Source de la vocation au ministère presbytéral


Père Bernard XIBAUT
responsable du Service Diocésain des Vocations de Strasbourg

" Dans l’intimité de l’Eucharistie, certains découvrent qu’ils sont appelés au ministère de l’Autel..." : ainsi s’exprime le pape Jean-Paul II dans le message qu’il adresse à tous les chrétiens à l’occasion de la dernière Journée Mondiale de prière pour les vocations. Puis il poursuit sa phrase en énumérant d’autres vocations qui trouvent, selon lui, leur source dans ce même sacrement.

En apparence, c’est bien le ministère du prêtre qui apparaît comme étant le plus organiquement lié à l’Eucharistie, dans la mesure où le prêtre est seul appelé à présider cette Eucharistie au service des autres croyants.

Cependant, raisonner ainsi peut réduire notre réflexion à une dimension plus sensible que théologique. Il est probable que nombre de vocations au presbytérat sont nées dans le cadre de la célébration eucharistique, alors qu’un enfant ou qu’un jeune regardait un prêtre célébrer la messe avec ferveur. Mais il serait vraiment réducteur d’en rester à ce seul processus d’imitation.

Notons d’ailleurs que le Pape, en parlant de "ministère de l’Autel", ouvre la perspective à d’autres ministères, notamment celui du diacre... et del’évêque !

Dans cet article, nous allons souligner d’abord les limites d’une approche qui lierait de manière trop réduite Eucharistie et ministère de prêtre. Nous montrerons que les diverses manières d’envisager la célébration de l’Eucharistie engendrent des images assez différentes du ministère du prêtre, donc des types d’appel diversifiés. Nous verrons enfin de quelle façon une approche "spirituelle" de l’Eucharistie est susceptible de renouveler aussi l’appel au ministère de prêtre.

La place du prêtre dans l’Eucharistie

Le concile Vatican II a souhaité renouer avec une théologie de l’Eucharistie et du prêtre que de longs siècles avaient quelque peu occultée. Le Moyen-Age avait élaboré une théologie de la messe de laquelle la communauté avait quasiment disparu. Le prêtre était présenté exclusivement comme cet autre Christ qui renouvelait le sacrifice du Christ sur la croix. Il "célébrait" la messe à laquelle assistaient, plus ou moins passifs, des fidèles qui avaient successivement perdu l’habitude de communier au calice, puis à l’hostie. Tout au plus se contentaient-ils de contempler celle-ci lorsqu’elle était élevée après la consécration. De plus, la forte demande de prières pour les défunts avait abouti à l’ordination massive de prêtres dont l’unique obligation consistait à célébrer chaque jour le sacrifice de la messe en mémoire de tel ou tel bienfaiteur. La critique de la Réforme aura paradoxalement abouti à la réaffirmation solennelle de ce modèle par le Concile de Trente, si bien qu’il est possible encore aujourd’hui de parler de "messe tridentine" 1.
Il est clair que la place du prêtre est centrale dans cette vision de la messe qui peut d’ailleurs garder son sens même s’il y est seul présent. On peut imaginer qu’un jeune enfant servant la messe puisse se sentir appelé à renouveler à son tour le sacrifice de la croix de cette manière, d’autant que cette théologie s’accompagne de l’idée que la multiplication des messes produit un surcroît de grâces pour l’Eglise et pour le monde. Plus il y a de messes, plus il y a de grâces et, puisqu’en dehors de quelques exceptions, le prêtre ne peut célébrer qu’une messe par jour, le nombre de grâces est subordonné au nombre de prêtres 2.

La perspective de Vatican II, nourrie des nombreuses études historiques et patristiques menées les décennies précédentes, élargit considérablement cette perspective. Tout d’abord, elle renouvelle la vision des ministères en établissant la sacramentalité de l’épiscopat (Lumen Gentium, n° 21). L’évêque avait longtemps été considéré comme une sorte de "prêtresupérieur" se distinguant des autres par le seul pouvoir de juridiction. La célébration de la messe était donc envisagée comme relevant d’abord du prêtre, la présence de l’évêque ne lui apportant qu’un élément purement cérémoniel (la messe pontificale). Désormais, la perspective est inversée : la messe plénière est désormais celle que l’évêque célèbre, lui qui est revêtu de la plénitude du sacrement de l’ordre. L’évêque n’y est pas seul : il est entouré de l’ensemble des ministères et états de vie qui existent dans la communauté chrétienne, à commencer par les prêtres et les diacres. La restauration de la concélébration (Sacrosanctum Concilium, n° 57), conçue d’abord comme une manière d’associer les prêtres à la messe présidée par l’évêque, constitue le deuxième élément fort de ce changement d’accent. Avec Vatican II, le ministère de prêtre passe donc du singulier au pluriel 3, tandis que le prêtre perd sa place centrale dans la théologie des ministères et la célébration de l’Eucharistie au profit de l’évêque.

