Du besoin de prêtres au besoin de saints


Le SDV a diffusé, en mai 2001, un questionnaire pour une enquête sur la prière pour les vocations. Il a reçu plus de 80 réponses. Certaines ont été rédigées en groupe, d’autres individuellement. Des groupes qui prient régulièrement (équipes du rosaire, groupes paroissiaux...) ont souligné la qualité de l’échange entre eux provoqué par le questionnaire (que vous trouverez en annexe).

père Laurent Camiade
Responsable du Service Diocésain des Vocations d’Agen

Le Lot-et-Garonne est un département de 330000 habitants, relativement âgés, et où la pratique religieuse est plutôt en dessous des moyennes nationales. Depuis 1976 (époque où la courbe nationale des ordinations sacerdotale devient stable), nous avons ordonné dix-neuf prêtres, dont trois vocations assez tardives, nés entre 1923 et 1927, un polonais qui exerce aujourd’hui son ministère dans un autre diocèse, un vietnamien, un aumônier militaire (qui revient cette année dans le diocèse d’Agen), un autre a quitté le ministère. Par ailleurs, un seul prêtre ordonné dans un autre diocèse après 1976 (en 1980) exerce un ministère en Lot-et-Garonne.

Néanmoins, il y a autant de prêtres originaires de Lot-et-Garonne ordonnés dans d’autres diocèses ou dans des communautés religieuses que de prêtres incardinés dans le diocèse depuis 25 ans. Les diocèses d’accueil se trouvent autour de grands pôles universitaires qui ont été les lieux de prise de conscience de l’appel par les jeunes concernés. Les ordres religieux sont entre autres, la compagnie de Jésus, les dominicains, les frères de Saint-Jean... Mais aucun religieux-prêtre ordonné après 1976 n’habite en Lot-et-Garonne.

La plupart des personnes s’étant exprimées dans l’enquête disent prier pour les vocations, mais d’autres avouent que non, avec parfois la résolution de s’y mettre. On ne prie pas à cette intention parce qu’on n’y pense pas ou parce que cette démarche n’est pas proposée par les prêtres dans leurs homélies. Quelques-uns ne prient pas pour les vocations de prêtres parce qu’ils estiment que le célibat est trop dur à vivre.

Il me semble intéressant de nous attarder un peu sur les raisons pour lesquelles on prie pour les vocations. Nous regarderons ensuite la forme que prend la prière pour les vocations. Enfin, nous essayerons, autant qu’il est permis de le faire, d’en évaluer les fruits.

Pourquoi prier pour les vocations ?

Les réponses à l’enquête concernant la motivation de la prière pour les vocations ne sont pas les plus développées. Néanmoins elles sont de trois sortes, ce qui mérite d’être souligné avec précision.

Un besoin éprouvé

Une première série d’expressions relève d’un élan du cœur qui éprouve un besoin, un manque. Manque de prêtres, manque de religieuses, manque de religieux et de diacres, besoin d’ouvriers pour la moisson du Seigneur, et aussi besoin de l’engagement de chacun dans l’Eglise et désir que le cœur des jeunes soit rejoint par le Seigneur. Dans ces expressions, existentielles, c’est le besoin de prêtres qui, statistiquement, l’emporte. Cela s’explique facilement, en pleine période de réorganisation de la carte paroissiale. Pourtant la moyenne d’âge des religieuses présentes en Lot-et-Garonne est bien plus élevée que celle des prêtres, et leur nombre a décru de façon beaucoup plus spectaculaire encore. On peut se demander d’où vient que le besoin en soit moins ressenti. On parle, en effet, de besoin de proximité, d’écoute... Les institutions éducatives et les cliniques ont été fortement investies par des religieuses dans le passé. On a l’impression que leur évaporation de ces champs de la mission, pourtant extrêmement sensibles, n’a pas créé un vide comparable à celui de la diminution du nombre de prêtres. Quant au besoin de moines et de moniales, il ne semble pas du tout ressenti, en tout cas, il n’est jamais évoqué explicitement. Il est vrai que le questionnaire ne distinguait pas religieux apostoliques et religieux contemplatifs... Ce qui frappe également c’est que, s’il est bien question du fait que l’Eglise a besoin de chacun, personne ne dit prier parce qu’il ressent un manque de catéchistes, un manque d’animateurs en pastorale, un manque de "délégués pastoraux". On n’exprime nulle part le sentiment d’un besoin de chrétiens à l’esprit missionnaire, ni de chrétiens qui s’engagent en politique ou au service des pauvres. Serait-ce que ces ouvriers-là de la moisson du Seigneur ne manquent pas ? Je crois que si. Mais on n’a pas l’idée de prier à cette intention, le manque n’est pas ressenti de la même manière que pour les prêtres, ni même que pour les religieuses et les moines... Le manque de diacres, lui non plus, ne stimule pas beaucoup la prière pour les vocations : il faut dire qu’il n’y en a jamais eu autant depuis longtemps !

