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Une prière de pauvre
évêque de Troyes
L’évêque d’un diocèse où les prêtres sont peu nombreux, d’une moyenne d’âge élevée et où la relève n’est guère assurée, ne peut pas ne pas être constamment préoccupé par la question de l’éveil des vocations presbytérales. La confiance dans le travail de l’Esprit Saint, la conviction solidement enracinée que Dieu n’abandonnera jamais son Eglise, le postulat que le défaut n’est pas du côté de l’appel, mais de la conscience de l’appel et surtout de la réponse n’empêchent pas que devant la pauvreté des situations concrètes à affronter dans la réalité d’un diocèse, revient sans cesse à l’esprit comme une pressante actualité la parole du Christ : "Priez donc le maître de la moisson pour qu’il envoie des ouvriers à sa moisson." Nous qui avons un peu de mémoire, nous nous le rappelons : c’est au nom de cette invitation que retentissait chaque dimanche dans la plus petite de nos églises la formule insistante : "Seigneur, donnez-nous des prêtres... donnez-nous de saints prêtres." En constatant la faiblesse des entrées dans les séminaires on se prend à s’interroger sur le sens de l’invitation de Jésus à "prier le Maître de la moisson", sur la manière dont on le prie et sur le résultat de cette prière.
Prier le Maître de la moisson
Même si nous avons abandonné le plus souvent la pratique de la formule insistante de prière, évoquée précédemment, on ne peut pas dire qu’on ne prie pas pour les vocations dans nos diocèses. La Journée Mondiale de prière pour les Vocations, chaque année, les mobilise assez largement. Beaucoup d’initiatives surgissent dans nos Eglises ; pour ne citer que la mienne, tous ceux qui se soucient des vocations sont invités à entrer dans un "monastère invisible", une grande communion de prière, nourrie par la foi, l’espérance et l’amour ; rendez-vous est donné régulièrement pour une veillée de prière et une messe pour les vocations ; paroisses et communautés religieuses relaient la sollicitude et la prière de l’Eglise diocésaine. Si l’on estimait le résultat de tant de moments spirituels forts, intensément partagés par tous ceux qui souhaitent des prêtres pour l’Eglise, en termes quantitatifs, on pourrait sans peine parler de grande inefficacité. Aussi devons-nous de temps en temps nous redire le vrai sens de cette prière.
Une prière de pauvre
Il me semble important avant toute chose que ce soit une prière de pauvre, la prière de celui qui reconnaît qu’il n’est rien sans Dieu, de celui qui ne retrouve son identité que dans l’accueil de l’amour de Dieu. Le pauvre, c’est celui qui se sait démuni et insuffisant et qui est capable de "confesser" l’immensité de la bienveillance de Dieu et de se mettre avec confiance face à son dessein. Il ne s’agit donc pas simplement d’identifier une pauvreté en moyens matériels et humains, de repérer des cases vides en matière de service presbytéral et de les remplir, mais de toucher du doigt combien nous ne cessons d’être pauvres de Dieu, d’avoir besoin de sa grâce et de son amour pour vivre. La prière pour les vocations est donc d’abord expression d’une conscience de nos manques, des faiblesses de notre foi et de notre réceptivité de la Parole de Dieu, des glissements qui ont pu nous éloigner de la familiarité avec le Père et dans le même temps confession d’un Dieu qui accueille et qui comble, qui porte le souci de chacun de ses enfants.
La prière de toute une Eglise diocésaine
Cette "prière de pauvre" n’est pas une prière pauvre. Elle ne trouve toute sa dimension que si elle est chargée de l’expérience de vie de tout un diocèse, une expérience qui n’oublie et n’exclut personne, une expérience qui, dans ses heures d’intensité comme dans celles d’atonie, témoigne équivalemment de la proximité aimante et attentive de Dieu, de ses invitations et de ses appels.
La prière pour les vocations a trop souvent été perçue dans un aspect utilitaire. Que de fois n’ai-je entendu le reproche : "Pourquoi ne prie-t-on pas précisément, comme autrefois, pour avoir des prêtres (de saints prêtres) ? Sans doute aurions-nous davantage de prêtres aujourd’hui." Face à une telle manière de poser la question des vocations, j’aimerais rappeler que le ministère ordonné est un don de Dieu qui précède tout besoin que nous pourrions en exprimer et toute demande que nous pourrions en faire. Il s’inscrit dans l’économie de la sollicitude de Dieu pour les siens que représente l’Eglise. Une prière pour les vocations bien ajustée est toujours une prière d’action de grâce pour l’Eglise, pour l’Eglise concrète à laquelle nous appartenons, habitée par la pesanteur des choses et par la grâce de Dieu. C’est dans la mesure où nous prendrons davantage conscience que Dieu ne cesse de nous donner et d’accompagner son Eglise, c’est dans la mesure où nous saurons davantage aimer cette Eglise dans laquelle nous pouvons déchiffrer, jusque dans les réalités les plus modestes, les traces de la présence bienveillante de Dieu, que notre demande au Maître de la Moisson prendra des contours plus lumineux, les contours de l’espérance. Le prêtre est au service d’une Eglise où Dieu travaille au cœur de la fragilité humaine pour habiter celle-ci de son salut. Notre prière doit donc rendre au Seigneur en manière d’action de grâce tout ce qui constitue la vie et la mission de notre Eglise diocésaine, lui demandant que le signe du Christ Pasteur y soit présent dans la forme du ministère ordonné, afin de moissonner les fruits du Royaume et d’en hâter le jour. La prière pour les vocations ne peut pas être seulement volontariste. Une Eglise qui s’incarne dans des communautés dynamiques et chaleureuses, qui offre des espaces ouverts aux jeunes, qui tend la main aux blessés de la vie, qui n’exclut personne, fait grandir le désir qu’il y ait des hommes pour moissonner ces blés qui lèvent, tout comme une Eglise qui sait reconnaître ses besoins d’Evangile - cela devrait être la même - suscite du plus profond du cœur des croyants des mots de confiance et d’abandon en Celui qui comble au-delà de toute espérance.
