Des accompagnateurs parlent des jeunes qu’ils rencontrent


Sœur Suzanne David, Sœur de St Gildas
membre de l’équipe SNV

Origine de cette petite enquête

Pour répondre, de manière plus juste, à une demande d’intervention dans le cadre de la formation de futurs maîtres et maîtresses des novices, sur les jeunes en recherche, j’ai envoyé un questionnaire dans les Services Diocésains des Vocations d’une part, et près d’un certain nombre de maîtres et maîtresses des novices que je connaissais, d’autre part. Cette demande, qui n’avait pas un caractère officiel d’enquête, a reçu un bon écho puisqu’il y a eu 56 réponses en provenance des SDV (soit environ 60% des personnes contactées) et 26 en provenance des noviciats (soit environ 74% des personnes contactées).

Une première lecture a permis rapidement de penser qu’elles étaient loin d’être anodines. Aussi ai-je fait un travail de recension le plus rigoureux possible. Devant les résultats, l’équipe du Service National des Vocations a jugé que l’ensemble des données dépassait le cadre d’un appui pour une journée d’intervention à l’Année de Formation des Maîtres et Maîtresses des Novices (AFRN) et pouvait faire l’objet d’un article dans un numéro de Jeunes et Vocations. Tout ce qui suit est donc issu de cette enquête : on y trouve, d’une part, quelques résultats chiffrés en correspondance avec chacune des parties du questionnaire et, d’autre part, quelques remarques, quelques commentaires et réflexions au sujet de ces résultats. Les réponses apportées par des maîtres et des maîtresses des novices seront seulement évoquées au fil des commentaires et des remarques car une identification des instituts concernés serait tout à fait possible à travers elles.

Précautions nécessaires

Au sujet des chiffres

Dans la majorité des cas, ils évoquent le nombre des réponseset sont suivis par le numéro attribué au document lors de la réception (cf. tableaux).

Toutes les fois où cela a été possible, le nombre de jeunes à partir desquels ces réponses ont été élaborées, a été relevé. Dans le plus grand nombre de cas, ces nombres étaient nets : 6, 2, 15, 30, etc. Dans d’autres, ils étaient évocateurs : une vingtaine, une dizaine.

Les chiffres concernant les nombres de jeunes accompagnés ou rencontrés sont donc à la fois significatifs et en même temps relatifs. Pour une plus grande justesse dans l’interprétation, il est bon de rappeler que telle attente ou telle peur a été relevée à propos de X jeunes accompagnés ou rencontrés. Par contre, le nombre de réponses (cf. numéros des documents) sur tel ou tel point ou pour souligner telle attente, telle peur est sans équivoque. Il signifie que 4, 10, 20 accompagnateurs ont fait la même analyse.

Au sujet du contenu

Il faut toujours avoir à l’esprit que ce qui est dit des jeunes relève de l’appréciation et du discernement des accompagnateurs adultes. C’est une limite : autres seraient sans doute des réponses directes de jeunes. C’est, je le crois également, la force de ce qui est repris ici : en effet, qu’est-ce qui est le plus vrai ? Une expression spontanée ou le discernement opéré par des accompagnateurs attachés à leur mission : déceler, au delà des apparences, les vraies requêtes, les vrais désirs de jeunes. Pour mieux entrer dans l’esprit et les résultats de cette petite enquête, voici le questionnaire qui a servi :

Questionnaire de base envoyé aux SDV

  1. A quel titre répondez-vous à ce questionnaire ?
    (SDV, accompagnement personnel, de groupe de recherche)
  2. Dans les trois dernières années, qui sont les jeunes qui se sont adressé(e)s au SDV ? Donnez toutes les précisions jugées utiles (sexe, âge, milieu social, situation).
  3. Selon vous, comment ces jeunes ont-ils connu le SDV ?
  4. Avez-vous décelé des attentes fortes (même si c’est votre interprétation) ? Précisez.
  5. Devant une vocation possible ou affirmée, quelles sont leurs peurs ?
  6. Y a-t-il des attentes, des peurs qui seraient liées de manière explicite à telle ou telle vocation ?
  7. Qu’est-ce qui est habituellement dit concernant
      • la vie monastique ?
      • la vie apostolique ?

      • les autres formes de vie ?

Les réponses et le nombre de jeunes concernés

Il y a eu 56 réponses en provenance des SDV. 28 de ces réponses émanent du responsable SDV (tous prêtres, sauf dans un cas où il s’agit d’une religieuse), 19 de religieuses, 3 de moines et moniales, 2 de religieux, 2 de laïcs, 2 de membres d’un institut séculier.
Ces 56 réponses concernent environ 917 jeunes, soit environ 452 filles et 445 garçons. Des réponses concernant une vingtaine de jeunes ne permettent pas de différencier garçons et filles. Elles s’appliquent aux jeunes rencontrés depuis 3 ou 4 ans.

Qui sont ces jeunes qui fréquentent ces SDV ?

Le questionnaire d’enquête ne permettait pas d’obtenir des renseignements très précis sur les jeunes et leur situation. Il est cependant possible de relever un certain nombre d’éléments susceptibles de faire émerger un panorama de jeunes qui fréquentent des SDV.
(Les chiffres entre parenthèses correspondent au nombre de réponses qui donnent ces précisions.)

Leur situation

Certains jeunes dont parlent ces SDV sont en collège (7), en lycée (14), en études (42) : quand les niveaux sont précisés, on trouve : BEP, Bac, après Bac, DEUG, formation professionnelle, BTS, Bac+ 2, + 7, études supérieures ; au travail (42), quand des précisions sont données, on trouve : profession de santé, infirmière, aide-soignante, assistante de direction, ingénieur, avocat, cadre, enseignant, artisan, ouvrier(e), employé(e), préparatrice en pharmacie, secrétaire, comptable, vendeuse, surveillant, instituteur, professeur ; en travail précaire (8) : il s’agit d’emplois jeunes, de travail saisonnier, de petits boulots ; au chômage et recherche d’emploi (14).

