Donnons-leur envie !


entretien avec Denis Villepelet
directeur de l’Institut Supérieur de Pastorale Catéchétique

Nous repérons, depuis quelques années, que les étapes de maturation des jeunes ont changé, les mûrissements sont beaucoup plus longs ou les désirs de décision ultra-rapides. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

Effectivement, les étapes de maturation sont à différentes vitesses. Dans ce monde multiculturel, devenir une personne, s’assumer, est devenu un défi. La maturation est souvent très lente, ce qui est à mettre en relation avec une indécision très grande et une difficulté à se décider aujourd’hui. Il y a celui qui ne décide jamais et celui qui joue aux dés.

La capacité à choisir est quelque chose qui se mûrit. Les choix de vie se font pendant les années d’études supérieures ou pendant les premières années de vie professionnelle. Pour les 18-25 ans, au moment du choix lui-même, il est trop tôt ou trop tard.

Les précarités sont nombreuses dans notre monde : précarités familiales, scolaires, avenir professionnel incertain. Souvent, ces jeunes lancent un appel sur l’éducation : " Eduquez-nous ", ce qui ne veut pas dire : " Dites-nous ce qu’il faut faire ", mais soyez là, à côté de nous. Aujourd’hui, la difficulté majeure est d’être sujet. L’immaturité est grande. Les jeunes sont maintenus dans un certain "cocooning" : on pense pour eux, on décide pour eux. Pour permettre à des jeunes de 18-25 ans de faire un choix, il faut faire un travail en amont : l’ensemencement est à faire avant.

Quels sont les partenaires avec lesquels travailler ces questions ?

Il faut travailler dans toutes les instances de l’éducation :

  • les parents de jeunes enfants : il faut travailler avec eux sur leurs projets ;
  • les institutions ecclésiales (catéchèse, aumônerie, mouvements…) qui s’occupent de jeunes ;
  • les enseignants.

Nous vivons dans une société de l’abondance (abondance informative, abondance culturelle). Nos cerveaux ne sont pas faits pour gérer l’abondance, mais le manque ; or, si je choisis, je réduis. D’où cette difficulté à choisir.

Les parents

Un enfant ne peut pas aujourd’hui, en regardant ses parents, voir ce que sera son avenir. Auparavant, l’éducation était du côté de la transmission. Aujourd’hui, l’éducation doit développer la capacité de prendre des initiatives, de créer. Les adultes, mal à l’aise dans cette situation de transition, hésitent entre deux attitudes : soit ils "couvent" leurs enfants le plus longtemps possible pour les préserver, soit ils laissent faire.

Ils organisent l’emploi du temps de leurs enfants pour que chaque heure de la journée, de la semaine, soit occupée. Il faudrait au contraire faire faire aux enfants l’expérience de l’ennui, du pas tout programmé.

Par rapport à l’argent, le but de la vie est-il de gagner de l’argent ? Faut-il préférer une vie moins stressée, prendre le temps de vivre même si cela exige des sacrifices financiers ?

Le corps enseignant

Il faut travailler aussi avec le corps enseignant. La maturation, l’apprentissage du choix supposent, pendant l’enfance, l’épreuve de l’interdit et, pendant l’adolescence, l’épreuve de la transgression. Cet interdit est à la fois physique et symbolique. Il y a l’interdiction : " Non, tu ne feras pas. " Mais cette interdiction matérielle n’a aucun sens si elle n’est pas accompagnée de la verbalisation, de l’échange. Poser un interdit fait comprendre qu’il y a plusieurs routes possibles et permet une évaluation. La transgression, c’est la compréhension de l’intériorisation de cet interdit là qui va se poser comme règle.

Si le milieu éducatif, les parents ne m’ont jamais dit non, je ne peux pas gérer quand arrive l’âge des choix : mariage ou non, profession…, je n’ai pas les éléments pour le faire.

A l’école, on dit aux enfants : " Soyez inventifs, soyez capables de réadapter votre savoir. " Il faut travailler l’appel, le goût, le choix, l’envie, l’engagement, la fidélité. Dans une fidélité à l’autre, il y a une fidélité à soi-même.

Les communautés ecclésiales

Travaillons avec les communautés ecclésiales : la catéchèse, l’aumônerie de l’enseignement public, l’école catholique, la mission étudiante, les mouvements… Dans tous ces groupes, des propositions sont faites, on invente des choses.

Réfléchissons avec tous ces partenaires à l’éducation au choix. Je fais souvent des choix parce que quelqu’un m’a appelé :

- " Non, je ne serai pas capable. "

- " Allez, vas-y ! "

Ce dont les enfants, les jeunes ont besoin, ce sont d’adultes qui les mettent en vie, de personnes qui mettent la main à la pâte et qui sont, par leur vie même auprès des jeunes, des témoins.

Souvent, dans nos rassemblements d’Eglise, nous faisons intervenir des témoins. Le témoin doit-il être modèle ?

Les jeunes ont souvent un sentiment très fort de ne pas être à la hauteur. Le témoin ne doit pas être une personne exceptionnelle, hors du commun. C’est l’accompagnateur, l’adulte qui vit avec eux. Il dit son cheminement mais il dit aussi ses difficultés et le chemin qu’il a pris pour les résoudre. Il faut qu’un prêtre, une religieuse, une personne mariée puisse dire simplement : " Je suis heureuse de ce que je vis, d’être ce que je suis " et attester qu’elle peut vivre dans ce monde-là. " J’ai les mêmes interrogations, parfois les mêmes angoisses, mais je suis un vivant ! "

Dans les familles où le couple va à peu près bien, dans les classes où le professeur est bien dans son rôle, les jeunes rencontrent des témoins, ils sont accompagnés.

Dans nos circuits "Service des Vocations", les groupes de recherche sont un de ces lieux d’accompagnement. A quoi faut-il être attentif ?

Les jeunes doivent toujours pouvoir bénéficier de deux types d’accompagnement :

  • l’accompagnement personnel de quelqu’un ;
  • un accompagnement plus éducatif dans lequel l’accompagnateur favorise la confrontation, la relation adulte-jeune et la relation entre jeunes. La vie de groupe permet une confrontation entre les membres du groupe. Le groupe permet une autonomisation et une socialisation.

Pour cet accompagnement, il faut une équipe, il faut être au moins quatre. Quand il y a deux personnes, il y a "je" et le "tu". Quand il y a trois personnes, la troisième est souvent exclue. Dans une groupe de quatre, le "il" va jouer. Ces lieux sont faits pour permettre la naissance de soi-même. Ils doivent permettre le passage du "on" au "je".

L’individualisation, le repli sur soi sont une impasse. C’est au sein des communications dans lesquelles il lui est donné d’entrer qu’un sujet mûrit dans sa capacité à répondre à l’autre.

Par rapport à la crise des vocations dont on parle beaucoup aujourd’hui, que diriez- vous pour conclure ?

L’Esprit souffle toujours. Un certain nombre de formes de vie sont en train de disparaître. Regardons telle ou telle congrégation : pouvons-nous dire que cette forme de vie aujourd’hui est une vie enviable, qui " donne envie " ?

Il y a une transformation dans la vie religieuse comme dans la vie des prêtres : cette transformation est souvent due aux jeunes. Faisons-leur confiance. La vie pastorale se transforme. Evitons de parler de " crise " tout en assumant cette crise. Il y a une théologie qui nous aide à comprendre et à vivre ce temps de crise (1).

propos recueillis par Brigitte Riche

Notes

1. Sur la proposition de la foi, Henri-Jérôme Gagey et Denis Villepelet, éd. de l’Atelier, Paris 1999. [ Retour au Texte ]