L’éducation au choix avec les tout-petits


Brigitte Riche
Membre de l’équipe SNV

C’est en tant que mère de famille d’une part, en tant qu’ancienne responsable de l’éveil à la foi dans mon diocèse que je me permets de prendre la parole sur ce sujet. Deux faits d’abord qui m’ont marquée et ont sûrement influencé nos choix en matière d’éducation :

  • Pour notre messe de mariage, nous avions choisi comme évangile le chapitre 15 de saint Jean et le prêtre qui a commenté ce texte nous a fait remarquer qu’il comportait cinq fois le mot "commandement", qui n’était pas tout à fait dans l’air du temps dans les années qui ont suivi les événement de mai 68. Il comportait également de nombreuses fois le mot "amour" et ce texte vient en écho au texte du Deutéronome : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. Ces commandements que je te donne aujourd’hui resteront dans ton cœur" (Dt 6, 5-6).
  • Un de nos premiers engagements de couple fut la préparation au baptême, et l’une des grandes questions qui revenait à l’époque - et qui n’a pas disparu aujourd’hui - était la suivante : en demandant le baptême pour nos enfants, est-ce que nous entravons leur liberté ?

Dans toute éducation, les parents font des choix pour leur enfant :

      • choix de lui donner la vie,
      • choix de l’allaiter ou non,
      • choix de lui donner des horaires stricts ou de suivre son rythme,
      • choix de le coucher sur le ventre ou sur le dos,
      • choix de l’élever complètement ou de le confier à des structures d’accueil si les deux parents travaillent,
      • choix de la halte-garderie, de la crèche, de la nourrice ou de l’école dès deux ans,
      • choix de l’école publique ou catholique…

Evidemment, l’importance de ces choix est très inégale et les modes changent. Les parents cherchent à donner à leur enfant ce qui leur semble le meilleur pour lui.

Pendant la grossesse, une relation très étroite existe déjà entre la mère et son enfant. Dès la naissance, le bébé a besoin de sentir près de lui la présence de quelqu’un qui l’aime ; la tendresse de ses parents est indispensable à son développement harmonieux. Le tout-petit entre en contact avec le monde qui l’entoure par les mots qu’il entend : dès la naissance, il est plongé dans un "bain de langage" et c’est ainsi qu’il apprend à parler. Nous ne savons pas ce qu’il a compris, mais nous savons que l’enfant est capable de comprendre un message, d’exécuter une consigne simple, bien avant de savoir parler. La compréhension précède le langage. Et c’est ce langage dans lequel nous nous adressons à lui qui va lui permettre de communiquer avec nous. Dans cette première période, c’est l’imprégnation qui domine et cette imprégnation est le fait de l’entourage proche : les parents, les aînés de la famille.

Avec l’acquisition de la marche indépendante s’opère un changement qui entraîne une évolution psychologique très rapide. L’enfant prend dès lors beaucoup plus d’initiatives. Vers dix-huit mois ou deux ans, il entre dans l’âge du "non" et s’oppose à tout. En même temps, il commence à vouloir faire "tout seul" : il veut manger tout seul même s’il met la moitié de l’assiette par terre, il veut marcher tout seul sans donner la main, il veut s’habiller tout seul. Les parents sont tentés de s’opposer à ces initiatives de l’enfant : cela va tellement plus vite de lui donner à manger, de le porter dans les bras !… Dès cet âge, son cadre de vie s’élargit : il va à la crèche, à l’école maternelle. D’autres adultes s’occupent de lui. Il découvre le monde des enfants de son âge. Dans sa famille, il trouve une certaine vision de l’homme et du monde mais, très tôt, il est confronté à d’autres propositions : celles de l’école, des loisirs, des médias et en particulier de la télévision. Ses grands-parents n’ont pas toujours la même vision que ses parents. Et l’enfant doit pourtant se construire et élaborer sa propre échelle des valeurs. A quoi être attentif dans ces premières années ? Quels objectifs pour l’éducation ?

Faire grandir la personnalité de l’enfant

Pour lui permettre de s’engager de façon responsable dans la vie, il s’agit de faire grandir toute la personne : éducation du corps, de l’esprit, de l’intelligence, du caractère, du cœur. Il faut faire prendre conscience à l’enfant de ses potentialités, lui apprendre à maîtriser l’angoisse qui accompagne tout changement, faire l’apprentissage de l’autonomie le plus tôt possible mais de façon progressive.