Leur milieu social

34 réponses évoquent le milieu social des jeunes  : 15 parlent de milieu populaire, ouvrier, modeste ; 12 parlent de classe moyenne ; 8 parlent de classes supérieures, bourgeoisie, milieux aisés ; 4 parlent de cadres moyens ; 2 parlent de professions libérales ; 9 de milieu rural ; 12 disent accueillir des jeunes de milieux variés. On pourrait se poser la question : ce panorama social des jeunes qui fréquentent des SDV se retrouve-t-il dans les séminaires et les noviciats ?

Un certain nombre de ces réponses notent des points particuliers ; ainsi 7 réponses évoquent des jeunes qui vivent des situations difficiles, 7 également parlent de jeunes avec des problèmes psychologiques, 4 signalent des jeunes qui ont un handicap physique ou intellectuel. Une réponse note la présence de deux jeunes sorties d’une congrégation et le fait que 2 jeunes soient fils de diacre permanent. Deux réponses mettent en évidence que des jeunes refusent l’étiquette SDV.

Tableau N° 1 : Qui sont les Jeunes ?

Remarques

Ma demande auprès des SDV n’étant pas une enquête précise, le tableau ci-dessus montre bien ses limites. Cependant, les réponses données permettent de souligner que les jeunes qui fréquentent les SDV ressemblent à bien d’autres jeunes quant à leur situation familiale, professionnelle... L’évocation des milieux sociaux ne permet pas de repérer un milieu dominant. Les petites notations faites par les uns et les autres, soit dans l’enquête elle-même, soit dans la lettre d’accompagnement, donnent à penser qu’un certain nombre de jeunes vivent des situations difficiles qui les fragilisent.

Comment les jeunes ont-ils connu le SDV ?

Les réponses évoquent des personnes ou des lieux relais, des contacts personnels, des démarches personnelles, le résultat d’une information (tract).

Des résultats, il est possible de déduire que la majorité des jeunes qui sont venus à une proposition SDV ou y sont accompagnés, sont venus grâce à une personne-relais qui a orienté le jeune vers le SDV (31 réponses). Ces personnes-relais sont l’évêque (3 réponses), des prêtres (10 réponses), des religieuses, une communauté (4), un laïc (1), des séminaristes (1).

Les réponses permettent également de voir combien des temps forts (temps forts d’un mouvement, d’une aumônerie, un pèlerinage) jouent un rôle important. 18 réponses le mentionnent, qui se répartissent comme suit : 12 grâce à la manière dont on a invité les jeunes à rejoindre ce SDV durant un temps fort ; grâce à l’évêché (4) ou au séminaire (2) qui ont reçu la demande et ont renvoyé vers le SDV.

Au total (personnes-relais + temps forts), ce sont 49 réponses sur 56 qui affirment que les jeunes rejoignent un SDV parce qu’un relais a été assuré.

Il n’est pas inintéressant de constater qu’ensuite vient l’information  : les jeunes sont venus au SDV grâce à un tract, une affiche, une adresse dans le bulletin paroissial, la revue. Et un certain nombre d’ajouter : tract relayé par quelqu’un (17 réponses). Une réponse - celle qui a vu passer le plus grand nombre de jeunes = 76 - affirme nettement qu’aucun jeune n’est jamais venu en raison d’un tract. 6 réponses disent que des jeunes sont venus grâce à des propositions du SDV (année Samuel, Tibériade, etc.) mais des propositions dites "plus larges", c’est-à-dire qui ne sont pas centrées comme telles sur les vocations.

Il ne faut pas négliger non plus que 14 réponses signalent la venue de jeunes au SDV parce qu’un membre de ce service a un lien personnel avec eux. De même, 9 réponses disent que des jeunes sont venus au SDV grâce à d’autres jeunes : amis qui y participent, anciens du SDV...

3 réponses signalent que des jeunes sont venus dans la foulée des JMJ. 9 réponses parlent de démarche personnelle ; 2 réponses précisent que quelqu’un a consulté l’annuaire diocésain, le site internet du séminaire... Les autres ne permettent pas de savoir à partir de quoi ou de qui cette démarche dite personnelle s’est vécue.

Remarques

Les résultats sont nets. Des jeunes peuvent avoir accès au SDV parce que le prêtre de la paroisse, l’aumônier, l’animatrice en pastorale... a été relais, a proposé les services du SDV pour que tel jeune discerne sa vocation. Il faudrait, sans doute, que chaque SDV fasse le point sur les réseaux qui jouent davantage pour que des jeunes lui fassent appel.

Pour étayer d’une autre manière qui sont les jeunes qui fréquentent les SDV, quel est le chemin qui les y a conduits, voici quelques réflexions glanées ici et là dans les réponses.

"Dans un diocèse assez petit, les jeunes ne viennent pas au SDV. Certains parce qu’ils se confient à un prêtre, une religieuse, une catéchète. Si ces derniers ont le réflexe SDV, ça va, sinon..."

"Les deux jeunes accompagnés ont cherché dans tous les domaines : soit à l’extérieur de la foi chrétienne (bouddhisme) soit à l’intérieur (passage dans différents groupes charismatiques)."

"Un bon nombre de jeunes viennent des mouvements et des groupes charismatiques."

"Cette année 99/2000 est difficile. Aucun(e) jeune de l’année précédente n’a repris le parcours. Il y a eu un départ à l’étranger, une prise de recul, un copain..."

"Une fille n’est venue qu’une fois, soi-disant pour introduire son amie ; un garçon fraîchement converti, ayant expérimenté la drogue, n’était pas vraiment à sa place ; une fille qui avait cessé les rencontres pour engager une expérience amoureuse, revient poursuivre son discernement..."

"Lorsque des jeunes suivent le parcours SDV sur deux ans, la confiance s’établit, des liens se créent. Pour certains, ce n’est qu’une expérience parmi d’autres. Ils sont tristes de quitter mais ne donnent aucun signe de vie."

"On reçoit des jeunes avec de grandes pauvretés : épilepsie, problèmes psy... Quoi faire ?"