Obéir au Christ

Un autre type de cause apparaît, mais de façon singulièrement minoritaire, dans les réponses à notre enquête : c’est l’obéissance à l’ordre du Christ de prier le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers. Cette cause formelle n’est citée que quatre fois. On peut ajouter quatre autres fois l’expression du besoin d’ouvriers, qui est le signe que l’ordre du Seigneur est reçu explicitement, même s’il n’est pas présenté comme un ordre formel, mais comme motivé par le désir. Cela montre d’ailleurs qu’il n’y a pas de contradiction entre la cause du premier type, évoquée d’ailleurs par Jésus lui-même "les ouvriers sont peu nombreux", et la cause formelle "priez donc". Sur ce point, on peut dire que les personnes qui ont répondu à l’enquête sont assez profondément évangélisées car elles vivent de l’intérieur le "donc" de l’Evangile. Elles ressentent le besoin de prêtres, religieux, religieuses, d’ouvriers et c’est pour elles un motif de prier. D’autres auraient pu se creuser la tête à chercher des solutions... Bref, cela leur semble évident, il faut prier. Bien que cela ne soit pas souvent explicite, cela traduit une conviction de foi : c’est Dieu qui donne à l’Eglise ses prêtres, il envoie Lui-même les ouvriers.

Cela dit, s’il est compréhensible, du fait de la relative nouveauté du déploiement de ces ministères dans l’Eglise, que le manque de catéchistes, de diacres, d’agents pastoraux laïcs ne soit pas perçu comme un besoin existentiel, on aurait pu penser que les multiples insistances de la prédication actuelle dans le domaine de l’engagement des laïcs et du développement de leur mission dans le monde provoqueraient, au moins de manière formelle, l’expression d’un motif de prier. Celui-ci apparaît, mais de manière très faible et rare. Ainsi, telle personne prie "pour que Dieu envoie une personne compétente sur le chemin des jeunes". Et encore cela sous-entend peut-être uniquement que la "personne compétente" désirée saura orienter les jeunes en question vers le sacerdoce ou la vie religieuse, mais non pas principalement vers la sainteté... La prière de beaucoup se présente un peu comme si on attendait les prêtres de Dieu (parfois comme des extra-terrestres qui arriveraient du ciel, mais souvent, tout de même, de façon plus équilibrée) alors que pour les laïcs engagés, on ne compte que sur des techniques humaines d’embauche. Il est vrai que le contexte de la péricope "priez donc le Maître de la Moisson d’envoyer des ouvriers" induit une interprétation restrictive : elle survient après le constat que les foules étaient comme des brebis sans pasteur, et précède juste l’envoi en mission des Apôtres (Mt 9,35-10,15). Il est clair, dans l’Evangile, que le manque d’ouvriers dont parle Jésus est le manque de pasteurs, donc, pour nous, de prêtres. Pourtant l’ordre de Jésus "priez donc le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers" peut être compris de manière large. En effet, l’Eglise ne peut pas vivre en auto-stimulation. Toute son action pastorale est initiée et nourrie par le don de l’Esprit-Saint. La consigne de prière pour que le Père envoie des ouvriers est donc tout aussi cohérente lorsqu’on s’interroge sur le besoin d’autres ministères que celui de prêtre ou d’évêque dans l’Eglise. Les charismes au service de l’évangélisation sont des dons à recevoir du Père. Peut-être n’a-t-on pas encore acquis suffisamment ce réflexe de la prière, qui est pourtant celui des Apôtres lors de l’institution des sept diacres...