L’image que le concile a voulu privilégier, c’est celle d’un peuple de Dieu rassemblé dans la célébration autour de son pasteur et exprimant la complémentarité de ses membres. Cette image, il l’a puisée dans les lettres d’Ignace d’Antioche et dans un certain nombre de textes patristiques dont l’Orient n’avait jamais perdu la mémoire ; tous doivent tenir en estime "la participation plénière et active du peuple de Dieu... dans la même Eucharistie, dans une seule prière, auprès de l’autel unique où préside l’évêque entouré de son presbyterium et de ses ministres 4" (Sacrosanctum Concilium, n° 41).

Ce serait donc une vision tronquée que d’imaginer un jeune rêver d’un ministère de prêtre célébrant solitairement une messe envisagée dans un cadre simplement sacrificiel. En revanche, la célébration de l’Eucharistie, surtout lorsqu’elle rassemble le Peuple de Dieu qui est en un lieu autour de l’évêque, constitue bien un appel à toutes les vocations, dont celle de prêtre, collaborateur de l’évêque dans la communion de l’unique sacrement de l’ordre. En ce sens, le document * de Jean-Paul II souligne avec bonheur dans son paragraphe 2 que l’Eucharistie permet à chacun de "construire, dans la diversité des charismes et des vocations, l’unique Corps du Christ dans l’histoire."

Cette phrase heureuse fait d’autant plus regretter le rétrécissement de perspective du document, au paragraphe suivant. L’Eucharistie s’y trouve qualifiée de "Sainte Messe qui rend sacramentellement présent le sacrifice de la croix", ce qui est profondément vrai mais qui réduit la richesse de l’Eucharistie à une seule de ses résonances. La ligne suivante poursuit : "[le Christ] vient à nous dans la sainte communion et demeure dans les tabernacles de nos églises." On aurait souhaité que tout cela soit situé, non seulement dans la perspective du fidèle individuel qui communie et qui adore, mais dans une dimension ecclésiologique : la construction du Corps du Christ. On aurait aimé que l’aspect de rassemblement soit souligné, on aurait apprécié que la liturgie de la Parole soit évoquée. On sait tous les efforts de la réforme liturgique pour rétablir celle-ci dans sa dignité et dans son importance. C’est un élément essentiel du ministère du prêtre que celui de la proclamation de la Parole de Dieu et de la prédication. Pourquoi donc se limiter au seul "ministère de l’Autel" alors qu’il y a bien "deux tables" à la messe et que l’annonce de la Parole constitue, elle aussi, un puissant appel adressé aux chrétiens ?

Quels prêtres pour quelle Eucharistie ?

Nous venons de voir que la vision de la messe comme "renouvellement du sacrifice du Christ" a entraîné une image particulière du ministère du prêtre, donc d’appel à ce ministère. A force d’insister sur le sacrifice, la prêtre prend la place centrale, à tel point que l’assemblée devient inutile, ou simplement spectatrice. L’aspect dramatique de la messe est souligné par la mise en valeur d’un crucifix où le Christ apparaît dans sa souffrance. Dans ce modèle, l’attitude du prêtre tournant le dos à l’assemblée est parfaitement compréhensible, car il s’agit pour lui d’entraîner toute l’assemblée dans un mouvement d’ascension vers le ciel. L’usage du latin n’est pas gênant, puisque le prêtre y est un médiateur qui parle au nom du peuple. La messe peut même être "basse", pourvu qu’un coup de clochette vienne rappeler le moment solennel où les regards doivent s’élever vers l’hostie, avant de se courber dans une profonde vénération. Ce type de messe, nous nous permettons de l’appeler "la messe du Vendredi", dans la mesure où l’accent y est essentiellement mis sur le sacrifice du Calvaire, le Vendredi Saint.

Dans les années qui ont suivi le Concile, de profonds bouleversements ont affecté la célébration de la messe, les uns promus officiellement par la réforme liturgique, les autres, comme le retournement des autels, entraînés par un mouvement unanime.
En fait, on ne s’est pas toujours suffisamment interrogé sur les profonds changements d’orientation qu’entraînaient certaines modifications apparemment purement rituelles : changements dans la perception de la célébration, mais aussi dans la compréhension du prêtre.
Passer d’un autel en pierre fixé à un mur et juché en haut de marches, où un prêtre élève un calice en or, à une table en bois placée au milieu des bancs de l’assemblée, avec des coupes en terre cuite, c’est passer d’une messe conçue d’abord comme un sacrifice à une Eucharistie envisagée surtout comme un repas. On disait que le prêtre "célébrait" la messe ; désormais, on dit qu’il la préside, dans la mesure où toute l’assemblée, à présent proche physiquement de lui, est censée "célébrer" sa foi.