"La grande diversité des jeunes ne permet pas, à mon avis, de déceler des lignes de force évidentes. Ce que j’ai dit sur une certaine exigence de vie fraternelle de qualité ne me semble pas caractériser tous les jeunes. [...] Peut-être est-ce plus sensible chez les jeunes issus de familles désunies ou recomposées ? Mais ce n’est pas certain."

"Le groupe Nathanaël (qui consiste en 4 samedis, proposés largement) nous fait penser que la formule est bonne. Cela fait moins peur qu’un groupe de recherche classique. Une fille de 35 ans était intéressée. Nous avons fait signe à quelques autres de cette tranche d’âge et Nicodème est né."

"Parmi les gens qui viennent au SDV, il y a :

1/ Les gens qui viennent parce qu’ils ont de gros problèmes psychiques, psychologiques : grosses déprimes, hôpital psychiatrique, violences sexuelles dès l’enfance, découverte de leur homosexualité ou encore problèmes psychologiques en raison de situations familiales difficiles. Ils cherchent un état de vie où ils seraient reconnus, protégés. Il y a aussi les grands blessés de la vie.

2/ Les gens qui cherchent, ouverts à des tas de possibilités, y compris vocationnelles. Ils ont souvent fait une expérience religieuse très forte, charismatique ou individuelle... Parfois, ils sont un peu poussés, mis sur un piédestal par des personnes qui les verraient bien prêtre, religieux... Parfois ils sont en plein rêve et fantasment leur vie. D’autres sont en train d’accéder à leur vrai moi, à une foi personnelle. Certains réagissent face à une rencontre amoureuse en se disant qu’il faut être sûr de ne pas être appelé ailleurs. Certains fuient un milieu où ils étouffent, veulent trouver une issue après un échec scolaire ou professionnel.

3/ Certains ont déjà été en formation religieuse ou au séminaire. Ils veulent qu’on les aide à se trouver, à émerger d’une culpabilité pour redémarrer à partir de leur propre désir soit vers le mariage, soit vers une autre orientation religieuse.

4/ Ceux qui sont plus gratifiants pour un SDV, ce sont ceux et celles pour lesquels on peut dire : il y a quelque chose de solide, de porteur d’avenir consacré. Parmi eux, certains sont des météores, ne font que passer entre trois mois et un an. Les choses se font un peu toutes seules, sans accompagnement et ils y arrivent. En général, c’est la famille qui a été le berceau. D’autres sont dans le même cas, mais ils ont cheminé avec un prêtre, un mouvement pendant de longues années. Souvent ce sont des jeunes de familles chrétiennes ou portés par un mouvement. Enfin, il y a les convertis, les recommençants.

5/ Il y a sûrement une quantité de gens qui cherchent loin de nos circuits. J’en veux pour preuve la quantité non négligeable de ceux qui sont venus au SDV en téléphonant à l’évêché..."

Les attentes des jeunes

Les attentes relevées par les accompagnateurs dans leurs réponses ont été répertoriées une à une, puis hiérarchisées en fonction du nombre de jeunes concernés, c’est-à-dire compte tenu du nombre de jeunes signalés par tel accompagnateur comme étant participant au SDV ces trois ou quatre dernières années.

Les regroupements ont été faits en tenant compte de l’expression, du vocabulaire utilisé dans les réponses. On pourrait certainement opérer d’autres associations ou d’autres subdivisions.

Par ailleurs, les résultats ordonnés en fonction du nombre de documents et du nombre de jeunes concernés prennent en compte tous les éléments qui ont été apportés à la question : quelles attentes repérez-vous ? Il se peut que certains surprennent et qu’on ne voie pas bien ce qu’ils représentent.

Tableau N° 2 : Autour des attentes des jeunes

Remarques

Les attentes répertoriées une à une tournent autour de 27 pôles. Celles qui arrivent en tête des résultats, en raison du nombre des réponses comme en raison du nombre de jeunes concernés, m’apparaissent significatives. Je me permets ici de faire quelques commentaires, d’attirer l’attention sur tel ou tel point, de mettre en lien avec telle ou telle analyse.

1/ Les six premières attentes

(cf. tableau n°2)
Désir de vie spirituelle, prière, approfondissement de la foi, discernement, faire quelque chose avec et pour d’autres, prendre sa place dans l’Eglise, être accompagné, vie conviviale et fraternelle. Comment ne pas reconnaître dans ces six attentes des points essentiels de l’expérience chrétienne : prière et relation à Dieu, intelligence de la foi, service de la charité, vie fraternelle en Eglise, service mutuel : accompagnement et aide au discernement ? Il m’apparaît intéressant de le souligner.

2/ Désir de vie spirituelle, prière

C’est vrai, des jeunes ont soif de Dieu, soif de le rencontrer. Arrive, en première position dans le discernement des accompagnateurs, la soif de prière, le désir d’une relation vivante avec le Christ. Ce que nous savons depuis des années déjà : le désir de prier des nouvelles générations, leur désir de "spirituel" nous est redit fortement dans ce sondage. Ce qui est pressenti comme attente forte (cf. questionnaire), c’est ce désir de vie spirituelle et de prière. Ce résultat ne peut que nous inviter, non seulement à ne plus en douter mais également, avec les autres acteurs de l’évangélisation et dans la pastorale, à proposer des chemins d’initiation pour la rencontre de Dieu dans la prière, l’écoute et le partage de sa Parole, l’accès aux sacrements qui nourrissent et fortifient la vie d’un chrétien. Il y a un appel à mettre les jeunes en contact avec le Christ, avec l’Evangile. Je voudrais citer ici Mgr Claude Dagens, interwievé par l’hebdomadaire La Vie au retour des JMJ de Rome (août 2000) : "Il y a chez tous ces jeunes une attention spirituelle, une grande soif de Dieu. [...] Nous nous sommes résignés à la situation selon laquelle l’Eglise, c’est le passé, qu’elle est faite pour des vieux et que les jeunes trouveront autre chose ailleurs. Or, il se révèle que l’Evangile est attendu [...] comme une force pour vivre et pour aimer la vie, surtout quand elle est dure. J’ajoute [...] l’Eglise est attendue. Précisément comme une force, comme un mouvement, comme une communauté, pour conduire au Christ."