Répondre au dessein de Dieu

Le troisième type de motif de prière pour les vocations est de l’ordre de ce qu’on pourrait appeler la cause finale : "parce que l’Eglise a besoin de l’engagement de chacun", "parce qu’il faut que la mission de Jésus se poursuive", "parce que nous avons besoin de l’Eucharistie, des sacrements...". C’est la sainteté de l’Eglise qui est visée. Il s’agit bien d’exprimer la finalité du dessein de Dieu sur le monde : la sainteté et la communion. L’Eucharistie et sa nécessité se trouvent là comme au carrefour. La plupart des groupes qui prient pour les vocations le font autour de l’Eucharistie. Les sacrements sont en effet les signes qui mettent efficacement le monde en contact avec sa finalité surnaturelle. Cette cause finale extrêmement claire, à elle seule, peut mieux faire comprendre la place privilégiée du sacerdoce dans la prière pour les vocations. "Il est essentiel que Dieu envoie des prêtres" est la réponse à la question "Pourquoi priez-vous pour les vocations ?" qui, avec celle du manque de prêtres, revient le plus souvent. Même si l’Eglise, dans sa prière, doit demander et accueillir de nombreux charismes et des ministères variés, elle sait que sa vie culmine dans la célébration des sacrements. Comme le disent les évêques de la CEMIOR dans le document Dans nos communautés, proposer de devenir prêtre, "plus les laïcs sont conscients de leur vocation et engagés dans la mission de l’Eglise, plus ils ont besoin de prendre appui sur le ministère des prêtres."

Cela dit, cette finalité de l’Eglise, cette vocation de l’Eglise, concerne tous les baptisés, elle est la vocation de chacun. L’expérience du besoin de prêtres est fondée sur l’appel universel à la sainteté. La finalité de l’Eglise est de nous conduire tous à la sainteté dans la communion au Christ Jésus.

Le SDV d’Agen, depuis trois ans, a pris en compte, d’une manière significative, le fait que beaucoup de chrétiens prient pour les vocations. Il s’agit de groupes spontanés, de groupes appartenant à un mouvement de prière (Foyer Marial, équipes du Rosaire...) ou de groupes paroissiaux. La plupart de ces groupes de prière proviennent d’initiatives de fidèles laïcs.

Plutôt que d’instituer des temps de prière pour les vocations, le SDV a donc proposé une sorte d’officialisation de ces temps et lieux de prière. La feuille de liaison Dieu appelle en Lot-et-Garonne, dès son premier numéro en janvier 1999, propose une rubrique destinée à informer des différents temps de prière pour les vocations dans l’ensemble du Diocèse. Dans ce numéro 1, elle se contentait de demander à tous ceux, prêtres ou laïcs, qui organisent des temps de prière publics pour les vocations, de tenir régulièrement au courant la rédaction de Dieu appelle des lieux, dates et heures prévus. Le n° 2 annonçait quatre temps et lieux de prière différents ; le n° 5, six temps ; le n° 7, huit ; le n° 8, dix ; le n° 12, treize... Ces annonces concernent des groupes qui existaient déjà depuis des années, parfois 20 ou 30 ans. D’autres se sont créés, stimulés par l’exemple, simplement parce que cela a été publié. Bien des gens disent qu’ils prient pour les vocations d’un autre bout du diocèse, en union avec tel ou tel groupe dont la prière est publiée dans notre bulletin de liaison. L’annonce des temps et lieux de prière fait donc passer des groupes informels à une dimension plus ecclésiale, dont découle notamment un élan pédagogique et stimulant pour d’autres chrétiens.

Comment prier pour les vocations ?

Néanmoins, une question demeure, face à tous ces groupes qui prient pour les vocations : celle du contenu, de la forme concrète que prend cette prière. L’enquête que nous avons lancée visait surtout à approfondir cette dimension de la prière pour les vocations.

