L’accompagnement spirituel, chemin d’initiation


Sœur Suzanne DAVID
Sœur de Saint-Gildas

Mon propos sera simple et modeste : je n’ai pas de recettes à donner ni de lumières absolument nouvelles à apporter. On m’a demandé de réfléchir avec vous sur ce qu’est l’accompagnement. Je ne traiterai pas ici, comme tel, de ce que l’on appelle accompagnement spirituel personnel. C’est pourtant une question qui me tient à cœur. Je crois également que nous devons y réfléchir et nous y former car il y a en ce domaine des demandes croissantes.

Pensant aux situations variées dans lesquelles nous nous trouvons comme acteurs ecclésiaux (catéchèse, aumônerie, enseignement catholique, mouvements de jeunes, etc.), connaissant également un peu la diversité des jeunes qui fréquentent nos lieux d’Eglise, il m’a paru plus pertinent - mais je peux me tromper - de parler de quelques points qui doivent être points de repère, points d’appui, points de vigilance pour nous tous aujourd’hui dans l’accompagnement de groupes de jeunes ou dans les dialogues inter-personnels.

La Lettre des Evêques aux Catholiques de France invite à proposer la foi en ce qu’elle a de plus central, en ce qui constitue son cœur et son mystère. Lorsqu’il s’agit de vocation(s), la source, c’est le Christ ; Mgr Marcus nous le rappelait hier matin : dans l’Evangile, l’appel n’est pas appel à accomplir des tâches mais un appel à suivre le Christ, à l’aimer, à demeurer avec lui.

Donc notre question à tous ici, en ce Congrès régional des vocations, est bien celle-ci, que l’on peut décliner sous trois formes :

Comment permettre que des jeunes, ces jeunes si divers évoqués par Guy Lescanne hier soir, comment leur permettre d’entrer en relation vivante avec le Christ et d’en devenir les témoins ?

Comment permettre qu’ils puissent se poser la question de leur réponse personnelle, unique, à l’amour du Christ ?

Comment permettre que des jeunes qui expriment un désir d’être prêtre, religieux(se), consacré(e), des jeunes à qui l’on pose la question : tu n’as jamais pensé à... ces jeunes puissent cheminer, grandir dans leur attachement au Christ et discerner l’appel de Dieu dans leur vie ?

Bien des facteurs et des médiations jouent pour que des jeunes grandissent humainement et dans la foi. Dans le contexte et la culture actuels, l’accompagnement, l’accompagnement personnel, m’apparaît être un chemin à ne pas négliger pour que des jeunes prennent confiance en eux-mêmes déjà, entrent dans une relation vivante avec le Christ et deviennent ses témoins.

Pour préparer cette intervention, j’ai relu et médité le récit d’Emmaüs (Lc 24, 13-33) ; le récit évangélique d’abord ; puis, j’ai contemplé l’œuvre d’un artiste, Arcabas. Il a fait, parmi de nombreuses œuvres qui touchent à Emmaüs, sept toiles que l’on appelle « Le cycle d’Emmaüs ». Elles vous seront projetées. Elles éclaireront d’une autre manière les quelques points que j’ai retenus et qui suivent le texte biblique.

1 - Jésus rejoint les disciples sur la route

« Or, comme ils parlaient et discutaient ensemble, Jésus lui-même les rejoignit et fit route avec eux. »

Voilà notre expérience quotidienne. Dans les divers lieux ecclésiaux qui sont les nôtres, nous essayons de rejoindre les jeunes sur leur route (leurs questions, leurs goûts, leurs attentes, leurs peurs, etc.). Nous essayons d’être présents à ce qu’ils sont et à ce qu’ils font ; à ce qu’ils aiment, à ce qu’ils craignent, à ce qu’ils espèrent...