Ce résultat corrobore également ce qui me semble être un fait important et dont les SDV, les instituts de vie consacrée devraient tenir compte : avant de penser vocation, discernement, choix d’une congrégation ou d’un institut ou, mieux, en même temps, le désir profond est du côté de la rencontre de Quelqu’un, du côté d’une soif spirituelle. Cela ne peut qu’informer les politiques vocationnelles, cela ne peut que nous inciter à inscrire au cœur des propositions l’expérience de la prière, l’expérience de l’accueil de la Parole de Dieu et des sacrements.

Cette quête spirituelle peut bien sûr s’accompagner d’une fuite du réel. Certain(e)s jeunes font parfois des discours sur Dieu et la foi et n’arrivent pas à parler de leur propre vie : affectivité, relations, vie ordinaire... L’Eglise n’est-elle pas bien placée pour proposer des lieux éducateurs du rapport au réel ? Permettre à des personnes de faire l’histoire de leur vie pour donner sens au vécu et mieux se connaître, entrer dans l’histoire de la communauté chrétienne en accueillant l’histoire de Jésus le Fils. Des jeunes ont besoin de se dire et de dire une foi qui nous apparaît désincarnée, mais beaucoup sont disponibles, ouverts. Accueillis tels qu’ils sont, aidés par une pédagogie et accompagnés, ils sont capables d’entrer dans une véritable conversion.

Cette quête spirituelle se manifeste de bien des manières et sous des formes qui peuvent étonner, voire choquer. Comment éduquer des adultes chrétiens à repérer sous des attitudes, des paroles, le "travail de la grâce, le travail de Dieu lui-même" ?

Au cours d’une rencontre récente avec des religieuses en responsabilité dans leur institut, j’ai eu l’occasion d’attirer l’attention sur cette face invisible mais réelle de la vie des croyants : on signale l’étonnement vécu par des acteurs de la pastorale : au retour des JMJ, une jeune de la JOC se met à fréquenter des groupes charismatiques ! On est choqué, on s’inquiète, on réagit.

Au cœur des réactions tout à fait logiques et normales, je me suis permis d’introduire une question : est-on seulement devant une nouvelle lubie ? Les JMJ seraient-elles un événement démobilisateur ? Qui, parmi les adultes chrétiens en lien avec cette jeune, pense à se poser la question : que s’est-il donc passé ? Quel désir a pris corps ? Et si cette jeune était rejointe par le Seigneur de la vie ? Si ce qui pourrait n’être qu’un zapping, était la manifestation d’un travail de la grâce ? Qui a posé des questions non seulement en termes de : "Tu ne vas pas abandonner la JOC !" mais en termes de : "Que cherches-tu ?" A la manière du Christ de l’Evangile qui se retourne, voit ceux qui le suivent et leur dit : "Qui cherchez-vous ?" Bien des signes nous sont donnés pour que nous osions aller jusqu’à cette profondeur dans la manière de traiter des attitudes, des réactions qui, à première vue, prennent un sens qui inquiète ou tout au moins questionne.

3/ Approfondissement de la foi

C’est vrai, des jeunes désirent entrer dans l’intelligence de la foi et de l’acte de croire. Conjointement au désir de vie spirituelle (toujours un peu suspecté), arrive en tête l’approfondissement de la foi. Nous savons et nous expérimentons combien le sentiment religieux prend de la place dans le réel et l’imaginaire des nouvelles générations. Mais ces jeunes que nous côtoyons et que nous connaissons sont aussi en quête de savoir. Ils n’ont pas mis leur intelligence en retrait. Ils désirent savoir, comprendre, ils veulent même parfois tout rationaliser. D’où l’importance d’une initiation à la Parole de Dieu, d’une entrée dans la réflexion chrétienne sur les questions humaines, etc. Les parcours mis en place dans des groupes de recherche, dans des années Samuel, Tibériade, des écoles de la foi sont un peu une manière d’honorer ce désir.

Ces jeunes ont soif de comprendre parce qu’ils pressentent qu’il y va de leur dignité ; ils ont soif de comprendre car ils souhaitent dialoguer avec leurs amis et les jeunes de leur génération qui n’ont pour repère de pensée que les seuls médias ! Ils ont soif de comprendre car ils veulent témoigner et trouver les mots pour dire ce qui leur paraît - et qui est, pour une part - indicible. Avons-nous suffisamment de propositions diversifiées, dans des structures légères et mobiles, pour permettre à des jeunes d’entrer dans l’intelligence de leur foi et de celle de l’Eglise ; pour leur permettre d’entrer dans une plus grande compréhension de ce que signifie l’acte humain de croire au Dieu de Jésus-Christ ?

Le succès des catéchèses lors des JMJ de 97 et de 2000 peut être interprété comme un désir de réfléchir, de comprendre de ces générations qui aiment le ressenti et sentent ce qu’ils aiment mais qui également donnent, à leur manière, une belle place à l’intelligence. Après des années d’accompagnement et de travail avec des accompagnateurs, je dirais même volontiers qu’ils sont ouverts et disponibles à un approfondissement de la foi, sans arrière-pensée et sans questions préalables parfois : "Dites-nous, nous ne savons pas." J’ai souvent entendu cette requête qui portait autant sur la Parole de Dieu dans l’Ecriture que sur la parole du magistère, sur la compréhension de tel vocabulaire entendu, etc. Je revois encore cette jeune réagissant à toutes les précautions que je prenais pour aborder un texte du Magistère : "Pas de problème, Suzanne, j’ai d’abord envie de comprendre et de savoir !" Certes, il se trouve des jeunes qui, pour des raisons d’enracinement familial et de parcours personnel, cherchent une intelligence de la foi qui leur donnerait comme les moyens de juger leur Eglise. Je ne suis pas sûre qu’ils soient les plus nombreux. Je ne suis pas sûre non plus qu’accueillis, écoutés, questionnés, ils ne découvrent pas les angoisses et les insécurités à la source de leur dogmatisme intransigeant.