Plusieurs des réponses mentionnent l’action de grâces pour le don que Dieu fait des différentes vocations à l’Eglise. Mais cette action de grâce s’exprime singulièrement par le fait que les groupes qui prient pour les vocations le font souvent autour de l’Eucharistie, comme je l’ai déjà souligné. Les prêtres sont peu nombreux, mais il y a des prêtres. Demander pour l’Eglise les diverses vocations dont elle a besoin, c’est prendre conscience que l’on en a déjà reçu beaucoup. Le simple fait d’évoquer les multiples états de vie qui existent rappelle tout ce que, déjà, nous avons reçu et qui nous fait désirer davantage. Mais ce n’est pas perdre son temps que de louer Dieu pour sa sollicitude.

Cette dimension d’action de grâce est particulièrement présente dans la prière d’ordination des prêtres qui commence par rappeler que depuis les soixante-dix hommes qui ont reçu l’esprit de Moïse, jusqu’à tous les compagnons des Apôtres, le Seigneur a manifesté son projet d’annonce de l’Evangile dans le monde entier. Il y a quelques semaines, un jeune homme de vingt-huit ans a été ordonné prêtre dans la cathédrale d’Agen, la présence nombreuse des fidèles exprime, à elle seule, une grande action de grâces, un accueil du don fait à l’Eglise à travers cette ordination.

Une des questions touchait à la place du mystère Trinitaire dans cette prière. Malgré l’échantillon, assez réduit de 80 réponses, le peu que signifient nos chiffres mérite tout de même d’être évoqué sur ce point. 28 réponses disent que leur prière s’adresse de préférence au Père, 21 au Fils, 25 au Saint-Esprit, 7 à la Trinité (avec ou non, explicitation théologique de cette prière trinitaire), 25 à Dieu sans précision des personnes. Quelques-uns ont donné plusieurs réponses. Il semble ressortir une conscience assez forte du caractère trinitaire de la prière.

Déjà, la motivation de la prière, dominée par l’expérience d’un manque profondément ressenti, est signe du travail de l’Esprit-Saint. Les expressions concernant l’interlocuteur de la prière (Dieu) témoignent encore de cette habitation de la prière pour les vocations par l’Esprit, qui jaillit au fond des cœurs en cris inexprimables pour dire "Père".

La question sur l’intercession des saints fait apparaître une large palette, en tête de laquelle, bien sûr, arrive la Vierge Marie, puis sainte Thérèse, saint Joseph, le curé d’Ars... A noter qu’on trouve une seule fois la mention d’une sainte locale, sainte Foy, pourtant fortement remise à l’honneur à l’occasion du Jubilé de l’an 2000 où les saints fondateurs ont été célébrés à grands renforts. Foy a eu droit rien moins qu’à la création mondiale d’un opéra remarquable, ainsi qu’à la création d’un spectacle populaire itinérant. Mais ce n’est pas auprès de sainte Foy qu’on intercède pour les vocations en Agenais !

Ce qui ressort également, c’est que l’intercession des saints ne semble jamais faire ombrage à une prière adressée également à Dieu directement. Beaucoup disent même s’adresser de préférence à Dieu, destinataire de la demande ou de l’action de grâce, et cela avec les saints, qui prient pour nous.

Le lien entre le charisme du saint invoqué et le fruit que l’on attend de la prière n’est pas développé dans les réponses. On comprend bien que le curé d’Ars soit invoqué en tant que patron des prêtres (spécialement des curés de paroisse) dans la mesure où son modèle de sainteté peut avoir, aujourd’hui encore, une portée exemplaire, par son humble liberté spirituelle, son sens de la responsabilité devant sa charge de curé, sa vie de prière, sa disponibilité à l’Eglise, son existence centrée sur l’Eucharistie, sa passion pour la réconciliation, son esprit de discernement, son zèle apostolique aussi bien dans la prédication des missions que dans le partage avec les pauvres ou les œuvres sociales d’éducation, et aussi son courage face aux oppositions et calomnies... Mais l’invocation des saints est-elle toujours nourrie, dans la conscience des fidèles, d’une connaissance approfondie de leur charisme personnel ? Il y aurait pourtant là une vraie lumière pour alimenter la prière pour les vocations et lui donner la note juste qui consiste à ne pas attendre de Dieu des vocations extra-terrestres, mais bien un don de sainteté pour des hommes et des femmes uniques et irremplaçables. C’est aussi là une réponse juste (la seule ?) à ceux qui éprouvent des réticences à prier pour que des jeunes d’aujourd’hui s’engagent dans le célibat consacré, comme dans une vie de pauvreté, ou sur un chemin d’obéissance.

