"Demeurez en mon amour"


Madame Bénédicte Nau
membre de l’équipe SDV de Poitiers

Tous les mercredis à 18h30, une eucharistie est célébrée à l’intention des vocations, à l’église Saint-Jean de Montierneuf à Poitiers (paroisse où se situent le Service Diocésain des Vocations et une Maison des vocations). Les intentions sont communiquées à ceux qui ne peuvent être là mais souhaitent les porter dans la prière. Des communautés religieuses apostoliques y participent, alors que des communautés cloîtrées s’y associent. Ce réseau est appelé à se développer dans le diocèse.

C’est dans ce cadre qu’a pris naissance la réflexion qui suit. Elle s’articule autour de deux points : n’est-ce pas d’abord le peuple de Dieu tout entier qui est appelé à vivre une alliance fidèle ? Dans cette perspective, notre prière peut-elle aider à porter du fruit pour la mission ? La portée très large de la prière pour les vocations, qui concerne chaque chrétien, apparaît alors dans une perspective d’appel et de responsabilité partagée.

La journée mondiale de prière pour les vocations fait l’objet d’une attention toute particulière dans l’Eglise et elle est propre à soulever un élan de ferveur qui ne peut que toucher le cœur de Dieu, mais elle a aussi pour objet de nous aider à réfléchir à notre attitude de foi dans cette prière.

Le thème choisi pour cette année 2001, "Toute vie est vocation" situe la vocation au niveau du baptême, et de ce fait élargit la prière à tout le peuple de Dieu. "Le temps est venu de réconcilier chaque chrétien avec toutes les autres vocations de l’Eglise nécessaires pour vivre et accomplir la sienne. Quelle bonne nouvelle pour notre temps si chacun sans exception percevait en profondeur qu’il est cadeau d’amour de Dieu pour l’autre, tous les autres" (Jean-Marie Launay, éditorial du dossier d’animation). C’est sur cet horizon d’appel que nous sentons confusément monter à travers les JMJ, les synodes, les rassemblements diocésains, que nous voudrions ancrer la prière pour les vocations.

La Porte Sainte est maintenant refermée et nous sommes invités à faire fructifier les grâces reçues pendant le Jubilé. Si nos yeux se sont ouverts sur ce qui détruit notre Alliance avec Dieu nous avons déjà franchi un pas ; les faux dieux sont sur nos places et dans nos maisons : le culte de l’argent, du pouvoir, de la violence, de l’inconscience vis-à-vis du scandale de l’exclusion et de la pauvreté, de la faim dans le monde… Il y a danger dans la vie actuelle de tout excuser : égoïsme (chacun pour soi), paresse, luxure… L’Alliance est sans cesse blessée, comment pourrions-nous faire de nos vies une réponse à cet amour qui ne cesse de nous être cependant proposé ?

Une affaire d’alliance

Pour décrypter notre situation d’aujourd’hui, rien de tel que d’aller aux sources : notre histoire est racontée dans l’Ecriture. Dieu s’est choisi un Peuple. Abraham tient sa carrure de son statut de "Père des croyants", appelé à être l’ancêtre de ce peuple. Prêtres, prophètes et rois de l’Ancien Testament sont là pour établir, assurer, sauver, signifier l’alliance de Dieu avec son peuple. Déjà en disant cela nous parlons de la vocation de tous : être peuple, et de chacun, certains sont appelés pour les autres.

Les multiples ruptures d’alliance viennent toujours de l’infidélité du peuple, entraînant la colère de Dieu et sa miséricorde : colère et miséricorde comme deux faces d’une même entité qui s’appelle Amour. Or c’est toujours d’une manière ou d’une autre l’infidélité du peuple qui abandonne le culte du Dieu unique pour se tourner vers les autres dieux (Baals…) qui provoque la colère. Des dieux faits de mains d’homme, "qui ont des oreilles et qui n’entendent pas, qui ont des yeux et qui ne voient pas…"

Dans le livre de Jérémie, cet abandon est dénoncé comme une prostitution, au cœur de la période la plus difficile de l’histoire des Hébreux. Selon la description au chapitre 5, personne ne semble indemne dans la situation de Juda, que ce soit : "Les petites gens qui ne sont pas bien malins, qui ne connaissent pas les voies du Seigneur, les coutumes de leur Dieu" ou "les grands" ce qui n’est pas mieux, car "les uns comme les autres ont brisé le joug, rompu les liens" (Jr 5, 4-5) !