Il est plus facile et plus rapide d’habiller l’enfant plutôt que de le laisser s’habiller tout seul. Quand il apprend à faire du vélo tout seul, il faut gérer son inquiétude de père ou de mère et le pousser à remonter sur son vélo même s’il est tombé, même s’il a l’impression qu’il n’y arrivera jamais. La vie est un risque perpétuel et être incapable d’oser ne prépare pas à prendre des décisions à l’âge adulte.

Dans le choix des loisirs, que privilégie-t-on ?

      • le développement d’un corps harmonieux : la danse, le judo, le football…
      • un esprit bien fait : l’anglais dès la maternelle…
      • les propres envies de parents.

Et quand l’enfant est engagé dans une activité,

      • le soutient-on pour qu’il continue ?
      • l’excuse-t-on pour n’importe quel motif ?
      • lui permet-on d’abandonner en cours d’année ?

Socialiser l’enfant

C’est le rendre capable de s’insérer dans les communautés humaines auxquelles il appartient, lui faire découvrir qu’il existe des règles du jeu dans toute relation entre les hommes.

Au début de la vie, pour l’éducation à la nourriture, à la propreté, on apprend le oui et le non, le permis et le défendu. L’enfant apprend à se diriger pour faire plaisir à ses parents. Puis quand il grandit, petit à petit, on lui explique le pourquoi de nos choix. Bien sûr, les règles ne doivent pas supprimer tout espace de liberté, mais l’espace de liberté évolue en fonction de la maturation de l’enfant.

L’enfant découvre aussi très vite la différence : la différence entre papa et maman, entre les garçons et les filles, la différence de race, de culture, de religion. L’éducation doit ouvrir l’enfant à ces différences, à l’acceptation de l’autre qui est différent de lui.

La vie sociale exige la participation de tous ; elle apprend le respect des engagements, le sens de la responsabilité, du service. Les enfants sont-ils habitués à prendre leur part de la vie de famille : mise de la table, rangement de sa chambre ou préparation de la prière un soir ? Les enfants acceptent-ils les engagements de leurs parents ?

Inviter au bonheur

L’éducation doit ouvrir des pistes et témoigner par l’exemple que ce sont des pistes d’avenir pour celui qui veut être heureux. "Les parents doivent former leurs enfants au sens des valeurs essentielles de la vie humaine. Les enfants doivent grandir dans une juste liberté devant les biens matériels, en adoptant un style de vie simple et austère, bien convaincus que l’homme vaut plus par ce qu’il est que par ce qu’il a 1."

Le travail

Le travail est une de ces valeurs essentielles. Sa finalité est de transformer le monde pour l’humaniser. Les petits enfants découvrent la valeur du travail bien fait dans le jeu qui est pour eux un "travail" : aller jusqu’au bout d’un puzzle, terminer un coloriage, ranger le jeu après y avoir joué.

Ils découvrent aussi le travail à travers celui de leurs parents, à travers la façon dont ils en parlent : leur travail les rend-ils heureux, est-il seulement un moyen de faire vivre la famille, les éloigne-t-il de leurs enfants ?

L’éducation à l’amour

Les enfants font l’expérience, dans la relation qui unit leurs parents, de ce qu’est l’amour. Bien avant de pouvoir exprimer ce sentiment par des mots, ils savent ce que c’est que d’être porté dans les bras, serré, consolé, embrassé. Ils comprennent petit à petit que cet amour est don de soi, oubli de soi. Ils découvrent aussi petit à petit que cet amour a de multiples facettes : amour filial, amour paternel ou maternel, amour fraternel. Ils expérimentent la jalousie.

L’éducation à l’amour est une tâche qui revient aux parents et qui commence très tôt : les enfants vont se découvrir doués d’une psychologie à la fois riche et complexe, d’une personnalité particulière avec ses forces et aussi ses faiblesses. Les parents, en formant le caractère de leurs enfants, inculquent petit à petit la maîtrise de soi, la manière de considérer et de rencontrer les autres. Les parents n’y songent pas toujours, mais c’est au sein de la famille que le discernement de la vocation commence. "La sexualité, en effet, est une richesse de la personne tout entière - corps, sentiments et âme- et manifeste sa signification intime en la portant au don de soi dans l’amour 2."

