’on parle de paternité spirituelle, cela demande une gratuité « au carré » :
- transmettre une vie qui ne vient pas de nous ;
- croire sans voir : continuer à croire à la fécondité de la Parole de Dieu alors qu’apparemment, il n’y a pas de résultats chiffrables. Ceux et celles qui ont été père ou mère une seule fois dans leur vie sont père et mère toute leur vie. N’en est-il pas de même dans l’ordre de la paternité spirituelle ?
Les renouveaux dans l’Eglise viennent toujours de l’intérieur des personnes et des communautés là où l’Esprit Saint vient solliciter le libre consentement de chacun. Aucun plan pastoral n’avait programmé saint François d’Assise, saint Ignace de Loyola ou sainte Thérèse de Lisieux. Et pourtant, l’Eglise a été renouvelée par ce que l’Esprit a opéré dans leur histoire personnelle, leur vocation a été féconde.
Annoncer les différentes vocations
Annoncer les différentes vocations possibles, c’est une façon d’évangéliser. Ce n’est pas une question réservée aux coulisses. Annoncer les différentes vocations, c’est une façon de décliner concrètement ce que l’Esprit Saint peut opérer dans une histoire personnelle.
A ce propos, il faut se méfier de l’illusion du progrès linéaire qui tient à peu près ce langage : « C’est quand on aura pleinement intégré la vocation en général que l’on pourra oser parler ou rendre présentes les différentes vocations spécifiques. » Cela peut vouloir dire jamais.
Ce que je vais dire n’existe que dans les caricatures mais peut donner à penser : les sacrements, les différentes vocations, c’est quelque chose de tellement grand, ça demande une telle préparation qu’on ne peut encore en parler et on renvoie cela finalement dans un au-delà de l’histoire humaine. Manque de chance : les sacrements, comme les différentes vocations, c’est la façon de donner visage à la présence de Dieu dans l’histoire humaine. C’est la façon la plus réaliste que nous avons de faire mémoire de l’Incarnation du Christ.
Ne me faites pas dire ce que je ne veux pas dire : je ne suis pas pour la précipitation. Mais regardez ce qui se passe lorsqu’un gars, une fille, annoncent sur leur lieu de travail leur entrée au noviciat, au séminaire ou en formation pour être diacre : les gens ne réagissent pas sur des problèmes ecclésiaux, les questions portent sur Dieu, le Christ, sur le sens de la vie, de l’amour, sur ce que j’ai appelé l’expérience de liberté spirituelle. De fait l’existence des différentes vocations joue même parfois le rôle de première annonce de l’Evangile.
Mais une vocation spécifique n’est pas seulement expérience du don de Dieu quand elle commence mais tout au long d’une vie et, je l’espère, jusqu’au bout. La célébration des jubilés est une excellente occasion de servir l’appel aux vocations spécifiques.
Maintenant nous avons suffisamment approfondi le sens du Jubilé pour en saisir toute la profondeur et ne pas le réduire à un éloge, un anniversaire ou un échange de cadeaux. Ce que nous avons célébré au niveau de toute l’Eglise peut se célébrer pour chaque personne : célébrer la fécondité de l’Evangile dans une vie personnelle. Nous avons à sortir de nos pudeurs, de nos paralysies. Ce que Dieu fait dans une vie est au bénéfice de tous. La mission, c’est ce que le Christ opère en moi au bénéfice de tous « afin que Christ démontrât en moi toute sa générosité » (1 Tm 1, 16).
Evidemment, la célébration des jubilés ne reste pas réservée aux prêtres, diacres, religieux(ses) : au Canada, par exemple, les couples mariés célèbrent leur jubilé dans l’assemblée paroissiale.
Autour des célébrations de jubilés, il y a un beau chantier pour les SDV et leurs partenaires.
III - « Courage, lève-toi, il t’appelle » (Mc 10, 49)
C’est la parole de l’entourage de Bartimée. C’est notre rôle de donner écho à l’appel et d’épauler ceux qui ont entendu cet appel.