4/ Dans la ligne directe de la mission d’un SDV : discerner, voir clair

Ce désir de discerner, de voir clair est à mettre en relation avec la peur qui arrive première dans les résultats : ne pas se tromper (voir plus loin). "Comment savoir ce qui est bon pour moi, ce que je peux ?" disent des jeunes. Qu’est-ce qui va me permettre de choisir, de décider ? La peur de se tromper, le désir d’être heureux renforcent les inquiétudes face aux multiples possibles. Dans les temps qui sont les nôtres, au-delà même d’un discernement vocationnel, l’éducation au choix, à la prise de décision peut faire partie des priorités. Comment éduquer au choix dans le champ complexe de tous les possibles ? Comment aider à la lucidité humaine et spirituelle ? Comment apprendre à gérer la peur de perdre et le désir d’être dans le "risque zéro" ?

J’oserais presque dire ici : on demande des accompagnateurs. On demande des adultes, suffisamment adultes pour prendre la main de ces jeunes, les aider à faire des pas, leur donner la parole, les inviter à risquer avant même que d’avoir tout compris et élucidé, les inviter à prendre la route et à faire le point ensuite... On demande des accompagnateurs qui, sérieux avec toutes les questions humaines nécessaires dans un discernement, désignent aussi Quelqu’un, le Christ, Celui qui peut entraîner au-delà des chemins raisonnables et raisonnés, Celui qui est la lumière, le chemin, la vérité et la vie.

5/ Faire quelque chose avec et pour d’autres, prendre sa place dans l’Eglise

Qui peut encore douter de la volonté et du désir de faire quelque chose des jeunes ? Il est fort instructif que ce désir vienne en bonne place dans cette recension des attentes. Il se concrétise, chez certains, par un engagement dans l’humanitaire ou le caritatif, ici ou ailleurs ; par la participation à la vie d’un mouvement, d’une aumônerie, d’une paroisse. Pour d’autres, il demeure un désir. Si je fais référence à ma propre expérience d’accompagnement de jeunes, au quotidien ou lors des dernières JMJ, je dirais volontiers qu’il serait bon qu’en Eglise, avec des jeunes eux-mêmes, nous élaborions des projets susceptibles de les motiver, de permettre à leur générosité de se déployer ; des projets suffisamment pertinents et performants pour pouvoir prendre place dans le champ si étendu des possibles. Peut-être sommes-nous encore trop dominés par le sentiment qu’il faudrait qu’ils inventent et partent de zéro alors qu’ils sont partants sur des projets conjointement portés par des adultes et des jeunes.

Il se pourrait aussi que nous ayons à nous convertir. Nous pensons volontiers aux jeunes dans l’Eglise en termes de place à leur donner, à leur laisser. J’ai été fort intéressée d’entendre Mgr Louis-Marie Billé lors d’une rencontre avec l’équipe du SNV et son conseil élargi (des délégué(e)s de chacune des régions apostoliques) dire quelque chose comme ceci : "On tourne en rond sur cette question de la place des jeunes dans notre Eglise. Il s’agit d’abord de leur donner la possibilité d’être chrétiens et de devenir témoins du Christ dans ce monde-ci." Et si leur véritable place, comme la nôtre, c’était celle-là ?

6/ Vie conviviale, fraternelle, communautaire

Ce désir continue d’être très fort. Les petits nombres de jeunes accueillis dans les SDV permettent de faire droit à cette attente. Les temps forts, entre jeunes, sont aussi le lieu d’une expérience forte en fraternité. Demeurent les questions sur notre capacité à vivre une réelle fraternité (avec une touche de convivialité) dans les communautés chrétiennes de base et tout particulièrement lors de l’assemblée dominicale. Le tout, suffisamment perceptible par les sensibilités des jeunes générations.

Mais, il me semble que nous avons aussi à leur proposer mieux qu’un sentiment de bonheur parce que l’on est ensemble durant un temps fort. Je crois également que nous n’avons pas fini de chercher les chemins d’une véritable rencontre, d’une véritable communication, les chemins d’un dialogue où la rencontre de l’autre, différent, dérange mais enrichit. Comment et par quelles pédagogies, dans un monde où pullulent des moyens sophistiqués de communication, ouvrir des jeunes à la joie de la rencontre, de la connaissance mutuelle où la parole prend sa place, où la confiance en l’autre prend sa place... ? Quelle expérience chrétienne de fraternité peut être parole sur Dieu et sur l’homme aujourd’hui ?

Tableau N°3 : Les attentes des jeunes

Les peurs des jeunes

Comme les attentes, les peurs ont été répertoriées une à une, puis hiérarchisées en fonction du nombre de jeunes concernés. Les remarques préalables au tableau concernant les attentes valent également pour la répertoriation des peurs signalées par les accompagnateurs

Tableau N° 4 :Autour des peurs des jeunes

Remarques

Parcourir l’ensemble des peurs relevées par les accompagnateurs permet de repérer celles qui sont enracinées dans le cœur des jeunes : un manque de confiance en eux-mêmes (ne pas se tromper, ne pas être à la hauteur, durer, être fidèle), manque de confiance dans les institutions(l’Eglise, ses fonctionnements, ne pas s’épanouir, ne pas être libre, être piégé, récupéré, etc.), celles qui sont liées à l’environnement(famille, société) et aux images de l’Eglise ou de telle vocation dans la société (la famille, le regard des autres, c’est ringard, décalages énormes avec la société, les images médiatiques de la vie religieuse, etc.).

Voici quelques réflexions suscitées par les peurs évoquées par les accompagnateurs.

1/ Ne pas se tromper !

