Prier pour les Vocations


Mgr Yves Patenôtre
évêque de Saint-Claude

" Jésus parcourait toutes les villes et tous les villages enseignant dans leurs synagogues, proclamant la Bonne Nouvelle du Royaume et guérissant toutes maladies et toutes infirmités. Voyant les foules, il eut pitié d’elles parce qu’elles étaient fatiguées et abattues comme des brebis sans berger. Il dit alors à ses disciples : "La moisson est abondante, et les ouvriers sont peu nombreux, priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson !"" (Mt 9, 35-38).

Lorsque l’on parle de la prière pour les vocations, on entend souvent les mêmes choses : "Depuis le temps que l’on prie ! Depuis le temps que l’on fait des neuvaines ! Il ne se passe pas grand-chose. Les vocations n’arrivent pas. Alors est-ce que l’on prie mal ? Est-ce qu’il faut continuer à prier ? Est-ce le bon chemin ?"

On dit aussi : "Le Seigneur sait ce qu’il a à faire !" Jésus nous l’a bien précisé : "Ne rabâchez pas comme les païens, Dieu sait bien ce dont vous avez besoin." Mais il a tout de même dit qu’il fallait prier. Lui-même a prié avant de choisir ses apôtres.

Alors peut-être que la prière pour les vocations nous demande en fait de bien revoir ce qu’est la prière et en particulier la prière de demande ? Est-ce que la prière doit changer le cœur de Dieu ou bien le nôtre ?

Pour bien comprendre cette invitation à prier, il faut la situer dans le petit passage de saint Matthieu cité plus haut. Jésus a parcouru des villes et des villages. Il a enseigné. Il a proclamé la Bonne Nouvelle du Royaume. Il a guéri des malades. Et puis il voit cette foule qui le suit. Il a beaucoup de compassion pour elle. Il est pris aux entrailles en voyant tous ces pauvres gens qui courent après lui. Ils attendent quelque chose de lui. Ces gens sont prêts pour recevoir un message d’espérance. Ballottés dans les alliances politiques et religieuses du moment, beaucoup sont de pauvres gens qui attendent un libérateur ou un sauveur. Ils sont là comme une moisson prête à être fauchée, à la limite d’être perdue. Si jamais il n’y a pas de moissonneurs, quel gâchis ! Le maître de la moisson est le même que le berger inquiet pour ses brebis fatiguées et abattues. Parce qu’il n’est pas mercenaire et qu’elles lui tiennent à cœur.

Nous sommes là dans le regard du Christ qui désire que ce monde soit sauvé. Il sait que la vocation ultime de l’homme est d’être moissonné pour Dieu. Mais s’il n’y a pas les moissonneurs de l’Amour et de la Vérité ? Il est venu pour cela, lui, le grand moissonneur. Il est venu prendre sur lui toute la misère du monde comme le moissonneur prend à bras le corps sa moisson. Il est venu sauver la moisson : "Ainsi, votre Père qui est aux cieux ne veut pas qu’un seul de ces petits soit perdu" (Mt 18,14). Il est venu sauver ce monde. Mais il a besoin, tout au long des temps, de moissonneurs qui, à sa suite et dans son propre mystère de Pasteur / Moissonneur, vont pouvoir engranger l’attente des hommes.

Jésus nous dit : "La moisson est abondante." Cela veut dire qu’il a préparé la terre et semé la Parole. Le Royaume a grandi. Comme dans la parabole de l’homme qui sème dans son champ… La parole tombe et elle pousse en donnant trente, soixante, cent pour un. Cela dépend des terrains. C’est toujours le cas aujourd’hui. La Parole continue d’être semée, et de bien des manières.

Lorsque je regarde le diocèse, j’observe la vie des hommes, des femmes, des enfants et des jeunes d’aujourd’hui. Je suis sûr que l’Esprit Saint travaille dans leur cœur. La Parole grandit, "Dieu sait comment." Il y a des fruits qui poussent et qui mûrissent. Saint Paul nous dit lesquels : "l’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bienveillance, la foi, l’humilité, la maîtrise de soi" (Ga 5,22). Lorsque je participe aux rencontres des jeunes qui se préparent à être confirmés, je pressens leur désir de vouloir vivre et d’être heureux. Ils veulent réussir leur vie. Je sens bien qu’ils sont mûrs pour la moisson. Et Dieu sait si la moisson est abondante lorsque l’on écoute toute la richesse de leur vie ! Mais qui va les moissonner ?

