L’éducation au choix avec les 8-12 ans


Geneviève de Taisne
psychothérapeute, professeur à l’Institut Catholique de Paris

Comment aider des enfants de 8-12 ans à se structurer ?

Quatre éléments fondamentaux assurent notre fondation et nous structurent : le corps, la parole, la relation, l’imaginaire. Ces quatre éléments sont en permanence en interaction et s’articulent entre eux.

Ces éléments interviennent-ils quand il y a un choix ?

Tout choix est inscrit dans un désir, dans un besoin. Apprendre à écouter, à discerner ses désirs ou ses manques demande qu’on puisse avoir développé son imaginaire et ses sentiments.

Ces différents éléments sont indispensables au bon développement de l’enfant et assureront plus tard la capacité de choix.

Cela veut-il dire qu’il faut respecter les sensations de l’enfant ?

Oui, à cet âge, les enfants sont actifs, dégourdis, serviables. Ils sont épris d’activité et attirés par le groupe. Ils ont besoin d’apprendre à s’arrêter dans leur course et de prendre le temps nécessaire pour penser, réfléchir, regarder. Les enfants ont à être respectés dans leur corps et leur personnalité dès le plus jeune âge. Si un enfant est respecté dans son corps, il découvre la valeur de la pudeur et le respect de l’autre.

Quel est le rôle de la parole ?

La parole met de la distance entre les personnes, elle évite la relation fusionnelle. Les enfants acquièrent une indépendance assez réelle, ils affirment leurs goûts et sont capables d’observer, d’analyser, de comprendre, de porter un jugement ou de déclarer que ce n’est pas leur affaire. Ils critiquent les adultes, souvent avec justesse. Chacun doit devenir sujet et habiter son "je". Une autre fonction de la parole est de nommer. Le nom est très important : il ouvre la possibilité à l’enfant d’avoir sa propre destinée. Le choix du nom n’est jamais neutre : il est toujours investi d’un idéal, d’une identification qui seront acceptés ou non par l’enfant. Dans les récits bibliques, la vocation est parfois accompagnée d’un changement de nom : Abraham, Pierre. A la suite de thérapies, on voit des adultes changer de prénom, pour indiquer le choix d’une autre destinée.

A quel âge commence-t-on à se construire un système de valeurs ?

C’est entre 8 et 12 ans que l’enfant commence à prendre son autonomie et à acquérir des schémas de réflexion et de comparaison. Il relativise alors les règles et les interdits des parents que, plus petit, il respectait à la lettre. Il se rend compte que les lois appliquées par ses parents ne sont pas les mêmes que celles de l’école ou des familles de ses camarades. Il se rend compte de la diversité des codes. Il réalise qu’il peut transgresser certaines lois sans qu’il lui arrive quelque chose. Il s’affranchit de ces lois. S’il triche, vole, raconte des histoires, il réalise alors qu’on ne peut plus lui faire confiance, qu’il perd ses amis… Cette expérience l’amène à réfléchir à l’impact du respect de l’interdit sur ses propres relations sociales. Ces transgressions sont nécessaires pour permettre à l’enfant de réfléchir, de comprendre le sens et d’intérioriser un système de valeurs.

Quelle est la part de l’autorité dans cette éducation ?

Aujourd’hui, certains parents ne se reconnaissent pas le droit d’avoir une autorité : ils proposent et l’enfant dispose, parfois même exige… Si les parents laissent à un enfant de 8-12 ans le libre choix de ses lois, il les recherchera alors dans des équipes sportives ou associatives, dans l’immédiat, ou même dans la société. Aujourd’hui, ce sont souvent des chanteurs ou des acteurs qui donnent aux jeunes des leçons de morale, par exemple sur la drogue, l’amour et les préservatifs.

Paradoxalement, plus il gagne en autonomie, plus l’enfant a besoin de lois et d’interdits pour baliser sa route et se sentir en sécurité. Et les adultes ont un rôle important à jouer.

Souvent aujourd’hui, le climat à la maison est envahi par la réussite sociale, l’argent, le stress, le chômage. La peur de ne pas réussir peut entraîner des enfants à tricher, afin de répondre à cette nouvelle hiérarchie des valeurs.

Les interdits sont transmis par la parole mais aussi par l’exemple, par ce qui se vit ; l’autorité éducatrice et structurante va venir de la cohérence entre la parole et l’exemple. A ce moment-là, elle structurera l’idéal de l’enfant.

Comment se constitue cet idéal ?