Faire exister le tissu ecclésial
Il nous appartient de faire exister le tissu ecclésial, un tissu en continuel renouvellement comme l’est un corps vivant.
La synodalité
La synodalité est bien plus vaste que le fait de faire des synodes : c’est une nouvelle façon de vivre en Eglise, c’est un nouveau comportement de peuple de Dieu.
Des choses qui étaient impensables il y a quelques années - voir des mouvements collaborer - sont possibles aujourd’hui :
coordination de la pastorale des jeunes,
conseils diocésains de la solidarité,
préparation collégiale des JMJ,
conseils de pastorale.
Pour moi, ce ne revient pas seulement à faire de la coordination ou à soigner les articulations, c’est créer un tissu qui est fait de tensions, parfois de confrontations mais qui contribue aussi à créer une dynamique d’estime. Cela vient contrer notre défaut principal en pastorale française : la logique des tiroirs. Je pense que ce climat de synodalité crée une ambiance plus favorable pour aider de jeunes adultes à mûrir une vocation.
Plus de propositions pour les 20-30 ans
Un coup d’accélérateur a été donné en 1997 quand on a adressé l’invitation aux 18-30 ans. Beaucoup de ceux qui protestaient au début se sont mis à s’adresser à cette tranche d’âge. Celle-ci était très souvent considérée comme le réservoir de cadres pour plus jeunes : fédéraux, chefs, etc. Depuis 97, il y a eu une accélération des propositions concernant cette tranche d’âge : les écoles de la foi, les groupes de Jeunes Professionnels, etc.
C’est l’âge des choix, de l’orientation de vie : si la vie en communauté chrétienne n’est pas accessible aux jeunes de cet âge, une vocation spécifique relève de l’héroïsme. Le nombre de jeunes entrant au séminaire, au noviciat ou dans une autre forme de vie consacrée n’est pas du tout négligeable par rapport au nombre de 20-30 ans vivant une expérience consistante en Eglise.
Le renouveau des paroisses
Je crois sincèrement que nous sommes là en présence de la question essentielle en ce qui concerne le service des vocations. La qualité de ce que nous sommes en train de fonder sera déterminante pour le tissu ecclésial de demain.
• Cela suppose évidemment que ce ne soit pas un repli sur des positions acquises pour qu’on se retrouve enfin entre convaincus : la paroisse doit être un déploiement de la charité du Christ pour tous. Cette restructuration des paroisses n’est pas seulement due au manque de prêtres, ce n’est pas la question de la pénurie. La preuve en est que la société civile, elle aussi, cherche à redéfinir les unités de vie sociale : l’intercommunalité mais aussi le statut des quartiers dans les grandes villes et pourtant on ne manque pas de maires.
• Fonder une nouvelle paroisse, ce n’est pas seulement élargir l’organigramme et les prestations de service : que ce soit bien une communauté de communautés, qu’elle exerce un rôle fédérateur, qu’elle permette à ses membres de base et non seulement aux responsables, d’expérimenter un sentiment d’appartenance à l’Eglise.
Une initiation au sens communautaire
Aujourd’hui on naît individualiste et il faut trouver des lieux et des personnes pour découvrir ce sens communautaire. Trois convictions :
a) Développer toutes les formes de parrainage
Valoriser le choix et le rôle des parrains et marraines de baptême et de confirmation.
Parrainage au sens plus large :
certains accompagnements de groupe : le parrainage peut être vécu très heureusement par des couples.
pour exercer une responsabilité : une catéchiste plus ancienne qui épaule une débutante, un débutant.
l’accompagnement spirituel personnel (cela fait quinze ans que l’on dit qu’il est urgent de former des accompagnateurs personnels, les progrès semblent bien maigres).
Le parrainage correspond tout à fait à une double attente contemporaine :
soutenir un parcours personnalisé,
s’ouvrir à quelqu’un est un premier pas vers une initiation communautaire.
b) Le rôle des paroisses
Depuis longtemps, je pense que l’existence ou la non-existence des paroisses est un aspect déterminant de la question des vocations spécifiques.