C’est dans la vie de famille que les enfants sont peu à peu initiés à leur future vocation. S’ils vivent auprès de parents heureux, s’ils rencontrent grâce à leur famille des prêtres heureux, s’ils peuvent parler avec leurs parents des échecs de l’amour, des difficultés vécues par certains couples, ils seront conduits à la connaissance des normes morales nécessaires à une croissance personnelle responsable.

La relation avec Dieu

Comme les enfants ont découvert l’amour dans la relation qui unit leurs parents, ils découvrent l’amour de Dieu dans l’éducation chrétienne qu’ils reçoivent. Eveiller un enfant à la foi, c’est lui dire que Dieu est toujours avec lui, qu’il l’aime et qu’il est toujours prêt à l’écouter. La foi, ce n’est pas d’abord un système de pensée, un ensemble de rites : c’est d’abord et avant tout une rencontre et une vie avec Dieu. L’éveil à la foi est lié à l’éveil à la vie. Il doit imprégner toute cette vie. Mais il y a aussi les moments d’une annonce explicite.

Tout petits, les enfants peuvent découvrir cette relation avec Dieu dans la prière : ses parents parlent à quelqu’un et ils l’associent à leur prière. On ne fait pas prier les enfants, on prie avec eux.

De même, les parents peuvent lire la Bible avec leurs enfants. Il y a beaucoup de documents utilisables aujourd’hui pour mettre à la disposition des parents et enfants la Parole de Dieu. Raconter une histoire le soir est souvent un moment fort dans la famille. Et quelquefois, les parents choisissent de raconter une "histoire de Jésus". Souvent des parents m’ont demandé : "Quelle différence les enfants vont-il faire entre une histoire profane et le texte biblique ?" Je crois qu’ils ne s’y trompent pas, car on ne raconte pas de la même manière Boucle d’or et les trois ours ou un récit évangélique. Ce Jésus dont on parle dans l’Evangile, on s’adresse à lui dans la prière, on entend parler de lui à l’église. Si les enfants sentent que ce Jésus est vraiment une personne vivante pour leurs parents, ils ne feront pas de confusion.

La relation à Dieu se vit dans la famille mais elle se vit aussi dans l’Eglise. Et les enfants expérimentent cette dimension ecclésiale en se familiarisant progressivement avec la liturgie (à la messe le dimanche, à l’occasion de baptêmes ou de mariages familiaux), en s’intégrant au groupe d’éveil à la foi de la paroisse, en rencontrant d’autres chrétiens que leurs parents et des prêtres, des religieuses…

Conclusion

Dans toute éducation il faut, me semble-t-il, concilier deux mots : autorité et liberté. La tâche éducative des parents trouve ses racines dans sa participation à l’œuvre créatrice de Dieu, elle trouve sa source dans le sacrement de mariage qui les consacre à l’éducation proprement chrétienne des enfants et les appelle donc à participer à l’autorité et à l’amour même de Dieu Père et du Christ Pasteur, tout comme à l’amour maternel de l’Eglise, afin qu’ils puissent aider leurs enfants dans leur croissance humaine et chrétienne. La juste autorité 3, celle du Christ dans l’Evangile, permet à l’enfant de poser ses repères et de faire des choix pour devenir adulte à son tour.

La liberté ne se conquiert pas en un jour. Eduquer un enfant, c’est l’aider à ne pas dépendre de ses envies, de ses caprices, c’est l’aider à renoncer au "tout, tout de suite". L’éducation apprend à l’enfant à passer de la dépendance totale à une autonomie progressive qui va lui permettre de se construire, de s’épanouir, d’être à son tour créateur et d’aimer. Etre vraiment libre, ce n’est pas faire n’importe quoi ; ce n’est pas faire tout ce dont on a envie, quand on en a envie ; c’est plutôt vouloir profondément, de façon personnelle, ce qu’on fait. C’est être capable de faire des choix quelquefois risqués et d’aller jusqu’au bout de ses engagements.