Il se constitue selon différentes étapes :

  • par imitation chez les tout-petits
  • par identification : aux parents d’abord, au modèle ensuite, à travers le groupe ou des héros.
  • "J’aimerais être comme…" : l’enfant se constitue en imitant, en jouant. Il construit peu à peu son propre modèle d’être. Les histoires, les films peuvent être un bon support, la Bible aussi car elle est remplie de héros. Ces héros ne sont pas parfaits ; ils permettent d’intégrer la composante de l’échec. Les héros ou les saints sont comme nous, ils ont des qualités mais aussi des défauts.

Aujourd’hui, les séries télévisées prennent le relais. Quel idéal véhiculent-elles sur le plan des choix affectifs ou des choix de vie ? Il est intéressant de regarder ces séries avec les enfants et d’en discuter avec eux.

Pour les 8-12 ans, le groupe est aussi un lieu d’identification, de réalisation ; ils aiment "être ensemble" et découvrent d’autres valeurs : la solidarité, la justice. C’est un âge où l’enfant commence à se décentrer et à s’ouvrir aux autres.

Quel est le rôle joué par l’école ?

A l’école, l’enfant apprend à s’adapter à la vie en société. C’est un lieu moins protégé que la famille. Il faut y "faire son trou" et les critères d’intégration sont variables. En cours élémentaire, on est bien vu si on apporte des jeux à la récréation ; en cours moyen, les vêtements deviennent quelquefois un critère d’appréciation ou de discrédit.

Les valeurs familiales peuvent même être contredites… Pour s’adapter à cette première cellule sociale, les enfants doivent aussi se faire respecter. Or, à 8-12 ans, beaucoup d’entre eux n’osent pas se dire différents des autres de peur d’être rejetés. Avec le risque, si on ne les aide pas à s’affirmer, de reproduire ces peurs plus tard dans leur vie adulte, face à des collègues ou à un supérieur. A l’école aussi, les enfants forgent leurs valeurs en réaction à des transgressions : ils veulent se mettre uniquement à côté de ceux qui ne trichent pas ; une classe peut découvrir la solidarité face à un instituteur qui a pris un enfant en grippe. L’école confronte l’enfant avec la dureté du monde. Cette confrontation, si elle peut être réfléchie à la maison, parlée, est très formatrice. Elle montre la nécessité de choisir des valeurs, des références.

Les enfants ont besoin d’un modèle éducatif qui donne une structure de pensée, une "colonne vertébrale". Ce type de modèle a suscité beaucoup de critiques : risque d’étouffer l’enfant et sa vitalité, risque que le transmetteur prenne le visage d’une toute-puissance et que le modèle soit rejeté. Dans la relation éducative, il est important que chacun parle en tant que sujet, en "je". C’est ce "je" qui sera écouté. En même temps, éduquer c’est laisser un espace de liberté pour permettre à l’autre de trouver ses propres marques. Nous pouvons donner des repères, mais c’est l’enfant qui chemine. L’éducateur montre des balises, il croit en la capacité de chacun à trouver son propre chemin.

A cet âge, des enfants se posent la question d’une vocation. Que leur dire ?

A 8-12 ans, l’enfant cherche à s’informer, à comprendre ce qu’est une vocation religieuse, à faire des rencontres. Il chemine petit à petit. Or, les enfants n’ont pas souvent l’occasion de rencontrer des prêtres ou des religieux. Il est souhaitable de favoriser les contacts dans une atmosphère festive, d’organiser des temps forts en incitant les enfants à rencontrer des religieux dans une communauté, de s’appuyer sur des récits de vie. Les enfants ont besoin d’avoir une information vraie à la fois sur les difficultés et les joies qu’entraîne un tel choix, de s’identifier à des vies et d’en comprendre le sens. Il peut être important de dire à l’enfant que Dieu sera présent dans son choix et que la vocation consiste en un accomplissement de ses talents. A cette condition, elle est chemin de bonheur.

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En résumé, à cet âge, l’enfant pour se construire doit être bien dans son corps, pouvoir exprimer ses désirs, être en relation avec des partenaires différents (parents, camarades, école, activités…) et continuer à nourrir son imaginaire. Il a fondamentalement besoin que l’autre le reconnaisse comme sujet. Dans le domaine de la foi, il découvre qu’il est en communication avec un Dieu qui le désire et l’aime tel qu’il est, avec ses faiblesses et ses talents. Plus l’enfant pourra grandir en trouvant sa personnalité, plus il aura la capacité de choisir un chemin qui sera le sien.

propos recueillis par Brigitte Riche