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Eucharistie et paroisses nouvelles
évêque de Rodez
Le pape Jean-Paul Il a déclaré que « l’an 2000 sera une année intensément eucharistique. » En effet, cette Année Sainte nous invite à célébrer les 2000 ans de l’Incarnation de « Jésus Christ, unique Sauveur du monde, hier, aujourd’hui et à jamais » (He 13, 8). Ce salut est à notre disposition et à notre portée grâce au don infini de l’Eucharistie, « pain rompu pour un monde nouveau ».
Afin de magnifier ce mémorial de la mort et de la résurrection du Christ, « Source de vie divine » pour l’humanité entière, nous voudrions situer le rôle et le sens du sacrement de l’eucharistie dans notre démarche actuelle du réaménagement des paroisses. De l’avis de beaucoup, étant donné la diminution du nombre de prêtres, c’est un des points délicats de cette démarche : décider où et quand célébrer ? Comment faire progresser dans les communautés élargies la conscience de l’importance de l’expérience eucharistique et de sa nécessité vitale ?
Pour sa part, cette Lettre pastorale voudrait insister sur la signification de l’Eucharistie et sur sa dynamique évangélisatrice dans ce contexte nouveau. Volontiers, je prendrais référence sur cette constatation du cardinal Etchegaray qui résume bien les principaux enjeux : « L’Eglise a toujours maintenu l’Eucharistie comme le foyer vivant de sa foi, de son service, de son unité » (Jésus, p.101).
L’Eucharistie : rencontre du Christ vivant aujourd’hui
Il nous est peut être arrivé de regretter de n’avoir pas été parmi ceux qui ont pu rencontrer le Christ vivant après la résurrection… de n’avoir pas pu traîner du côté de la route d’Emmaüs en compagnie des deux disciples qui l’ont reconnu... Et pourtant, sommes-nous si sûrs de n’avoir pas cette chance et cette possibilité ? La route d’Emmaüs est ouverte devant nous chaque dimanche. Le Christ y vient toujours à notre rencontre. Il réchauffe notre cœur à l’écoute des Ecritures. Dans la “fraction du pain”, il nous fait revivre sa Pâque. Il nous renvoie vers nos frères pour faire Eglise ensemble afin de reprendre courageusement le chemin de la mission.
La route d’Emmaüs, qui commence dans la tristesse, avec beaucoup d’interrogations et dans le manque d’espérance, est devenue chemin de la rencontre du Dieu vivant. A toutes les générations, cette merveille se renouvelle. De ce fait, nous comprenons mieux pourquoi les chrétiens d’Abilene, en 304, ont préféré le martyre plutôt que d’être privés de cette rencontre essentielle, eux qui ont proclamé : « Nous ne pouvons pas vivre sans le dimanche. » Leur cri de conviction nous appelle à réfléchir sur ce qui se passe de fondamental ce jour-là, pour nous, pour l’Eglise, pour l’avenir du monde. Ce jour-là les yeux [de la foi] peuvent s’ouvrir sur la présence du Ressuscité. L’Eglise est conviée à refaire l’expérience des Apôtres au jour de Pâques car Jésus maintient sa promesse : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »
Jésus rejoint ses disciples, parfois hésitants et désorientés, pour se faire découvrir comme le Vivant, Celui qui fait vivre, Celui encore qui ouvre le chemin de l’Espérance. L’Eucharistie rend actuel l’Evénement de Pâques dont nous devenons ainsi les contemporains. Saint Thomas d’Aquin nous guide vers ce foyer ardent de notre foi quand il affirme : « On y célèbre la mémoire de cet amour insurpassable que le Christ a montré dans sa passion et il voulait que l’immensité de cet amour se grave dans le cœur de ses fidèles. »
Nous sommes ainsi conduits au centre de l’histoire. « Ce pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde » (Jn 6, 51). « Ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés » (paroles de la Consécration).
L’Eglise ne peut cesser d’accomplir ce commandement du Seigneur : « Faites ceci en mémoire de moi. » En restant fidèle à cette tradition, elle offre à chaque génération l’immensité des dons du Fils Bien-Aimé du Père qui « est venu non pour être servi mais pour servir et donner sa vie pour la multitude » (Mc 10, 45). Dieu rejoint notre temps pour y faire du neuf à partir de l’événement de Pâques. C’est à cause de la Résurrection de Jésus que le dimanche n’est pas un jour comme les autres. Il est le “Jour du Seigneur”. Nous pourrions même dire que c’est le jour que le Seigneur consacre davantage à ses disciples pour les aider à structurer leur existence personnelle communautaire et sociale.