Le concept de "présidence" renvoie aux pratiques du repas juif, longuement étudiées par Louis Bouyer 5, mais aussi à la description de l’Apologie de Justin. Hervé Legrand a bien montré que la perspective de l’Antiquité chrétienne était de lier la présidence de l’Eucharistie et celle de la communauté 6.
A cette image du prêtre correspond donc une autre pastorale des vocations. Il ne s’agit plus d’appeler des jeunes à célébrer l’Eucharistie dans un contexte de dévotion individuelle et de renouvellement de grâces, mais à présider des communautés de chrétiens, cette présidence trouvant sa source et son aboutissement dans la présidence de l’Eucharistie. On peut trouver une allusion à cette compréhension dans le quatrième paragraphe du document pontifical, lorsqu’il demande "que chaque communauté comprenne que l’Eucharistie est son centre et qu’elle a besoin de ministres du sacrifice eucharistique" : le vocabulaire reste sacrificiel, mais l’accent est mis sur le besoin de la communauté.

Notons cependant les limites de cette présentation de la messe que l’on pourrait qualifier "du Jeudi Saint", puisque l’insistance est placée sur le repas.
Tout d’abord, un certain nombre de prêtres formés à l’ancienne liturgie ont cru qu’il leur suffirait de "passer de l’autre côté" de l’autel, sans se rendre compte que cela entraînait un total changement de mode de célébration. Là où ils étaient habitués à réciter des formules en latin à voix plus ou moins basse, il leur faut désormais faire face à l’assemblée, tout en continuant à s’adresser la plupart du temps au Père. On voit bien, à la manière de certains célébrants, qu’il leur est difficile de manier la distinction entre ce qui est de l’ordre de la parole directe (les monitions adressées à l’assemblée) et de la parole indirecte (les prières adressées à Dieu de telle manière que l’assemblée les entende et s’y associe). Combien de fois entend-on, dans des prières manifestement destinées à Dieu, des commentaires visiblement destinés aux fidèles présents !

Autre danger de cette "messe du Jeudi" : la tentation de nivellement horizontal. Plus qu’un repas fraternel, la messe est le mémorial de ce repas. Utiliser une boisson plus adaptée à la culture du lieu ou au goût de l’époque peut contribuer à renforcer le caractère actuel du repas, mais aussi à obscurcir la mémoire de ce que Jésus a réellement fait il y a deux mille ans, lorsqu’il a pris le vin...

Le risque majeur de vocations liées à cet aspect de l’Eucharistie est donc le danger d’une confusion qui fait de la messe un simple rassemblement d’amis et du prêtre un animateur de ce groupe amical. Or, si présidence il y a, ce ne peut être qu’une présidence au nom du Christ et à sa place. Cette dimension verticale ne doit pas être oubliée.

Une perspective renouvelée du lien entre l’Eucharistie et le prêtre

Nous avons montré, dans les paragraphes précédents, que les diverses manières d’envisager l’Eucharistie entraînaient des manières différentes de comprendre le rôle du prêtre, et par conséquent des manières différentes d’appeler à son ministère.

C’est la raison pour laquelle les recherches les plus récentes pour renouveler la présentation de l’Eucharistie retiennent nécessairement notre attention : elles peuvent nous conduire à une vision renouvelée de la place du prêtre.

Nous avons senti les limites d’une approche de l’Eucharistie centrée sur le sacrifice ("messe du Vendredi") ou sur le repas ("messe du Jeudi").
Dans un article récent, Paul de Clerck nous rappelle que l’Eucharistie ne se célèbre pas prioritairement le jeudi, jour de son institution, mais bien le dimanche, jour de la résurrection du Christ 7. Rappelons-nous que l’institution de la Fête-Dieu à un jeudi est bien postérieure à la coutume établie par les premiers chrétiens de célébrer l’Eucharistie le jour où le Seigneur est ressuscité, c’est-à-dire le dimanche. Ce détail de calendrier doit nous interroger : l’Eucharistie et le dimanche sont liés dans la mesure où la messe est le mémorial du Christ mort et ressuscité. Lorsque nous nous retrouvons à la messe, il ne s’agit ni de mimer le repas du Jeudi Saint, ni de mimer la mort du Christ au Calvaire le Vendredi Saint. Il est vrai que des générations de prêtres ont été formées dans une spiritualité "douloureuse" de l’Eucharistie : la communion aux souffrances de Jésus. Notons bien qu’il s’agit d’une habitude purement occidentale. L’Orient n’a jamais oublié le caractère de fête de la Résurrection que doit revêtir chaque messe. Allons-nous retrouver cette intuition en promouvant à notre tour cette "messe du Dimanche" ?