• Cette attitude n’est pas qu’un préliminaire pédagogique consistant à s’intéresser à l’humain d’abord et, comme nous disons, ensuite nous verrons si les conditions permettent « d’aller plus loin ». Cette démarche est le fruit de notre foi : elle dit quelque chose du Dieu de Jésus-Christ. Pour se révéler, il est venu parmi les hommes, il les a rejoints. Si nous parcourons les Evangiles, nous voyons bien que, pour Jésus, c’est une manière habituelle de procéder : Jésus rejoint les personnes et les groupes qu’il rencontre sur leur propre terrain : que cherches-tu ? Que s’est-il donc passé ? etc.

• Cette attitude n’est pas non plus une démarche tactique ou démagogique. Elle est le fruit d’un amour gratuit, désintéressé et en même temps désirant. Amour gratuit et désintéressé : car il ne s’agit pas de mettre la main sur qui que ce soit, il ne s’agit pas de vouloir renflouer en nombre le mouvement, l’aumônerie, la communauté. Il s’agit, pour nous, d’apprendre à aimer ces jeunes à la manière de Dieu. Ces jeunes dont la fragilité nous fragilise... Ces jeunes engagés ici aujourd’hui et ailleurs demain... ces jeunes à qui tout convient et que rien ne décide... Ces jeunes à qui rien ne dit rien et que tout attire... Ces jeunes, Dieu leur veut du bien. Nous ne sommes pas là pour embrigader, harceler, recruter. Nous sommes là au nom de notre foi. Et, à cause de Jésus et à sa manière - « il est passé en faisant le bien » -nous leur voulons du bien, nous désirons que du bien leur advienne.

2 - Jésus entre dans la discussion

« Il leur dit : “Quels sont ces propos que vous échangez en marchant ? Tu es bien le seul... qui n’ait pas appris ce qui s’est passé ces jours-ci !” “Quoi donc ?” leur dit-il. »

Jésus entre dans la discussion. Il invite les disciples à dire une parole qui va objectiver leur propos. Ils vont alors parler ce qui s’est passé, faire un récit de leur expérience. Et nous savons bien que le vécu ne devient véritablement expérience que lorsqu’une parole est dite.

Appeler à la parole, appeler à faire un récit de ce qui se passe, se vit, de ce qui se ressent, c’est un chemin important pour des jeunes aujourd’hui. Ce n’est bien sûr une nouveauté pour personne que de dire que la parole, le langage sont chemins de naissance et de croissance humaine.

Quelques points d’attention liés au contexte actuel :

• Pour une génération de l’image et de la musique, ce peut être une gageure que d’être appelé à parler. L’image et la musique peuvent conduire parfois à un enfermement. J’ai parfois éprouvé comme un malaise lorsque des jeunes sont ensemble (ou côte à côte ?) à écouter de la musique durant des heures. Et, de fait, ils se parlent très peu. Où sont-ils ? Dans quels rêves ?

• Nous avons, me semble-t-il à favoriser un apprentissage de la parole :

- apprentissage de la parole qui permet de passer du « bof ! », du « c’est super ! », du « c’est génial » à une parole qui explicite ce qu’ils vivent, ressentent, redoutent, désirent. C’est une manière de sortir du confusionnel pour entrer dans une parole qui va s’adresser à quelqu’un d’autre que soi-même.

- apprentissage de la parole pour qu’ils apprennent à « faire le tri », à « discerner », à « peser ».

=> Faire le tri : pour toi, qu’est-ce qui est important ? Qu’est-ce qui te motive ? Qu’est-ce qui te touche ? Tout est-il vraiment équivalent ?

=> Discerner : qu’est-ce qui t’a rendu heureux(se) ? dynamisé(e) ? provoqué(e) ? Qu’est-ce qui, selon toi, t’a fait grandir ? Ou au contraire : qu’est-ce qui te fatigue ? te fait peur ? etc.

=> Peser : au fond, à quoi donner du poids ? Qu’est-ce qui est solide dans ce que tu as vécu et ce que tu dis ? Qu’est-ce qui « tient la route » et te fait tenir sur la route de la vie ?