L’exemple des saints, réellement approfondi, au-delà des clichés d’une hagiographie trop univoque, fait voir que le don de l’amour en Jésus-Christ, comble toute une vie, sans gommer en rien la personnalité d’un homme ou d’une femme, au contraire ! Le célibat, comme la pauvreté et l’obéissance, sont des charismes donnés à certains pour le bien de l’Eglise avant d’être des idéaux théoriques à rechercher héroïquement ! Le Seigneur ne demande rien qu’il n’ait déjà donné.

Ce thème de la vocation comme charisme apparaît tout de même assez fortement dans les réponses à notre enquête. En effet, beaucoup vivent la prière pour les vocations comme une occasion de transformation intérieure. Cette prière provoque, notamment, le désir d’approfondir leur relation avec Jésus-Christ, leur désir de Le connaître, de se laisser évangéliser par sa Parole. Prier pour les vocations c’est, en effet, placer le regard de notre cœur en face du mystère de l’appel. Le Christ nous appelle parce qu’il est Parole vivante.

Par ailleurs, si quelques-uns, pour le bien de tous, ont la grâce de répondre à une vocation radicalement en contradiction avec les conditionnements sociaux, cela signifie que l’appel évangélique au don total de soi, à l’amour des pauvres et des petits, n’est pas une utopie abstraite, mais qu’il doit retentir également en chacun comme un vrai moteur de l’action.

Pour certains, la prière pour les vocations est d’abord une prière pour l’Eglise, afin qu’elle sache accompagner les jeunes et les adultes, et se mette au service de l’appel. Ils demandent pour l’Eglise que le Seigneur l’aide à former en elle "des communautés vivant selon son Esprit. Alors des vocations se lèveront, témoins de l’Amour, au service des hommes". La prière n’est pas vécue comme le moyen de la transformation de quelques individus, mais comme une participation à la mission de l’Eglise, sans cesse en train de s’ajuster à la Mission du Rédempteur.

Dans le même temps s’opère une prise de conscience de la faiblesse de nos efforts, de la pauvreté de nos réponses à l’appel de Dieu. Le petit nombre des vocations spécifiques, le petit nombre des pratiquants, la difficulté de beaucoup à s’engager, les lenteurs et les lourdeurs de nos structures et de nos communautés, apparaissent tellement comme des obstacles évidents à la réponse aux appels de Dieu, qu’ils nous révèlent notre indigence spirituelle. En contraste, les vocations spécifiques, par les exigences qu’elles manifestent, font apparaître la tiédeur de notre amour. "Tout donner", est-ce vraiment possible ? Où en suis-je du don de moi-même ?

Cette prise de conscience de nos limites pourrait être décourageante. Mais elle invite au contraire à agir. C’est plutôt la joie et l’enthousiasme qui s’expriment dans les réponses. Leur prière est source de paix intérieure, de joie, de confiance. Seules 7 réponses signalent que la prière pour les vocations laisse dans l’inquiétude.

Cette prière culmine dans l’abandon et la confiance en Dieu. N’écoute-t-il pas toute prière ? Sur ce point également, la prière vécue est acte de foi dans la Trinité de Dieu. Dieu donne à ceux qui lui demandent. On demande ce dont on manque, ce que l’on sait ne pas pouvoir se procurer par ses propres forces, parce qu’on sait que Dieu donne son amour. Trinité des personnes, Dieu est don, par nature, communication d’amour permanent entre les trois. Le Père engendre éternellement le Fils, qui se reçoit du Père et se redonne à Lui, dans l’Esprit Saint. Dans la prière, par l’Esprit Saint, les fidèles se trouvent associés à ce mouvement d’aller-retour au Père, recevant de Lui tout ce dont ils ont besoin, et s’offrant à Lui. Recevoir, dans l’Eglise, les ministres et les dépositaires de charismes dont nous avons besoin est une démarche de vie trinitaire.