Je vois là comme le cri d’une génération qui peut se perdre devant un supermarché de possibles où il est si difficile de discerner ce qui peut être décisif dans un choix ! Cri d’une génération qui a des raisons de douter et, comme l’écrit Guy Lescanne (Documents Episcopat n°3, février 2000) "qui n’est sûre de rien ni de personne" ! Lors d’un partage de volontaires français autour de leur avenir, du célibat, d’une vocation possible, la première question posée a été adressée à un couple : "Comment avez-vous été sûrs d’être faits l’un pour l’autre ?" Comment être sûr ? Comment ne pas se tromper ? Je retrouve là le moteur d’un certain nombre de comportements en matière de discernement vocationnel : des décisions très rapides qui éludent les appuis d’une réelle liberté, ou des décisions qui ne se prennent pas. Dans les deux cas, on ne peut supporter de se tromper. Il y a là une véritable tâche missionnaire : aider des jeunes à prendre conscience de leur liberté, liberté qui se construit au travers d’étapes à parcourir, de confiances à donner, de risques à prendre... Les aider à entrer en relation vivante et dynamique avec le Christ qui se propose à l’homme comme le chemin, la vérité, la vie... celui dont on peut être sûr !

2/ S’engager, durer, être fidèle

Les questions concernant la peur des jeunes pour envisager un engagement et un engagement définitif ne sont pas récentes.

Je ne suis pas sûre qu’il faille prendre son parti de la situation et normaliser le fait que tout engagement sera désormais temporaire. Par contre, il m’apparaît important de changer de mentalité. Nous sommes habitués à penser l’engagement comme un choix définitif, rarement remis en question ; la fidélité consiste alors à mener jusqu’au bout cet engagement pris. Un univers relativement stable permet bien de faire émerger ces accents propres à l’engagement. Dans un univers complexe, mobile, mouvant, les accents pourraient être du côté de l’aventure à vivre, du côté du risque à prendre, du côté d’une confiance faite, au cœur d’incertitudes. Il y a là tout un travail de réélaboration de l’engagement et de la fidélité dans la culture actuelle.

Il me semble entrevoir, parmi bien d’autres, deux autres pistes de réflexion avec incidence sur l’agir pastoral. La première serait du côté des témoins et des témoignages. Pour que des jeunes découvrent ce qui est possible, il importe que des témoins puissent partager les heurs et les malheurs d’un itinéraire mais également les moyens qui ont permis de traverser des crises et des étapes. Etre fidèle, n’est pas une évidence paisible, c’est une tâche qui requiert à certains moments d’avoir recours à des moyens, à des pédagogies qui soutiennent une liberté ; certains de ces moyens sont coûteux et rudes. Il ne suffit pas de dire que notre route a connu des difficultés mais comment, par quels moyens, nous avons pu les traverser.

La seconde piste vise la proposition de projets éducateurs d’une liberté qui se construit dans le temps. Participer temporairement à des projets, à la condition d’être accompagné. Pouvoir parler et relire cette expérience, peut être chemin vers la responsabilité assumée d’un engagement, la prise en compte d’un rapport au temps, la construction d’une fidélité qui sort de la multiplicité des expériences accumulées pour accéder un peu à l’édification d’une personne. Guy Lescanne, dans le Documents Episcopat déjà cité, parle de faire aux jeunes " le cadeau de lieux de sécurité libérants". En effet, écrit-il, l’insécurité domine, il faut "susciter des lieux suffisamment solides pour être critiquables, des lieux suffisamment solides pour libérer des capacités d’initiatives."

3/ Le célibat, la solitude

Je voudrais simplement souligner ici que la peur du célibat et de la solitude est une peur réelle, une peur normale. Il ne faudrait pas la traiter seulement sous l’angle d’un obstacle institutionnel : "Le célibat, des prêtres en particulier, est un obstacle pour les vocations." Sans refuser, au contraire, les nécessaires débats ecclésiaux sur certaines de ces questions, je suis portée à croire que ce qui habite majoritairement des jeunes qui se posent la question d’une vocation spécifique, c’est une peur primitive : celle d’être aimé et d’aimer ; celle d’un possible épanouissement dans un état de vie qui n’est pas le choix de la majorité ; celle d’une solitude à assumer. Nous courons le risque de traiter la question d’un point de vue institutionnel en accordant trop peu d’importance à la question de fond : à cause du Christ et de l’Evangile, est-il possible d’assumer de manière féconde des choix humains spécifiques ?

Une autre peur apparaît en sixième position que je relie à celle-ci : quitter, abandonner, se séparer, laisser la famille, faire souffrir des parents. Il apparaît évident que si devenir prêtre, religieux ou consacré, n’apparaît pas comme une aventure humaine gratifiante, motivante, les renoncements nécessaires liés à telle ou telle vocation auront un poids trop lourd pour qu’une liberté puisse s’engager en terme de bonheur possible.En même temps qu’il y a à réfléchir sur des pratiques institutionnelles, il y a encore davantage à donner à voir qu’être prêtre, religieux, consacré, relève d’une participation au défi d’une proposition de la foi dans la culture actuelle. Autrement dit, les questions de célibat, le "tout quitter pour suivre Jésus", ne peut être rendu plausible, dans sa folie même, que si des images valables dans le contexte actuel peuvent étayer l’appel au ministère de prêtre, l’appel à la vie religieuse et consacrée, l’appel à une vie missionnaire.

4/ L’Eglise, ses fonctionnements, son vieillissement

Cette image d’une Eglise vieille, autoritaire, qui contraint, est fortement présente dans les mentalités et dans les médias. J’accueille volontiers ici les interrogations de Mgr Hippolyte Simon, dans son livre Vers une France païenne ? dont j’ai trouvé un écho dans le quotidien Ouest-France (édition Nantes) lors d’une journée de formation des chefs d’établissement catholique (30 août 2000) : "Les jeunes sont victimes de la pression sociale... ils ont l’impression d’être libres or, il suffit de regarder leurs tenues vestimentaires, ils sont manipulés... Ils remettent en question l’Eglise alors que ce sont souvent des certitudes entendues ici ou là." D’où une nécessaire éducation à la liberté.

Il me semble également important de sortir d’une vision pré-établie d’une Eglise qui serait vieille (l’est-elle davantage que la société ?), anti-évangélique, ringarde et du rêve d’une société parfaite ! Certes, il y a dans notre Eglise des lourdeurs, des erreurs, du péché mais cela ne peut occulter sa réelle fidélité à l’Evangile, l’amour de son Seigneur, son amour des petits et des pauvres, son inlassable courage missionnaire. Il m’est souvent arrivé de mettre des jeunes devant leur propre contradiction : ce qu’ils vivent - y compris en Eglise - est super, génial (c’est là leur expérience réelle) et ils ont un discours dépréciateur et négatif sur des points et des domaines qui leur sont étrangers.