Etre prêtre c’est justement permettre aux hommes de trouver un sens à leur vie. C’est être les moissonneurs du Royaume planté dans le cœur des hommes par le Seigneur lui-même au souffle de son Esprit. C’est accomplir la moisson désirée par le Père. En ce sens, nous comprenons bien la parole de Jésus : "La moisson est abondante et les ouvriers sont peu nombreux, priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson."

Cette prière-là nous donne de rejoindre le cœur du Christ. Ce n’est pas une prière qui se perdrait en rabâchages. C’est une prière qui nous fait entrer dans les soucis du maître de la moisson. C’est une prière qui engage. Elle n’est pas réservée aux prêtres. Chaque fois que des chrétiens vont entrer dans le cœur et dans l’esprit du Maître de la moisson, ils vont se situer dans le cœur du Christ. Une Eglise qui prie le Maître de la moisson, c’est une Eglise qui se décentre d’elle même pour entrer dans l’ultime préoccupation du Christ qui désire qu’aucun de ces petits ne soit perdu.

C’est une prière essentielle et en quelque sorte vitale. C’est une prière de toute la communauté chrétienne. C’est au cœur des communautés priantes qui se sentent responsables de la moisson que surgiront des hommes et des femmes qui voudront être moissonneurs dans le champ de Dieu. On peut l’être en étant ordonné diacre, prêtre ou évêque, mais d’abord en étant baptisé. Les premiers mots de Jésus, dans le discours sur la montagne, indiquent bien sa première préoccupation devant tous ces hommes et ces femmes qui attendent quelque chose de lui. Il leur dit : "Bienheureux vous tous qui êtes là, essoufflés par la vie, le Royaume de Dieu est pour vous. Vous qui avez faim et soif de justice et de paix, vous qui êtes assoiffés, vous qui pleurez… C’est pour vous que je viens." Il arrive vraiment comme le grand Sauveur. Prier c’est entrer dans le regard de celui qui, voyant les foules, a pitié d’elles parce qu’elles sont fatiguées et abattues comme des brebis sans berger. C’est l’Esprit de Jésus et non pas notre esprit qui doit être l’âme de notre prière. Jésus nous montre comment prier : "Quand vous priez, dites : "Notre Père qui est aux cieux…"" La prière pour les moissonneurs, c’est le notre Père. Afin que son nom soit sanctifié, que son règne vienne et que sa volonté se fasse sur la terre comme elle est déjà réalisée dans le ciel.

Les vocations ne manquent pas puisque c’est le Seigneur qui appelle. Vous remarquez que je ne retiens pas la formule "prier pour les vocations". Le Seigneur n’arrête pas d’appeler à chaque instant ou à "chaque heure du jour", pour reprendre l’expression de la parabole du vigneron qui appelle à travailler à sa vigne. Ce qui est d’ailleurs une autre forme de moisson ! Il ne risque pas d’y avoir de crise des vocations puisque c’est le Seigneur qui appelle. La crise ne vient pas du côté de l’appel mais de la réponse. Il vaudrait mieux comprendre l’invitation du Seigneur de cette façon : "Priez le Maître de la moisson pour que des ouvriers répondent à son appel." Et du coup cette prière, comme toute prière de demande, exige un engagement.

Seuls ceux que la moisson intéresse prient pour la réussite de la moisson. Ils prient d’autant mieux qu’ils connaissent bien leurs propres limites. Ce sont ceux qui se sentent personnellement concernés par la vie de l’Eglise : que ce soit dans un monastère, comme Thérèse de l’Enfant-Jésus, dans une chambre de malade ou en responsabilité dans leur communauté ou leur mouvement. Ce sont ceux qui souhaitent que des jeunes répondent à l’appel dans leur famille ou chez leurs amis et qui ne craignent pas d’appeler eux-mêmes tel ou telle à aller travailler dans le champ du Seigneur. Que le Seigneur nous donne la grâce d’être de ceux-là. Par les temps qui courent, l’Eglise n’a pas besoin d’observateurs critiques et désengagés, mais de moissonneurs habités par le Souffle d’amour du Seigneur, passionnés de la vie des hommes et des femmes de leur temps, des plus blessés surtout, pour y être les témoins humbles et joyeux de la Bonne Nouvelle, heureux de ces temps nouveaux pour l’Evangile. C’est ce genre de moissonneurs qui attire…