Remarque : Un accompagnateur doit pouvoir tout accueillir de ce qui est dit d’une expérience affective, d’un drame familial, d’une tentative de suicide, d’un doute foncier quant à la foi... Il doit pouvoir tout accueillir d’un désir, d’une générosité (même si nous pensons intérieurement qu’elle sera sans lendemain ou si fugace !). Il doit pouvoir accueillir un jeune qui dit : « Je veux être prêtre, j’ai pensé consacrer ma vie à Dieu. »

L’accompagnateur est quelqu’un qui apprend à écouter profondément la vraie parole, le vrai désir. Qu’y a-t-il sous cette désinvolture ou cette agressivité ? Qu’y a-t-il sous cette continuelle conformité à ce qui est demandé ? Qu’y a-t-il qui est murmuré comme un secret et crié comme une blessure ?

L’accompagnateur est celui qui accueille, écoute profondément et de manière aimante, et qui croit que ces jeunes sont travaillés intérieurement par la grâce, sont attirés par Dieu qui les cherche. Même lorsqu’ils laissent tout tomber ou disent « rideau » comme le disait Guy Lescanne hier.

Accueillir et prendre au sérieux ce qui est dit sans donner à penser que tout est joué.

Travail difficile que d’écouter, que de saisir ce qui est dit et ce qui ne l’est pas...

Et puis, nous ne sommes pas préparés, me direz-vous. Je suis presque de leur âge ou n’ai-je pas dépassé l’âge ?

Je n’ai pas de recettes. Ce que je sais, c’est que nous ne pouvons nous défiler. C’est que, dans l’écoute de ces jeunes, nous devons apprendre à être moins préoccupé de nous-mêmes, de ce que nous allons bien pouvoir dire ou faire.

3 - Jésus, le compagnon de route, se situe dans l’altérité

« Et lui leur dit : “Esprits sans intelligence, cœurs lents à croire... Ne fallait-il pas que le Christ souffrit cela et qu’il entrât dans sa gloire ?” »

Compagnon de route, proche, Jésus se situe dans l’altérité. Il propose sa propre lecture des événements. Il renvoie aux Ecritures pour les ouvrir à l’actualité de ce qui se passe.

Compagnon de route, proche, l’accompagnateur doit assumer son altérité :

• son altérité d’adulte : il est ce qu’il est, avec son âge, sa fonction, sa mission, sa situation. Guy nous a rappelé fermement cette exigence hier.

• son altérité chrétienne : il n’est pas là au seul titre d’éducateur, animateur.

Je voudrais attirer l’attention sur trois conséquences importantes pour aujourd’hui :

• Il nous faut apprendre à endosser notre responsabilité d’adulte. Ce n’est pas toujours aisé d’accepter d’être l’adulte, le référent un peu solide. Nous prenons des coups. Intérieu­rement, nous nous sentons démunis, impuissants, irrités etc.

• Il nous faut endosser notre responsabilité d’adulte en n’étant pas seulement écoutant, dialoguant mais aussi proposant. Tu me dis ceci, tu désires cela ? Et bien moi, je t’invite à... Tu ne vois pas à quoi ça va servir, ce que ça va changer. J’en prends acte. Mais je t’invite à faire ensemble ces vingt pas. Ensuite, on fera le point. Proposer, c’est servir une liberté, c’est-à-dire permettre qu’ils ne soient pas prisonniers de leur seuls désirs, leurs seules réactions mais invités à...

• Permettre à l’altérité chrétienne de jouer son rôle. C’est par l’Ecriture, c’est par l’ouverture de l’intelligence et du cœur à l’Ecriture que les disciples découvrent la cohérence de leur vie et celle de Jésus.