Reprenons bien conscience de cette dimension vitale de l’Eucharistie. Chaque fois qu’elle est célébrée, Jésus vient à la rencontre de l’humanité pour allumer en elle le feu de son Amour, la joie de la Foi et les multiples lueurs d’Espérance… pour réaliser « l’Alliance nouvelle » avec son peuple. Et nous, nous resterions calfeutrés dans nos maisons, dans nos vies monotones ou nous nous lancerions dans des divertissements sans but, alors que Dieu nous propose cet événement considérable. Ne nous donnons pas trop facilement l’excuse de l’élargissement du territoire des paroisses nouvelles et donc l’éloignement du lieu de célébration de l’Eucharistie, pour nous dispenser de cette rencontre fondatrice de notre existence chrétienne puisque l’Eucharistie est bien « la source et le sommet de l’existence chrétienne » comme le dit le concile Vatican II. (L’Eglise, n°11).
Comme j’ai pu le dire à l’occasion de visites pastorales, ce n’est pas parce que le boulanger n’est plus au plus près de chez vous, dans votre village, que vous ne mangez plus de pain ! Restez affamés de pain de Dieu, qui est pain de vie.
Prenons à notre compte deux invitations du pape Jean-Paul II. La première adressée aux jeunes qui se préparaient aux J.M.J. de 1997 à Paris : « Que le pain eucharistique ne manque jamais sur les tables de vos existences. C’est de ce Pain que vous pourrez tirer la force pour témoigner de la foi. » La deuxième qui a pour destinataires l’ensemble des croyants pour les appeler à « sanctifier le Jour du Seigneur ». « N’ayez pas peur de donner votre temps au Christ ! Oui, ouvrons notre temps au Christ, pour qu’il puisse l’éclairer et l’orienter. C’est Lui qui connaît le secret du temps comme de l’éternité et il nous confie “son jour” comme un don toujours nouveau de son amour. La redécouverte de ce jour est la grâce à implorer, non seulement pour vivre pleinement les exigences propres de la foi mais aussi pour donner une réponse concrète aux aspirations les plus vraies de tout être humain. Le temps donné au Christ n’est jamais un temps perdu, mais plutôt un temps gagné pour l’humanisation profonde de nos relations et de notre vie. »
L’Eucharistie, source et sommet de la vie et de l’unité de l’Eglise
Source et sommet de l’existence chrétienne, l’Eucharistie est également et en même temps la source et le sommet de la vie et de l’unité de l’Eglise. « Le foyer de l’unité » de l’Eglise reconnaissait le cardinal Etchegaray. Cette unité est préfigurée par le rassemblement. Le mot Eglise, ekklesia en grec, signifie assemblée. Il serait dommage d’oublier cet aspect : l’assemblée du dimanche correspond d’abord à cette volonté du Christ de convoquer son Peuple dans un même lieu alors qu’il est habituellement dispersé dans ses tâches quotidiennes. Les premiers chrétiens se référaient au symbolisme du pain : « Comme ce pain rompu autrefois dispersé sur les collines de manière à ne plus faire qu’un, rassemble ainsi [Seigneur] ton Eglise des extrémités de la terre dans ton Royaume » (Didachè).
L’Eglise est dans son rôle quand elle réunit des gens de toute langue, race, de toute origine sociale… et elle rejoint les attentes fondamentales de l’humanité désirant vivre dans la paix, la fraternité, l’unité.
Cet appel au rassemblement est un des principaux fils de la trame de la réforme des paroisses. Si nous voulons renouveler nos célébrations eucharistiques, il convient de commencer par rendre nos assemblées plus chaleureuses, plus universelles et plus accueillantes à tous et de ce fait plus représentatives de la figure bigarrée de nos communautés humaines.