Et Jérémie de dire : "Seigneur tes yeux ne sont-ils pas dans l’attente de la vérité ? Tu les frappes, mais ils n’en sont pas touchés ; tu les extermines mais ils refusent de recevoir la leçon… Ils refusent de revenir" (Jr 5, 3).

Jérémie ne cesse de dénoncer l’énormité de l’obstination sans pareille du peuple, un peuple qui n’a plus conscience de l’ordre qui doit régir sa relation à Dieu. Il use d’une belle comparaison où il apparaît que les animaux ont une sagesse que les hommes ont perdue :

"J’ai écouté attentivement :
leurs propos sont inconsistants.
Pas un ne renonce à sa méchanceté en disant :
"Qu’ai-je donc fait !"
Chacun se détourne à sa guise,
tel un cheval emballé dans la bataille.
Même la cigogne dans les airs
connaît le temps de ses migrations.
La tourterelle, l’hirondelle et la grive
ne manquent pas le moment du retour.
Mais mon peuple ne tient pas compte
de l’ordre établi par le Seigneur" (Jr 8, 6-7).

C’est poignant de lire ligne après ligne l’entêtement des hommes à chercher leur raison de vivre dans un autre monde que celui que le Seigneur leur propose. L’exil à Babylone prend sens : le Seigneur en vient à la manière forte pour que s’ouvre un chemin de conversion : "Comme vous m’avez abandonné pour servir les dieux de l’étranger dans votre pays, de même vous servirez des étrangers dans un pays qui n’est pas le vôtre." Et c’est au cours de l’exil que se renoue l’alliance et que le peuple, avec les prêtres, va se retourner vers son Seigneur.

Ce n’est pas seulement Jérémie qui dénonce les ruptures d’alliance et appelle à la conversion pour le bien du peuple, tous les prophètes le font et ce trait constant de tout l’Ancien Testament s’applique à notre situation d’aujourd’hui. Après avoir affirmé que nous vivons sans cesse en situation de rupture d’Alliance, et que nous pouvons en nommer les traits saillants, nous pouvons poursuivre en disant que nous sommes aussi en situation d’exil, car nous servons des dieux étrangers, de gré ou de force ; cependant Dieu est miséricordieux et nous ne sommes pas abandonnés, encore aujourd’hui sa miséricorde est inépuisable. Tournons-nous vers Lui !

Avec le peuple en exil, nous devons plus que jamais faire mémoire des hauts faits que Dieu a déjà accomplis. Nous pourrions par exemple méditer le long psaume 78 qui est un psaume d’instruction à travers les événements de l’histoire sainte. Là encore il apparaît que le peuple n’en a fait qu’à sa tête mais que Dieu après avoir châtié a béni. Cette bénédiction s’est manifestée par des actes de bonté inouïs, inattendus("des exploits") : le Seigneur est capable de tout pour eux, même quand ils en doutent :

"Ils s’en prirent à Dieu en disant :
Dieu est-il capable de dresser la table
dans le désert ?
Oui, il a frappé le rocher,
L’eau a coulé en torrents abondants,
Mais peut-il aussi fournir le pain
Et préparer la viande pour son peuple ?"
(Ps 78 (77), 19-20)

De l’eau, des cailles, de la manne… ou l’avènement de Cyrus qui permet le retour à Jérusalem, tout cela ne comble pas encore la soif du peuple de l’Ancienne Alliance. L’inouï de Dieu, c’est d’aimer son peuple jusqu’à sceller une Nouvelle Alliance en son Fils qu’il donne au monde. La nouvelle alliance appelle un peuple nouveau, l’Eglise, Corps du Christ, qui vit dans l’histoire, que nous faisons vivre dans l’histoire aujourd’hui. Toute vie est vocation à prendre part à ce Corps.

Pour porter du fruit

En reconnaissant que le salut nous est offert en Jésus-Christ (notre exil s’achève avec Lui qui est "le chemin, la vérité et la vie"), nous sommes provoqués à la décision de vivre personnellement son alliance en entrant dans son projet d’amour : Jésus nous appelle à faire participer les hommes à cette vie.