Pour nous, il s’agit de mettre des jeunes en lien avec le Christ, avec la Parole de Dieu. Parce que nous croyons qu’elle est une proposition pertinente pour notre temps. Parce que nous croyons que l’Evangile peut aider à vivre, peut aider à croire. Et je voudrais ici nous interroger : croyons-nous suffisamment que l’Evangile est une ressource spirituelle pour aider des jeunes à vivre, à croire en la vie ? Pas de manière magique, bien sûr : lis l’Ecriture, prie et tout va changer ! Non. Il s’agit de chercher comment leurs questions, leurs questions terriblement humaines comme la vie, la mort, la souffrance, l’amour, la confiance, peuvent être fécondées par la rencontre de Jésus, par la rencontre de l’Evangile de vie. L’Evangile peut-il être ressource spirituelle et nous apprendre à tenir parole alors que nul ne sait bien tenir parole aujourd’hui ? Comment Celui qui a tenu parole parce qu’il a payé le prix de ce qu’il a dit peut-il devenir chemin sur la route de jeunes qui voudraient tant tenir parole, qui voient si peu tenir parole ? L’Evangile peut-il être ressource spirituelle pour donner du poids aux paroles que nous disons ? Qui va avoir parole d’autorité pour rendre les autres, ces jeunes, auteur de leur propre parole et leur apprendre à donner un poids différent à ce qui est dit ?

L’Evangile peut-il être ressource spirituelle pour donner sens aux frayeurs, aux déceptions, aux échecs ? Peut-on, un peu, un tout petit peu mais un peu quand même, faire découvrir et découvrir avec eux le sens de la Croix plantée au cœur du monde comme puissance de résurrection ?

4 - Jésus fait semblant d’aller plus loin

« Ils approchèrent du village où ils se rendaient et lui fit mine d’aller plus loin. Ils le pressèrent en disant : “Reste avec nous...” »

L’accompagnateur n’est pas un gourou qui se rend indispensable. Il est présent, totalement présent et prêt à partir. Ces jeunes ne lui appartiennent pas. Il est comme le Baptiste, il désigne quelqu’un d’autre que lui-même. Il ne pratique pas le bourrage de crâne et le harcèlement. C’est pourquoi il est prêt à poursuivre la route.

C’est à la Parole d’un Autre de prendre corps dans la vie de ces jeunes. Laisser le temps pour que la Parole prenne corps dans une histoire de jeune. Les oiseaux sont prêts à venir piquer le grain ? A vues humaines, ça ne lèvera pas car, pensons-nous, les épineux sont comme un maquis corse ! Mais voilà, nous sommes comme le semeur de l’Evangile, nous avons appris cela du Dieu que Jésus nous révèle : il n’attend pas que le terrain soit prêt ; il sème partout tellement il espère l’homme et lui fait confiance. Il n’a pas peur de gaspiller.

Mais ils s’efforcèrent de le retenir... Il entra donc pour rester avec eux... Prêt à partir, comme prêt à rester. L’accompagnateur est celui qui saisit la profondeur et le sérieux d’une question et d’une attente. Nous connaissons tous, comme parents, comme éducateurs, comme acteurs ecclésiaux, ces moments où il importe surtout de ne pas paraître pressé ; où il importe d’être là « pour rester avec eux » gratuitement. Sans question et sans intention. Totalement respectueux de la liberté de ces jeunes, totalement respectueux de la liberté de Dieu... Mais plein d’espérance, plein de confiance que ces jeunes avec qui nous demeurons comme Jésus a demeuré parmi nous, peuvent entendre une parole, écouter un appel, percevoir la source vive... Prêt à partir pour leur laisser l’initiative...

5 - Quand le texte laisse des blancs

Arcabas pense que le récit scripturaire se tait, laissant en blanc certains moments. C’est le temps du quotidien, des temps de banalité et de grisaille, couleur des mots que l’on dit au-delà des mots ; temps où les teintes disent « oui », mais les complémentaires disent « mais encore... »