Un " monastère invisible "
Si c’est toute la vie de l’Eglise diocésaine qui est engagée dans la prière pour les vocations, c’est aussi tous les chrétiens qui sont concernés, et non pas seulement les experts de la chose vocationnelle ou les adhérents à des réseaux spécialisés. J’aime beaucoup une initiative que j’ai découverte dans le diocèse de Troyes, un pèlerinage annuel pour les vocations. C’est toute l’Eglise de l’Aube qui alors se met en marche, pour porter devant Dieu, par l’intercession de celui ou de celle qui est vénéré dans le lieu que nous choisissons comme destination de notre itinéraire spirituel, nos inquiétudes et nos aspirations. La prière pour les vocations, si elle est expression de confiance et d’abandon, n’est pas statique. Elle est élan, mise en route, engagement, dynamique incommensurable, parce qu’elle n’est pas simple initiative de quelques-uns, mais acte de foi, d’espérance et de charité de toute une Eglise.
Pour favoriser une démarche ecclésiale, c’est-à-dire pour permettre la participation de chacun, dans la communion de tous, à ce grand mouvement de prière, notre diocèse a promu aussi le "monastère invisible", vaste réseau de prière, animé à tour de rôle par les diverses communautés religieuses qui en sont la richesse. Ce "monastère invisible" répond de mon point de vue à trois impératifs essentiels de la prière pour les vocations. C’est une communauté sans frontière, qui répond à l’invitation du Christ de faire appel "au maître de la moisson", pour qu’il "envoie des ouvriers à sa moisson". Chacun peut avoir une conception personnelle de ce qu’est le ministère presbytéral et demander que Dieu exauce son attente particulière de prêtres ; mais la prière de ce vaste réseau de croyants qu’est le "monastère invisible" n’a de fécondité que si elle est disponibilité et acquiescement communs au projet de Dieu pour les siens, accueil du don qu’il nous fait du ministère ordonné, tel qu’il nous le fait, dans la perspective du Royaume.
Il n’est pas dépourvu de signification par ailleurs que cette prière soit animée par les communautés de consacrés. Eux sont en quelque sorte des experts de la prière vocationnelle. Par leur choix de vie ils attestent que l’appel de Dieu retentit toujours avec une certaine intensité dans le cœur des humains, appel à se donner, appel à servir, appel à consacrer sa vie à la gloire de Dieu et au bonheur des hommes. Eux peuvent en toute légitimité dire devant Dieu : "Qu’il advienne pour chacun selon ta parole." Dans une Eglise diocésaine ils sont l’aliment de notre espérance et les stimulants de notre engagement, ce qui fait que notre prière pour les vocations sera dialogue avec un Dieu qui déjà nous a offert un signe de sa bienveillance. Il faut accorder dans un diocèse un grand prix à la prière des communautés religieuses pour les vocations. C’est une prière infiniment portée par l’amour de Dieu, celui dont les consacrés se savent bénéficiaires et dont ils vivent le bénéfice dans la grâce de la vie religieuse et celui qu’ils ont à donner pour l’Eglise, parce que leur cœur en est plein.
Le "monastère invisible" enfin inscrit notre inquiétude spirituelle pour les vocations dans la permanence et dans la durée. Jésus a recommandé que notre prière soit incessante, parce que vastes sont les champs à moissonner, et permanentes sont les moissons. Une journée annuelle de prière pour les vocations, une veillée de prière et une eucharistie mensuelles ne peuvent être que les points d’orgue d’une prière constante, celle qui jaillit de la vie quotidienne et qui veut confier à Dieu cette vie quotidienne. Le "monastère invisible", c’est la prière incessante, à l’image de celle des communautés monastiques, prière de louange à Dieu et de supplication pour le monde. Il offre à la prière de chacun le soutien et l’élargissement de la prière de tous.
Prier pour les vocations, redisons-le avec force, ce n’est pas une simple exigence pour temps de crise, c’est un acte fondateur de l’Eglise de Jésus Christ.