Ceux qui désespèrent de la situation de l’Eglise devront méditer la première partie du chapitre 15 de l’évangile de Jean qui dit la permanence de notre union à Dieu, sa volonté de s’occuper de sa vigne (cf. aussi Jr 2,21 ; Ps 80 ; Is 5,1-7). Il nous invite à porter du fruit mais cela ne peut se faire que si le Père qui est le Vigneron nous émonde. Si vous avez vu le vigneron passer pour tailler la vigne, vous savez qu’il coupe dans le vif pour que "cela reparte" plus vigoureusement, et parfois la taille est sévère.

La prière pour les vocations accepte par avance que le Père émonde… La vocation de chaque baptisé est bien de porter du fruit, mais il y va de notre accord donné à ce que le Vigneron élimine le bois mort… Au verset 6 n’est-il pas dit que le sarment qui se dessèche est jeté au feu ?

Ceci étant posé, le texte poursuit : "Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, vous demanderez ce que vous voudrez et cela vous arrivera. Ce qui glorifie mon Père c’est que vous portiez du fruit en abondance et que vous soyez pour moi des disciples." Toute vie de baptisé porte en elle cet appel de Jésus dont il nous donne le code secret pour chacun de nous : "Demeurez dans mon amour" comme lui-même en observant le commandement de son Père, demeure dans son amour.

Nous le savons bien, l’amour du Père et l’amour de nos frères sont indissociablement liés. Notre vocation c’est l’amour, le signe que nous sommes dans l’amour c’est de nous aimer les uns les autres… jusqu’à donner notre vie. Alors Jésus explique à ses disciples que notre vocation, c’est d’être appelé "ami" et non "serviteur" (même si par ailleurs l’ami se fait serviteur).

Notre prière pour les vocations va faire retentir en nous ce message, et nous donner à expérimenter le va-et-vient incessant que fait Jésus entre le Père et les sarments de la Vigne, entre la Vigne qui doit porter du fruit, et l’amour qui est fruit, entre la gloire du Père et la joie du Fils, la joie des hommes. "Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite" (Jn 15, 11). Cette joie Jésus l’annonce non pas à un disciple tout seul qui aurait répondu à son appel, mais à ses disciples rassemblés. Cette joie est là, jaillissante pour une Eglise à l’écoute de la Parole de Dieu. Autant la vigne délaissée parce qu’infidèle est sujet de tristesse dans l’Ancien Testament, autant la vigne dont Jésus est le cep vivant, est faite pour porter des fruits abondants et savoureux qui sont joie pour le monde.

Mais oui, bien sûr, nous aurons dans notre prière pour les vocations une attention toute particulière pour cette phrase, en Jean 15, 16 : "Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et institués pour que vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure : si bien que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous l’accordera."

"Choisis" c’est-à-dire mystérieusement appelés par le Père à répondre par la foi ; telle est notre vocation de baptisés. Mais aussi, telle est la racine de toute vocation particulière : "choisis et institués" car être institués signifie porter une charge avec l’assurance des moyens qui permettent de l’exercer efficacement. On comprend bien que tous ne sont pas institués pour la même charge, et que nous pouvons, ayant compris cela, demander au Père d’appeler qui il veut, comme il veut, pour que sa vigne porte du fruit en abondance. Nous sommes alors prêts à accepter l’inattendu de Dieu qui émonde, pour que nos communautés restent unies dans l’amour en Jésus, qui saura faire de nous des disciples, disciples qui à leur tour obtiendront "tout" du Père au nom de Jésus.

Attendre l’inattendu de Dieu

Notre réflexion nous a conduits à écouter Jésus. "Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai élu, écoutez-le" (Lc, 9, 35). Nous voici donc dans une attitude authentique de prière, celle qui est attente… Attente disponible comme Samuel : "Parle Seigneur, ton Serviteur écoute" (1 S 3,9), attente d’une Parole, avec Marie à Béthanie qui "a choisi la meilleure part", avec Marie à Nazareth qui peut d’emblée dire : "Que ta volonté soit faite."