L’accompagnateur doit apprendre à assumer, voire à aimer ces temps où apparemment il ne se passe rien. Trois, quatre réunions. Et « ils » ne semblent pas décoller ! Tout est étale et peut-être moins encore ! Et si ces temps étaient aussi des temps de maturation, ces invisibles temps de maturation où l’accompagnateur n’a que son amour désirant et son espérance. Temps des petits riens et temps en apparence inutiles. Des temps de combat intérieur pour l’accompagnateur qui aurait bien envie de tout lâcher ! A quoi ça sert ? Ils étaient cinq au départ et trois désormais dont un clignotant ! Ils avaient pourtant choisi les thèmes de réflexion et au bout d’une séance ça ne les intéresse plus. Persévérer, tenir solidement quand même. Ne pas fragiliser davantage leur fragilité. Croire que quelque chose se tisse invisiblement qui germera un jour. Temps pour se rappeler la parabole de la semence qui pousse toute seule. Temps pour laisser la place à l’Autre à qui rien n’est impossible. Temps de l’espérance pure et sans appui...

6 - Quand gestes et paroles font sens

« Or, quand il se fut mis à table avec eux, il prit le pain, prononça la bénédiction, le rompit et le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent. »

Il nous est dit ici que les gestes sacramentels, la liturgie, la liturgie eucharistique sont lieux privilégiés de « révélation ». Ce que nous vivons durement aujourd’hui, à savoir la désaffection des églises pour la célébration eucharistique ne doit pas nous conduire à perdre foi dans ce qui est au cœur de l’expérience chrétienne : des gestes et des paroles dits de la part de Dieu nous plongent dans le salut qu’il donne. Nous avons devant nous une tâche énorme : ensemble, tous ensemble, quelle que soit notre appartenance et notre sensibilité ecclésiale, nous mettre au travail. Moins pour savoir comment rendre nos messes plus vivantes que pour trouver les chemins pour que l’Eucharistie soit rencontre du Vivant. Comment initier (je pense qu’il faut plus initier qu’expliquer, dans le sens où initier, c’est déjà faire faire un peu l’expérience) aux sacrements chrétiens, aux gestes et paroles sacramentels pour qu’ils fassent sens et qu’aujourd’hui encore des yeux s’ouvrent. Comment acheminer progressivement des jeunes à une participation qui, si elle n’est pas dominicale, deviendrait un peu régulière. A la manière d’un retour régulier à la source vive, au pain qui donne la force pour la route, au pardon qui redonne un avenir ?

Il me semble également que nous avons aussi à faire confiance à ce que nous célébrons, en la beauté de ce que nous célébrons. Aujourd’hui, des yeux s’ouvrent. On me rapportait récemment l’expérience de ce jeune adolescent non-baptisé, membre d’un club Triolo. Il est invité à la veillée pascale. Un jeune adulte y est baptisé. A la sortie, il n’a de cesse de retrouver la responsable du club à qui il dira : « Moi aussi, je veux devenir fils de Dieu. »

7 - Quand l’invisible rend le cœur tout brûlant

« Alors leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent, puis il leur devint invisible. Et ils se dirent l’un à l’autre : “Notre cœur ne brûlait-il pas en nous tandis qu’il nous parlait en chemin et nous ouvrait les Ecritures ?” »

Comment nos propositions, nos pédagogies, les initiations permettent-elles une rencontre personnelle du Christ ? Comment promouvoir des pédagogies culturellement pertinentes et propres à l’expérience chrétienne : accueil de la parole de Dieu, initiation à l’intériorité et à la prière, relecture chrétienne de vie ? Comment permettre une expérience spirituelle fondatrice ?

Récits de conversion, recommencements, récits de vocation évoquent tous un moment décisif ; tellement décisif que l’on a le sentiment que l’on ne pourra plus vivre comme avant ! Evénement souvent vécu sous le mode de l’intensité et de l’émotion. On est prêt à tout et tout de suite. Comme accompagnateurs, nous devons accorder une grande attention à ces manifestations et à ces récits qui peuvent tout à fait relever d’un engouement provisoire. Notre foi nous fait croire que Dieu s’est donné à rencontrer. Pour que cet événement s’inscrive en eux comme une histoire sainte, il faut beaucoup de dialogue et d’écoute. Il nous faut prendre au sérieux ces temps marqués fortement par l’émotionnel et la générosité. Etre lucide, certes, sur la précarité des projets idéaux qui s’élaborent alors et immédiatement. Mais il ne s’agit pas que « ça leur passe ! » Il s’agit d’aider à « passer » de l’événement à l’expérience. Il s’agit d’aider à « passer » dans le temps et la durée. Accompagner sera alors permettre qu’une vie de jeunes commence de s’unifier à partir de cette relation personnelle au Christ.