5/ Ne pas être à la hauteur

Cette peur qui arrive en cinquième position me conduit à faire deux remarques : l’une concerne l’image que les jeunes ont d’eux-mêmes. C’est trop beau, trop grand pour moi, disent-ils lorsque certains évoquent des prêtres ou des religieux. Ils ont une conscience forte de leurs fragilités et de celles qui les entourent (famille, société, amis). On ne peut que se poser la question : comment les aider à ne pas douter à ce point d’eux-mêmes, à entrer dans une confiance juste en soi, dans les autres, en Dieu ? Nous nous trouvons devant une question qui comporte deux aspects apparemment contradictoires : comment être témoin sans disqualifier les auditeurs et comment l’être de manière suffisamment attractive, séduisante ?

La seconde remarque concerne les images idéalisées du prêtre, des religieux, des consacrés. S’ils vibrent et sont attirés par des témoins exceptionnels, les jeunes se trouvent en même temps inférieurs aux témoins ordinaires ! Nous pouvons interroger alors la pratique assez généralisée de l’écoute de témoins lors de temps forts d’un mouvement, d’une aumônerie. En effet, le témoin qui passe, et qui parle lors d’une soirée ou d’un après-midi est plus idéalisé que le témoin que l’on voit vivre, avec lequel on vit éventuellement. Ce pourrait être finalement assez pernicieux et susceptible d’entretenir ce sentiment que les vocations spécifiques sont exceptionnelles et réservées à des êtres d’exception ! Je ne pense pas que le seul partage des crises et des doutes pondère suffisamment ces effets.

Je garde la conviction qu’il y a aujourd’hui un déficit de connaissance réelle de ce qu’est un prêtre, un(e) religieux(se), etc. au profit d’images soit survalorisées soit dépréciatives ; il y a un déficit de connaissance par l’apprentissage de savoir-vivre qui initient, il y a un déficit de véritables relations adultes - jeunes (dans lesquelles chacun peut être ce qu’il est et rendre à l’autre le service d’être lui-même). Peut-être avons-nous là aussi à créer des lieux de vie où adultes et jeunes ont un certain "vivre ensemble" et créent un projet ajusté au réel possible, où chacun met son charisme au service de ce projet sans avoir à se préoccuper s’il est à la "hauteur" de l’autre ?

6/ Quitter, abandonner, se séparer, laisser sa famille, faire souffrir des parents

Comme je l’ai souligné plus avant, il me semble que cette peur réelle, normale ne peut être regardée en vérité que dans le contexte global d’un projet de vie où le bonheur et les motivations qui l’impliquent permettent d’envisager une véritable fécondité humaine et spirituelle. Peut-on s’inscrire dans un itinéraire inédit aux yeux de beaucoup sans qu’il y ait suffisamment de quoi susciter et dynamiser ?

7/ Décalage avec la société où croire est difficile

Si un certain nombre de peurs (la famille et le regard des autres, c’est ringard, décalages avec la société, les images médiatiques de la vie religieuse, être isolé parmi les autres jeunes, vivre la foi dans la société, croire est difficile) étaient regroupées autour d’un thème central comme : "croire aujourd’hui est difficile" et "des images négatives pèsent sur les jeunes", nous aurions le résultat suivant :

16 réponses en parlent et cela concerne près de 480 jeunes. Dans la hiérarchie utilisée pour le regroupement des peurs, c’est donc cet élément qui serait premier. Il serait en quatrième position quant au nombre de réponses.

Une telle importance accordée à l’image, au regard des autres rappelle la nécessité, pour les chrétiens que nous sommes, pour l’Eglise donc, d’être très attentifs à ce que nous en disons et aux surenchères auxquelles notre parole peut donner droit. Sans tomber dans le discours intemporel, éthéré, idéalisé, vivons-nous assez positivement notre propre foi en Eglise pour pouvoir donner à penser que les images véhiculées, à la fois porteuses de vrai et de faux, ne disent pas grand-chose de la vitalité spirituelle et apostolique de nos communautés ?

Cela nous rappelle également que si croire aujourd’hui peut être motivant, croire est difficile et demande du courage. Il est tout à fait symptômatique que Jean-Paul II, dans son discours aux jeunes des JMJ, lors de la veillée à Tor Vergata, le 19 août 2000 affirme ceci : "Croire en Jésus, suivre Jésus sur les pas de Pierre, de Thomas, des premiers Apôtres et témoins, exige de prendre position pour lui et il n’est pas rare que ce soit comme un nouveau martyre : le martyre de celui qui, aujourd’hui comme hier, est appelé à aller à contre-courant pour suivre le divin Maître, pour suivre "l’Agneau partout où il va" (Ap 14,4). [...] Chers jeunes, dans un tel monde, est-il difficile de croire ? En l’an 2000 est-il difficile de croire ? Oui, c’est difficile, on ne peut pas le nier..."

Peurs et attentes liées a une vocation spécifique

On peut dire que l’ensemble des réponses confirme des images habituelles de chacune des vocations spécifiques : prêtre seul et surchargé, vie monastique inutile et coupée du monde, vie apostolique vieillissante, vie consacrée séculière peu ou pas du tout connue (cf. tableau n° 5).

Tableau N° 5 : Attentes et peurs spécifiques à chaque vocation

Il n’y a pas de conclusion à cette petite enquête qui, dans sa modestie, peut donner à penser. En pensant à tous ces jeunes accueillis dans les SDV, ceux, bien plus nombreux qui cherchent mais ne savent pas à qui s’adresser, en pensant aux accompagnateurs, je citerai à nouveau Jean-Paul II, dans son homélie du dimanche 20 août, à Tor Vergata. "Chers jeunes, si nous sommes ici aujourd’hui, c’est parce que nous nous reconnaissons dans l’affirmation de l’apôtre Pierre : "Seigneur, vers qui pourrions-nous aller ? Tu as les paroles de la vie éternelle" (Jn 6,68).