Nous tenir dans cette attitude n’est certes pas facile, mais cela nous permet de chasser loin de nous les inquiétudes et les calculs en termes de besoins. "Mon Dieu, donnez-nous des prêtres, donnez-nous de saints prêtres !" C’était une prière classique à l’époque où les "vocations" ne manquaient pas. Aujourd’hui on entend plus souvent : "Les séminaires sont vides, les communautés religieuses sont âgées, il faut prier !" Le problème actuel des "ouvriers pour la moisson" n’est pas nouveau, et même s’il est justifié de le porter douloureusement, nous ne connaissons pas la réponse. Soyons tout simplement réalistes : Dieu est à l’origine de l’Eglise, Lui seul sait ce qu’il nous faut, il trouvera le moyen de nous le faire savoir si nous nous mettons à l’écoute et c’est dans cette écoute que nous chercherons utilement les solutions à adopter.

Prier pour les vocations peut devenir source d’un profond changement dans nos communautés, à quelques conditions : d’abord saisir l’urgence de vivre en peuple de l’alliance et en tant que peuple, connaître notre vocation qui est de contribuer à la gloire de Dieu, à l’annonce de son amour pour le monde, tout le monde ; accepter de prier humblement pour que chacun de nous vive sa vocation, là où il est, participant à cet ouvrage de Dieu, "à la louange de sa gloire" ; reconnaître que si toute vie est vocation, certaines vocations sont essentielles pour l’unité du Corps du Christ, et donc, prier pour savoir appeler et faire fructifier ces vocations-là.

Nous pourrions, revenant à l’Ecriture, méditer la lettre de Paul aux Romains (8, 18-30) en ce sens qu’il ouvre à notre destinée finale pour tous d’"avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu", puisque nous "possédons les prémices de l’Esprit"."L’Esprit aussi vient en aide à notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut, mais l’Esprit lui-même intercède pour nous en gémissements inexprimables, et celui qui scrute les cœurs sait quelle est l’intention de l’Esprit : c’est selon Dieu en effet que l’Esprit intercède pour les saints." (Rm 8, 26).

Alors il prendra les moyens qui lui sont propres, qui nous surprendront certainement, et nous dirons : "Qu’est-ce que c’est ?" et dans notre prière nous nous retrouverons avec Marie et Jean au pied de la Croix de Jésus quand "il rendit l’Esprit" ou bien encore nous serons avec les apôtres au Cénacle, bouleversés par le grand vent et embrasés par le feu, et nous sortirons sur les places annoncer les merveilles de Dieu.

Notre prière pour les vocations, parce qu’elle nous modèle au plus profond de notre vie, nous fera entendre encore ce passage de Paul aux Romains : "Ceux que d’avance il a connus, il les a aussi prédestinés à être conformes à l’image de son Fils, afin que celui-ci soit le premier-né d’une multitude de frères ; ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés ; ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés ; et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés" (Rm 8, 29-30). Cela n’est-ce pas inattendu ?

Pour que tout concoure à la mission

Toute vocation à servir en Eglise est d’abord orientée vers la mission. L’acceptation du don de Dieu (des soins qu’il a pour sa vigne), nous oriente vers nos frères, vers le monde. Aussi, la prière pour les vocations, vient-elle au service de l’accomplissement du projet de Dieu pour le monde.

La prière de la communauté (célébrations eucharistiques… groupes de prière… prière personnelle en lien avec d’autres… méditation de l’Ecriture..) est le lieu où le Seigneur parle. C’est dans cette rencontre avec Lui, que nous pouvons dire : "Parle, dis-nous ton projet, ton désir pour notre peuple… Sans doute vas-tu nous rappeler tes commandements, nous appeler à la conversion… Parle, Seigneur. Fais-nous entrer dans ton plan de salut. Et nous irons vers nos frères annoncer ta Bonne Nouvelle. Et nous répondrons ainsi à la vocation dont tu nous as donné la charge, nous serons nous mêmes appelés et appelants au sein de l’Eglise…"


Force mes pas à l’aventure,
Pour que le feu de ton bonheur
A d’autres prenne !

…ton printemps s’est réveillé
Dans mes sarments à bout de sève,
Pour que je sois cet étranger
Brûlant de Pâques !

Didier Rimaud
Hymne pour le temps de Pâques