Intelligence et cœur sont deux pôles indissociables de l’expérience chrétienne. D’une part, cette expérience existentielle où quelqu’un est saisi au plus profond, où le cœur est touché, ce mystère d’une rencontre que les mots ne peuvent traduire ni expliquer… D’autre part, cette intelligence qui se met à l’œuvre pour comprendre. L’accompa­gnateur est celui qui permet au converti de ne jamais négliger la démarche de l’intelligence ; il est celui qui permet à celui qui programme, projette, analyse, de se laisser dérouter et toucher par Quelqu’un. Dans le registre de l’accompagnement d’une vocation, ces deux points sont incontournables. Il y a des vocations qui se pensent comme un programme et une certitude. D’autres se décident comme un coup de cœur. Il s’agira toujours d’aider une liberté à en faire une réponse risquée à la fois humble et audacieuse.

8 - Initier des témoins

« A l’instant même, ils partirent et retournèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent les Onze et leurs compagnons qui leur dirent : “C’est vrai ! Jésus est ressuscité.” A leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé et comment ils l’avaient reconnu quand il avait rompu le pain. »

L’accompagnateur fait route avec, propose, écoute, dialogue, conduit aux gestes et paroles qui font sens. Il désigne Quelqu’un d’autre que lui-même et son propre itinéraire et sa propre sensibilité pour laisser l’autre découvrir les couleurs évangéliques qui le font vivre et lui donnent de la beauté.

Il doit tout faire, tout ce qui est en son pouvoir, sachant qu’il n’est pas seul à faire route avec ce ou ces jeunes ; sachant qu’il fera des erreurs et qu’il aura des maladresses. S’il doit tout faire pour ouvrir une route et conduire à Celui qui est chemin, vérité et vie, il doit savoir que nul ne va au Père si le Christ lui-même ne l’attire. Il est une voix qui désigne, un doigt qui montre. Il reçoit comme un don le fruit de l’Esprit dans la vie de ces jeunes : « Tu sais, je pars aux JMJ. » - « Ah bon ! Tu y crois, toi, à ces trucs là ! » - « Ça peut faire bête. Mais oui, j’y crois ! » - « Il faut que je vous dise, je vais entrer au séminaire, au noviciat » - « Attends, toi, curé ! Toi, bonne sœur ? T’es dingue ! » - « J’y crois pas moi, mais au fond, je t’envie. » - « Je me suis engagé dans l’équipe liturgique, j’ai accepté une responsabilité dans tel mouvement. » - « Tu sais, au pélé de Lourdes, je me suis confessé(e)… »

Il sait qu’il s’agit moins pour eux de trouver leur place dans l’Eglise que de devenir eux-mêmes témoins, avec et parmi les autres chrétiens, de Celui qui les a attachés à Lui au point qu’ils ne peuvent taire ce qu’ils ont vu et entendu.

En guise de conclusion, deux citations : la première de Frère Roger de Taizé dans Lettres du désert, comme une expression de l’appel que nous adressons aux jeunes : « Toi qui veux mettre le feu aux nuits de l’humanité, laisseras-tu grandir ta vie intérieure ? » La seconde, qui comporte deux versets de l’Evangile, comme un appel adressé aux jeunes chrétiens avec qui nous faisons route : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples… » Et comme en écho, cette promesse indéfectible, cette parole solide qui peut faire autorité et permettre de risquer l’aventure de la vie avec Dieu : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. »