Le regroupement des baptisés par affinités, le repliement sur un clocher, les retrouvailles fréquentes en des groupes religieux identitaires ne correspondent pas à la volonté du Seigneur de montrer que son Eglise est un seul Corps, composé de membres divers, de toutes générations, de toutes sensibilités, de toutes origines sociales, pauvres et riches, hommes et femmes, jeunes et anciens… Que signifieraient d’autre part des célébrations juxtaposées de l’Eucharistie dans deux communautés voisines, opposées par des conflits anciens qu’on ne chercherait plus à surmonter ? Une assemblée chrétienne ne peut être une assemblée libre-service, ni une assemblée-club. Saint Paul a réagi violemment devant le scandale des inégalités trop affichées lors des premières célébrations eucharistiques. Il s’est élevé contre les divisions à l’intérieur de la communauté de Corinthe qui altéraient le sens de l’Eucharistie. Car l’Eucharistie est toujours mal à l’aise dans une Eglise ou une communauté humaine divisées. « Le pain que nous rompons n’est-il pas communion au Corps du Christ ? Puisqu’il n’y a qu’un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons part à un seul pain. »
L’Eucharistie joue un rôle déterminant dans le développement et le témoignage de l’Eglise. « La communion s’impose comme un élément constitutif de l’Eglise de sa nature et de sa vie » écrit le Père Jean Rigal dans son dernier ouvrage Découvrir l’Eglise (p. 68). Le salut n’est pas qu’individuel… Il passe par une Eglise-communion, il prépare une société de réseaux, il rejoint une humanité soucieuse d’unité. Le Christ, qui fait communier ses disciples à son corps, façonne la communauté à son image.
Les prières eucharistiques nous font intercéder pour l’affermissement de la sainteté et de l’unité du Peuple de Dieu : « Dieu, Père plein de tendresse, donne-nous l’Esprit d’amour, l’Esprit de ton Fils. Nous qui allons recevoir son Corps et son Sang, fortifie-nous et fais que nous soyons dans la foi et l’Amour. » (Prière eucharistique B pour rassemblements)
La communauté ecclésiale doit rendre visible un nouveau mode de comportement. Le « Voyez comme ils s’aiment » reste toujours la référence de crédibilité de l’Eglise. Dans la Lettre aux Catholiques de France (p. 79), les évêques de France avaient rappelé que « pour annoncer l’Evangile au monde, [l’Eglise] doit en même temps l’accueillir et le pratiquer dans la façon même dont elle s’organise et dont elle exerce sa mission. »
Le Pape est encore plus explicite : « Il nous est demandé de manifester que nos célébrations ne sont pas que des rites, des formalités, mais des sources de vie, des lieux de fraternité et de communion, qu’elles sont des moments missionnaires… »
Pouvons-nous trouver justification plus autorisée de la démarche que nous avons entreprise de rendre nos communautés célébrantes « plus vivantes, plus fraternelles, plus rayonnantes et donc plus missionnaires. »
Evidemment, cela va nous demander d’accentuer nos efforts pour préparer des célébrations plus festives, plus ferventes, en prévoyant la participation consciente et active de tous. Le rôle des équipes liturgiques devient indispensable. L’Eucharistie du dimanche ne doit donc pas être insignifiante, ni même s’exposer au contre-témoignage quant au nombre et à la qualité. Il ne faudra pas craindre de se déplacer : on le fait sans se poser de questions pour son travail, pour le marché, pour les loisirs, pourquoi ne le ferait-on pas pour rencontrer le Seigneur et ses frères croyants ? D’autant plus que la visite de communauté à communauté est une tradition très ancienne dans l’Eglise.
J’ajoute également cette interpellation : lorsque l’Eucharistie est célébrée pour des circonstances heureuses et douloureuses (communions, professions de foi, mariages, sépultures), il faut tenir compte de ceux qui ne viennent qu’occasionnellement à l’Eglise et faire en sorte que, dans la célébration, agissent des témoins « convaincus, accueillants, respectueux de l’itinéraire de chacun, mais prêts à rendre compte de l’Espérance qui est en eux : il y a un bonheur à croire et il faut savoir le partager. » Ce sont les paroles même du pape Jean-Paul II (Visite ad limina, région apostolique Sud-Ouest, 1997).