La présence du Christ à l’Eucharistie n’est ni la présence du Jésus du Cénacle, ni celle du corps mort de la croix, c’est la présence du Vivant, du Ressuscité. Paul de Clerck nous invite à renverser les perspectives : il ne s’agit pas de "rendre le Christ présent" parce qu’il serait absent, mais d’accueillir sa présence, sans laquelle nous ne serions pas réunis 8.

Il s’agit là d’indéniables avancées de la théologie eucharistique catholique, sanctionnées tout récemment par le document du Conseil de présidence du Grand Jubilé : "L’Eucharistie n’est pas seulement le mémorial du sacrifice rédempteur du calvaire, mais elle n’existe qu’à partir de la glorification du Christ, elle célèbre la présence du Ressuscité... De là le climat de joie de toute célébration 9."

Il y a de plus un corollaire à cette vision "dominicale" de l’Eucharistie : le dimanche n’est pas seulement le jour de la Résurrection du Christ, c’est encore celui du don de l’Esprit, que l’on raisonne dans la perspective johannique du soir de Pâques, ou dans celle, lucanienne, de la Pentecôte. Dès lors, il convient de nous interroger sur la place que nous accordons à l’Esprit-Saint dans notre compréhension de la messe, il convient de développer une "vision spirituelle" de l’Eucharistie, donc du prêtre.

Si nous revenons au modèle de messe centré sur le renouvellement du sacrifice de la croix, nous découvrons que le prêtre y est le sujet essentiel de la célébration, au point qu’il peut même en être le seul. Le passage à un modèle eucharistique inspiré davantage par le repas a pour effet de faire de l’assemblée le principal sujet de la célébration, le prêtre n’étant qu’un membre de cette assemblée, à savoir son président.
Dans le premier cas, on a l’impression que le don de la présence du Christ est lié à l’action du prêtre, dans le second cas, à la prière de l’assemblée.

Promouvoir une interprétation "spirituelle" de la messe, c’est reconnaître Dieu lui-même, à travers son Esprit, comme le principal acteur de la célébration. C’est en effet l’Esprit-Saint qui réalise la présence du Christ, le prêtre et l’assemblée ne faisant que collaborer, chacun à leur manière, à cette réalisation. Selon la belle expression de Louis-Marie Chauvet, l’Esprit-Saint est "l’agent de la somatisation de Dieu 10." Pendant des siècles, l’Esprit-Saint aura été le grand absent de nos Eucharisties, conçues comme le sacrifice du Christ offert à son Père. La réforme liturgique a souhaité que son rôle soit davantage souligné. Mais l’accent n’est déplacé que lorsque toutes les conséquences de la réintroduction d’épiclèses dans les prières eucharistiques occidentales sont tirées : là où la théologie occidentale n’a longtemps vu la transformation des espèces qu’au moment où le prêtre prononçait les paroles de la consécration, il est désormais possible de reconnaître la place centrale de l’Esprit-Saint dans ce processus. Cela entraîne le passage d’une sacramentaire fondée sur le "je" du ministre à un système où le ministre prie Dieu, c’est-à-dire l’Esprit-Saint, d’agir lui-même. Paul de Clerck se réjouit de ce que la place et l’action de l’Esprit soient enfin reconnues dans l’Eucharistie, car cela "accentue la déprise du prêtre par rapport à l’acte eucharistique, à l’encontre d’une certaine tradition occidentale qui véhicule l’idée que ’le prêtre consacre’ 11."

Sans aller aussi loin, le document du Conseil de Présidence du Grand Jubilé prend acte de la place désormais incontournable de l’Esprit-Saint dans la messe : c’est l’Esprit qui vivifie, c’est l’Esprit qui ressuscite, c’est l’Esprit qui fait le don de la présence du Christ dans l’Eucharistie 12.

De tels propos pourront sembler de nature à affaiblir la place du prêtre dans la messe : il n’en est rien, car le prêtre, lui-même comblé du don de l’Esprit lors de son ordination, apparaît bien comme celui qui, au nom de l’Eglise, demande le renouvellement de ce don, d’abord sur les offrandes, ensuite sur le peuple tout entier, pour que les unes et l’autre deviennent le Corps du Christ.