Pour s’engager définitivement et dans le célibat, on a besoin de la référence à des communautés stables. Ces communautés peuvent être la famille, la paroisse, des congrégations. Ces trois réalités sont fragilisées. Dans ce contexte, je suis persuadé que la paroisse renouvelée dans sa mission et son expérience communautaire peut devenir un point d’appui. Cela suppose évidemment qu’elle soit une nouvelle fondation et non pas un simple réaménagement. Le mot qui me paraît important, c’est le mot « stabilité ». Cela se conjugue tout à fait avec la mobilité sociale et la pluri-appartenance à divers mouvements et services. Mais pour des raisons psychologiques et spirituelles, celui ou celle qui fait un choix aussi original dans la vie religieuse ou le ministère a besoin d’une telle référence communautaire stable même si parfois la profondeur du lien est inconscient.
c) Une nécessaire relation entre vocations
Une qualité de relation entre les différentes vocations : vocation baptismale et vocations spécifiques. Il n’est pas si facile d’avoir une parole claire sur les différentes vocations dans le charnp actuel des responsabilités. Il est plus facile d’en rester à des débats portant sur l’organisation.
Mais on ne peut pas consacrer sa vie si le ministère ou la vie religieuse sont pensés comme une simple fonction d’animation. Personne ne s’est fait prêtre pour améliorer les statistiques. Trop souvent, on en reste à un inventaire des acteurs pastoraux et on n’évalue pas assez en fonction du témoignage attendu.
En ce qui concerne la vie religieuse apostolique, le témoignage attendu est celui de la mission vécue ou portée communautairement. Est-ce que nous nous intéressons à la communauté ou seulement à la religieuse ou au religieux qui collabore avec nous ? La vie religieuse apostolique est trop souvent oubliée par les responsables de l’Eglise.
Et pourtant, elle est très significative de l’originalité de Dieu. Dans toutes les religions, il y a des hommes et des femmes qui se consacrent à Dieu. Mais seul le christianisme a développé une vie religieuse qui soit une consécration à Dieu qui se réalise dans un service de l’homme.
La vie monastique : est-ce que nous ne risquons pas d’instrumentaliser les monastères ? Ils nous offrent un beau cadre et un rythme de prière. Comment inviter jeunes et moins jeunes à percevoir l’aventure spirituelle que cela représente ?
En ce qui concerne les diacres, je souhaite que l’on ne maintienne pas trop longtemps le parallélisme entre les SDV et les services du diaconat. La façon dont est présentée la vocation diaconale, avec son aspect interpellation, pourrait très bien éclairer la pratique des SDV.
Le ministère des prêtres : comment ne pas en parler seulement en terme de formateurs ou de cadres de l’animation pastorale ? Mais bien en référence à leurs fonctions dans l’ordre suivant (cf. Concile) :
l’annonce de l’Evangile à tous,
la sanctification par les sacrements,
l’animation pastorale.
Cela suppose de prendre un chemin qui n’est pas facile mais tout à fait accessible, qui consiste à tenir ensemble :
• le fait d’honorer au maximum la vocation baptismale, la responsabilité des baptisés laïcs. En rappelant au passage que les sacrements de l’initiation ne sont pas seulement le baptême et la confirmation, mais le baptême, la confirmation et l’Eucharistie.
• le fait d’avoir une parole forte du point de vue théologique et ecclésiologique sur la fonction des ministères ordonnés.
Cette qualité de relations, si elle doit d’abord bien se passer sur le plan humain (aspect du travail, des compétences, etc.) comporte un enracinement spirituel.
Il y a un test pour voir si nous sommes dans la vie spirituelle, dans la vie de l’Esprit de Jésus : « Suis-je capable de me réjouir de ce que l’Esprit Saint réalise en l’autre, différent de moi, en l’autre qui accueille une vocation différente ? »
Je crois que ce test, vous en êtes une démonstration vivante. En tout cas, c’est ce que je vous souhaite.