L’Eucharistie source et sommet de toute l’évangélisation
L’Eglise doit revêtir « la tenue de service ». L’Eucharistie initie tout un Peuple à vivre du Christ ressuscité et comme Lui. L’Eucharistie ne fait qu’exalter l’attitude du Christ durant toute sa vie et surtout le don total de Lui-même dans les heures cruciales du mystère pascal. Le Christ s’est toujours montré passionné de l’homme et du monde. « L’étonnant est aussi qu’en Jésus, le Verbe fait chair, Dieu se soit montré si humain […] il va vers les perdus des hommes, les petits et les exclus, les malades et les pêcheurs. » (Lettre aux Catholiques de France, p. 50). Dans l’Eucharistie, il se livre “corps et sang” pour notre bien et pour un monde nouveau. Nous ne célébrons pleinement l’Eucharistie et nous ne sommes en conformité avec sa signification profonde que si nous sommes disposés à nous livrer “corps et sang”, comme le Christ pour tous.
Le père Christian de Chergé nous y encourageait quelques semaines avant sa mort : « Nous avons à être les témoins de l’Emmanuel, c’est-à-dire du “Dieu avec”. Il y a une présence du “Dieu parmi les hommes”, une présence fraternelle que nous devons assumer. »
Dans la réorganisation des communautés chrétiennes en paroisses nouvelles, nous chercherons à améliorer la crédibilité de notre témoignage en constituant des réseaux de proximité et en développant une solidarité concrète. Il s’agira cependant de maintenir l’équilibre entre le désir de regrouper les ressources pastorales et la volonté de valoriser et respecter les réalités locales. Nous y parviendrons par la mise en place d’équipes-relais qui assureront le lien et assumeront cette responsabilité.
On nous reconnaîtra comme d’authentiques disciples du Christ à « l’amour que nous aurons les uns pour les autres. » Nous sommes effectivement appelés à être des témoins crédibles de l’Evangile du Christ. L’Eucharistie est ainsi « la source et le sommet de toute l’évangélisation » (Ministère des Prêtres, n°6). L’Eucharistie vécue nous provoque à assumer une véritable solidarité et un soutien fraternel réel, avec les exclus, les chômeurs, les petits et les pauvres, les familles brisées et éclatées, à partager les grandes questions des hommes d’aujourd’hui, particulièrement celles des jeunes générations. Il conviendra de développer la participation aux divers mouvements caritatifs qui sont l’expression d’un témoignage de l’Eglise (Secours Catholique, C.C.F.D., Saint-Vincent) ou de rejoindre les initiatives non confessionnelles ou inter-confessionnelles (A.C.A.T., Amnesty, A.T.D. Quart-Monde, Croix-Rouge…).
Il s’agira encore de constituer, là où elles n’existent pas encore, des équipes de Service Evangélique des Malades et former les personnes à cette mission. Ne seront pas oubliées, enfin, les personnes âgées ou isolées.
Puisqu’en beaucoup d’endroits, on suit l’excellente tradition de porter la communion aux malades, je souhaite que ce service apparaisse bien comme un service de communauté chrétienne. De ce fait, les hosties ne devront pas être confiées aux personnes lorsqu’elles vont elles-mêmes communier, mais je demande que les custodes soient placées sur l’autel et qu’au moment de l’envoi elles soient remises visiblement aux personnes désignées pour manifester que c’est au nom de la communauté que cette mission est accomplie. Le respect de l’Eucharistie et de son rôle ecclésial va jusque-là.
Nous comprenons mieux pourquoi l’Eglise, lors de la célébration de l’Eucharistie, laisse éclater sa joie de façon étonnante : « Heureux les invités au repas du Seigneur. » Ce jour-là Dieu donne vraiment rendez-vous à son peuple. Il renouvelle son alliance avec Lui. Il lui confie la nouveauté du Royaume. Il l’appelle à témoigner de la puissance de sa Résurrection qui a la capacité de renouveler la création, l’humanité et les relations entre les hommes comme en est fortement convaincu le théologien Karl Rahner : « La Résurrection de Jésus est comme la première éruption d’un volcan. Elle nous montre que le feu de Dieu brûle déjà à l’intérieur du monde, qu’il embrase tout du bonheur et de son éclat. »
Etant donné la fonction primordiale de l’Eucharistie dans la croissance du Corps du Christ, dans l’extension du Royaume et dans la construction d’une civilisation de l’amour, nous devons nous montrer fidèles à la recommandation du Christ de prier pour que des vocations de pasteurs et de célébrants de l’Eucharistie nous soient accordées plus nombreuses dans notre diocèse.