Des paroles, il en résonne beaucoup autour de vous mais seul le Christ a des paroles qui résistent à l’usure du temps et qui demeurent pour l’éternité. La période actuelle de votre vie vous impose des choix décisifs : la spécialisation dans les études, l’orientation dans le travail, l’engagement même à assumer dans la société et dans l’Eglise. Il est important de se rendre compte que parmi les nombreuses questions qui se présentent à votre esprit, celles qui sont décisives ne concernent pas le "quoi". La question de fond est "qui" : vers qui aller, qui suivre, à qui confier sa vie. [...] Si l’un ou l’une de vous, chers garçons et filles, entend l’appel du Seigneur à se donner à lui pour l’aimer "d’un cœur sans partage" (cf. 1 Co 7,34) qu’il ne se laisse pas arrêter par le doute ou par la peur ! Qu’il dise avec courage son "oui" sans réserve, en se confiant à Celui qui est fidèle en toutes ses promesses ! [...] Vous porterez l’annonce du Christ dans le nouveau millénaire. En rentrant chez vous, ne vous dispersez pas. Confirmez et approfondissez votre adhésion à la communauté chrétienne à laquelle vous appartenez. De Rome, de la Ville de Pierre et de Paul, le Pape vous accompagne avec affection et, paraphrasant une expression de Sainte Catherine de Sienne, il vous dit : "Si vous êtes ce que vous devez être, vous mettrez le feu au monde entier" (cf. Lettre 368).

Je regarde avec confiance cette nouvelle humanité, qui se prépare par vous, je regarde cette Eglise sans cesse rajeunie par l’Esprit du Christ et qui aujourd’hui se réjouit de vos résolutions et de votre engagement."

Puissions-nous assez aimer les jeunes pour ouvrir, avec eux et pour eux, des chemins nouveaux afin que l’Evangile soit aujourd’hui proposé comme Parole de vie.

*

Annexe

Ce que les résultats chiffrés de l’enquête mettent en évidence de la situation des SDV et de leur mission.

On peut constater que près de 917 jeunes ont été accompagnés ou ont participé à un groupe de recherche, ou à une des propositions d’un SDV. Ce n’est pas rien. Cependant, si l’on n’ignore pas que ces chiffres concernent 56 réponses et correspondent aux jeunes rencontrés ces 3 ou 4 dernières années, on ne peut s’empêcher de se poser quelques questions. En effet, cela veut dire qu’il y a une moyenne de 4 à 5 jeunes par année à fréquenter les SDV. Ce n’est qu’une moyenne et le tableau récapitulatif permettra de repérer des écarts : de zéro jusqu’au plus fort chiffre annoncé, 76. Bien sûr, ici nous manquons d’éléments permettant une analyse plus fine et plus juste : il aurait été intéressant, en effet de mieux cerner les réponses concernant le nombre de jeunes rencontrés : dans tel ou tel cas (mais ce n’est pas la majorité) on peut se demander si le nombre transmis ne correspond pas au nombre de jeunes accompagnés par tel membre de l’équipe du SDV et non au nombre global de jeunes qui se sont adressés au service ; il aurait été intéressant également de mettre cette moyenne en correspondance avec des réponses émanant de diocèses à dominante rurale ou de diocèses à dominante urbaine.

Le forum de Lourdes sur les groupes de recherche avait également démontré que les propositions d’un SDV concernent des petits nombres et que ces nombres eux-mêmes sont fluctuants sur une même année (départs).

Alors, à quoi sert ce service diocésain qu’est un SDV ? Sans vouloir exagérer ces résultats ou leur faire dire plus qu’ils ne disent, force est de constater que l’institution SDV demeure quelque peu marginale ou donne une image tellement spécialisée qu’elle ne peut concerner que des unités. Bien des feuilles mentionnent, au fil des réponses : "l’étiquette SDV fait peur" !

Malgré les efforts déployés depuis des années pour intégrer le SDV dans le champ pastoral ordinaire et tout particulièrement dans celui de la pastorale des jeunes, il demeure non pas sous-occupé, car nous sommes témoins de ses activités, mais "sous-utilisé". Il me semble important d’attirer l’attention sur deux aspects des choses.

La première concerne la conjoncture actuelle : tant qu’un SDV gardera pour principale mission d’accompagner des jeunes qui veulent discerner leur vocation, son responsable et les membres des équipes garderont le sentiment de déployer des énergies considérables, d’utiliser des compétences et une expérience, pour de très petits nombres de jeunes.

La seconde concerne le sort tout à fait particulier fait à un service diocésain. Il n’est pas (ou si peu et si peu souvent), à la différence des autres services, sollicité par les diverses instances pastorales, en raison de sa mission et des compétences acquises ; lorsqu’il est question d’avenir des enfants et des jeunes ou lorsqu’il est question d’une vie baptismale qui peut se déployer dans la multiplicité des charismes.

Dans les faits, on en est arrivéà la situation suivante : un service diocésain qui assure ce que les relais pastoraux divers devraient assurer. Je fais l’hypothèse qu’une meilleure compréhension, par tous les chrétiens et particulièrement par ceux qui exercent une responsabilité, de la question des "vocations spécifiques dans l’Eglise", contribuerait à redonner à un SDV sa véritable mission : d’une part, être au service de toutes les instances pastorales pour tout ce qui concerne les questions de vocations. Par exemple : comment aider les instances de la catéchèse à faire une catéchèse qui initie des enfants à vivre leur vie comme une réponse à un appel et à connaître leurs dons et leurs charismes pour saisir quelle est leur vocation propre dans l’Eglise ? Comment aider tel mouvement ou telle aumônerie à situer les jeunes devant l’ensemble des vocations qui s’offrent à un chrétien, à chercher un projet de vie, etc. ? D’autre part, en raison d’une formation et d’une qualification, offrir à des jeunes, dont on pourrait supposer qu’ils sont envoyés grâce à des personnes habituellement en contact avec eux, les moyens d’un accompagnement et d’un discernement en vue d’une décision.