Quelles peuvent être les conséquences pour un appel ? Remarquons tout d’abord le caractère enthousiasmant de la place du prêtre dans l’Eucharistie selon cette perspective renouvelée : après avoir proclamé et commenté la Parole de Dieu, il exprime la prière et l’attente de toute l’Eglise qu’il invite à s’ouvrir à la joie du Christ ressuscité. Là où une vision doloriste peut entraîner une manière triste et sévère de célébrer l’Eucharistie, cette conviction doit teinter chacune de nos messes, quelle qu’en soit la période, d’une part de "joie pascale". Qui soutiendra qu’il n’est pas appelant de collaborer ainsi à l’œuvre de l’Esprit ?

CONCLUSION

Remercions notre Pape de nous avoir rendu attentifs, en cette année du Grand Jubilé, à ce que toute vocation puise sa source dans l’Eucharistie. Cherchons néanmoins, comme cet article voudrait le faire, à surmonter les clichés et les modèles trop étroits. L’Eucharistie n’est pas appelante en ce qu’elle met en scène un prêtre omniprésent et omnipotent. On ne devient pas prêtre pour "jouer à la messe", ni pour trôner sur un fauteuil de présidence.
En revanche, l’Eucharistie est bien le lieu où toutes les vocations et tous les charismes sont appelés à s’exprimer, surtout lorsqu’elle réunit l’ensemble du Peuple de Dieu autour de l’évêque. L’Eucharistie est aussi le lieu où l’action de l’Esprit-Saint se déploie, avec la collaboration indispensable du prêtre, président de la communauté, sans laquelle ce don n’aurait pas son indispensable environnement ecclésial, et risquerait donc de tourner à l’anarchie. Le ministère du prêtre, tout comme l’Eucharistie, obéit à une double logique pneumatologique et christologique. Le premier de ces aspects, resté très présent en Orient, avait été presque totalement oublié en Occident. Il est grand temps de le redécouvrir : le prêtre est un pasteur, à la suite de Jésus, mais il est aussi un prophète, dans le souffle de l’Esprit-Saint. De même que la messe ne peut se vivre sans cette double référence au Christ et à l’Esprit, la mission du prêtre ne peut se comprendre en dehors de cette tension indispensable entre la sagesse du pasteur et la folie du prophète.

NOTES : ----------------------------------------------

1 - On trouvera une des présentations les plus achevées de cette théologie eucharistique chez J.Lepain, L’idée du sacrifice eucharistique, 1926. [ Retour au Texte ]

2 - C’est dans cette perspective qu’a été imaginé le triduum de messes célébré à Lourdes en 1937 : 140 messes d’affilée du 25 avril à 16h au 28 avril à 16h. [ Retour au Texte ]

3 - Comme le montrent les changements successifs de titre du document consacré d’abord au prêtre, puis aux prêtres. [ Retour au Texte ]

4 - Cette phrase du Concile est appuyée par trois citations des lettres de saint Ignace, par ailleurs cité dix fois dans Lumen Gentium. [ Retour au Texte ]

5 - Louis Bouyer, Eucharistie, Paris, Desclée, 1966. [ Retour au Texte ]

6 - Hervé Legrand, “La présidence de l’Eucharistie selon la tradition ancienne”, in Spiritus, n°69, décembre 1977, p. 409-421. [ Retour au Texte ]

7 - Paul de Clerck, “Les épiclèses des nouvelles prières eucharistiques du rite romain, leur importance théologique”, Ecclesia orans, Rome, Institut Pontifical de Liturgie, 1999/2, p.202. [ Retour au Texte ]

8 - L’Eucharistie ne se célèbre pas « sur fond d’absence, mais sur fond de présence du ressuscité au monde et à l’Eglise. », Paul de Clerck, ibid. [ Retour au Texte ]

9 - Recension par Didier Monget du document “L’Eucharistie, sacrement de la vie nouvelle”, in Prêtres Diocésains, n° 1377, mai 2000, p. 237. [ Retour au Texte ]

10 - Louis-Marie Chauvet, “Sacrements dans l’Esprit”, Prêtres Diocésains, n° 1366, mars-avril 1999, p. 297-317. [ Retour au Texte ]

11 - Paul de Clerck, “L’Esprit-Saint dans la liturgie eucharistique”, Prêtres Diocésains, n°1366, mars-avril 1999, p.328. [ Retour au Texte ]

12 - Cf. la recension citée plus haut que Didier Monget a faite de ce document, ibid. [ Retour au Texte ]