La prière pour les vocations est donc, par delà la supplication qui jaillit du manque, accueil du don de Dieu, Père, Fils et Esprit Saint, accueil des différentes formes de sainteté et des charismes, transformation intérieure de tous, dans une expérience ecclésiale, prise de conscience de notre faiblesse en même temps qu’acte de confiance en Dieu.

Les fruits de la prière pour les vocations

Ayant essayé d’analyser les motivations des personnes qui prient pour les vocations, de comprendre de quoi est faite cette prière, il faut aussi avoir le courage de tenter d’en évaluer les fruits. C’est là, en effet, une question difficile, parfois résolue de façon optimiste par une vision éthérée des mutations actuelles de l’Eglise, parfois de façon désespérante par une obsession des chiffres.

L’espérance n’exclut pas d’avoir le sang-froid de regarder la réalité en face : la prière pour les vocations ne produit pas les fruits qu’elle attend. Nous l’avons souligné en commençant, le point de départ de cette prière est l’expérience cruelle d’un manque. Ce manque, malgré des années de supplication, n’est pas comblé. Peut-être ne l’a-t-il jamais été totalement. Mais pour nous, occidentaux, et particulièrement en France, ce manque prend des proportions inquiétantes et, plus encore, douloureuses.

Il n’est sans doute plus nécessaire de réfuter le discours en vogue à certaine époque selon lequel un petit nombre de prêtres suffira, dans la mesure où les laïcs s’engagent pleinement. L’engagement des laïcs, on le voit trop clairement aujourd’hui, n’est possible, de façon saine et durable, que lorsque le ministère des prêtres y apporte un soutien et un accompagnement suivis. L’éclatement des relations sociales dans nos pays est probablement une des raisons qui rend encore plus nécessaire la présence de ministres de la communion plus nombreux.

Un des premiers fruits de la prière pour les vocations, en faisant réfléchir sur le ministère des prêtres, et en incitant à s’en remettre à Dieu, est peut-être une prise de conscience plus claire aujourd’hui qu’il y a quelques années, de la réalité de ce besoin de prêtres. Et malgré tout, la stabilité du nombre d’ordinations en France depuis 25 ans (même si ce nombre est trop petit) témoigne peut-être d’une réelle fécondité de la prière continue pour les vocations de nombreux fidèles, se réunissant parfois contre vents et marées. Au début où le SDV d’Agen demandait aux gens d’indiquer les dates de leurs réunions de prière pour les vocations, un prêtre m’a confié qu’il n’osait pas le faire publier de peur d’être étiqueté ! Actuellement ce genre d’intimidation me semble avoir disparu, heureusement. C’est, pour moi, un des signes du travail de l’Esprit, qui nous fait voir plus haut et plus loin.

Un autre fruit de la prière pour les vocations réside sans doute dans une certaine dynamique d’ouverture. Elle conduit à passer de la prière pour les besoins de telle communauté locale, à une sensibilité aux besoins de l’Eglise universelle. Du seul manque de prêtres, on passe à une prière pour le don de vocations de diacres, de religieux, religieuses, de missionnaires, de couples vivant chrétiennement le mariage, de baptisés engagés de toutes les manières que l’Eglise encourage… Cette ouverture se traduit par une grâce d’abandon, car Dieu seul a le regard assez large pour voir toute chose, pour savoir où nous allons. Dieu seul sait par quel chemin nous marcherons vers la sainteté et la communion.

Cette expérience de la prière conduit plus loin dans le renouvellement de la perception qu’on peut avoir des vocations consacrées. Goûter, grâce à la prière, la présence de Dieu et son amour aide à croire davantage possible de s’engager pour toute sa vie à son service, et d’en être réellement comblé. Ce que Dieu demande, il ne l’impose jamais, mais cela produit dans le cœur, lorsqu’on tente de l’accomplir, une joie indicible.

Les fruits sont nombreux dans les cœurs des gens qui prient. Nous avons déjà relevé la prise de conscience de sa propre vocation, la transformation intérieure, le renouvellement du goût de la Parole de Dieu, capable de transformer une vie…

Mais, pour le monde ? Quels fruits porte une prière qui semble si peu exaucée dans son objet premier ? Certes, la persévérance de ceux qui continuent de tout attendre de Dieu est un témoignage fort. Mais la perception qu’en ont généralement les hommes et les femmes de notre temps est plutôt celle d’une faillite. Certains estiment qu’en normalisant l’appel au sacerdoce par un libre accès aux femmes et aux hommes mariés, on résoudrait tous nos problèmes par une meilleure image médiatique. Je ne crois pas aux réponses toutes faites.

Nous sommes confrontés à une épreuve dont personne, à ce jour, n’a complètement trouvé le sens. On publie beaucoup sur le sacerdoce. C’est un sujet passionnel, passionnant. Mais les prises de position les plus éclairées laissent toutes un goût amer qui n’est pas signe de l’Esprit.

Par contre, les ordinations sacerdotales sont généralement vécues par les communautés chrétiennes comme de véritables fêtes de la foi, et cela mérite d’être souligné. On ordonne aujourd’hui des prêtres aux parcours souvent étonnants, et extrêmement différents. On assiste aux vœux de tel ou tel religieux ou religieuse, à l’engagement de quelques couples chrétiens qui ne se ressemblent pas non plus les uns les autres et pourtant témoignent d’un dynamisme spirituel fascinant. On voit que tous ces chemins, encore une fois hétéroclites et irrécupérables idéologiquement, sont souvent longs, parfois chaotiques, mais qu’ils rayonnent. Et là on peut reconnaître des fruits de sainteté. La face négative est que ces vies données sont peu nombreuses, minoritaires, et même souvent fragiles. Mais leur force est d’exister à contre-courant, de s’exposer à toutes les critiques, y compris les ronchonnements intra-ecclésiaux. Ils ont mis leur force en Dieu, et la prière des fidèles pour les vocations porte en eux de bons fruits. Ils seront émondés (Jn 15, 2), comme l’est l’Eglise entière en ce moment, brisée en France, par le creuset d’une récession dont nous n’avons sans doute pas encore touché le fond, mais c’est je le crois pour une moisson plus nombreuse à l’avenir, si Dieu le veut.

Grille de réflexion sur la prière pour les vocations

Nous sommes nombreux à prier pour les vocations dans notre diocèse. Les disciples de Jésus lui demandèrent un jour de leur apprendre à prier. Il leur enseigna le Notre Père. Il leur dit aussi, un jour : "priez le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson." L’Eglise n’a jamais cessé de faire monter vers Dieu cette prière. Il faut pourtant nous demander si notre prière pour les vocations est celle que le Seigneur attend de nous. Comment prions-nous, que demandons-nous ?

  • Priez-vous souvent pour les vocations ? Pourquoi ?
  • Priez-vous à cette intention surtout
      • seul ?
      • en groupe ?
      • chez vous ?
      • à l’église ?
  • Est-ce une prière
      • de demande ?
      • d’action de grâce ?
      • une méditation de l’Evangile ?
      • une oraison silencieuse ?
      • la participation à la messe ?
  • Quand vous priez pour les vocations, vous adressez-vous directement à Dieu, ou invoquez-vous également des saints ? Lesquels (Vierge Marie, sainte Thérèse, autres…) ?
  • Quand vous priez pour les vocations, vous adressez-vous de préférence :
      • au Père ?
      • au Fils ?
      • au saint-Esprit ?
      • à Dieu, sans précision des personnes ?
  • Qu’attendez-vous de Dieu dans votre prière pour les vocations ?
  • Avez-vous fait l’expérience que votre prière pour les vocations vous ait fait changer d’attitude intérieure ? Pouvez-vous dire comment ?
  • Avez-vous déjà associé le jeûne (quelle qu’en soit la forme) à la prière pour les vocations ?
  • Votre prière pour les vocations concerne-t-elle surtout :
      • Les prêtres ?
      • Les diacres ?
      • Les religieux et religieuses ?
      • Les laïcs (vocation à la sainteté, ou vocation à s’engager chrétiennement) ?
      • Autres ? (préciser)
  • Après avoir prié pour les vocations, vous sentez-vous :
      • apaisé(e)
      • inquiet(e) ?
      • joyeux(se) ?
  • Quelle serait votre réaction si une de vos proches (fils, fille, ami, frère, sœur…) vous annonçait son désir d’être prêtre ou religieux, de devenir religieuse ou moniale ?